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  • La conduite des projets numériques de l’État

    La conduite des projets numériques de l’État

    Temps de lecture : 9 minutes.

    La Cour des comptes a publié en décembre 2024 un rapport consacré aux gains de productivité du numérique. Ses investigations portent en particulier sur un échantillon de projets informatiques « significatifs » réalisés au sein des ministères économiques et financiers.

    Pour rappel, un précédent article de ce blog est consacré aux informaticiens des ministères économiques et financiers.

    Le numérique est envisagé comme un levier de transformation de l’État

    Une succession de plans numériques

    Depuis le début des années 2000, plusieurs plans de transformation numérique se succèdent au niveau interministériel :

    • Administration électronique (ADELE) de 2004 à 2007,
    • France Numérique en 2012,
    • État plateforme en 2014,
    • Action publique 2022 en 2017.

    Des attentes fortes en termes de gains de productivité

    La dématérialisation des procédures est notamment envisagée comme permettant d’augmenter la productivité des services, tout en améliorant la qualité des services rendus.

    Les gains de productivité attendus sont de plusieurs natures :

    • La réduction du nombre d’emplois et des coûts de fonctionnement associés à production au moins constante ;
    • L’augmentation des recettes de l’État ;
    • L’amélioration du service rendu (accès, pertinence, délai) sans augmentation aussi forte des coûts de production.

    Une mise en œuvre généralement confiée au Premier ministre et au ministre chargé de la fonction publique

    À compter de 1981, le ministre de la fonction publique se voit, quasi systématiquement, adjoindre le portefeuille de la réforme de l’État et de la modernisation.

    Sous la présidence d’Emmanuel Macron, il est même question de « l’Action et des Comptes publiques », puis de la « Transformation et de la Fonction publiques ».

    Le pilotage de la transformation de l’État s’appuie donc sur deux leviers : les ressources humaines et le numérique.

    Deux directions interministérielles sont responsables de la conduite de ces projets

    • La direction interministérielle du numérique1, rattachée au Premier ministre et au ministre de la fonction publique, est responsable de la conception et de la mise en œuvre de la stratégique numérique de l’État ;
    • La direction interministérielle de la transformation publique, rattachée aux mêmes autorités, notamment responsable du Fonds de transformation de l’action publique2.

    À cet égard, et de manière plus générale, il convient de noter un renforcement depuis quinze ans des directions interministérielles3. Pour n’en citer que quelques-unes :

    • La direction des achats de l’État (DAE), en 2016 ;
    • La direction de l’immobilier de l’État (DIE), en 2016 ;
    • La délégation interministérielle à l’encadrement supérieure de l’État (DIESE), en 2022.

    Une mesure des gains de productivité difficile pour les projets informatiques de l’État

    En dépit d’ambitions importantes, la réalité des projets et de leur suivi fait peu de place à une véritable politique de productivité.

    La mesure des gains de productivité dans le secteur public est plus complexe que dans le secteur privé

    La Cour des comptes relève tout d’abord la spécificité des biens ou services produits par le secteur public. Ceux-ci sont le plus souvent non marchands et fournis gratuitement ou à un prix symbolique, en dessous du coût réel de production4.

    Les recettes sont celles des contributions publiques, généralement obligatoires, et non le produit des ventes. Par ailleurs, compte tenu de l’universalité budgétaire et de la complémentarité de certaines politiques publiques, il est également difficile de mesurer précisément le coût d’une politique5.

    Le calcul de la productivité du service public ne peut donc être réalisé que par une opération intellectuelle et comptable.

    Ce faisant, c’est aussi une critique de la LOLF6 qui est émise par la Cour. Les instruments budgétaires actuels (programmes et rapports annuels de performance) ne permettent pas de reconstituer les coûts des différentes politiques publiques.

    Les méthodes d’évaluation des coûts

    Deux méthodes principales existent :

    • La méthode comptable, qui s’appuie sur le coût de production du bien ou service. Cette méthode consiste à rattacher tous les différents coûts à une prestation afin d’en évaluer le coût. Une productivité supérieure revient donc à produire plus avec autant ou moins, et inversement ;
    • Une méthode qualitative, notamment développée par Anthony Atkinson. L’objectif est ici de considérer les bénéfices sociaux d’une politique publique7. L’approche n’est plus comptable, mais se révèle quasiment impossible à mettre en œuvre :
      • Même en établissant des mesures qualitatives des actions menées, comment s’assurer de l’imputabilité d’un bienfait à telle ou telle politique publique ?
      • Comment comparer les effets ?
      • Enfin, dans l’attente des évaluations, comment piloter les politiques publiques ?

    La distinction entre la performance et l’efficience

    Le guide méthodologique de la LOLF définit la performance comme :

    La capacité à atteindre des objectifs préalablement fixés, exprimés en termes d’efficacité socio-économique (résultat des politiques), de qualité de service (en se plaçant depuis les points de vue respectifs du citoyen, du contribuable et de l’usager) ou d’efficience de la gestion (optimisation des moyens).

    La notion d’efficience met en regard un résultat avec les moyens consacrés (par exemple : la réduction de la surface en m² par poste de travail dans la gestion du parc immobilier).

    Elle n’est toutefois pas équivalente à celle de productivité, qui se concentre sur les activités productives de l’État.

    Des objectifs de performance très peu définis

    Une quasi-absence de critères de productivité dans les indicateurs de performance publiés par l’État

    L’analyse par la Cour des comptes des 2 128 sous-indicateurs renseignés dans le volet performance des PAP annexés au projet de loi de finances pour 2023 montre que la productivité est très rarement mesurée :

    • Seule une quarantaine d’indicateurs (moins de 2 %) met en rapport les résultats d’une production administrative avec les moyens engagés ;
    • Un unique sous-indicateur (au sein de la mission « Gestion des finances publiques ») comporte explicitement le terme « productivité » dans son libellé.

    S’agissant des indicateurs budgétaires liés aux enjeux numériques

    Vingt-sept indicateurs du budget de l’État (sur les plus de 2 000 évoqués plus haut) évoquent des enjeux numériques. Aucun ne mentionne la question de performance ou de productivité. Lorsqu’ils le font, c’est essentiellement de manière indirecte, comme pour les médias publics et leurs audiences sur les plateformes numériques.

