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Réflexions notamment issues de l’ouvrage Quel avenir pour le modèle juridique français dans le monde ? (2000) sous la direction de M. Rémy Cabrillac.
Un Droit Codifié
Le Symbole Constitué par le Code Civil
Pour Rémy Cabrillac1, le code civil est l’emblème du droit français sur la scène juridique mondiale. Il incarne la permanence, l’esprit de synthèse, la clarté… en un mot : « l’accessibilité » du droit français.

Pour autant, en dépit d’une permanence de façade, le droit civil évolue fortement, y compris par l’action jurisprudentielle.
« La réalité du droit français des obligations, par exemple, ne se trouve plus dans les seuls articles du Code civil, mais aussi dans les méandres des décisions de la Cour de cassation, ce qui brouille singulièrement la perception du modèle. »
Le modèle français n’en demeure pas moins une source de référence dans de nombreux pays. À la fois par l’attachement à la culture française, mais aussi par la volonté de disposer d’un contrôle modèle au système anglo-saxon dominant.
Les Atouts du Droit Français
Au-delà des postures, le droit français présente plusieurs avantages :
- Il est très évolutif (l’auteur cite l’exemple du PACS) ;
- Son style législatif est unique et constitue un équilibre entre la technique juridique et la compréhension générale, entre les grands principes et le détail ;
- Ce droit français bénéficie d’une codification quasi intégrale (voir l’article sur l’histoire de la codification française) et disponible en ligne — phénomène unique au monde ;
- Enfin, le droit français est teinté d’humanisme et conjugue toujours l’utilité avec la notion de justice2 (en témoigne l’importance du droit précontractuel français).
La Dualité de Juridiction
Un Principe Né Sous l’Ancien Régime
Dès 1641, l’Édit de Saint-Germain en Laye de Louis XIII interdit aux cours judiciaires de se saisir des affaires administratives. Le mouvement est alimenté par les légistes monarchiques et vise à préserver l’autorité du Roi face à la noblesse.
Dis clairement : le Roi contrôle l’action de l’administration ; le juge règle les litiges entre particuliers et sanctionne les infractions.
Le Maintien de la Dualité au Nom de la Souveraineté Nationale et de la Séparation des Pouvoirs
La Révolution française maintient le principe, au nom cette fois de la souveraineté nationale, exprimée au sein de l’Assemblée nationale.
La loi des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire, en ses articles 10 à 133, distingue les fonctions judiciaires et administratives et interdit aux juges toute immixtion dans les fonctions législatives et exécutives.

Le décret du 16 fructidor an III (1795) réitère ensuite l’impossibilité pour les tribunaux de juger les actes de l’administration.
La Constitution du 22 frimaire an VIII (1799, relative au Consulat) prolonge le principe en empêchant le juge judiciaire de poursuivre un fonctionnaire, sauf à ce que le Conseil d’État le décide.
Enfin, par le décret du 11 juin 1806, une commission du contentieux est créée au sein du Conseil d’État4. En 1864, le recours pour excès de pouvoir est facilité et le juge se voit autoriser à réaliser les premiers contrôles de légalité.
La Consécration de la Juridiction Administrative Sous la IIIe République
L’article 9 de la loi du 24 mai 1872 portant réorganisation du Conseil d’État maintient la séparation des juridictions, malgré de vifs débats. La loi dispose ainsi que :
« Le Conseil d’État statue souverainement sur les recours en matière contentieuse administrative, et sur les demandes d’annulation pour excès de pouvoir formées contre les actes des diverses autorités administratives. »
Le juge administratif, par l’arrêt Cadot du 13 décembre 1889, impose sa compétence en l’absence de texte et rappelle qu’il juge, conformément à la loi précitée du 24 mai 1872, « en dernier ressort ». Ce faisant, le Conseil d’État abandonne la théorie dite du « ministre juge » et se délie du pouvoir exécutif. Le voilà indépendant, souverain.
Une Constitution Écrite et la Garantie de Droits Fondamentaux
La Révolution Française Inaugure le Mouvement Constitutionnaliste Français
En 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fait la part belle à la Loi, expression de la souveraineté nationale, tout en énumérant les droits de l’homme de première génération.
Le 3 septembre 1791, s’ensuivit la première Constitution française écrite.
Pour autant, il faudra attendre près de deux siècles pour qu’un contrôle constitutionnel se mette en place. À titre de comparaison, dès 1803, la Cour suprême américaine, dans la célèbre décision « Marbury contre Madison », introduit le contrôle constitutionnel.
Le Long Chemin Vers l’Émergence d’un Juge Constitutionnel
La Constitution du 4 octobre 1958 crée le régime de la Ve République et institue le Conseil constitutionnel.
Toutefois, les premières décisions du Conseil constitutionnel sont particulièrement rares. Malgré la décision du 16 juillet 1971 intégrant dans le « bloc de constitutionnalité » le Préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le contrôle constitutionnel est épisodique.
De 1958 à 1974, le Conseil constitutionnel rend seulement neuf décisions sur la constitutionnalité de mesures législatives.

