Temps de lecture : 4 minutes.
Cet ouvrage est saisissant par sa verve, mais il porte également en lui une discussion constitutionnelle de la part d’un auteur ayant incarné une forme de libéralisme politique à la française.
On y trouvera ici une critique intéressante, centrée sur la fonction présidentielle, mais déclinant au passage des principes pouvant susciter l’introduction d’un régime que l’auteur considère comme plus démocratique.
Un Président Omnipotent, Mais Seul
L’Absence de Contre-Pouvoir Institutionnel Sérieux au Président de la République
« Une bonne constitution est celle où l’exécutif issu du choix des électeurs peut remplir sa mission tout en restant soumis à un contrôle. La Constitution est mauvaise quand le contrôle peut devenir envahissant au point de paralyser l’exécutif, ou bien quand l’exécutif peut devenir omnipotent au point d’anéantir le contrôle. »
Or, le Président de la République française occupe une place en surplomb1 de l’édifice institutionnel. Il dispose simultanément :
- D’immenses pouvoirs constitutionnels :
- Nomination du Premier ministre et des membres du Gouvernement (article 8 de la Constitution du 4 octobre 19582),
- Pouvoir de référendum (article 11 de la Constitution3),
- Pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale (article 12 de la Constitution4),
- Pouvoir règlementaire et de nomination (article 13 de la Constitution5),
- Pouvoirs exceptionnels (article 16 de la Constitution6),
- Droit de grâce à titre individuel (article 17 de la Constitution)… et
- D’une immunité juridique et de l’absence de contrôle politique, puisqu’il est irresponsable devant le Parlement.

Parler de « fusible » pour un Premier ministre, c’est « reconnaître que nous ne sommes pas en démocratie » pour l’auteur7.
« Les institutions de la Vᵉ République permettent au pouvoir présidentiel d’annihiler tous les autres sans être jamais lui-même mis en cause. »
Pour l’auteur, le quinquennat n’est donc qu’un pis-aller :
« La réduction à cinq ans du mandat réduit la durée, mais non la nocivité de l’hypertrophie présidentielle. »
La véritable difficulté tient à la disproportion entre les pouvoirs présidentiels et l’absence de tout contrôle.
« Aucun philosophe du droit politique n’a jamais accepté que la démocratie consistât à déléguer les pleins pouvoirs, sans contrôle sérieux, et sans révocation possible en cours de mandat, à un individu, fut-ce par un vote. »
Une Force qui Tend à Isoler le Président de la République
Or, cette absence de contrepoids constitutionnels implique également une forme d’exposition directe du Président de la République, en dehors du cadre institutionnel :
« Le pachyderme présidentiel n’est plus aiguillonné que par des forces extérieures aux institutions : les médias et la rue. »
« Ainsi, des sollicitations sporadiques, non prévues dans les institutions, secouent épisodiquement la torpeur présidentielle pour la plonger dans de soudains accès d’agitation désordonnée, dont la rhapsodie ne constitue en aucune manière une réforme cohérente. »
On pense à l’évidence à la succession de crises auxquelles ont pu être confrontés les différents exécutifs8.
Une Absence de Contrôle qui Corrompt
L’auteur revient sur la trajectoire de François Mitterrand, l’auteur du Despotisme présidentiel qui n’en sera pas moins l’archétype du président omnipotent.
« Chaque homme s’imagine qu’il possède dans son propre caractère les qualités qui l’empêcheront de succomber à la tentation du despotisme à laquelle l’exposent des institutions mal construites. »
« Ce que nous constatons, chez chacun des présidents successifs de la Vᵉ, c’est une dégradation de ses qualités d’homme d’État au fur et à mesure de son exercice du pouvoir. »
Jean-François Revel établit ensuite un parallèle avec le lent déclin de l’Ancien Régime. L’absence de contrôle entraînant inévitablement le pouvoir vers l’abîme.
« Même les despotismes qui commencent dans l’intelligence se terminent dans la sottise. »

