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  • La Cour des comptes et la formation professionnelle, épisode 2 : l’OPCO EP

    La Cour des comptes et la formation professionnelle, épisode 2 : l’OPCO EP

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Le rapport de la Cour des comptes sur l’OPCO Entreprises de proximité (OPCO EP) met en lumière les défis et les opportunités liés à la gouvernance, à la gestion et à la transformation de cet opérateur de compétences.

    Pour rappel, les opérateurs de compétences sont responsables du financement de l’apprentissage et de l’accompagnement des petites et moyennes entreprises dans leurs projets de formation (financement et conseils). Organismes privés, chargés d’une mission de service public ; les OPCO sont à mi-chemin entre les secteurs publics et privés.

    Présentation de l’OPCO EP

    OPCO interprofessionnel, comme AKTO (précédent billet consacré à l’OPCO AKTO)1, l’OPCO EP réunit 53 branches professionnelles, dont la principale cohérence tient à leur taille : en moyenne trois salariés.

    L’OPCO couvre 434 000 entreprises et près de 2,4 millions de salariés2.

    Une gouvernance éclatée et mobilisant beaucoup d’administrateurs

    L’OPCO compte presque autant d’administrateurs que de salariés

    L’OPCO compte 1 000 administrateurs pour 1 140 salariés :

    • Un conseil d’administration de 60 administrateurs ;
    • Sept instances d’appui composées d’une vingtaine d’administrateurs :
      • Un bureau ;
      • Un comité stratégique ;
      • Une commission financière ;
      • Une commission apprentissage et professionnalisation ;
      • Une commission immobilière ;
      • Une commission certifications ;
      • Un comité des risques et d’audit ;
    • 33 sections paritaires professionnelles, réunissant l’essentiel des administrateurs (960) et
    • 17 commissions paritaires régionales (340 administrateurs).

    Ces 67 instances présentent un coût important et embolisent le conseil d’administration

    Cette comitologie présente un coût croissant : de 0,6 million d’euros en 2020 (pendant la crise sanitaire) à 5,5 millions d’euros en 2022.

    La Cour note par ailleurs que le conseil d’administration est : « encombré par des sujets d’un niveau peu stratégique », malgré un nombre élevé de commissions et comités. Le bureau manque notamment de délégations durables du conseil d’administration.

    Les sections paritaires professionnelles (SPP) sont encore trop nombreuses et pas assez interprofessionnelles

    L’OPCO EP comptait à fin 2022 :

    • 32 sections paritaires professionnelles (SPP), dont 6 multibranches3 et
    • 1 section paritaire interprofessionnelle.

    26 SPP sont « mono branches », soit la moitié des branches professionnelles adhérentes à l’OPCO.

    Pour la Cour, il convient de poursuivre ce travail de rapprochement entre branches :

    • Le foisonnement de SPP présente des coûts importants, y compris en coordination administrative et est contraire au principe de mutualisation des financements et de convergence des prises en charges ;
    • Par ailleurs, certaines SPP regroupent à peine quelques milliers de salariés ou apparaissent incomplètes (par exemple : il existe une SPP dentaire et une SPP santé).

    Le cas particulier de l’APNI

    L’OPCO EP présente la particularité de déléguer une partie de ses missions et financement à une association paritaire : l’APNI (association des particuliers-employeur).

    Outre le fait que cette délégation est illégale, elle rajoute une complexité à un système déjà compliqué. D’autant que l’APNI délègue elle-même à un prestataire l’animation de la politique de formation de la branche.

    La Cour sollicite la création d’une SPP qui délèguerait directement cette animation au prestataire (faute de mieux).

    Une organisation des ressources humaines marquée par de profondes transformations

    Un changement de paradigme lors de la fusion-transformation d’Agefos PME

    Agefos PME était l’organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) interprofessionnel préexistant à la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Son organisation était profondément décentralisée.

    Inversement, Actalians4, le second OPCA fusionné, était assis sur une organisation centralisée. C’est cette vision, notamment incarnée par son directeur général, devenu directeur général d’OPCO EP, qui a prévalu.

    Ainsi, 45 % des effectifs du nouvel ensemble ont été réaffectés à la direction générale. 367 postes de gestionnaires de dossiers ont été recentralisés. Le réseau de proximité ne comptait plus, à fin 2020, que 334 postes sur 1 054.

    Un recours systématique et coûteux à des cabinets de consultants

    Comme pour l’OPCO AKTO :

     « L’Opco a un recours permanent à une société de conseil pour des prestations intellectuelles « de conseil en stratégie et en organisation pour la constitution opérationnelle de l’entreprise EP » pour des montants facturés très élevés. »

    Par ailleurs, la Cour note qu’au regard des documents transmis (tardivement) :

    « (Les livrables) relèvent davantage d’un travail de secrétariat ou de l’exercice d’une activité courante dévolue aux agents des directions de l’opérateur que d’une prestation de conseil de haut niveau, stratégique ou organisationnelle, justifiant une tarification élevée. »

    Les coûts (qui ont fait l’objet d’un audit) et la couverture de la quasi-intégralité des missions de l’OPCO témoignent du caractère excessif et incontrôlé de ce recours :

    Une transformation sans plan social

    L’opérateur n’a pas connu de plan social d’entreprise, ni mis en œuvre de rupture conventionnelle collective. L’effectif de salariés est donc resté stable, de 1 134 ETP en 2020 à 1 087 fin 2021.

    Pour autant et comme pour AKTO, des transactions ont été réalisées pour certains salariés. La Cour en relève six, dont trois sans délégation du conseil d’administration. Par ailleurs, aucune transaction n’a été évoquée au conseil d’administration5.

    Enfin, et ici encore, la Cour relève des montants particulièrement élevés pour ces transactions :

     « Deux transactions (indemnité de licenciement incluse) ont atteint plus de 400 000 euros, alors que l’indemnité médiane des cadres dirigeants s’élève ainsi à 62 360 € en cas d’ancienneté supérieure à 10 ans. »

    Un pilotage administratif et financier à parfaire

    Des charges de fonctionnement élevées

    L’OPCO EP présente, avec AKTO, les charges les plus importantes de l’ensemble des OPCO. Toutefois, le ratio de dépenses de l’OPCO est cohérent avec le nombre de salariés qu’il gère :

    • L’OPCO EP emploie 18 % des effectifs des onze OPCO ;
    • Ses charges de fonctionnement représentent 19 % de l’ensemble des charges de fonctionnement.

    Le déclin des versements volontaires

    Depuis la loi du 5 septembre 2018, les montants collectés directement et volontairement auprès des entreprises ne cessent de baisser.

    Cette baisse tient pour partie à la structuration de l’OPCO (peu de grandes entreprises) et à une offre de services qui peine à démontrer son intérêt et justifier un versement volontaire de la part des entreprises.