Il faut attendre 1974 et la possibilité d’une saisine de droit pour l’opposition parlementaire, voulue par le nouveau président de la République, pour que le juge constitutionnel voit son rôle s’accroître.
À compter de 1974, une trentaine de décisions sont ainsi rendues par an sur la constitutionnalité des lois. Ce nombre est néanmoins particulièrement faible par rapport aux autres démocraties libérales.
La création en 2010 d’une « question prioritaire de constitutionnalité » constitue indéniablement une véritable révolution libérale dans le système juridique français. Révolution tempérée toutefois par un système de filtre des cours juridictionnelles : Conseil d’État et Cour de cassation5.
La Contestation du Modèle Français
Des Transformations Multiples
Le droit français, comme probablement tous les droits nationaux européens, fait l’objet d’une profonde métamorphose. Plusieurs dynamiques sont à l’œuvre :
- L’essor du droit international, notamment en matière commerciale, environnementale, fiscale… et des droits fondamentaux ;
- Le rôle accru du droit de l’Union européenne ;
- Une place plus importante pour le droit contractuel6 ;
- L’émergence d’un contrôle de constitutionnalité affirmé.
La Plasticité du Droit
Pour Jean-Marc Baïssus, il n’existe pas de système juridique parfait. Chaque ensemble normatif est profondément marqué par son environnement, son histoire, etc.
« Tout système juridique est “situé”, c’est-à-dire qu’il est le fruit d’une situation politico-économique donnée. Le droit est fondamentalement un construit culturel, et, par conséquent, n’a pas naturellement vocation à devenir universel. L’histoire du droit nous montre de multiples influences qui s’expliquent par les échanges économiques, les conquêtes ou les colonisations, la science — que l’on pense à la résurgence du droit romain —, voire le pur hasard.
« De cette pluralité de systèmes, certains ont accédé au statut de référence, pour des raisons diverses, mais certainement pas en raison d’une démonstration scientifique de leur supériorité. »
En ce sens, et pour Jean-Marc Baïssus, le droit continental se caractérise par une place importante laissée à la loi, dans l’objectif de prévenir les conflits et à sécuriser juridiquement les acteurs7.
À l’inverse, le droit britannique ou étasunien évolue et vit par le contentieux juridique et le recours au juge.
Moins d’un acte notarié sur mille est contesté en France. Une transaction sur quatre l’est aux États-Unis8.
- Professeur à la Faculté de droit et des sciences politiques de Montpellier (Laboratoire de droit privé) ↩
- Le libéral sera, assez légitimement, choqué par cette prévalence de la « justice » en droit français. ↩
- Toujours en vigueur : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000704777 ↩
- Lentement, mais inexorablement, le contrôle du juge administratif s’installe. D’abord, du point de vue formaliste, avec le contrôle de la compétence de l’auteur d’un acte règlementaire (CE, Landrin, 4 mai 1826) ; puis, au respect du formalisme légal (CE, Dailly, 22 mars 1833). Le juge s’en tient alors à la légalité externe de l’acte : la compétence et le respect des procédures. ↩
- En ce sens, le système juridique français incarne aussi une forme de conservatisme, voire de retard, par rapport aux États voisins. Conservatisme qui se constate aussi dans la très forte centralisation des instruments de régulation juridique. ↩
- Y compris, au sein des relations institutionnelles publiques et du droit de la fonction public. ↩
- D’où la notion, absurde en Common Law, de « vide juridique ». ↩
- En rappelant que l’ouvrage, donc cette statistique, date du début 2000. ↩

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