    Le portage des projets numériques de l’État n’est quasiment pas orienté vers la performance

    À l’image des objectifs et indicateurs de la LOLF, les fondamentaux des projets numériques au sein de l’État ne semblent pas prioritairement portés par des enjeux de productivité.

    Les projets d’évolution des systèmes d’information sont entrepris le plus souvent pour répondre à l’un des trois objectifs suivants :

    • L’amélioration du service rendu aux citoyens ou aux entreprises (sans préoccupation de productivité) ;
    • La lutte contre l’obsolescence technologique des outils déjà en place ;
    • L’adaptation aux respects d’engagements européens ou internationaux (cas de la DGDDI avec le Brexit, nécessitant d’adapter ses SI aux nouvelles règles douanières).

    De rares projets portent des objectifs explicites en termes de productivité

    L’analyse des grands projets numériques les plus récents suivis par la DINUM montre que seuls un quart d’entre eux ont intégré des enjeux de productivité :

    • TELEMAC, sur les conditions d’exercice des agents de terrain de la direction générale des douanes et des droits indirects, lancé en 2022 et
    • URF, sur l’unification du recouvrement fiscal, lancé en 2020 et
    • Deux projets issus du programme de chaîne pénale numérique par le ministère de la Justice.

    Pour la Cour, ces projets constituent des exceptions.

    Les raisons de ce défaut de pilotage de la productivité

    La Cour identifie plusieurs raisons à ce manque de pilotage.

    • La productivité est « souvent un non-dit des décisions publiques ». Les craintes (supposées ou non) sur l’emploi ou l’évolution des organisations impliquent une réserve des employeurs publics.
    • En termes budgétaires, l’annonce de gains potentiels constitue un risque pour le gestionnaire ministériel. En l’absence des gains escomptés, leur budget pourrait être amputé à mesure de la projection initialement communiquée8.

    En conséquence, ce sont les gains qualitatifs qui sont le plus souvent mis en avant dans les projets numériques de l’État.

    L’absence de recommandations en termes de productivité de la direction interministérielle du numérique

    La direction interministérielle du numérique a rendu près d’une centaine d’avis sur les principaux projets de système d’information de l’État9.

    Cependant, elle ne se prononce presque jamais sur des considérations liées à la performance :

    « Contrairement aux questions techniques, budgétaires ou de pilotage, les gains attendus au cours ou à l’achèvement du projet ne font presque jamais l’objet de constats ou de recommandations et sont simplement évoqués, sous un angle qualitatif, dans la partie introductive qui présente le projet. »

    De grands projets numériques en difficulté

    Le panorama des grands projets numérique de l’État étudié par la Cour (19ᵉ édition, juin 2024) recense 45 projets, représentant un coût prévisionnel total de 3,8 milliards d’euros pour une durée moyenne de six ans.

    Il fait apparaître, en moyenne, des retards et des dérives budgétaires de respectivement 18,8 % et 17,5 %.

    À titre d’exemple, l’évolution du projet PILAT10 de la direction générale des Finances publiques, de son lancement à son achèvement :

    En revanche, le panorama et les documents qui l’accompagnent ne comportent aucune information sur les gains de productivité attendus.

    L’initiative du Fonds pour la transition de l’Action publique (FTAP)

    La Cour appelle ici à renouveler la démarche volontariste initiée à l’occasion du lancement du FTAP, tout en la consolidant par :

    • Un examen sérieux des gains de productivité au lancement du projet ;
    • Un suivi en cours de vie ;
    • Une évaluation des gains finalement obtenus une fois le projet achevé.

    Pour ce faire, la Cour recommande de :

    • Renforcer la procédure d’avis conforme de la DINUM (en association avec la direction du budget) et
    • Améliorer les outils de suivi des activités et des coûts, « dans une démarche de contrôle de gestion », pour mesurer l’atteinte des objectifs et les moyens associés.

    Pour les curieux :

    Depuis 2016, la DINUM rend public un tableau de bord semestriel des grands projets

    numériques de l’État11, c’est-à-dire ceux qui appartiennent à une ou plusieurs catégories suivantes :

    • Les projets qui ont un impact significatif sur les usagers, les ministères ou leurs agents ;
    • Ceux dont le contenu ou la gestion est complexe ou présente des risques majeurs ;
    • Ceux qui visent à réaliser des économies substantielles ou qui conduisent à engager des dépenses supérieures à 9 M€.

    Quelques mots de conclusion sur l’intelligence artificielle

    L’intelligence artificielle peut devenir un levier de productivité pour la Cour des comptes.

    Toutefois, les magistrats relèvent les discordances dans les évaluations des potentiels gains. À titre d’exemple :

    • Le cabinet de conseil Boston Consulting Group évaluait, en 2023, les gains potentiels de l’intelligence artificielle générative dans le secteur public à 1 750 milliards de dollars par an à horizon 2023 et 83 milliards de dollars pour la seule administration française12 ;
    • Le cabinet Mc Kinsey évaluait la même année les gains potentiels à 480 milliards de dollars par an, soit un niveau quatre fois inférieur13.

    1. La « Dinum » est un service du Premier ministre placé sous l’autorité du ministre de la transformation et de la fonction publiques. Parmi ses missions, prévues par le décret du 25 octobre 2019 modifié par le décret du 22 avril 2023, figurent le pilotage de la stratégie numérique de l’État, dont la mise en oeuvre est déléguée aux ministères, et la mobilisation des leviers numériques et technologiques nécessaires à l’accompagnement des services.
    2. Pour plus d’informations sur ce fonds créé en 2017 : https://www.modernisation.gouv.fr/accompagner-les-administrations/fonds-pour-la-transformation-de-laction-publique
    3. Celles-ci complètent ainsi « l’arsenal administratif » du Premier Ministre, qui dispose désormais d’une autorité sur près de 59 services, ou du ministre de l’Economie et des Finances, dans son volet de coordination des politiques supports.
    4. Une première difficulté est d’ailleurs le calcul de ce coût de production, rendu souvent compliqué par la multiplicité des missions réalisées et le travail en réseau du secteur public.
    5. À titre d’exemple, le ministère du travail et de l’emploi dispose de trois programmes budgétaires : le P102, pour l’accès et le retour à l’emploi ; le P103, pour l’amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail et le P155, qui recense les dépenses supports (conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail). Pour autant, comment considérer l’impact et les résultats de ces différents programmes sans mesurer les programmes portés par le ministère de l’Économie et des finances ? De l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur ? Des dépenses de solidarités et d’insertion, du financement des retraites… ?
    6. Loi organique relative aux lois de finances.
    7. Par exemple, une dépense de prévention en matière de santé publique présente des économies potentiellement très substantielles sur plusieurs années. En conséquence, pour Atkinson, il n’est pas souhaitable d’enregistrer uniquement le coût que présenterait une telle action.
    8. En précisant qu’en gestion, il n’existe pas davantage d’incitation à optimiser l’enveloppe accordée.
    9. Sur le fondement de l’article 3 du décret n° 2019-1088 du 25 octobre 2019 relatif au système d’information et de communication de l’Etat et à la direction interministérielle du numérique. Autrement dit, les projets de système d’information de l’État dont le montant prévisionnel global est égal ou supérieur à neuf millions d’euros.
    10. Projet visant à unifier dans une application le contrôle fiscal : de sa programmation, jusqu’au recouvrement et l’éventuel contentieux.
    11. Également disponible sur le site data.gouv : https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/panorama-des-grands-projets-numeriques-de-letat/
    12. BCG, Generative AI for the Public Sector: From Opportunities to Value, novembre 2023.
    13. McKinsey, Unlocking the potential of generative AI: Three key questions for government agencies, décembre 2023.
    Une main de robot devant un écran avec des points reliés
  • Être contractuel dans la fonction publique en 2025

