La naissance de l’administration centrale moderne sous l’Ancien régime

Temps de lecture : 8 minutes.

Éléments glânés à la lecture de l’ouvrage Histoire de l’administration de Yves Thomas.

Pour retrouver l’image ci-dessus, rendez-vous sur Gallica : Le Roy dans son Conseil

Au sommet : Les maîtres des requêtes

L’administration va grossir par son sommet, avec l’apparition des « maîtres des requêtes ». On en compte environ quatre-vingt sous le règne de Louis XIV.

Il s’agit de juristes chargés d’étudier les dossiers présentés au Roi et d’en faire rapport.

Pour être maître des requêtes, il faut en principe être âgé de plus de trente ans et avoir été en fonction pendant au moins six ans dans une Cour supérieure. Le prix de la charge est évidemment très élevé, d’autant que cet office est anoblissant — toutefois, l’essentiel des maitres de requête sont déjà d’origine noble (le plus souvent d’extraction ancienne). Par ailleurs, la majorité d’entre eux sont parisiens, mais pas tous :

M. De Lareyne. Source : bnl-bfm.limoges.fr Bibliothèque francophone multimédia de Limoges.

Parmi ces maîtres des requêtes seront recrutés les plus hauts fonctionnaires du Royaume : les conseillers d’État (une trentaine environ), mais également les intendants de province.

Il existe aussi des administrateurs plus spécialisés comme les intendants des Finances au Conseil royal des finances, mais leur rôle est plus circonscrit (tout en demeurant évidemment important).

Les officiers du Royaume

Sous l’Ancien Régime, la plupart des agents de la monarchie sont des officiers royaux. On distingue ici deux grands groupes :

  1. Les officiers de justice, qui assurent une fonction juridictionnelle, mais qui peuvent également remplir à titre accessoire des fonctions administratives ;
  2. Les officiers des finances (bientôt supplantés par les intendants des finances) qui ont la charge de la gestion des impôts directs — les impôts indirects étant perçus par une institution spécifique, la « Ferme générale ».

L’officier est nommé par le Roi par des lettres de provision renvoyant au statut de l’office, celui-ci étant établi par la loi royale ou la coutume. Cet office donne droit à rémunération, gages et souvent privilèges (exemption fiscale).

L’office est une charge patrimoniale, à la fois vénale et héréditaire.

L’hérédité de l’office a été institutée sous Henri IV et est acquise par le versement d’une taxe annuelle, dénommée « Paulette » du nom du financier Paulet qui l’inventa.

Les officiers sont censés avoir une reçu une formation juridique en faculté de droit. Ils semblent avoir en pratique et en moyenne une certaine compétence technique.

Le problème majeur de l’officier est son indépendance du Roi, qui empêche la prise de mesure disciplinaire et implique un très faible suivi des missions par le Roi.

Édit de 1705, portant création d’offices. Source : gallica.bnf.fr / BnF.

L’apparition des commissaires

Pour s’assurer du contrôle des fonctions jugées les plus importantes, la pratique du commissionnement se développe. Cette pratique, née au XIVe siècle, va bientôt concerner tous les grands postes de l’Etat : contrôleur général des finances, secrétaires d’Etat, conseillers d’Etat, premiers présidents des cours souveraines, ambassadeurs, lieutenant général de police de Paris et intendants de province.

Le commissaire est nommé par le Roi pour une mission en principe temporaire, spécifiée dans la lettre de commission. Cette charge est toujours révocable.

Le commissaire, qui exerce des fonctions supérieures, est le plus souvent choisi parmi les officiers royaux.

