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Dans son ouvrage « Tristesse, peur, colère », Stéphanie Hahusseau explore la nature et la gestion des émotions, proposant des clés précieuses pour mieux comprendre et appréhender nos réactions émotionnelles.

Bien que débordant des sujets de politiques publiques et des institutions administratives, il me semblait utile de partager cette lecture : dans un contexte professionnel, mais aussi personnel. L’agent public (en devenir ou non) est, en effet, de plus en plus appelé à mobiliser des compétences comportementales1.
Leçon n° 1 : L’Émotion est un Indicateur
Les émotions sont des signaux produits par notre corps. Ils nous renseignent sur notre état intérieur.
« Une émotion est un indicateur, comme une sensation de soif ou de faim, elle ne signifie rien de notre valeur. »
On n’a pas honte de sa faim. N’ayons pas honte d’une émotion.
Leçon n° 2 : L’Émotion a un Impact Physique
Les émotions ont des effets physiques, comme l’accélération du rythme cardiaque, la sécrétion d’hormones et la modification de la respiration.
Pour certaines personnes, ces conséquences physiques peuvent elles-mêmes devenir source d’angoisse, jusqu’à déclencher des attaques de panique. Un cercle vicieux s’installe.
Certains facteurs peuvent également amplifier les effets des émotions :
- Fatigue : La fatigue accentue les émotions négatives et diminue les positives.
- Hormones : Les hormones jouent un rôle crucial, avec des différences notables entre les sexes.
- Pensées Envahissantes : Elles sont des déclinaisons émotionnelles, teintant notre perception du monde.
Leçon n° 3 : La Façon dont nous Évaluons nos Émotions est Déterminante Pour Notre Bien-Être et Notre Autonomie de Jugement
Il existe deux niveaux de traitement des émotions :
- Niveau Rapide et Instinctif : Réaction immédiate à un stimulus. Un bruit fort et soudain nous fait sursauter.
- Niveau Lent et Analytique : Production d’une analyse, engendrant des sentiments.
Ces deux niveaux de traitement des émotions peuvent être affectés par des distorsions cognitives.
Les Distorsions Cognitives
Il existe sept distorsions cognitives qui déforment la réalité et aggravent notre perception des émotions négatives. Chacune de ces déformations peut se combiner à une ou plusieurs autres :
- Interférence Arbitraire : Tirer des conclusions sans preuve.
- Abstraction Sélective : Ne retenir qu’un détail négatif (une journée sur une plage paradisiaque, mais un ballon qui nous arrive sur la figure).
- Surgénéralisation : Utiliser des termes absolus comme « toujours » ou « jamais ».
- Minimalisation : Minimiser ses réussites ;
- Maximalisation : L’opposé, qui consiste à maximaliser ses échecs.
- Personnalisation : Interpréter les actions des autres comme dirigées contre soi.
- Pensée Dichotomique : Le blanc ou noir (« S’il ne me dit pas bonjour, c’est qu’il me méprise »).
Chaque individu a un style d’interprétation, influencé par son tempérament, son éducation, ses expériences passées… C’est la personnalité émotionnelle qui sera détaillée plus loin.
Toutefois, un style d’interprétation majoritairement négatif peut conduire à un phénomène « d’impuissance apprise ». L’enfermement du sujet, la dépression.
Leçon n° 4 : L’Émotion est Aussi un Outil
Les émotions peuvent nous inciter au changement, à l’écoute ou à la prudence. Elles sont des outils précieux pour adapter notre comportement.
« Ce n’est qu’en affrontant nos peurs que nous pouvons les canaliser, c’est la théorie de l’habituation, l’exposition répétée à nos peurs. »
Affronter régulièrement ses peurs est donc essentiel pour progresser et demeurer libre de choisir.
Savoir Écouter son Stress
« Le stress est inversement proportionnel à la capacité de contrôle. »
Le stress est un « bébé émotion », il est l’état de latence avant que l’émotion n’apparaisse : la joie, la colère, la tristesse, la peur.
S’écouter peut permettre de prévenir la survenue d’une émotion intense et potentiellement désagréable.
Leçon n° 5 : Nous ne Sommes Pas Égaux Face aux Émotions
Le vécu, le tempérament, l’éducation aux émotions… autant de facteurs qui nous différencient dans la gestion des émotions une fois adulte. Cependant, si le passé marque chacun d’entre nous, il ne nous empêche pas d’agir.
