Temps de lecture : 9 minutes.
La Cour des comptes a publié début juin 2025 un rapport sur l’attractivité de la fonction publique d’État auprès des jeunes.
On y apprend notamment que sur les 250 000 recrutements réalisés en 2022, seuls 20 % concernaient des fonctionnaires, sélectionnés par concours.
Le Recrutement par Concours est Indissociable de la Fonction Publique de Carrière
La France est, malgré le développement important du contractualisme, régulièrement citée comme le système de carrière par excellence.
Les Caractéristiques du Système de Carrière
Le système de carrière se définit comme :
- Un recrutement par concours (article L. 320-1 du Code général de la fonction publique)1 ;
- L’intégration dans un corps ;
- La réalisation de toute sa carrière dans ce corps par le passage d’échelons et de grades.
Les avantages :
- Sélection initiale des meilleurs candidats ;
- Profil généraliste ;
- Évolution différenciée en fonction de la manière de servir ;
- Facilité de gestion et relations hiérarchiques aisées ;
- Esprit de corps, sentiment d’appartenance… permettant de développer la cohésion, l’expérience collective et une forme de détachement technique du pouvoir politique.
Les Caractéristiques du Système d’Emploi
Le système de l’emploi se définit comme le recrutement d’un agent en vue d’occuper un poste déterminé.
La notion de vocation, ou d’attachement à un principe supérieur et collectif, n’est pas formalisée2.
Les avantages ;
- Plus grande fluidité et mobilité, y compris dans les allers-retours privés publics ;
- Plus grande ouverture, le recrutement direct évite les phénomènes de « caste », le corporatisme précité ;
- Plus grande spécialisation des agents.
Ce système est explicitement privilégié depuis plusieurs années, y compris en France. Comme le révèle la Cour des comptes dans ses observations de juin 2025 :
Plus de 70 % des recrutements dans la fonction publique sont désormais réalisés par la voie contractuelle.
Toutefois, le recrutement sur un emploi engendre aussi des difficultés :
- Ce système est généralement plus coûteux, en rémunérations comme en coûts de gestion ;
- Il accentue le phénomène d’hyperspécialisation des administrations et une forme de « silotage » au sein et entre les ministères ;
- Il implique une augmentation du turn-over, une fragilisation des compétences et du rôle de l’administration face au pouvoir politique.
L’Histoire du Recrutement par Concours « à la Française »
Le concours n’est pas une création révolutionnaire, il peinera d’ailleurs à s’imposer au cours du XIXe siècle3.
Il s’agit d’un principe plus ancien qui est souvent associé à des écoles spécialisées et symbolise l’essor de la centralisation monarchique de la fin du XVIIIe siècle :
- En 1747, est ainsi créé l’École des Ponts et Chaussées ;
- En 1749, l’École du Génie de Mézières4 ;
- en 1751, l’École royale militaire de Paris ;
- En 1765, l’École des ingénieur-constructeurs des ingénieur-constructeurs des vaisseaux royaux5 ;
- En 1783, l’École des mines.
Ces recrutements dans des écoles d’ingénieurs visent à sélectionner des profils de compétences techniques spécifiques indispensables à l’administration moderne.
Ils préfigurent l’abolition des privilèges (vénalité et hérédité des offices publics) portés par les révolutionnaires de 1789, dans une monarchie qui peine à trouver son équilibre entre les officiers héréditaires et les agents commissionnés, à la main du Roi.
Le Second Empire poursuivra cette utilisation du concours, notamment dans les écoles techniques précitées.
Mais, c’est véritablement par l’affermissement de la IIIe République que se généralise le recrutement par concours :
- Chaque administration édicte ses règles d’accès par décret ;
- Le Parlement fixe par la loi le nombre d’emplois d’encadrement.
Les Spécificités du Recrutement par Concours
Les Différences entre le Recrutement par Concours et par Examen
L’examen professionnel est réservé aux agents publics et vise à vérifier une aptitude, permettant l’accès à une fonction supérieure.
Le concours permet d’accéder à un corps ou un cadre d’emploi (fonction publique territoriale).
Le nombre de postes ouverts est limité dans un concours, il ne l’est pas dans un examen.
Un Recrutement par un Jury
Le recrutement par concours présente pour première singularité d’être effectué par des non-professionnels, autrement dit des fonctionnaires en poste, futurs collègues ou supérieurs de l’agent.
Tandis que dans les fonctions publiques d’emploi, le recrutement est plus souvent réalisé par des agents des ressources humaines6.