    De plus en plus, les OPCO deviennent de simples payeurs, en particulier sur l’apprentissage :

    Le droit de la commande publique est encore peu appliqué

    L’OPCO EP s’est doté d’un « embryon de service » par le recrutement d’une personne dédiée aux achats publics en 2020.

    Toutefois, l’opérateur ne suit de manière systématique ses achats que depuis fin 2022, trois ans après sa constitution.

    Pour la Cour, et malgré le recours à des cabinets de consultants spécialisés :

    « L’essentiel reste à faire en matière de respect de la commande publique »6.

    Une structuration solide du contrôle interne, mais une lutte contre la fraude encore timide

    Un OPCO manifestement actif s’agissant du contrôle interne

    L’OPCO EP a mis en place un dispositif de contrôle interne et de gestion des risques organisé en trois « lignes de défense » conformément aux préconisations de l’institut français d’audit et du contrôle internes (IFACI).

    Un référentiel de contrôle interne et gestion des risques et une charte d’audit interne, validés par les instances paritaires, font l’objet d’un suivi par le comité d’audit et des risques.

    À ce titre, l’opérateur contrôle ainsi aléatoirement 5 % des dossiers financés.

    Une lutte contre la fraude encore peu prioritaire

    La lutte contre la fraude ne fait pas l’objet d’une priorité, même si des projets notamment en lien avec l’intelligence artificielle sont évoqués.

    L’engagement automatique des contrats d’apprentissage présentent cependant des risques élevés, en termes de fraudes ou d’erreurs sur les données.

    Par ailleurs, le discours tenu par les administrateurs sur leur manque supposé de prérogatives contredit la réalité des pouvoirs importants dévolus aux OPCO dans le Code du travail. La Cour recommande à l’OPCO EP de se saisir de l’ensemble de ses prérogatives de contrôle.

    Un rôle majeur joué par l’OPCO dans la dynamique d’apprentissage

    L’apprentissage est une priorité de l’OPCO

    L’OPCO EP concentre près de 24 % des alternants français. La dynamique très relevée est, comme pour les autres OPCO, très supérieure aux prévisions initiales.

    Par ailleurs, les apprentis financés par l’OPCO préparent très majoritairement des diplômes de niveau bac et infra (86 % de niveaux infra-bac). Il convient de noter que ce type de qualifications (historiquement très présente en apprentissage), a été moins dynamique que celles de l’enseignement supérieur.

    L’OPCO a adopté une posture d’accompagnement des CFA

    L’OPCO EP a formé ses conseillers formation à l’accompagnement des centres de formation des apprentis (CFA). Près de 1 700 visites de centres étaient ainsi prévues sur 2022.

    L’OPCO dépasse son rôle de financeur, dans l’objectif de pérenniser l’offre de formations et d’améliorer les relations avec l’OPCO (notamment du point de vue administratif et financier). Par ailleurs, l’OPCO a mis à disposition un baromètre de satisfaction permettant de mesurer le niveau de satisfaction des CFA.

    L’ensemble de ces éléments témoignent d’une approche qualitative et particulièrement fine dans le développement et le suivi de l’offre de formation par apprentissage.

    L’offre de services à destination des entreprises de l’OPCO

    La promotion de l’accès des TPE-PME à la formation

    L’OPCO a dépassé les objectifs qui lui étaient assignés dans la convention d’objectifs et de moyens signés avec l’État.

    Toutefois, ces indicateurs « ne rendent qu’imparfaitement compte de la qualité et de l’adéquation des formations réalisées, tout particulièrement à destination des salariés » selon la Cour.

    La durée moyenne de formation demeure relativement courte (10 heures en 2021). Cependant, l’OPCO en est conscient et a fléché une enveloppe de six millions d’euros en 2023 pour le financement de formations exclusivement certifiantes.

    Des prestations de conseil aux entreprises en relatif échec

    Comme on l’a vu, les conseillers de l’OPCO ont la particularité d’accompagner les entreprises relevant de l’OPCO, mais également les CFA.

    En moyenne, chaque conseiller a un portefeuille de 1 450 entreprises.

    Ces conseillers proposent des solutions en matière de formation dans le cadre des priorités fixées par le conseil d’administration et les SPP. Le plus souvent, ces conseillers proposent les services de l’OPCO à l’occasion de visites en entreprise, mais également, et de plus en plus, par des moyens dématérialisés.

    Toutefois, l’OPCO est ici en difficulté et peine à atteindre les objectifs qui lui sont assignés :

    1. Né d’un accord entre la CPME et l’U2P. Alors qu’AKTO a un accord constitutif signé par le MEDEF, comme on a pu le voir dans notre précédent billet.
    2. Pour rappel, avec un peu moins d’entreprises couvertes, l’OPCO AKTO compte près de six millions de salariés, soit trois fois plus.
    3. Artisanat alimentaire ; communication graphique et du multimédia ; juridique ; officiers publics et ministériels ; santé ; particuliers employeurs et emploi à domicile.
    4. Au-delà de la querelle organisationnelle et managériale, ce sont aussi des enjeux politiques qui se sont affrontés : Agefos PME était dirigée, côté patronal, par la CPME, tandis qu’Actalians l’était par l’U2P.
    5. Le contrôleur général économique et financier et le commissaire du gouvernement auprès de l’OPCO n’ont pas davantage été informé de ces transactions.
    6. Chose étonnante, ces difficultés concernent également l’achat de… formations. Malgré son expertise supposée dans le domaine, la Cour relève un nombre anormalement élevé de marchés demeurant infructueux, notamment du fait de « l’inadéquation de l’allotissement avec le marché de la formation »
  • La Cour des comptes et la formation professionnelle : Épisode 1, l’OPCO AKTO

    La Cour des comptes et la formation professionnelle : Épisode 1, l’OPCO AKTO

    Temps de lecture : 10 minutes.

    La Cour des Comptes a rendu deux rapports assez sévères sur la gestion paritaire des fonds de la formation professionnelle par deux des plus gros opérateurs de compétences (OPCO) : AKTO et l’OPCO EP (entreprises de proximité).

    Le présent billet portera sur l’OPCO AKTO. Après une brève présentation de cet opérateur, les principaux éléments relevés par la Cour seront abordés s’agissant de la gouvernance, de l’organisation et du pilotage de l’OPCO.

    Qu’est-ce qu’un OPCO et pourquoi il est intéressant d’observer leur fonctionnement ?

    Les OPCO occupent une place singulière :

    • Il ne s’agit pas de personnes publiques (les OPCO sont des associations paritaires),
    • Ni d’opérateur de l’État1 et
    • Ce ne sont pas davantage des caisses de Sécurité sociale.

    Pour autant, leur existence, leur modalité d’organisation et leurs financements sont intégralement définis par l’État2. Par ailleurs, n’étant pas des « sujets administratifs », ils disposent de modalités de pilotage du secteur privé.