    Être contractuel dans la fonction publique en 2025

    Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 10)

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Une fonction publique duale : les fonctionnaires et les contractuels

    Le développement du nombre de contractuels a profondément changé la politique de ressources humaines et la perception des métiers du service public. Il est particulièrement critiqué par les rapporteurs qui considèrent le système actuel comme :

    « créateur d’inégalité de traitement tant en termes de rémunération et que de perspectives de carrière. »

    Par ailleurs, ce recours aux contractuels est généralisé, bien que dans des proportions variables entre les trois versants de la fonction publique.

    Les causes du développement de la contractualisation dans les trois versants de la fonction publique sont multiples

    Les réformes récentes ont toutes visé à favoriser le recrutement de contractuels. Principalement, pour deux raisons :

    • Pallier les besoins de recrutement par un nombre insuffisant de titulaires, principalement en lien avec les problèmes d’attractivité évoqués dans des précédents billets ;
    • Disposer d’agents pour des besoins temporaires ou en réponse à des besoins précis.

    Outre ces motivations concrètes, les représentations d’un recrutement par contrat sont également plus favorables :

    • Le recruteur dispose d’un panel de candidats plus importants pour faire son choix (fonctionnaires et… l’ensemble des actifs intéressés pour rejoindre son service)1, ce qui lui permet également de recruter davantage en fonction du profil des candidats ;
    • Les recrutements sont plus rapides qu’une affectation d’un agent par concours ;
    • La durée de recrutement fixée dans le contrat permet au recruteur de ne pas renouveler le contrat en cas d’insatisfaction ou pour des raisons budgétaires ;
    • Inversement, recruter un agent localement peut aussi être potentiellement plus stable que de voir le poste pourvu par un lauréat de concours venu d’une autre région.

    Point de situation dans la fonction publique d’État

    21 % des agents de l’État étaient contractuels en 2022 (24,5 % sans les militaires), et 63 % des agents des établissements publics administratifs (Agences régionales de santé, France travail).

    Plus l’employeur est autonome, plus il recourt à des non-titulaires. Les deux tiers des agents non titulaires sont affectés dans des établissements publics2, contre seulement 13 % des agents titulaires.

    Des situations très différentes selon les ministères

    • L’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur (écoles, universités…) comptent 24 % de contractuels3. Toutefois, compte tenu de la taille de ces ministères, ils concentrent près des deux tiers des 546 000 agents contractuels de l’État ;
    • Les ministères dits « régaliens » (et les établissements sous leur tutelle) présentent de plus faibles taux de recours aux contractuels : 7 % pour l’Intérieur, 11 % pour l’Économie et 15 % pour la Justice.

    Les contractuels publics sont plus précaires que dans le privé

    Le recours aux contrats à durée déterminée (CDD), plutôt qu’à durée indéterminée, est plus fréquent dans le secteur public. Il concerne 14 % des agents publics contre 8 % des salariés du secteur privé (auxquels il convient d’ajouter 3 % de salariés en intérim).

    Cette spécificité s’explique aussi par le fait que l’emploi durable est censé être occupé par un fonctionnaire.

    Le recours au CDD concerne, dans le secteur public, tout particulièrement les emplois peu qualifiés

    Le recours à des contrats courts concerne davantage les emplois peu qualifiés :

    • Pour les agents d’entretien, 21 % des travailleurs du public sont en CDD, contre 14 % des salariés du privé,
    • Pour les aides-soignants, 24 % sont en CDD dans la fonction publique, contre 13 % dans le privé ;
    • Pour les professionnels de l’action culturelle et sociale, 52 % sont en CDD dans la fonction publique et 25 % dans le privé ;
    • De même pour l’action sociale et l’orientation avec 18 % de CDD dans la fonction publique et 10 % dans le privé.

    Toutefois, et pour des raisons différentes, les métiers qualifiés (ou très qualifiés) sont également concernés :

    • 32 % des personnels d’études et de recherche sont en CDD dans le public contre 5 % dans le privé ;
    • 20 % des médecins dans la fonction publique, contre 8 % dans le secteur privé ;
    • 9 % des cadres de catégorie A, comme les attachés d’administration. Pourtant, dans le secteur privé, les cadres sont très peu employés en CDD (de l’ordre de 2 à 6 %).

    Cette logique métier se retrouve mécaniquement par des recours aux contrats très divers selon les employeurs. Le secteur hospitalier propose très majoritairement des contrats de moins d’un an, tandis que l’État comporte relativement beaucoup de CDI, ce qui suggère des besoins moins conjoncturels :

    Des contractuels plus précaires que dans le secteur privé

    Les transformations de CDD en CDI sont plus faibles que dans le privé :

    La transformation des contrats temporaires (CDD ou intérim) en CDI (ou emploi statutaire) un an plus tard est deux fois plus faible dans le public, par rapport au privé4.