Événements Gravissimes
Lorsque notre intégrité physique est directement menacée, nous perdons notre sentiment d’invulnérabilité. Nous ne pouvons plus vivre sereinement.
Une personne sur trois ayant subi un choc grave développera une forme de stress post-traumatique. La répétition intérieure et incontrôlée du traumatisme.
Dans cette situation, l’émotion n’est plus contrôlée. Un accompagnement médical est nécéssaire.
Émotions du Passé
Les schémas émotionnels de l’enfance peuvent influencer nos réactions actuelles dans un contexte présentant des points communs avec une situation vécue et difficile.
« Un adulte qui aura, enfant, souvent été délaissé pendant de longues heures se sentira très mal au moindre éloignement d’un de ses proches. Son schéma d’abandon va s’activer et déclencher des émotions violentes. »
Ces circonstances « gâchettes » réactivent un souvenir difficile, mais non étiqueté comme tel et génèrent en nous une réaction automatique et incontrôlable, la même que nous avons eue enfant. On parle de « schéma égosyntonique ».
Tempérament Génétique
Chaque individu dispose d’un tempérament génétique, prédisposant à certaines émotions comme l’anxiété, l’optimisme ou l’agressivité.
Personnalité Émotionnelle
Des tests2 permettent d’évaluer la personnalité émotionnelle suivant :
- Le degré d’extraversion ou d’introversion ;
- Le degré de sensibilité.
L’extraversion prédispose à des interprétations positives des émotions, et inversement. La stabilité émotionnelle protège également de certaines formes d’émotions négatives. L’hypersensibilité, à l’inverse, expose à des émotions plus fluctuantes et plus fortes.
Alexithymie
L’alexithymie est la difficulté à identifier, verbaliser et comprendre ses émotions3.
L’alexithymie est fréquemment associée à des troubles psychosomatiques et des comportements d’addiction.
Acceptation des Émotions
L’acceptation de nos émotions est cruciale. Refuser ses émotions peut nous plonger dans un cercle vicieux, renforçant les difficultés à les appréhender.
On parle de « couche émotionnelle secondaire » : ce que le ressenti d’une émotion provoque en nous4.
Pour les candidats à un concours et confronté au trac et au stress, voilà un élément essentiel : ne pas se juger. Accepter cette peur, telle qu’elle est. Ne pas la fuir, mais simplement respirer, calmement. La maitrise du stress est aussi une compétence évaluée par le jury5.
La Maladie de la Peur
Il est important de légitimer ses émotions, au risque de développer la maladie de la peur : le trouble anxieux.
Le trouble anxieux apparait lorsqu’une peur fait l’objet d’un évitement systématique, qui renforce la menace perçue et, ce faisant, le sentiment d’échec (émotion secondaire).
Ces peurs peuvent provenir du sentiment d’être jugé négativement par autrui, de pensées récurrentes dont on a honte, d’endroits dont il pourrait être difficile de s’échapper, de stimuli rappelant un traumatisme grave.
Dans les cas les plus handicapants, se développe une peur de la peur : l’attaque de panique. Ici encore, un accompagnement par des praticiens diplômés s’impose.
Paradoxalement, ces crises de paniques peuvent survenir dans les moments de détente, lorsque l’individu est le plus à même d’écouter ses émotions… Et, d’avoir peur d’elles, faute de s’y confronter plus souvent.
Apprendre à Mieux Vivre les Émotions Négatives
Comprendre les Fonctions des Émotions Négatives
Les émotions négatives poursuivent des fonctions distinctes :
- Tristesse : Permet de prendre conscience de ce qui est mauvais pour nous et d’accepter une perte.
- Peur : Nous signale un danger et nous incite à nous protéger.
- Colère : Nous signale que nos droits sont bafoués et nous donne l’énergie nécessaire à leur rétablissement.
L’intelligence émotionnelle consiste à étiqueter justement ses émotions, à les exprimer de manière adéquate et à utiliser les émotions pour penser et agir de façon constructive.
Mettre à Distance ses / ces Émotions
Être équilibré dans son approche. Traiter le problème, sans être obnubilé :
- Accepter de vivre certaines émotions déplaisantes et prendre conscience qu’elles tiennent à des situations particulières.
Commencer par identifier les facteurs déclenchants, sans ressasser. Une émotion n’est ni un signe de folie ni un passage à l’acte.