    Ce modèle original permet ainsi de comparer la gestion du secteur privé pilotée par des organisations paritaires avec des acteurs similaires gérés par l’État :

    • Les OPCO perçoivent 630 millions d’euros de frais de gestion pour financer l’apprentissage3, probablement 800 millions d’euros tous dispositifs confondus. Ils comptaient, en 2020, 6 500 salariés4.
    • À titre de comparaison, les ARS devraient percevoir 623 millions d’euros sur 20255 pour 8 300 équivalents temps pleins (ETP), soit environ 9 000 salariés.

    Au-de ces éléments quantitatifs, qui démontrent un coût total de financement supérieur par agents gérés du système privé paritaire, l’appréciation qualitative portée par la Cour des comptes est particulièrement inquiétante.

    Présentation de l’OPCO AKTO

    AKTO est un opérateur de compétences (OPCO). Et, il est l’un des plus gros parmi les onze OPCO agréés par le ministère du Travail depuis 2019.

    Les OPCO sont notamment chargés de financer les contrats d’apprentissage du secteur privé et d’accompagner les entreprises des conventions collectives qui leur sont rattachées dans leurs besoins de formation. Ils ont été créés par la loi 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Les onze OPCO ayant remplacé les vingt OPCA précédents6.

    AKTO compte près de 1 100 salariés et couvre un champ composé de près de 400 000 entreprises pour six millions de salariés et intérimaires relevant de l’intérim, de l’hôtellerie et de la restauration, de la propreté, de l’enseignement…

    Il se distingue également des autres OPCO par le fait que son accord constitutif est signé par le MEDEF7.

    Page de présentation du site AKTO.

    Une gouvernance particulièrement complexe

    Une structure de gouvernance lourde et peu transversale

    La Cour note tout d’abord que le conseil d’administration est composé de 70 membres et l’Assemblée générale de 350 représentants.

    À cette première comitologie imposante, s’ajoute 21 sections paritaires professionnelles (SPP) réunissant les branches professionnelles composant l’OPCO. À l’exception de trois d’entre elles, toutes sont mono-branches. La transversalité entre les différents secteurs professionnels est donc particulièrement faible.

    Enfin, l’OPCO compte aussi quatre commissions transverses et treize commissions paritaires régionales interbranches, ainsi que six commissions d’orientation paritaire en outre-mer.

    Avec le conseil d’administration et l’assemblée générale, ce sont ainsi 44 commissions paritaires, composées de centaines d’administrateurs représentant les salariés ou les employeurs, qui pilotent les missions de l’OPCO.

    Une négociation des conventions d’objectifs et de moyens (COM) avec l’État difficile et peu stratégique

    La convention d’objectifs et de moyens détermine, comme son nom l’indique, des cibles d’indicateurs ainsi qu’un ratio de financement de l’opérateur sur la collecte gérée. Elle constitue, avec l’agrément initial, l’instrument de contrôle de l’État sur ces opérateurs.

    Toutefois, la Cour relève que la négociation de la COM 2020-2022 entre l’État et AKTO a été complexe, avec un rendu partiel et sans analyse approfondie.

    Par ailleurs, la COM 2023-2025 présente peu de différences par rapport à la précédente, soulignant une certaine stagnation dans les objectifs et les moyens. En conséquence, la COM n’est pas de nature à permettre une meilleure maitrise budgétaire.

    Une organisation interne instable

    Évolution de la Direction Générale

    Jusqu’en janvier 2024, la direction générale comprenait plusieurs départements clés :

    • communication,
    • finance,
    • gestion administrative,
    • pilotage et animation du réseau,
    • développement et ingénierie,
    • systèmes d’information,
    • secrétariat général,
    • ressources humaines, et
    • audit.

    En 2023, la direction du contrôle, chargée du contrôle qualité des organismes de formation et du contrôle interne, a été supprimée suite au départ de la directrice en fin d’année 2022.

    Ce n’est qu’en septembre 2024 qu’une nouvelle directrice générale adjointe aux finances a pu être nommée, dans un contexte de réflexion sur le renforcement sur les activités de contrôle et de détection de la fraude8.

    Une mobilité des directeurs inquiétante

    AKTO a connu une forte mobilité des directeurs, avec des départs notables (DSI, directrice contrôle (précitée), DAF, directeur audit).

    « Les salariés rencontrés ont exprimé leur perplexité face à ces changements qui ne facilitent pas une bonne appropriation du sens et des missions qui leur sont confiées. »

    Une externalisation de fonctions stratégiques

    Autre spécificité d’AKTO, et ce, malgré plus de mille salariés, une très forte externalisation :

    La direction de la transformation, la direction des systèmes d’information et la direction financière ont été confiées à une même société prestataire, malgré la présence de nombreux cadres supérieurs susceptibles d’être recrutés en interne.

    L’OPCO dépense ainsi beaucoup en sous-traitance et en honoraires, en particulier dans les services informatiques :

    • 1,5 million d’euros par an en 2022 et 2023 pour la sous-traitance ;
    • 3,7 millions d’euros en 2022 et 2,3 millions d’euros en 2023, s’agissant des honoraires.

    Un agrément comme opérateur unique en outre-mer « pas satisfaisant »

    En outre-mer, le principe est celui de la mutualisation des moyens, un OPCO assurant pour les autres l’animation locale de la politique de formation professionnelle des salariés du privé (y compris les financements).

    Toutefois, la Cour relève qu’AKTO ne dispose pas du « référentiel entreprises » permettant de rattacher les entreprises locales à leur OPCO9, ce qui empêche ainsi AKTO de disposer des remboursements correspondants.

    Un pilotage des systèmes d’information défaillant

    L’absence de documents stratégiques fondamentaux

    Malgré ces nombreuses prestations auprès d’entreprises spécialisées, AKTO n’a formalisé aucun des éléments pourtant essentiels d’une conduite de projet informatique :

    • Le schéma directeur informatique (SDI),
    • Le plan de continuité et de reprise d’activité (PCA/PRA),
    • La charte informatique,
    • Une politique de sécurité des systèmes d’information (PSSI).

    Ces lacunes exposent l’opérateur à des risques significatifs en matière de sécurité des données et des systèmes.

    Un dérapage du budget consacré au système d’information

    Le budget consacré aux systèmes d’information a presque triplé par rapport à l’estimation initiale, atteignant 16 M€.

    Une évolution des ressources humaines qui n’est pas soutenable

    Une évolution des effectifs et des rémunérations incontrôlées

    De 2021 à 2024, les effectifs ont augmenté d’un quart, passant de 884 à 1 113 équivalents temps plein.

    Les effectifs de cadres ont même augmenté de moitié de 2022 à 2023.

    Des métiers essentiellement liés au conseil et une sur-proportion de femmes

    Les conseillers et gestionnaires représentent 60 % des salariés. Par ailleurs, l’ensemble des salariés de l’OPCO, 77 % sont des femmes10.

    Une forte progression des dépenses de rémunérations

    La masse salariale a progressé de plus de 16,6 millions d’euros, soit une augmentation de plus de 28 % en l’espace de trois ans (proche de l’évolution des effectifs), correspondant à une augmentation annuelle moyenne de près de 5,5 M€.