     « 26 % des agents de catégorie B et 16 % des agents de catégorie C ont accédé à un emploi durable un an après, contre 34 % des employés et 49 % des techniciens administratifs du privé. »

    De manière générale :

     « Les taux de transitions de l’emploi temporaire vers l’emploi durable des familles professionnelles publiques font partie des plus faibles observés parmi l’ensemble des métiers. »

    Les contractuels ne restent pas dans la fonction publique

    Selon les rapporteurs, il existe encore une étanchéité relativement forte entre les parcours des agents contractuels et ceux des fonctionnaires.

    Pour les agents contractuels, le passage dans la fonction publique est le plus souvent perçu comme transitoire, pour accéder à un premier emploi ou dans l’attente de meilleures perspectives professionnelles.

    Ainsi, dans la fonction publique d’État, seuls 10 % des contractuels deviennent titulaires dans un ministère (ou un établissement public) et 8 % rejoignent une autre fonction publique. Les autres rejoignent le secteur privé ou sont indemnisés au titre de l’assurance chômage5.

    Les titularisations sont plus difficiles

    Pour les agents contractuels désireux de rester dans la fonction publique, la titularisation est longue : en moyenne huit ans.

    À l’inverse, cela signifie également que les durées d’exercices avec un statut contractuel s’allongent, sans les garanties offertes aux fonctionnaires :

    • La progression salariale est plus incertaine pour les contractuels,
    • La protection sociale peut être plus faible,
    • La mobilité est moins facile, avec la nécessité de négocier et de signer un nouveau contrat à chaque changement de poste.

    Les grands plans de titularisation sont terminés

    Depuis 1983, quatre plans de titularisation ont été organisés. Ils ont permis à des milliers d’agents contractuels d’accéder à un statut de fonctionnaire.

    Les modalités d’intégration étaient prévues dans la loi. Il pouvait s’agir d’un concours réservé ou d’un examen professionnel, voire d’une nomination directe par l’employeur :

    • Environ 146 000 titularisations ont été permises par la loi dite « Le Pors » de 19836 ;
    • 60 000 pour le plan de 1996 issu de la loi dite « Perben7 » ;
    • 30 000 pour le plan de 2001 issu de la loi dite « Sapin8 » ;
    • Enfin, 54 000 agents pour le dernier grand plan de titularisation, prévu par la loi Sauvadet du 12 mars 20129, portant sur les exercices 2013 à 2018.

    La loi de transformation de la fonction publique de 2019 n’a pas renouvelé cette démarche. La principale finalité de cette loi étant de favoriser le recours aux contractuels et le maintien de leur statut dans la durée, notamment par l’accès plus aisé aux postes de direction de l’État.

    La contractualisation de la fonction publique fragiliserait les relations de travail

    S’agissant des rémunérations, un constat ambivalent

    Les rémunérations des contractuels sont le plus souvent inférieures aux fonctionnaires.

    Toutefois, dans certaines situations, il est plus intéressant d’être contractuel. On peut penser aux exemples récents s’agissant de l’intérim médical10, mais également de la circulaire dite « Borne » sur le recrutement d’agents contractuels dans les filières numériques11.

    Une très grande diversité de rémunérations

    Les conditions de rémunérations des agents contractuels sont très diverses entre et au sein des ministères : selon le métier, le niveau de diplôme, parfois l’expérience antérieure.

    Le salaire moyen net12 sur 2022 des fonctionnaires était de 2 598 euros, contre 2 014 euros pour les contractuels.

    Toutefois, cet écart présente des proportions diverses selon les versants de la fonction publique :

    • Les différences de rémunérations sont importantes dans la fonction publique d’État. Le salaire moyen net est de 2 955 euros pour les fonctionnaires contre 2 080 euros pour les contractuels ;
    • Les écarts sont plus faibles dans la fonction publique territoriale : 2 216 euros contre 1 923 euros.

    Ces divergences tiennent pour partie à un effet de structure : au regard des emplois occupés par les contractuels et de la moyenne d’âge des fonctionnaires en poste13.

    Il existerait ainsi un « double effet métier »14 :

    • Les métiers les moins qualifiés garantissent un certain avantage salarial aux titulaires ;
    • À l’inverse, pour les métiers les plus qualifiés, les contractuels disposent d’un avantage salarial sur les fonctionnaires.

    Des évolutions de rémunérations contrastées

    Pour la période de 2012 à 2021, le salaire moyen net des contractuels en EQTP progresse moins vite que celui des titulaires en termes réels (corrigés de l’inflation).

    Mais ici encore, les ministères présentent des trajectoires singulières :

    • Au sein de la fonction publique d’État, la dynamique globale des salaires des contractuels est très défavorable, en baisse de 5 % par rapport aux fonctionnaires.
    • Inversement, le salaire moyen des contractuels progresse fortement dans la fonction publique hospitalière.

    1. C’est cette ouverture dans le recrutement qui implique des niveaux très élevés de contractuels dans certains directions d’administration centrale comme la direction générale des entreprises ou dans une moindre mesure à la direction du budget.
    2. Essentiellement à l’Éducation nationale toutefois, ce qui brouille un peu l’analyse.
    3. Autrement dit, la proportion de contractuels dans les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur est dans la moyenne.
    4. Enquête Emploi (2017-2019).
    5. Peyrin A. I., Signoretto C. et Joubert L. (2020), L’insertion des jeunes dans la fonction publique d’État, 1991-2015, Injep, « Notes et rapports », Rapport d’étude.
    6. La loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
    7. Premiers articles de la loi n° 96-1093 du 16 décembre 1996 relative à l’emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d’ordre statutaire.
    8. Premiers articles de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l’emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu’au temps de travail dans la fonction publique territoriale
    9. Loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique
    10. Le rapport de la Cour des comptes sur l’intérim médical ayant été particulièrement critique à cet égard.
    11. Les rémunérations proposées dans la grille sont supérieures à celles proposées pour les titulaires. Voir à ce propos le billet sur les inspecteurs des finances publiques et des douanes exerçant dans des fonctions numériques.
    12. Calculé en équivalent temps plein.
    13. Voir le précédent billet consacré au rapport de la Cour des comptes sur le vieillissement des agents publics.
    14. Selon le rapport de la Cour des comptes de 2020 : « Les agents contractuels dans la fonction publique 2010-2019 ».