- Ne pas sombrer dans l’expression émotionnelle déplacée (par exemple : une colère au travail) ou permanente, qui épuise les proches et plonge dans une forme d’égocentrisme et de solitude.
N’offrez pas non plus trop de place aux émotions, il n’est ni sain ni pertinent d’exprimer sans arrêt son ressenti.
- Ne pas se fixer sur ses émotions en permanence, mais être proactif.
Tenez un « journal des solutions » avec, au cas par cas :
Un traitement du problème, lorsque nous avons une prise sur le problème.
Dans les autres cas, une action sur l’émotion elle-même. Par une activité artistique comme la musique ; des exercices de détente et de respiration…
Ce qu’il Ne Faut Pas Faire : Faire Comme si ces Émotions n’Existaient Pas, les Éviter
La fuite peut être utile à court terme, mais elle est particulièrement est néfaste à moyen et long terme.
Il est préférable de s’exposer régulièrement à ses émotions pour les apprivoiser. 90 % des émotions ne durent pas plus d’une heure ou deux.
Comprendre son Schéma Émotionnel
Chaque individu à un schéma émotionnel :
- Un niveau de contrôle émotionnel général, qui lui est propre ;
- Une sensibilité particulière à la colère, aux émotions positives, à la tristesse et à la peur.
Le Développement Émotionnel de l’Enfant
À mesure que l’enfant grandit, sa palette d’émotions s’élargit :
- Jusqu’aux six premiers mois de l’enfant, le système émotionnel est binaire : plaisir ou déplaisir ;
- De six mois à deux ans : les émotions se complexifient avec l’apparition de la peur, de la colère et du dégoût ;
- La deuxième année est un florilège émotionnel, qui accompagne le développement du langage : embarras, envie, plaisir, joie, affection ;
- Entre trois et cinq ans, l’enfant commence à être capable d’empathie, de respect et de honte. Il intériorise graduellement les émotions d’autrui ;
- Ce n’est qu’à sept ans que l’enfant est capable d’un raisonnement complet. La notion de temps est également acquise ;
- L’adolescence est la dernière étape de développement cérébral : abstraction, symbolisation, conscience des émotions. Mais, les pics hormonaux, les changements corporels et dans les conditions de vie bouleversent fortement le jeune qui dispose, par ailleurs, d’une très jeune intelligence émotionnelle.
L’éducation émotionnelle de l’enfant est donc cruciale. Les parents doivent autant que possible nommer les émotions, les respecter et les distinguer des actes.
Parler de ses émotions, c’est comme parler anglais. On ne peut pas apprendre si personne ne parle la langue des émotions autour de nous.
Les Traumatismes de l’Enfance et les Besoins Fondamentaux
Un traumatisme est causé par une atteinte brutale ou répétée à un des besoins fondamentaux de l’enfant :
- Un besoin physiologique : boire, manger, dormir, être propre ;
- Un besoin de sécurité : parent protecteur et non-violent, au comportement prévisible et rassurant ;
- Un besoin d’être aimé : l’absence d’affection entrave gravement le développement psychomoteur de l’enfant. C’est la théorie de l’attachement ;
- Un besoin d’être estimé : être régulièrement valorisé, approuvé, encouragé, reconnu, respecté dans son indépendance et son autonomie.
L’adulte ayant subi enfant un abandon, un manque de reconnaissance ou une insécurité est souvent terrorisé à l’idée de revivre ces émotions et peut choisir la contre-attaque6 ou à l’inverse la perpétuation7. Il existe également une autre voie, celle consistant à se défaire progressivement du passé, pour demeurer pleinement dans le temps présent.
Les Différents Schémas Émotionnels
Le schéma émotionnel repose en particulier sur des peurs (« je ne veux pas ») ou des impératifs (« je dois ») :
- Injustice ;
- Rejet ;
- Imperfection ;
- Échec ;
- Sujétion ;
- Vulnérabilité ;
- Sacrifice ;
- Phobie des émotions ;
- Performance ;
- Droits personnels exagérés ;
- Absence de contrôle de soi.
Méthode de Gestion des Émotions
Première Étape : Écrire et Prendre du Temps pour Soi
Écrire permet de prendre de la distance, de soulager sa charge mentale et émotionnelle et de consacrer du temps à soi-même.
Listez les émotions de la journée et évaluez :
- L’intensité (de 1 à 10),
- Le caractère adapté ou non de l’émotion,
- L’éventuelle pensée automatique8.