    Pour la Cour :

     « Cette dynamique n’est pas soutenable au regard des ressources de l’opérateur et suscite des interrogations (compte tenu des) difficultés malgré tout persistantes de l’opérateur dans la gestion administrative des dossiers ou le pilotage des marchés. »

    Toutefois, à la date du contrôle, l’opérateur envisageait toujours le recrutement de 120 nouveaux salariés. Ce qui, pour la Cour, est à « contre-courant » des tendances observées dans les autres OPCO, alors même que l’on constate une relative stabilisation du nombre de contrats d’apprentissage.

    Des rémunérations élevées, en particulier pour les cadres dirigeants

    En 2023, les dix plus hautes rémunérations de l’opérateur s’échelonnent de 113 618 € à 202 835 €, avec une moyenne de 135 252 €.

    La Cour note que la rémunération de la directrice générale a été augmentée successivement en 2022, 2023 et 2024. Ces augmentations ont été réalisées sans information préalable au conseil d’administration.

    Par ailleurs, AKTO ne respecte pas l’obligation de publier les rémunérations des trois plus hauts cadres dirigeants prévue par la loi du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l’engagement éducatif11.

    Des ruptures conventionnelles coûteuses et sans délégation de pouvoir du conseil d’administration

    16 ruptures conventionnelles ont été signées entre janvier 2020 et fin 2021, sans délégation nécessaire du conseil d’administration. La direction générale engageant donc des dépenses importantes et non autorisées.

    Le coût total des ruptures conventionnelles et des licenciements d’anciens directeurs généraux s’élève à plus de 1,2 million d’euros. Une rupture conventionnelle a ainsi porté sur un montant brut de 405 000 euros.

    Une politique sociale généreuse et parfois peu contrôlée

    Une politique sociale avantageuse

    AKTO s’assure la fidélisation de ses salariés à travers une politique sociale attractive : épargne salariale, protection sociale, accord d’intéressement, conditions de travail.

    À titre d’exemple, l’accord d’intéressement prévoit une enveloppe globale d’un million d’euros12, pouvant aller jusqu’à 1,2 million d’euros en fonction de l’atteinte des objectifs.

    En conséquence, le turn-over est relativement faible, même s’il est en hausse : de 6,4 % en 2020 à 18,4 % en 202313. L’ancienneté moyenne est de 9,25 ans.

    Un avantage en nature généralisé : la mise à disposition de véhicules de fonction

    AKTO dispose d’une importante flotte automobile, avec 345 véhicules de fonction.

    Autrement dit : un salarié sur trois dispose d’un véhicule de fonction. Cela représente évidemment un avantage en nature très significatif.

    La Cour invite l’Opco à gérer la flotte de véhicules de façon moins dispendieuse, compte tenu du doublement de la dépense en quatre ans.

    Une gestion des notes de frais peu scrupuleuse

    La Cour relève également une utilisation récurrente de cartes de paiement par certains salariés, notamment les directeurs régionaux et membres du comité de direction. Par ailleurs, la directrice générale a, à plusieurs reprises, effectué des dépenses personnelles avec ces cartes professionnelles (remboursées ensuite).

    Autre fait étrange : certains salariés disposent de telles cartes de frais pour des raisons « historiques » et qui ne tiennent pas à leurs fonctions actuelles.

    La Cour précise logiquement que cette pratique ne peut perdurer pour une multitude de raisons :

    • L’absence d’habilitation préalable du conseil d’administration,
    • Le rattachement à un nombre de bénéficiaires non déterminé,
    • L’absence de contrôle et la validation hiérarchique peu rigoureuse,
    • L’absence de barèmes et la substitution aux ordres de mission14,
    • Le non-respect des marchés publics.
    • Par ailleurs, la directrice des finances et le responsable du pôle fonctionnement disposent de droits en écriture qui devraient, à l’évidence, interdire la détention d’une telle carte.

    Ce caractère dispendieux se retrouve aussi dans les dépenses liées aux frais de déplacement, de réception et d’événementiel : avec 6,1 millions d’euros pour 2022 et 6,2 millions d’euros pour 2023.

    Des financements de l’OPCO : portés par l’apprentissage et les subventions de l’État

    Une montée en puissance de l’apprentissage

    Cette montée en puissance se révèle notamment dans les produits de formation de l’organisme :

    La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel transfère la gestion des contrats d’apprentissage des Régions aux nouveaux OPCO à compter du 1er janvier 2020.

    L’année 2020 a été particulièrement dense dans l’apprentissage, marquée par des aides à l’embauche de l’État en sortie de crise sanitaire.

    Des financements volontaires très faibles

    Les OPCO sont censés être un outil au service des branches professionnelles et des entreprises. Toutefois, force est de constater que la section budgétaire « Plan volontaire » est, ici encore, essentiellement constituée de subventions publiques : État, Régions, Union européenne.

    En 2020, les subventions représentaient 54 % du total des produits de la section budgétaire, 67 % en 2021. Cette dynamique est notamment portée par des conventions budgétaires signées avec l’État au titre du FNE-Formation :

    Une gestion financière problématique

    Une direction financière peu réactive et outillée

    La direction financière de l’OPCO est substantielle, puisque composée de 48 salariés, organisés en trois pôles : fonctionnement, formation et contrôle interne.

    Cependant, la Cour relève dans son contrôle « de réelles difficultés à obtenir rapidement des informations fiables ».

    Malgré l’importance des montants gérés et les dépenses en matière de systèmes d’informations, la direction financière de l’OPCO semble peu appropriée :

     « Les salariés recourent à des fichiers Excel pour la préparation et le suivi budgétaire, avec tous les risques d’erreurs et de fuites de données que cela implique. Le déploiement d’un système d’information financier est resté à l’état de réflexion, l’opérateur ayant voulu concentrer prioritairement ses efforts sur le système d’information global. »

    Des processus d’achats non maitrisés

    Le constat est similaire s’agissant des achats publics, puisque :

     « Près de cinq ans après la création de l’Opco, la structuration de la commande publique reste lacunaire. Il n’existe toujours pas, fin 2024, de stratégie d’achats et les préalables indispensables à celle-ci. »

    « AKTO n’apparaît pas davantage en capacité de mesurer l’efficience de cette activité (taux d’infructuosité non fiabilisé, mesure des économies générées, délais moyens de mise en œuvre des procédures, recensement des incidents).

    « Plus important, l’analyse de la balance des fournisseurs transmise par la direction financière montre que l’essentiel des dépenses de fonctionnement ne respecte pas les dispositions du code de la commande publique. »

    Un contrôle interne très en retard et encore non finalisé

    Le pôle contrôle interne est composé de six agents et d’un chef de pôle. Toutefois, ce n’est qu’au cours du premier trimestre 2024 (cinq ans après la création d’AKTO) que l’OPCO s’est doté d’une charte du contrôle interne.