    Deux jeunes gens dos à dos
  • La crise de l’Université, ses conséquences sur la fonction publique

    La crise de l’Université, ses conséquences sur la fonction publique

    Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 6)

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Suite de l’analyse du rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique avec une analyse de deux éléments concomitants (et complémentaires) :

    • La concurrence accrue du secteur privé pour le recrutement de jeunes diplômés ;
    • La difficulté concomitante des universités à attirer de nouveaux profils, en particulier parmi les garçons.

    Une fonction publique très féminisée

    Ce caractère genré concerne les trois fonctions publiques et presque toutes les catégories

    La féminisation des trois fonctions publiques est indéniable :

    • La fonction publique hospitalière est composée à 90 % de femmes (notamment du fait du poids des effectifs d’infirmières et d’aides-soignantes) ;
    • La fonction publique territoriale a un poids relativement stabilisé autour de 60 % ;
    • Enfin, la fonction publique d’État présente la spécificité d’une féminisation continue, y compris sur les dernières années.

    Dans les trois versants de la fonction publique, la féminisation concerne toutes les catégories d’emploi, à l’exception de l’encadrement supérieur (les A+, voir notamment l’article sur les ministères économiques et financiers) et des catégories B du ministère de l’Intérieur (gendarmes, policiers) et des Armées1.

    On peut souligner que ce point concerne en apparence toutes les grandes économies, avec une élévation du niveau scolaire des filles. Ce qui implique un intérêt plus élevé de ces dernières à rejoindre le secteur public, traditionnellement plus éduqué que le secteur privé.

    Outre l’encadrement supérieur et les métiers régaliens, une part de femmes encore insuffisante dans les métiers informatiques

    La fonction publique ne se distingue malheureusement pas du secteur privé dans la féminisation du personnel informatique.

    Compte tenu du vivier de professionnels, par ailleurs souvent très éduqués, on aurait pu s’attendre à une féminisation plus élevée. Il n’en est donc rien :

    Des agents publics toujours très diplômés par rapport au secteur privé

    Le niveau de diplôme est substantiellement plus élevé dans le secteur public

    « En 2022, 57 % des agents publics détiennent un diplôme du supérieur, contre 42 % dans le secteur privé. »

    Ce niveau de diplôme est toutefois très hétérogène selon les fonctions publiques :

    • 76 % des agents de la fonction publique d’État détiennent un diplôme du supérieur2 ;
    • 54 % dans la fonction publique hospitalière et
    • 33 % dans la fonction publique territoriale3.

    Depuis 2007, la fonction publique peine à recruter des jeunes diplômés

    Des recrutements de jeunes en diminution

    Le nombre de « jeunes débutants » (sortis de formation initiale trois ans auparavant) baisse de façon continue depuis plusieurs années :

    • 84 % des jeunes diplômés sont employés dans le secteur privé en 2019, contre 16 % dans le secteur public.
    • Depuis 2007, le taux d’emploi des « jeunes débutants » dans le secteur privé est en hausse de trois points, contre une baisse équivalente pour le secteur public.

     « Cette moindre attraction affecte surtout la fonction publique d’État qui offre moins d’opportunités d’emploi sur cette période, avec une baisse marquée de ses effectifs. »

    Parmi ces jeunes, une chute plus problématique encore du nombre de diplômés du supérieur

    Depuis plusieurs années, les jeunes diplômés du supérieur se tournent davantage vers le secteur privé :

    De 2007 à 2019, leur nombre a crû de 17 % dans le secteur privé et chuté de 29 % dans le secteur public.

    L’écart de recrutements est encore plus flagrant lorsqu’on s’intéresse aux plus diplômés : ceux détenteurs d’au moins un bac +4 :

    De 2007 à 2019, les effectifs de jeunes débutants diplômés de niveau bac +4 et plus ont augmenté de 63 % dans le secteur privé et baissé de 2 % dans le secteur public.

    Les diplômes préparés pour rejoindre la fonction publique se distinguent du secteur privé

    En effet, la fonction publique dispose de spécificités dans les diplômes du supérieur recrutés :

    • 6 % des jeunes diplômés de la fonction publique relèvent de filières relevant des mathématiques, de l’ingénierie et des systèmes, contre 29 % pour le secteur privé4 ;
    • 15 % des jeunes diplômés de la fonction publique relèvent de formation en gestion, contre 37 % dans le privé5.

    Inversement, les jeunes diplômés du supérieur recrutés dans la fonction publique sont nettement plus souvent issus :

    • De filières en sciences humaines et sociales6, dont est issue une grande partie du corps enseignants et
    • De filières en sciences du vivant et de la terre7, dont sont issus les professionnels de santé.

    Les « viviers traditionnels » des sciences du vivant et des sciences sociales peinent eux-mêmes à attirer les étudiants

    Or, ces deux filières, sciences du vivant et sciences humaines et sociales, sont en difficulté. Elles peinent à attirer de nouveaux étudiants à hauteur des besoins :

    Cette baisse d’attractivité est toutefois généralisable à l’ensemble de la sphère universitaire

    L’ensemble des filières universitaires, qu’elles aient ou non traditionnellement la fonction publique comme débouché de prédilection, voient leur part relative s’affaiblir, face à la concurrence de l’enseignement supérieur privé.

    Les rapporteurs soulignent également l’effet de l’introduction d’une sélection à l’entrée en Master 1 dans les universités à compter de 2017 (devenue définitive en 2020) :

    Les projections réalisées par le SIES8 montrent que l’attractivité supérieure de l’enseignement supérieur privé devrait se prolonger, au détriment des universités :

    « Les effectifs des étudiants inscrits à l’université en 2031 devraient être comparables à ceux de 2021 (en très légère baisse, de 0,1 % entre 2021 et 2031) alors que l’ensemble des inscrits de l’enseignement supérieur devrait connaître une hausse de 1,5 %. »

    Certaines professions sont très concernées par cette diminution du vivier de recrutements : les professeurs, les cadres administratifs et les inspecteurs

    La situation est encore plus problématique pour les étudiants en master des métiers de l’enseignement (qui prépare au concours d’enseignement du premier degré) :

    Pour les catégories A, dont les besoins sont pourtant importants sur les années à venir, l’effondrement des effectifs en Institut de préparation à l’administration générale (IPAG) est également très inquiétant :

     « Indépendamment du niveau d’études, les effectifs d’étudiants inscrits dans un IPAG ont ainsi presque été divisés par deux entre 2008 et 2016, avant de se stabiliser. »

    Cette baisse n’est pas due à une diminution des effectifs, mais bien à un choix des étudiants :