Le Conseil d’En-Haut

Ce Conseil comprend les plus hauts dignitaires du régime :

  • Le chancelier, qui demeure un officier inamovible et dont l’origine de la fonction est la plus ancienne, chargé d’assurer la Justice. En cas de conflit, le Roi peut lui adjoindre un Garde des sceaux, évidemment commissionné, pour exercer les fonctions législatives ;
  • Les secrétaires d’Etat, au nombre de quatre, qui acquièrent sous Louis XIV une véritable stature de « ministre ». Initialement responsables d’affaires « départies » par division géographique : chacun étant responsables des affaires relevant de certaines provinces et pays étrangers (d’où l’expression de « département ministériel »), auxquelles se sont surajoutées ensuite une répartition par matières : affaires étrangères, Maison du Roi, Guerre et Marine. Ce double portefeuille (matériel et géographique) explique l’absence de ministre de l’Intérieur jusqu’à la Révolution ;
  • Le contrôleur général, créé en 1665 et attribué à Colbert, marque l’avènement de ce que certains ont qualifié de « monarchie administrative ».

Pour traiter leurs dossiers, les ministres se sont adjoints peu à peu des « bureaux », dans lesquels apparait une nouvelle catégorie d’agents de l’Etat : les « commis ». Nous avons là les ancêtres directs des agents publics contemporains des administrations centrales.

En 1775, le Contrôleur général compte plus de 150 commis dans les services ministériels. Ceux-ci sont recruté et révoqué par le ministre, ils dépendent entièrement de lui qui les rémunère comme il l’entend, au moyen d’une dotation que lui alloue le Roi.

Ces employés sont répartis dans des bâtiments parisiens et dans une aile de Versailles.

Peu à peu, les fonctions s’affinent et se spécialisent : est ainsi créé en 1716 le corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées chargé de la construction du grand réseau de routes royales. Ces derniers sont recrutés à partir de 1747 par l’Ecole des Ponts et Chaussées, sur concours, puis commissionnés par le Roi.

Cette école servira de prototypes aux corps d’ingénieurs suivants et constitue certainement l’élément le plus novateur dans la création d’une fonction publique professionnelle sous l’Ancien Régime.

Les intendants des province

La fonction d’intendant nait plus tardivement, au XVIe siècle. Il s’agit alors d’envoyer en « tournées » dans les provinces les maitres des requêtes afin de surveiller les autorités locales et en particulier les officiers.

Leur installation défintive dans les provinces est réalisée par Louis XIV. La Bretagne est la dernière pourvue, en 1689.

Censé impulser une forme de centralisation, leur action demeure toutefois un exercice enraciné dans les territoires. Certains intendants restent par exemple en fonction vingt ou trente ans dans leur province, avec l’obtention dans certains cas d’une transmission au fils par lettre de survivance royale.

A la fin de l’Ancien régime, on compte environ trente-trois intendances, aux frontières très irrégulières. Ces derniers peuvent par ailleurs disposer de subdélégués, appelés à devenir les futurs sous-préfets du régime républicain.

Peu à peu, les intendants gagnent en prérogative suivant le principe selon lequel il a seul compétence pour mettre en œuvre les nouvelles politiques royales en matière de travaux publics, d’urbanisme ou encore d’assistance qualifiées d’ « extraordinaires ».

M. De Meilhan, intendant du Hainault. Source : gallica.bnf.fr / BnF.

En 1641, un édit établit une distinction fondamentale entre le contentieux des affaires privées et celui des affaires publiques, interdisant au Parlement de Paris de prendre connaissance de toutes affaires : « qui peut concerner l’Etat, administration et gouvernement d’icelui que nous réservons à notre personne seule. »

L’intendant se voit ainsi dévolu des fonctions juridictionnelles en matière administrative, l’appel étant porté devant le Conseil du Roi.

Peu à peu, les officiers locaux perdent également des prérogatives historiques. En 1683, Louis XIV impose un système de tutelle financière des intendants sur les décisions prises par les villes. En 1704, les magistratures urbaines perdent leur caractère héréditaire.

Seuls la Bretagne et le Languedoc demeurent administrativement autonomes, avec notamment le privilège de lever l’impôt provincial.