    Une cartographie des risques est présentée comme devant être opérationnelle durant l’année 2025.

    À l’évidence, la Cour des comptes est donc peu timorée sur cette gestion très légère des fonds publics :

    « Alors que l’opérateur gère plus de deux milliards d’euros de crédits avec plus de 1 100 collaborateurs, ces carences dans le déploiement d’un plan de maîtrise des risques ne sont pas acceptables. »

    Une lutte contre la fraude extrêmement réduite

    Le gouvernement communique désormais sur l’impératif de la lutte contre les fraudes dans le secteur de l’apprentissage15. Pour autant, l’OPCO AKTO ne réalise que peu d’actions concrètes :

    En matière de lutte contre la fraude, l’essentiel des contrôles de l’OPCO AKTO porte sur l’identité des organismes, la fiabilité des informations fournies et le contrôle des coordonnées bancaires. Les véritables contrôles sont délégués à un tiers16.

    La Cour relève d’ailleurs que l’OPCO assume une « vision restrictive de son rôle (…) d’autant plus paradoxale que dans ses “conditions générales”, l’opérateur rappelle justement les contrôles qu’il est habilité à mettre en œuvre, ainsi que leurs modalités, d’une ampleur bien plus importante17. »

    Des délais d’engagement (et de paiement) des contrats d’apprentissage qui « révèlent d’importantes difficultés »

    En 2023, le délai moyen entre le dépôt et le début d’un contrat est de 108 jours, contre 48 jours pour la moyenne des opérateurs. Par ailleurs, cet indicateur se dégrade pour AKTO, alors qu’il continue de se réduire pour les autres opérateurs.

    1. Ce qui signifie que l’État n’exerce pas de « tutelle » directe sur ces organismes : nomination du dirigeant, droits de vote au conseil d’administration, avis sur le budget…
    2. Dans le code du travail, au Livre VI consacré à la formation professionnelle.
    3. Tableau 5 de l’Annexe IV de la Revue de l’inspection générale des finances des dépenses publiques d’apprentissage et de formation professionnelle de mars 2024. Les frais de gestion des autres dispositifs comme le plan de développement des compétences pour les petites entreprises ou le Fonds national pour l’emploi Formation (FNE-Formation) ne sont pas décomptés. Le montant total devrait donc se rapprocher 800 millions d’euros.
    4. https://www.opco2i.fr/les-opco-dressent-un-premier-bilan/
    5. Au titre du programme 155 de la mission Travail Emploi de la loi de finances pour 2025.
    6. Les OPCA, pour organisme paritaire collecteurs agréés, collectaient directement les fonds de la formation professionnelle (aujourd’hui, ce sont les URSSAF), mais sans la taxe d’apprentissage. Ils finançaient essentiellement les contrats de professionnalisation et les plans de formation des petites et moyennes entreprises (aujourd’hui, il est question de « plan de développement des compétences »).
    7. Les autres OPCO émanent le plus souvent de fédérations professionnelles, à l’exception de l’OPCO Entreprises de proximité, qui rassemble les deux autres organisations patronales interprofessionnelles : la CPME et l’U2P.
    8. Pour rappel, des centaines de millions d’euros de paiements transitent chaque mois par l’OPCO. Cette prise en compte tardive de la lutte contre la fraude interroge.
    9. Chaque OPCO acquitte de sa contribution unique pour le financement de la formation professionnelle auprès de l’URSSAF. Toutefois, ces paiements sont attachés à la convention collective appliquée par l’entreprise et chacune de ces conventions collectives est elle-même rattachée à un OPCO.
    10. Elles sont toutefois moins nombreuses dans les fonctions managériales (66 %) et supports (60 %).
    11. Obligation qui s’impose aux associations dont le budget annuel est supérieur à 150 000 € et qui reçoivent un
      montant de subventions supérieur à 50 000 €.
    12. Soit un montant brut moyen de 1 087 euros au titre de 2022.
    13. Ce qui peut être lié aux recrutements récents.
    14. La Cour note ainsi que deux salariés ont bénéficié, par notes de frais, de remboursement de leurs trajets domicile-travail. Certains membres du comité de direction se font rembourser des dépenses de taxi ou des nuits d’hôtel à Paris, alors qu’il s’agit de leur domicile professionnel.
    15. Communiqué de presse du 10 janvier 2025 de Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et Philippe Baptiste, ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
    16. Le groupement inter-entreprises D20F.
    17. Des contrôles de service fait, qui peuvent être approfondis et se réaliser sur place. Des contrôles de qualité, qui peuvent porter également sur l’ingénierie pédagogique, les tarifs… Or, la Cour note que ces contrôles : « qui ouvre(nt) potentiellement
      l’accès à des données nombreuses n’est pas développé. »
    Professeur devant un tableau d’équations
  • Les directions d’administration centrale

    Les directions d’administration centrale

    Temps de lecture : 15 minutes.

    L’organisation ministérielle

    Chaque ministère est organisé de manière hiérarchique avec :

    • Le cabinet du Ministre, composé d’une dizaine de collaborateurs directs, chargés de le conseiller et de préparer ses interventions, ainsi que du personnel administratif et technique (courriers, cuisine, résidence, transport…) ;
    • Les administrations centrales et les services à compétence nationale ;
    • Les services déconcentrés.

    L’ancien ministère de la Marine.

    Des prérogatives fixées dans le décret d’attribution du ministre

    Le décret d’attribution du ministre liste l’ensemble des directions d’administrations centrales placées sous son autorité, ainsi que celles dont il dispose, mais sans autorité1.

    Point important : disposer d’une administration centrale emporte également le contrôle et le pilotage des administrations déconcentrées correspondantes.

    Un indicateur de l’importance du ministre

    Dans le champ social, les ministres « forts » sont ainsi souvent dotés d’une autorité sur les directions :

    • De la sphère travail2 et de son réseau déconcentré (les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) et
    • Sur celles liées à la Sécurité sociale et aux solidarités3, ce qui permet d’avoir une autorité directe sur les caisses nationales de sécurité sociale et notamment : la Caisse nationale d’assurance maladie, la Caisse nationale des allocations familiales, la Caisse nationale de l’assurance vieillesse, le réseau des Urssaf.

    Pour le ministre de l’Intérieur, il est important d’avoir l’autorité directe sur la Direction générale des collectivités locales, etc.

    Pour les ministres de l’Économie et des Affaires étrangères, des conflits sont récurrents sur le pilotage de la politique économique internationale. À cet égard, Laurent Fabius avait, en avril 2014, pesé de tout son poids pour disposer d’une autorité sur la Direction générale du trésor4.

    Qu’est-ce qu’une administration centrale ?

    L’administration centrale désigne l’ensemble des services d’un ministère disposant de compétences nationales (hors gestion directe de dispositif) et directement rattachés au ministre.

    Elles sont le plus souvent installées en Ile-de-France, puisqu’elles sont chargées de mettre en œuvre la politique souhaitée par le ministre.