    1. Mais ces effectifs régaliens connaissent également une féminisation croissante, bien que plus tardive.
    2. 33 % des agents publics de l’État ont un niveau licence ou master 1, contre 11 % dans le privé. 31 % ont un master 2 ou un doctorat contre 15 % dans le privé (Rapport annuel de la DGAFP de 2024).
    3. La fonction publique territoriale accueille plus d’actifs peu diplômés que le secteur privé : 15 % de ses agents sont sans diplôme ou titulaires d’un diplôme de niveau CEP ou brevet des collèges, contre 14% des salariés du privé. 30 % d’un diplôme de niveau CAP, BEP ou équivalent, contre 21 % dans le privé (Rapport annuel de la DGAFP de 2024).
    4. Inclut notamment les mathématiques, les technologies numériques, industrielles et du bâtiment.
    5. Inclut notamment l’économie, le droit, les finances et le secrétariat.
    6. Inclut notamment la philosophie, l’histoire, la psychologie, la littérature et la géographie.
    7. Inclut notamment le sanitaire et social, la physique, la chimie et les sciences de la vie et de la terre (y compris agronomie et agriculture).
    8. SIES (2023), « Projection des effectifs dans l’enseignement supérieur pour les rentrées de 2022 à 2031 », Note d’information du SIES, n° 2023-04, avril.
    Dôme de l’Université de Panthéon Assas
  • Une pénurie durable d’agents publics ?

    Une pénurie durable d’agents publics ?

    Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 3)

    Temps de lecture : 8 minutes.

    L’emploi public ne cesse d’augmenter, pourquoi ?

    L’augmentation des besoins en agents publics tient à plusieurs explications :

    • Un vieillissement de la société : les plus de 60 ans représentant aujourd’hui près de 28 % des Français (et les plus de 75 ans : 10 %) contre 18 % (et 6 %) quarante ans plus tôt ;
    • Un nombre de jeunes encore élevé : le nombre de jeunes de moins de 20 ans (et notamment ceux de moins de 15 ans) auxquels sont associés des besoins de services d’éducation oscillent autour de 15,5 millions depuis le début des années 1990 (contre 16,5 millions durant les années 1970 et 1980)1 ;
    • La poursuite de l’augmentation du taux d’activité des femmes, ce qui induit de nouveaux besoins dans le secteur des services – en particulier dans l’accueil des jeunes enfants et les services à la personne.
    • Enfin, le choix de l’emploi public pour répondre à tous ces défis.

    Une augmentation générale de l’emploi dans les secteurs public et privé

    Outre les spécificités tenant au secteur public esquissées dans le paragraphe précédent, il convient de relever que l’augmentation du taux d’emploi et du nombre de personnes en activité est générale :

    Sur les trente dernières années (1991-2022), l’emploi total, public et privé, a progressé plus vite (+28 %) que la population active (près de 20 %), compte tenu de la baisse marquée du taux de chômage.

    Mécaniquement, l’emploi public est donc également en hausse :

    Des créations d’emploi dans le privé plus élevées sur la période récente

    Jusqu’à une période récente, l’emploi public connaissait une dynamique plus forte que le secteur privé. Toutefois, depuis le début des années 2000, le secteur privé a été plus dynamique grâce à une forte accélération des créations d’emploi.

    La croissance du secteur privé n’est pas linéaire, contrairement à celui du secteur public. Néanmoins, le taux de croissance annuel moyen du secteur public, souvent supérieur à 1 % avant 2005, est autour de 0,5 % depuis cette date, avec parfois des destructions d’emplois.

    Le cas spécifique des ingénieurs informatiques : un recul dans le secteur public à rebours des évolutions du secteur privé

    Si le nombre d’agents publics est globalement en hausse continue, il convient de relever une anomalie : celle des ingénieurs informatiques.

    « La part de ces emplois n’a cessé de croître sur le marché de l’emploi, passant de 2,73 % en 2009 à 4,6 % en 2023. En revanche, cette croissance de l’emploi ne se constate pas dans le secteur public, y compris pour le métier d’ingénieurs de l’informatique. Leurs effectifs y ont même baissé alors que pour la même période ils augmentaient pour les actifs du secteur privé. »

    En conséquence, les services informatiques sont très largement externalisés dans le secteur public

    Au premier semestre 2022, pour l’activité courante des ministères, le taux d’externalisation variait ainsi de 25 % à 75 % selon les ministères.

    Pour les grands projets informatiques, le taux médian était de 60 %, variant de 0 % à 93 %. Un quart des projets dépassait un taux de 75 %. En conséquence, les dépenses d’externalisation de l’État ont crû régulièrement depuis 2018.

    Le positionnement de la France sur la scène internationale en matière d’emplois publics

    La place de la France en termes d’emplois publics se situe : dans une « moyenne haute », sans être atypique.

    Toutefois, en comme l’a récemment souligné l’OCDE, les comparaisons internationales sont délicates. En Allemagne, par exemple, la santé est financée par l’impôt, mais de nombreux emplois ne sont pas comptabilités comme « public » car les paiements sont indirects.

    « Si la France a une dépense publique élevée, c’est d’abord en raison d’une forte mutualisation des risques sociaux et de prestations sociales élevées. En revanche, en termes de dépenses publiques de fonctionnement, et d’emploi public, la position de la France n’apparaît pas particulièrement atypique2. »

    La féminisation de la fonction publique

    Le rapport cite notamment les travaux de Cédric Hugrée et Sybille Gollac qui tendent à démontrer que le développement de l’État social et du secteur public a été central dans l’accès des femmes au salariat. Et, il l’est encore davantage dans l’accès des femmes au salariat qualifié dans la deuxième moitié du XXe siècle.

    « Sur les 6,4 millions d’emplois supplémentaires entre 1960 et 2017, 5,9 millions sont occupés par des femmes. »

    La longue marche des femmes vers le salariat au cours du XXe siècle

    La part des femmes parmi les agents publics augmente fortement tout au long du XXe siècle, en commençant par les catégories d’exécution et les cadres intermédiaires :

    « Au début des années 1960, Alain Darbel et Dominique Schnapper dénombraient, dans les administrations centrales, 11 % de femmes parmi les agents de catégorie A, 50 % parmi les B et 70 % parmi les C. »

    Ces chiffres sont évidemment à mettre en parallèle avec les données récentes en administration centrale, y compris dans des directions pourtant relativement moins féminisées comme celles des ministères économiques et financiers.