La « Fiction » de Premier Ministre
Un Premier Ministre à la Main du Président
L’Exécutif français est ambigu. Le Premier ministre est constitutionnellement le chef du Gouvernement9, mais il ne tient son investiture que du Président, et non de l’Assemblée nationale.
C’est également le Président qui, jusqu’à la période récente, le congédiait10.
Cette liberté dans le choix du Premier ministre est un premier souci pour l’auteur. Selon ce dernier, c’est au Parlement d’investir le chef du Gouvernement :
« Un régime parlementaire est celui où le gouvernement et son chef tiennent leur légitimité d’une investiture du Parlement. »
Par ailleurs, le Premier ministre ne dispose pas de la faculté de choisir ses ministres — il peut seulement « proposer ».
« Être Premier ministre de la Vᵉ n’est plus une fonction, c’est une fiction. »

En Cohabitation, une Dyarchie Absurde
L’auteur n’est pas davantage convaincu de la plasticité constitutionnelle dans le schéma de cohabitation.
« Aberrante est l’illusion qu’un pays puisse être raisonnablement géré par un monstre composé de deux exécutifs tirant dans des directions contraires et cherchant mutuellement à se détruire. »
Une séparation plus nette des fonctions est donc essentielle pour l’auteur. Le Chef de l’État devrait être le garant des institutions et les représentant de la République, tandis que le Premier ministre devrait se voir confié l’entièreté des fonctions gouvernementales.
Le Présidentialisme Français Entretiendrait la Faiblesse de l’État
Le Phénomène de Cour
Pour l’auteur, quiconque est nommé en France à une haute fonction publique, l’est parce qu’il est récompensé pour sa fidélité, non pour son intégrité, sa compétence ou l’efficacité qu’il a démontré sur des fonctions similaires.
« Au fur et à mesure que le système présidentiel a dégénéré au fil des ans et de la sclérose caractérielle de ses détenteurs, les conducteurs de la politique de la nation se sont recrutés toujours davantage parmi les amis personnels du chef de l’Etat, ses favoris, ses vieux ou jeunes serviteurs, ses courtisans et de moins en moins parmi des caractères politiques véritables, possédant une assise personnelle dans l’électorat et animés d’une conviction prenant sa source en eux-mêmes. L’Etat achève ainsi de se délabrer entre les mains de toute une cour de dévots dévorateurs de faveurs, qui se savent intouchables en tant qu’« hommes du président ». »

L’Inefficacité de l’État
Enfin, pour l’auteur, le contrôle ne nuit en rien à l’efficacité. Bien au contraire.
« Une bonne constitution, non seulement associe le contrôle à l’efficacité sans sacrifier l’un à l’autre, mais encore, elle garantit l’efficacité parce qu’il y a contrôle. »
« De même, en effet, qu’il n’y a pas, en économie, de profit sans risque ni de prospérité sans concurrence, il n’y a pas, en politique, d’efficacité sans responsabilité. »
Cette omnipotence présidentielle, liée à une irresponsabilité politique, serait finalement la cause d’une forme d’inefficacité politique. Le Président de la République, en se coupant du Parlement, utilise d’abord la communication pour agir.
« Engendrant l’immobilisme, qui est le propre à la longue de tous les régimes autocratiques, elle engendre aussi ce que j’appellerai les actions de substitution, les actions factices. La communication remplace l’action, tandis qu’une agitation ostentatoire veut créer l’illusion de l’activité. »
- La fameuse fonction d’ « arbitre » mentionnée à l’article 5 de la Constitution. ↩
- « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement.
« Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions. » ↩
- Sur proposition conjointe des deux assemblées, du Gouvernement ou d’un cinquième des membres du Parlement et du dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. ↩
- Mais pouvoir limité à une seule dissolution par an. ↩
- Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres, mais surtout, il nomme aux emplois civils et militaires de l’État. ↩
- Avec un contrôle du Conseil constitutionnel possible à compte de trente jours d’exercice. ↩
- « La démocratie, c’est la responsabilité » selon l’auteur. ↩
- La crise des « gilets jaunes » étant topique. ↩
- En effet, l’article 20 de la Constitution prévoit que : « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation » et l’article 21 que : « le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement. » ↩
- Il existerait une pratique constitutionnelle voulant que le Premier ministre, à sa nomination, remette une lettre de démission au président de la République. Édouard Philippe nie avoir signé un tel document dans son livre Impressions et lignes claires cosigné avec Gilles Boyer. Toutefois, lorsque le président dispose d’une majorité parlementaire, son poids politique est tel qu’un tel artifice est inutile pour pousser le Premier ministre à la démission. ↩

Laisser un commentaire