    Des missions ayant un caractère « national »

    L’alinéa 3 de l’article 2 du décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration dispose que :

    « Sont confiées aux administrations centrales et aux services à compétence nationale les seules missions qui présentent un caractère national ou dont l’exécution, en vertu de la loi, ne peut être déléguée à un échelon territorial. »

    L’alinéa 4 précise ensuite que :

    « Les autres missions, notamment celles qui intéressent les relations entre l’État et les collectivités territoriales, sont confiées aux services déconcentrés. »

    Cette compétence nationale et ce rattachement au ministre (ou au Premier ministre) exclut donc :

    • Les établissements publics, comme France travail5, dont la tutelle est exercée par une direction d’administration centrale ;
    • Les « agences », ce qui recouvre le plus souvent des organisations nationales indépendantes, souvent des AAI (autorités administratives indépendantes), mais également des API (autorités publiques indépendantes) ;
    • Les services déconcentrés, dont le ressort territorial ne couvre pas l’intégralité du territoire national.

    Des missions portant sur la supervision générale des politiques publiques

    L’article 3 du même décret dispose ainsi que :

    « Les administrations centrales assurent, au niveau national, un rôle de conception, d’animation, d’appui des services déconcentrés, d’orientation, d’évaluation et de contrôle6. »

    Ce recentrage sur l’animation des politiques nationales participe de la politique de déconcentration.

    Ce faisant, sont ici exclues les « services à compétences nationales », chargés de la gestion d’un dispositif public (par exemple : les « Archives nationales7 »).

    Un lien étroit avec le cabinet du Ministre

    De tels services se trouvent en général à Paris, à l’exception de quelques-uns d’entre eux. Cet héritage est historique, il est l’expression de la centralisation du pouvoir, mais il facilite également les échanges réguliers entre le ministre et son administration.

    En effet, les administrations centrales doivent mettre en œuvre les politiques du gouvernement :

    • D’un point de vue juridique, par la préparation des projets de loi, de décrets et arrêtés, ainsi que les différents documents d’accompagnement juridique de ces textes (instructions, circulaires, « questions réponses »…) ;
    • Au niveau budgétaire, en proposant un calibrage et un mode d’exécution budgétaire, puis en assurant leur exécution et leur contrôle ;
    • Au titre de l’animation, en s’assurant de la compréhension des dispositifs et de l’engagement des services de l’État et des partenaires pour réaliser les objectifs du gouvernement.

    Les réunions de travail ont bien changé.

    Un éloignement progressif des administrations centrales

    Les déménagements de nombreuses administrations centrales n’ont pas entrainé de déménagements des cabinets ministériels.

    Cet éloignement, conjugué à une importance croissante prise par les cabinets, a pu conduire à une certaine dilution des responsabilités. Certains conseillers s’ingérant dans le travail d’administration centrale et faisant écran entre le directeur de l’administration concernée et le ministre8.

    À noter : Emmanuel Macron, nouvellement élu en 2017, a souhaité rationaliser les cabinets ministériels en limitant strictement le nombre de conseillers par ministre9. L’objectif étant d’éviter les ingérences des conseillers ministériels sur le travail administratif.

    L’organisation d’une administration centrale

    La distinction entre les directions « métiers » et les directions « supports »

    Les directions « métiers »

    Les directions « métiers », souvent plus prestigieuses et historiques, sont responsables de politiques publiques.

    On y trouve par exemple, pour les plus importantes (s’agissant des administrations civiles) :

    • La direction générale du Trésor, chargée de concevoir et d’animer les politiques économiques et financières de la France, de gérer la dette et de représenter l’administration dans les organisations internationales ;
    • La direction du Budget, chargée de préparer le budget de l’État et d’en suivre son exécution ;
    • La direction générale des Finances publiques, en matière d’imposition et de recouvrement ;
    • La direction générale de l’administration et de la fonction publique, chargée de piloter la politique interministérielle et inter-fonction publique de ressources humaines ;
    • La direction générale des collectivités locales, chargée de rédiger la règlementation applicable aux collectivités locales (financements, droit de la fonction publique et des politiques publiques) ;
    • La direction générale de la sécurité intérieure, chargée de lutter contre le terrorisme et l’ingérence ;
    • La direction générale de l’armement, chargée de gérer les programmes d’équipement militaires, d’innovation et de défense technologique ;
    • La direction des affaires civiles et du Sceau, chargée de l’élaboration des règles applicables au droit civil et commercial et de la régulation des professions judiciaires et juridiques ;
    • La direction générale de l’énergie et du climat, pour la politique énergétique et la transition écologique ;
    • La direction générale des affaires politiques et de sécurité des affaires étrangères ;
    • La direction générale de la santé et la direction générale de l’offre de soins, pour élaborer les politiques publiques en matière de santé et l’organisation du système de santé ;
    • La direction de la Sécurité sociale pour piloter les missions et politiques de financement des différentes branches : vieillesse, santé, famille, autonomie, recouvrement ;
    • La direction générale du travail, pour organiser les rapports individuels et collectifs du travail ;
    • Ou encore la direction générale de l’enseignement scolaire pour la politique éducative.

    Une très grande diversité de directions « métiers »

    Les directions d’administration centrales « historiques sont le plus souvent organisées autour d’une thématique. Celle-ci peut être très technique ou, à l’inverse, transversale et embrasser alors un périmètre large nécessitant de nombreuses interventions interministérielles.

    La direction du budget dispose évidemment d’un positionnement unique, étant en interface avec l’ensemble des directions.

    Toutefois, d’autres directions sont également très « extraverties ». C’est notamment le cas de la direction de la Sécurité sociale, de la direction générale des collectivités locales ou plus encore de la direction générale de l’administration et de la fonction publique.

    Des difficultés à concilier des identités parfois très marquées

    Selon Jacques Chevallier :

    « L’administration centrale tend à se présenter, dans le cadre de chaque ministère, sous la forme d’une mosaïque de structures diversifiées, dotées d’une grande permanence, isolées les unes des autres et disposant chacune d’une logique propre de fonctionnement et de développement : de nombreux ministères, tels que celui de l’économie et des finances, mais aussi ceux de l’agriculture ou de l’éducation nationale, ont ainsi été constitués d’un assemblage de grandes directions anciennes, prestigieuses et très autonomes10. »

    Pour l’auteur, cet enracinement des administrations centrales n’est pas sans poser de difficultés, alimentant une forme de sclérose et d’incohérence.

    La multiplication des structures à l’occasion d’événements, plus ou moins conjoncturels, n’étant jamais remise en cause, ce qui peut aboutir à une bureaucratie incohérente et une inflation normative.

    Les « secrétariats généraux »

    Les directions dites « supports » sont désormais réunies en un « secrétariat général », ministériel ou interministériel (cas des affaires sociales).

    Inauguré au ministère des Affaires étrangères (1920), généralisé sous Vichy, avant de disparaître dans les années 70.