    L’évolution des normes permettant de lever les barrières à l’entrée des femmes dans la fonction publique

    Cette féminisation de la fonction publique s’accompagne d’évolutions successives du droit3 :

    • Inscription du principe de non-discrimination dans le statut général des fonctionnaires en 1959 ;
    • Limitation des corps de fonctionnaires autorisés à recruter distinctement des hommes et des femmes en 1975,
    • Enfin, la suppression progressive des exceptions à cette règle, en particulier par la loi du 7 mai 1982.

    « Dans la fonction publique d’État, les femmes sont majoritaires dans toutes les catégories d’emploi au tournant du siècle. En 2008, elles représentent 58 % des agents civils de l’État, 53 % hors enseignement. Elles sont alors également majoritaires parmi les personnels non titulaires, soit 60 % en 2008, hors enseignants. Elles sont les plus nombreuses dans les ministères sociaux (éducation, santé, travail – entre 65 % et 71 %) et moins nombreuses à l’Intérieur ou à l’Équipement (respectivement 32 % et 28 %), la nature des filières et des métiers étant évidemment diverse. »

    L’exemple frappant est la féminisation de l’Éducation nationale

    La croissance des effectifs désormais portée par les contractuels

    Une évolution du nombre de contractuels particulièrement remarquable sur la période récente

    De 1996 à 2021, les effectifs de la fonction publique ont augmenté de 23,4 % :

    • La croissance est d’abord portée, jusqu’en 2007, par l’augmentation du nombre de fonctionnaires ;
    • Puis, à partir de 2007, par les contractuels. Le nombre de fonctionnaires et militaires étant même en diminution de 2,3 % sur la période (1,6 % si l’on retient uniquement les fonctionnaires civils).

    La part de contractuels parmi l’ensemble des effectifs connaît ainsi une augmentation régulière :

    • Après une relative stabilité du milieu des années 1990 jusqu’aux années 2000 autour de 14,5 %,
    • La part de contractuels augmente au début des années 2000 jusqu’à atteindre 17 % en 2010.

    Toutefois, ce niveau élevé de contractuels n’est pas inédit et est équivalent à ceux relevés dans les 1970.

    Une reconnaissance juridique d’un état de fait : l’augmentation du nombre de contractuels

    La situation des contractuels a longtemps été un « angle mort juridique », n’étant pas couvert par le Code du travail et très peu par le droit de la fonction publique4. Leur protection sociale est faible et les contrats peuvent être renouvelés sans limites, contrairement aux salariés de droit privé.

    C’est le droit communautaire qui, transposé dans la loi du 26 juillet 2005, fixe à six la durée maximale des contrats à durée déterminée, impliquant l’apparition d’une bizarrerie conceptuelle et juridique dans le paysage statutaire : le contractuel en contrat à durée indéterminée.

    La fonction publique de l’État présente une trajectoire heurtée avec, comme énoncé plus haut, une augmentation relativement constante du nombre de contractuels et, à rebours, une baisse, plus ou moins rapide, du nombre de fonctionnaires.

    Ces évolutions sont particulièrement marquantes dans l’Éducation nationale :

    Un objectif politique de réduction du nombre de fonctionnaires et de promotion du management inspiré du secteur privé

    Outre ce changement législatif, il convient de relever une terminologie politique mouvante avec une succession depuis les années 2000 des politiques de « modernisation » et l’assignation d’objectifs « managériaux » aux agents publics. À cet égard, la Revue générale des politiques publiques (RGPP) de 2007 marque un tournant :

    • La réduction du nombre de fonctionnaires devient un objectif gouvernemental et
    • Le ministère de la Fonction publique, généralement placé auprès du Premier ministre, est désormais rattaché au ministère du Budget.

    Les résultats de cette politique de réduction du nombre de fonctionnaires pour l’État, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière

    De 2002 à 2012, les effectifs de fonctionnaires de l’État sont en baisse, puis, de 2012 à 2022, on observe un équilibre entre recrutements et départs.

    Dans la fonction publique territoriale, se dessine, au contraire, une forte hausse des effectifs, puis un ralentissement. L’augmentation du nombre d’agents publics est dorénavant exclusivement imputable aux recrutements de contractuels.

    En dépit du ralentissement de cette croissance, sur une période relativement longue et en comparaison avec les autres pays de l’OCDE, la France présente une dynamique d’évolution du nombre d’agents publics territoriaux supérieure à la moyenne :

    Les filières de la fonction publique territoriale qui ont connu une croissance la plus forte de 2010 à 20175 sont celles :

    • De l’animation, notamment dans le périscolaire et l’extrascolaire (+ 59 % d’effectifs) ;
    • De la police municipale (+ 16 %) ;
    • Du médicosocial, dont les auxiliaires de puériculture pour l’accueil de jeunes enfants (+ 16 %) ;
    • Du médico-technique, ce qui comprend les vétérinaires, biologistes ou techniciens paramédicaux (+14 %).

    Enfin, dans le secteur hospitalier, l’augmentation des effectifs est continue, avec une évolution substantielle au début des années 2000 : l’essor du nombre de contractuels :

    • 80 % de la croissance des effectifs de 2005 à 2021 est portée par les recrutements de contractuels ;
    • La part des contractuels dans l’emploi total passe ainsi de 8 % en 1996 à 11 % en 2000, 16 % en 2010 et près de 22 % en 2022.

    1. Toutefois, leur part relative baisse depuis une dizaine d’années (INSEE).
    2. Le constat de France stratégie est à nuancer cependant, la France présentant, sur la quasi-intégralité des typologies de dépenses (exception faite des dépenses de sécurité intérieure), un niveau de dépenses supérieur à la moyenne de l’OCDE.
    3. Sans compter l’action du juge administratif, dès 1936.
    4. Ce qui, in fine était le cas de l’ensemble des agents publics sous la IIIe République.
    5. Chiffres issus du rapport du Conseil national de la fonction publique territoriale

    Un désert de sable
  • Les informaticiens des douanes et de l’inspection des finances publiques

    Les informaticiens des douanes et de l’inspection des finances publiques

    Temps de lecture : 5 minutes.

    La Cour des comptes a publié, en 2022, un rapport sur les systèmes d’information des impôts et des douanes : Rapport : Les systèmes d’information de la DGFiP et de la DGDDI.