Ce jury présente d’autres singularités :
- Il est indépendant du recruteur (ministère ou autorité interministérielle7), auprès de qui il ne reçoit aucune instruction ;
- En conséquence, le recrutement ne se fait pas sur des emplois déterminés, mais au regard des compétences pour exercer les fonctions dévolues au corps ou cadre d’emploi ;
- Par ailleurs, le jury est libre de ne pas pourvoir l’intégralité des postes ouverts par l’administration s’il juge que les candidats ne répondent pas aux critères ;
- Il est collégial : les décisions sont prises collectivement, sans hiérarchie entre les membres8 ;
- Il est souverain, la décision du jury ne peut pas, en principe, être contestée devant le juge par le candidat évincé, comme par l’administration9. Toutefois, le jury n’est pas omnipotent :
- Ainsi, il ne peut pas s’écarter des règles applicables au concours ;
- Par ailleurs, il doit toujours être impartial, y compris en apparence10.
Le président du jury est garant de l’impartialité et du respect de la procédure de recrutement.
Un Recrutement Normé
L’opération de concours est normée, avec le plus souvent des épreuves d’admissibilités, écrites ; puis des épreuves d’admissions, orales, dont le programme est fixé par arrêté.
Toutefois, pour certains concours, des épreuves de présélection peuvent être organisées. À l’inverse, d’autres concours achèvent la sélection par des épreuves sportives et psychologiques.
Cette procédure est aussi manifeste dans le calendrier du concours, ce qui implique une certaine forme de rigidité, souvent relevée par les employeurs.
Pour disposer d’informations sur le calendrier, le programme, les épreuves… consulter le site : https://www.fonction-publique.gouv.fr/devenir-agent-public/calendrier-general-concours
Ce processus normatif, à étapes, associé au recrutement par un jury indépendant, permettent, en théorie, de prévenir l’arbitraire et le favoritisme.
Les Différents Types de Concours
Il existe plusieurs types de concours, selon les caractéristiques du candidat et les modalités de sélection :
Les concours sur épreuves :
- Le concours externe : ouvert aux titulaires de diplômes11, sans condition d’expérience professionnelle (article L. 325-2 du code général de la fonction publique). Il s’agit de la principale source de recrutements ;
- Le concours interne : réservé aux agents publics (fonctionnaires ou contractuels, militaires, magistrats) ayant une certaine ancienneté (article L. 325-3 du code général de la fonction publique) ;
- Le troisième concours : inventé en 1983 par le gouvernement socialiste afin d’ouvrir la fonction publique à des profils plus variés, et formalisé dans sa version actuelle en 1990 : pour les salariés du privé, responsables d’une association et élus d’une collectivité territoriale (article L. 325-7 du code général de la fonction publique) ;
- Le concours unique, généralement utilisé pour les « petits » corps comme les conseillers de chambre régionale des comptes ou les administrateurs des assemblées, il est ouvert aux étudiants et aux agents en poste indifféremment ;
- Le concours « talents », expérimentation initiée par l’ordonnance du 3 mars 2021 et réservé à quelques écoles de hauts fonctionnaires12. Le principe consiste à réserver une proportion de places (de 10 à 15 %) aux boursiers de l’enseignement supérieur et demandeurs d’emplois devenus élèves des « Prépas Talents » et des classes préparatoires intégrées.
Le concours sur titres13 : en fonction des titres et diplômes du candidat, avec généralement une ou deux épreuves de sélection (2 de l’article L. 325-9 du code général de la fonction publique).
Par ailleurs, ces concours peuvent être organisés (article L. 325-23 du code général de la fonction publique) :
- Au niveau national, pour une affectation nationale ;
- Au niveau national, pour une affection dans une ou plusieurs circonscriptions administratives déterminées (« concours national à affectation locale ») ;
- Au niveau local (déconcentré).
Le Principe de l’Égal Accès à la Fonction Publique
Le principe d’égal accès à la fonction publique est un principe général du droit depuis la décision du Conseil d’État Barel de 1954.
Depuis, les garanties et les principes de lutte contre les discriminations se sont multipliés, en particulier sur le fondement de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen :
« Tous les Citoyens étant égaux (aux) yeux (de la loi) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
Le recrutement par contrat comme par concours se doit de respecter les principes d’égalité et de non-discrimination, son corollaire.
Les Critiques Formulées à l’Encontre du Recrutement par Concours
Un Système de Sélection Insuffisamment Professionnel et Trop Théorique
La principale critique est le caractère trop théorique du recrutement par concours et le biais d’une sélection essentiellement construite sur des épreuves écrites.
En conséquence, les individus recrutés sont le plus souvent généralistes et doivent ensuite être formés pour intégrer la fonction publique.