    Les secrétariats généraux perdureront toutefois dans les ministères des Armées et des Affaires étrangères, pour faire de nouveau l’objet d’une généralisation en 201411.

    Ces secrétariats généraux comportent en général :

    • Une direction des affaires financières (DAF) ;
    • Une direction des affaires juridiques (DAJ) ;
    • Une direction des ressources humaines (DRH) ;
    • Une direction chargée de la communication ;
    • Une direction chargée du pilotage des systèmes d’informations (DSI).

    À noter : les directions d’animation interministérielles ne sont pas des directions « support », mais bien des directions « métiers ».

    On y retrouve, par exemple, la direction générale de l’administration et de la fonction publique précitée, mais aussi la direction de l’immobilier de l’État, la direction des achats de l’État, la direction interministérielle du numérique.

    Une structuration hiérarchique quasi immuable

    Le décret n° 87-389 du 15 juin 1987 relatif à l’organisation des services d’administration centrale fixe les quelques dispositions applicables.

    Une organisation des directions générales fixée par décret et arrêtés

    Les missions de la direction générale et son organisation globale sont fixées par décret12, le plus souvent pris en Conseil d’État et en conseil des ministres.

    S’agissant de l’organisation des pouvoirs publics, l’accord du Premier ministre est évidemment essentiel.

    Toutefois, l’organisation en sous-direction et bureau dépend d’un arrêté, à la main complète du ministre, au titre de l’organisation de ses services13.

    L’organigramme de la DGCL est bien structuré et permet d’identifier les sous-directions et bureaux. ll n’y a pas de chefs de service toutefois, mais un directeur adjoint.

    Le personnel d’administration centrale

    Le décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l’État précise les règles applicables à la sélection, aux nominations et aux évaluations de ces agents.

    Concrètement :

    • Le directeur général (ou délégué général) a autorité sur l’ensemble des agents de la direction (ou délégation) ;
    • Le chef de service a une autorité directe sur les sous-directeurs ;
    • Le sous-directeur a une autorité directe sur les chefs de bureau (il est parfois question de mission) ;
    • Les chefs de bureau (ou mission) sur leur(s) adjoint(s) et agents.

    La fonction de chef de service est ancienne. Voici par exemple : M. Lesueur. Chef de service au ministère de l’Intérieur dans les années 20.

    L’unité première de l’administration centrale est donc constituée du bureau (ou de la mission).

    Un contingentement du nombre de cadres dirigeants longtemps prévu par la loi

    Jusqu’au décret précité du 15 juin 1987, le nombre de cadres dirigeants étaient fixés dans la loi.

    En effet, l’alinéa 2 de l’article 35 de la loi de finances du 13 avril 190014 portant fixation du budget général des dépenses et recettes de l’exercice 1900 disposait que :

    « Le nombre des emplois de chefs de service de chaque catégorie, savoir : directeurs généraux ou secrétaires généraux, chefs de division ou chefs de service, sous-directeurs, chefs de bureau, ne pourra être augmenté que par une loi. »

    Désormais, les nominations ne sont plus encadrées par la loi, mais par le pouvoir règlementaire.

    Cette perte de contrôle du Parlement a impliqué une hausse assez importante du nombre d’encadrants supérieurs. C’est le cas notamment de la Direction générale de l’économie.

    Une nomination des directeurs par décret du président de la République délibéré en Conseil des ministres

    Les directions d’administrations centrales sont dirigées par des directeurs nommés en conseil des ministres par le président de la République.

    Cet emploi est donc particulièrement sensible politiquement et est l’un des plus élevés de l’administration15.

    Cependant, étant nommés par le président de la République, les directeurs bénéficient d’une certaine stabilité de l’emploi16.

    Une nomination des chefs de services et sous directeurs par arrêté ministériel

    La nomination des sous-directeurs et des chefs de services est réalisée par arrêté conjoint du Premier ministre et du ministre dont relève l’emploi, conformément à l’article 22 du décret n° 2019-1954 du 31 décembre 2019 précité.

    La nomination est prononcée pour une durée maximale de trois an. Cette nomination peut être renouvelée, pour une durée totale d’occupation de six ans maximum (article 12 du même décret).

    À la première nomination, une période probatoire qui ne peut excéder six mois est prévue (article 13 du même décret).

    Il peut être mis fin aux missions des sous-directeurs et des chefs de services à tout moment pour nécessité de service, mais cette décision doit alors être motivée (article 16 du même décret).

    Résumé des principales directions d’administration centrale et de leur rattachement ministériel17 :

    Premier ministre :

    Le secrétariat général du gouvernement (SGG) ;

    • Le secrétariat général du gouvernement (SGG) ;
    • Le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) ;
    • Le Secrétariat général des Affaires européennes (SGAE) ;
    • La Direction interministérielle de la transformation publique ;
    • Le Service d’information du Gouvernement (SIG) ;
    • La Direction de l’information légale et administrative (DILA) ;
    • Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (France stratégie).

    Ministre de l’Intérieur

    • La direction générale de la police nationale (DGPN) ;
    • La direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ;
    • La direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) ;
    • La direction générale des étrangers en France (DGEF) ;
    • La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) ;
    • La délégation à la sécurité routière.

    Ministère de l’Économie et des finances

    • La direction générale du Trésor (DGTrésor) ;
    • La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ;
    • La direction générale de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ;
    • Le service à compétence nationale dénommé « Agence des participations de l’État » (APE) ;
    • La direction générale des entreprises (DGE) ;
    • Le délégué interministériel aux restructurations d’entreprises ;
    • Le médiateur des entreprises ;
    • La direction générale des Finances publiques (DGFiP) ;
    • La direction du budget (DB) ;
    • La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) ;
    • La direction des achats de l’État (DAE) ;
    • Les services de contrôle budgétaire et comptable ministériel (SCBCM) ;
    • Les services à compétence nationale dénommés « TRACFIN », « Agence pour l’informatique financière de l’État » et « centre interministériel de services informatiques relatifs aux ressources humaines » (CISIRH) ;
    • La direction de l’immobilier de l’État (DIE) ;
    • La délégation nationale à la lutte contre la fraude (DLNF) ;
    • L’agence française anticorruption (AFC).

    ministre de la fonction publique

    • La direction interministérielle de la transformation publique (DITP) ;
    • La direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP).

    ministre de l’Agriculture et de l’alimentation

    • La direction générale de l’alimentation (DGAL) ;
    • La direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER)
    • La direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) ;
    • La direction des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPMA).

    ministre de la Culture

    • La direction générale des patrimoines (DGP) ;
    • La direction générale de la création artistique (DGCA) ;
    • La direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) ;
    • La délégation à la langue française et aux langues de France.

    ministre de la Transition écologique

    • La Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) ;
    • La Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) ;
    • La Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) ;
    • La Direction générale de la prévention des risques (DGPR) ;
    • La Direction générale de l’aviation civile (DGAC).

    ministre de l’Éducation nationale

    • La direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO).