Respirez doucement et calmement, en prenant conscience de votre corps et de vos ressentis pendant quelques instants.
Évaluez ensuite votre niveau de compassion (de 1 à 10) vis-à-vis de vous-mêmes et de l’attention que vous vous êtes octroyé dans la journée.
Plus largement, faites régulièrement des choses que vous aimez9.

Deuxième Étape : Faites des Exercices de Méditation de Pleine Conscience
Attention : cette technique suppose de la persistance et un entraînement régulier.
Quantité de tutoriels vidéos ou écrits existent sur Internet.
Pour les Crises de Panique et de Colère
Des techniques de respiration relativement simples peuvent permettre de calmer à la fois les crises de panique ou de colère :
- Inspirez sans bruits par le nez pendant deux secondes ;
- Bloquez deux secondes ;
- Expirez deux secondes par la bouche ;
- Bloquez deux secondes.
Pratiquez autant que possible. Faites-en un automatisme.

Troisième Étape : L’Exposition aux Émotions
Dans une pièce au calme et seul, s’exposer aux émotions difficiles. Évaluez au démarrage l’intention de celle-ci, puis à l’issue de votre séance.
L’objectif est de se focaliser sur les sensations physiques, d’identifier les tensions et de déceler l’enfant intérieur.
Laissez aller, avec compassion et sans jugement.
L’Autoparentage
Être enfant consiste à vivre sous une norme parentale, sans capacité de comparaison, donc de jugement.
C’est généralement à l’âge adulte que les ressentis émotionnels émergent, car l’émotion est enfin « étiquetée ».
L’auto-parentage est une technique permettant, lorsque vous traversez une émotion de votre enfance, de qualifier l’émotion vécue et d’accompagner cet enfant dans son ressenti. L’enjeu est de se décentrer et de faire preuve d’empathie vis-à-vis de soi-même.
Il est souvent frappant de voir le décalage entre l’histoire personnelle des individus et le manque d’empathie à leur égard – la froideur, la dureté qu’elles s’infligent (et qu’elle n’infligerait à nulle autre personne).
On ne change pas le passé, mais on peut changer les croyances sur soi que ces événements ont laissé.

Quatrième Étape : S’Affirmer, l’Assertivité
S’affirmer permet de faire valoir ses pensées, ses désirs et ses émotions sans léser les droits d’autrui. Dire son ressenti, et l’assumer, sans le besoin de blesser ou de faire l’autre.
Savoir dire « non », ou pleinement « oui ».
L’affirmation de soi représente un coût émotionnel immédiat, parfois important, ce qui provoque un malaise en soi (signe du dépassement de notre inhibition naturelle), mais cela permet de dépasser d’éventuelles rancœurs et ruminations stériles.
Listez les éléments que vous aimeriez partager à vos proches : familles, amis, travail. Puis programmez-vous un temps dédié pour le faire.
Ce n’est pas l’autre qui nous maintient dans un système qui nous fait souffrir, mais nous-mêmes :
- Faites le point sur ce qui vous pese ;
- Détaillez, dans les reproches que vous faites aux autres, ce qu’ils font trop et ce qu’ils ne font pas assez ;
- Observez de quelle manière vous essayez de compenser ;
- Décidez de ne plus compenser et faites-vous plaisir ;
- Observez vos nouvelles émotions et
- Chaque semaine, prenez un petit risque. Changez vos habitudes. Soyez-vous.

- Voir par exemple l’article consacré aux conditions de travail des agents publics, issu du rapport de France stratégie de décembre 2024. ↩
- Notamment l’inventaire EPN31, proposé dans l’ouvrage. ↩
- Le test BAVQ permet d’identifier l’alexithymie. En précisant toutefois qu’un diagnostic ne peut être établi que par un médecin. ↩
- Par exemple : Une émotion de jalousie peut susciter ensuite de la honte. ↩
- Un candidat surmontant son stress est même plus avantagé qu’un candidat désinvolte ou débonnaire. Il démontre à la fois son implication et ses ressources pour faire face aux imprévus et difficultés, le tout, en situation professionnelle. ↩
- L’enfant battu devient un adulte violent. ↩
- L’enfant battu demeure adulte dans des situations de sujétions et de violence subie. ↩
- Le traitement « rapide et instinctif » évoqué plus haut dans l’article. ↩
- Se prendre un café, regarder par la fenêtre, écouter de la musique, lire un livre, faites un jeu… ↩
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