    L’un des chapitres de ce rapport est consacré aux moyens humains consacrés aux systèmes d’information1.

    On y apprend tout d’abord que les effectifs de la DGFiP consacrés aux services informatiques ont fortement baissé (-13 % de 2013 à 2018), alors que ces effectifs sont restés stables à la DGDDI.

    Point de situation

    Situation de la direction générale des finances publiques (DGFiP)

    « En 2018, la DGFiP compte 4 786 agents affectés aux tâches informatiques pour une masse salariale de 361 millions d’euros. Ces agents représentent 26 % de l’ensemble des effectifs informatiques de l’État, hors ministère des Armées. La DGFiP constitue ainsi la direction d’administration centrale comptant le plus grand nombre d’informaticiens. 70 % d’entre eux sont affectés au sein du réseau territorial du SSI. Près d’un quart travaillent au sein du SSI en administration centrale (24 %), les autres (6 %) relevant du service à compétence nationale Cap Numérique. »

    « Les suppressions d’emplois sur la période ont prioritairement porté sur les catégories C et en particulier sur les métiers de moniteur, agent de traitement et dactylocodeur du fait de l’automatisation de processus. »

    Par ailleurs, cet effectif est de plus en plus âgé et masculin. La part des agents de plus de 60 ans est ainsi passée de 9 à 12 % sur la période, soit un niveau supérieur à celui de la DGFiP dans son ensemble. Or, la DGFiP présente déjà la moyenne d’âge la plus élevée parmi l’ensemble des administrations centrales.

    Situation de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI)

    « En 2018, la DGDDI compte 611 agents informatiques, dont 35 contractuels, représentant une masse salariale de 44 millions d’euros. Entre 2013 et 2018, le nombre d’agents SI a été stable, à l’instar des effectifs globaux de la Douane. »

    Parmi les agents des douanes : 60 agents sont en administration centrale, 154 en réseau territorial et le reste dans deux services à compétence nationale :

    • 182 agents au sein du centre informatique douanier et
    • 215 agents à l’intérieur de la Direction nationale des statistiques et du commerce extérieur.

    35 % des agents du réseau territorial et des services à compétence nationale sont toutefois consacrés à des missions d’assistance, auprès des usagers (qu’ils soient internes ou externes).

    De très grosses difficultés de recrutement

    Beaucoup de postes non pourvus

    Près de 35 % des postes de programmeurs ouverts durant les trois dernières années n’ont pas été pourvus à la DGFiP. 80% dans les services des douanes pour les postes d’informaticiens de catégorie A et B ouverts en 2018. Ce qui pose, à l’évidence, la question de l’attractivité de l’Etat dans un contexte de forte concurrence du secteur privé.

    Par ailleurs, des postes de cadres informaticiens sont vacants sur des longues périodes. Plus de deux ans pour certains postes de chef de pôle, à la DGDDI.

    La DGAFP et l’ex-DINSIC ont finalisé en 2019 un plan d’attractivité à cette fin.

    « Il convient également de relever que le décret instituant une prime spécifique aux fonctionnaires de l’État et des établissements publics affectés au traitement de l’information n’a pas été revu depuis 1971. Ainsi, la liste limitative des postes ouvrant droit à cette prime n’a pas été actualisée pour prendre en compte les nouveaux métiers créés dans ce domaine comme les data scientists. »

    Un recours très faible aux contractuels

    En 2018, la DGFiP comptait seulement 111 agents contractuels et la DGDDI 31 agents, soit respectivement 2,3 % et 5 % de leurs personnels informatiques.

    Ces flux de recrutement n’ont pas augmenté sur la période2.

    « Les deux directions expliquent que les recrutements de contractuels sont difficiles, notamment, pour les métiers où les compétences sont rares (architecte, data miners) car les salaires proposés ne sont pas compétitifs. L’évolution de carrière lente et parfois limitée constitue un obstacle supplémentaire à la DGDDI. D’autres structures du MEF, telles que Tracfin ou l’AIFE, ne sont pas confrontées à d’aussi grandes difficultés. »

    Le fait que les emplois proposés soient en CDI3 n’y change rien.

    L’une des réponses est la création d’un corps interministériel

    En effet, en mai 2015, le ministère de l’Intérieur a profondément transformé le corps des ingénieurs des systèmes d’information et de communication (ISIC)4

    Les ingénieurs des systèmes d’information et de communication exercent des fonctions de conception, de mise en œuvre, d’expertise, de conseil ou de contrôle en matière de systèmes d’information et de communication. À ce titre, ils peuvent exercer des fonctions d’encadrement. Ils sont recrutés et nommés par le ministre de l’Intérieur.

    Les difficultés auxquelles sont confrontées la DGDDI et la DGFiP

    « Le calendrier actuel des concours constitue un frein au recrutement, notamment pour les postes de programmeurs de catégorie B à la DGFiP dont le nombre de postes non pourvus est le plus important. En effet, sur un marché en tension, les diplômés en juin de l’année N, ne peuvent passer le concours qu’en mars N+1, le résultat de l’admission est connu en juin N+1 et ils commencent à être rémunérés en septembre N+1. Il s’écoule donc plus d’un an entre l’obtention de leur diplôme et leur premier traitement versé par l’administration. »

    La Cour préconise de réserver l’examen de la condition de diplôme lors de la constitution du dossier administratif avant le recrutement effectif.

    Par ailleurs, à la Douane, les mobilités sont réalisées non pas en fonction des compétences, mais des « points » acquis par les agents – dans un système analogue à celui de l’Education nationale. Or, les services informatiques sont situés à Osny, dans le Val-d’Oise et surtout à Toulouse. Cette dernière ville est attractive, mais elle n’est accessible qu’aux agents les plus anciens, sans égard pour leurs qualifications.

    1. « Ensemble organisé de ressources permettant de collecter, regrouper, classifier, traiter et diffuser de l’information dans un environnement donné. » Définition récupérée sur le site wiki territorial.cnfpt
    2. Il serait toutefois intéressant de mesurer l’évolution depuis la loi pour la transformation de la fonction publique de 2019.
    3. Depuis la publication de la circulaire relative à la GRH dans le numérique du 21 mars 2017.
    4. Décret n° 2015-576 du 27 mai 2015 portant statut particulier du corps des ingénieurs des systèmes d’information et de communication.