A la veille de la Révolution, la monarchie a finalement jeté les bases de l’administration moderne :

  • Une structure ministérielle,
  • Une bureaucratie professionnelle et hiérarchisée,
  • Un traitement juridique ad hoc des contentieux administratifs (le dualisme juridictionnel),
  • Mais aussi selon l’auteur, Yves Thomas, une : « attitude de distance hautaine à l’égard des administrés. »

Un mouvement de recul est toutefois à l’œuvre à la fin de l’Ancien Régime, marqué par une volonté de renouer avec les Etats provinciaux autonomes, en opposition à l’absolutisme centralisateur monarchique. Sont ainsi évoqués en 1788 la constitution d’assemblées municipales, de district et provinciales, afin de renouer avec une forme de décentralisation du pouvoir. Il est évidemment trop tard.

La Révolution

L’abolition des privilèges dans la nuit du 4 août condamne la structure administrative monarchique.

Les offices sont supprimés et leurs titulaires indemnisés (en assignats…), le Conseil du Roi est remplacé par le Conseil d’Etat, la Chancellerie devient le ministère de la Justice, les secrétariats d’Etat voient leurs portefeuilles préservés et sont requalifiés en ministres des affaires étrangères, de la guerre et de la marine.

Seul le Contrôleur général est véritablement démantelé, symbolisant le « despotisme ministériel » d’un système monarchique défaillant. Une partie de ses attributions est confiée à un ministère des Contributions publiques, tandis que ses compétences de police sont rapprochées de celles dévolues à la Maison du Roi pour former le nouveau ministère de l’Intérieur. Enfin, est créé un service administratif, la Trésorerie nationale, chargée de procéder au paiement des dépenses de l’Etat.

Par ailleurs, les administrations centrales et les corps techniques demeurent.

Le nouveau régime souffre toutefois d’un déséquilibre : l’Assemblée ayant un pouvoir législatif sans borne, elle prive l’Exécutif de toute capacité d’instruction générale, bornant les ministres à la prise de décisions individuelles. Bientôt, par la création de comités, l’Assemblée elle-même interviendra dans le fonctionnement quotidien des ministères jusqu’à régenter directement l’administration à compter de 1792, et plus encore en 1793 avec le Comité de Salut public dirigé par Robespierre.

Comité central du salut public. Source : gallica.bnf.fr / BnF.

Du point de vue local, dès 1789 sont instituées les communes (loi d’organisation municipale du 14 décembre 1789), qui regroupent 44 000 collectivités, avec l’imposition d’un modèle unique d’organisation. A ces communes se superposent des départements, créés par la loi du 22 décembre 1789.

Ces derniers, au nom du principe d’unité nationale, ne sont pas des collectivités territoriales autonomes dotées de la personnalité morale, mais de simples circonscriptions administratives avec une fonction purement exécutives. Le découpage est effectué en tenant compte des provinces, les plus grandes étant divisées en plusieurs département (la Bretagne en cinq, par exemple), tandis que certains départements correspondent à une province, comme la Dordogne. En revanche, toute référence au passé est exclu dans la dénomination des départements qui emprunte exclusivement à la géographie.

Les trois niveaux d’administration : département, district et commune sont liés entre eux par une tutelle hiérarchique, qui se révèle rapidement assez formelle et peu opérationnelle.

Enfin, le nouveau régime républicain innove également dans sa sémantique. En 1790, apparait ainsi le terme « fonctionnaire » comme désignant l’agent de l’Etat détenteur d’une portion de la puissance. A celui-ci s’adjoint un « employé », simple exécutant, surtout présent en administration centrale et successeur direct des « commis ».

Toutefois, la différence fondamentale tient au statut de l’« employé ». Celui-ci dispose en effet, de par la loi, d’un système de rémunération et d’un régime de retraite tenant à matérialiser le lien entre l’Etat et ses agents. L’employé est transformé en véritable « agent public » dans son acception moderne, il n’appartient plus au ministre, mais à l’Etat.

Pour autant, l’essentiel des commis de l’Ancien Régime vont rester en place, à l’exception des nobles exerçant les fonctions dirigeantes. Le nombre d’agents publics se stabilise bientôt autour de six cents.