Un Système Lourd et Coûteux
L’organisation des concours est particulièrement coûteuse pour les finances publiques, d’autant que de nombreux inscrits ne se présentent pas aux épreuves écrites (en moyenne un sur deux).
Un Système Très (Trop ?) Sélectif
Le système de recrutement par concours, en particulier dans l’accès à des corps d’encadrement supérieur, est ouvert très tôt, mais est très sélectif.
Ce qui induit une forme d’homogénéité dans les profils recrutés et des profondes désillusions pour les candidats évincés.
Comme l’énonce la fameuse formule :
« En France, on peut rater sa vie à 25 ans. »
Inversement, le concours peut aussi être jugé trop sélectif pour certaines professions, voire franchement inadaptés face à des compétences rares où le secteur public est placé en concurrence directe avec des employeurs privés (cas de la fonction publique territoriale et des professions du numérique).
Une Forme de Cloisonnement et de Rigidité Induit par la Logique de Corps
Le concours peut alimenter une forme de « monde clos », caractérisé par une sorte d’inertie et de lenteur. Les ascensions professionnelles sont régulières, mais rarement rapides.
Ce système va aussi de pair avec une très forte hiérarchie, les différences entre les agents tenant essentiellement à leur positionnement hiérarchique — non à leur expertise.
En conséquence, l’agent souhaitant progresser professionnellement devra passer des concours, plutôt que d’exceller au travail.
Un Système qui Demeure Pertinent Pour de Nombreuses Fonctions
Malgré toutes ces critiques, il me semble toutefois que dans certains cas, les avantages surpassent les inconvénients.
En particulier lorsque nous devons recruter du personnel qualifié et de le fidéliser. La logique de corps peut compenser une certaine faiblesse des rémunérations et des perspectives offertes. Le sentiment collectif peut compenser une carrière moins ascendante (pour des cadres) que dans le secteur privé.
Par ailleurs, plusieurs critiques énoncées ci-dessus peuvent être renversées par :
- Les épreuves de sélection peuvent être plus techniques et moins généralistes — y compris par une logique de filière, déjà à l’œuvre dans des corps très techniques et qualifiés comme les magistrats administratifs ou les magistrats financiers ;
- Une ouverture importante à d’autres corps et talents du privé est possible :
- Par la pratique du détachement (pour citer ce même exemple, un quart des agents exerçant des fonctions de magistrats financiers sont détachés et issus d’autres corps ou cadres d’emploi) ;
- Par une mobilité obligatoire (également prévu dans certains corps, comme les magistrats administratifs) ;
- Enfin, une meilleure attention pour les agents en postes, dans une logique de viviers. Chemin déjà initié par la réforme des grands corps, mais qui pourrait être prolongé plus radicalement en conditionnant l’accès aux corps supérieurs par la justification d’une expérience professionnelle minimale en qualité de cadre.
- À l’exception des agents de catégorie C, où une exception générale est prévue au 3 de l’article L. 326-1 du code général de la fonction publique. ↩
- Même si les intéressés peuvent, à titre personnel, éprouver des convictions et un attachement très fort envers leur employeur. ↩
- Voir l’exemple emblématique de la première École nationale d’administration de 1848. ↩
- Qui fusionnera en 1807 avec l’École d’artillerie de Châlons-sur-Marne pour devenir une école d’application de l’École polytechnique dans l’artillerie et le génie. ↩
- Officiellement créée en 1741, elle sera fermée en 1758 avant d’être réouverte en 1765. L’École perdure depuis. ↩
- Comme pour les administrateurs de l’État et les attachés d’administration de l’État. ↩
- Sinon le président du jury, qui en cas de débats peut être amené à trancher. ↩
- Toutefois, il convient de relever le développement du contentieux en la matière. À titre d’exemple, le jury doit désormais justifier, notamment par des grilles d’évaluation, la décision prise. ↩
- Le juge administratif opère un contrôle relativement sévère du manque de respect de l’impartialité CE Section 18 juillet 2008, Madame B., Req. N° 291957. ↩
- À compter d’un niveau Bac +2 pour les concours de catégories A (niveau licence pour l’INSP), d’un niveau Bac pour les concours de catégories B et du CAP, BEP ou brevet des collèges pour les concours de catégories C. Il existe toutefois deux grandes exceptions à la condition de diplôme : la première pour les parents d’au moins trois enfants et la seconde pour les sportifs de haut niveau. ↩
- L’Institut national du service public, l’Institut national des études territoriales, l’École des hautes études en santé publique, l’École nationale supérieure de police et l’École nationale d’administration pénitentiaire. ↩
- Qui se distingue du « concours sur épreuves ». ↩
Laisser un commentaire