    ministre de l’Enseignement supérieur

    • La direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESUP) ;
    • La direction générale de la recherche et de l’innovation.

    ministre de la Justice

    • La direction des services judiciaires ;
    • La direction des affaires civiles et du sceau (DACS) ;
    • La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) ;
    • La direction de l’administration pénitentiaire (DAP) ;
    • La direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ).

    ministre des Solidarités et de la santé

    • La direction générale de la santé (DGS) ;
    • La direction générale de l’offre de soins (DGOS) ;
    • La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) ;
    • La direction de la Sécurité sociale (DSS) ;
    • La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) ;
    • La mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives.

    ministre des Sports

    • La direction des sports ;
    • La délégation interministérielle aux grands événements sportifs.

    ministre du Travail

    • La direction générale du travail (DGT) ;
    • La délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) ;
    • La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES).

    ministre des Armées

    • De l’état-major des armées ;
    • Des organismes militaires et des services interarmées rattachés au chef d’état-major des armées ;
    • Des états-majors de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air ;
    • De la direction générale de l’armement (DGA) ;
    • La direction générale des relations internationales et de la stratégie ;
    • La direction générale du numérique et des systèmes d’information et de communication ;
    • La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ;
    • La délégation à l’information et à la communication de la défense ;
    • La direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) ;
    • La direction centrale du service de santé des armées ;
    • La direction de la protection des installations, moyens et activités de la défense ;
    • Le contrôle général des armées.

    ministre de l’Outre-mer

    • La direction générale des outre-mer.

    ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités (si ministère autonome)

    • La direction générale des collectivités locales.

    ministre des Affaires étrangères

    • La direction générale des affaires politiques et de sécurité (DGAPS) ;
    • La direction de l’Union européenne (DUE) ;
    • La direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international (DGMCEDI) ;
    • La direction générale de l’administration et de la modernisation (DGAM) ;
    • La direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire.

    1. Le ministre chargé de l’Industrie peut par exemple avoir autorité sur la direction générale de l’Economie, et peut disposer de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle s’agissant des dispositifs de formation dans le champ de l’Industrie.
    2. Autrement dit, essentiellement : la direction générale du travail et la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.
    3. La direction de la sécurité sociale et la direction générale de la cohésion sociale, essentiellement.
    4. Voir l’article 2 du décret d’attribution. Et pour une analyse, sur ce sujet et plus largement la politique étrangère de François Hollande, l’article de Christian Lequesne. La politique extérieure de François Hollande : entre interventionnisme libéral etnécessité européenne. 2014. hal-03460278
    5. On peut toutefois imaginer l’importance de ces établissements publics dans la conduite des politiques ministérielles, certains d’entre eux représentant même la quasi-intégralité des crédits budgétaires d’un programme budgétaire.
    6. Ces dispositions ont donc ajouté la notion « d’appui aux services déconcentrés » qui n’existait pas dans la rédaction originelle de l’article 2 du décret n°92-604 du 1 juillet 1992 portant charte de la déconcentration.
    7. Les Archives nationales ont pour mission de « collecter, classer, inventorier, conserver, restaurer, communiquer et mettre en valeur les archives publiques ».
    8. Pour une affaire récente, voir la démission du directeur de l’administration pénitentiaire en 2017 :
      https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/04/02/le-directeur-de-l-administration-penitentiaire-claque-la-porte_5104724_1653578.html
    9. Un premier décret n° 2017-1063 du 18 mai 2017 relatif aux cabinets ministériels a été publié, moins de deux semaines après la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle. L’actuel décret n° 2024-892 du 23 septembre 2024 reprend ce principe en limitant les cabinets d’un ministre à quinze membres, dix membres pour un ministre délégué et sept membres pour un secrétaire d’Etat.
    10. Jacques Chevallier, « La reconfiguration de l’administration centrale », Revue française d’administration publique 2005/4 (no116), p. 715-725.
    11. Décret n° 2014-834 du 24 juillet 2014 relatif aux secrétaires généraux des ministères
    12. Article 2 du décret du 5 juin 1987 précité.
    13. CE, Jamart, 7 février 1936.
    14. Rétablies par la loi n°45-01 du 24 novembre 1945 relative aux attributions des ministres du Gouvernement provisoire de la République et à l’organisation des ministères
    15. Assez logiquement classé au premier niveau de l’arrêté du 23 novembre 2022 relatif à la répartition par niveaux des emplois relevant du décret n2022-1453 du 23 novembre 2022 relatif aux conditions de classement, d’avancement et de rémunération applicables à certains emplois supérieurs de la fonction publique de l’Etat.
    16. Jean-Denis Combrexelle a ainsi été directeur général du travail pendant treize ans de 2001 à 2014.
    17. Hors secrétariats généraux et inspections générales. Les périmètres proposés sont évidemment changeants et dépendent, comme énoncé plus haut, des décrets d’attribution des ministres.
  • Les lieux d’implantation des administrations centrales

    Les lieux d’implantation des administrations centrales

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    Une implantation le plus souvent en Ile-de-France

    Une raison historique

    Au début de la IIIe République, comme on l’a vu avec le ministère du Travail, les services centraux des ministères étaient situés directement auprès du ministre, dans les « Palais de la République »1.

    Certains demeurent encore dans cette situation :

    • C’est le cas pour de nombreuses administrations centrales du ministère de l’Intérieur, place Beauvau ;
    • C’est aussi le cas pour d’importantes directions des ministères économiques et financiers (à « Bercy ») ;
    • Ou pour le ministère de la Santé et des solidarités (avenue Duquesne).

    Place Beauvau. Carte postale mise à disposition en ligne par la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris.

    Toutefois, la majorité des administrations centrales sont aujourd’hui à l’écart de leurs cabinets ministériels de tutelle et un mouvement de délocalisations a été engagé depuis le début des années 2000.

    Une tendance à la délocalisation des administrations centrales

    Dans une dynamique assez régulière (la plus récente étant celle de CAP 2022), des déménagements d’administrations centrales en dehors de Paris sont organisés.

    Ces déménagements poursuivent trois objectifs :

    • Rapprocher ces grandes administrations des français,
    • Permettre davantage de mobilités aux agents publics en dehors de Paris,
    • Rationaliser les implantations immobilières (et économiser des deniers publics).

    Des délocalisations qui demeurent souvent aux bordures de Paris…

    Ce mouvement implique également des déménagements réguliers… en bordure de Paris2.

    Les cas les plus emblématiques concernent évidemment le ministère des Armées, à Balard (Paris XV). C’est aussi le cas pour le ministère de la Justice (Paris XIX). Deux implantations situées au bord du périphérique.

    De grands opérateurs comme Pôle emploi (désormais France travail) ou la Caisse nationale d’assurance maladie ont pris ce même chemin : le premier près des Lilas, la seconde, près de Montreuil. Dans les deux cas, au bord du périphérique et en conservant une adresse parisienne.

    Lorsque des déménagements de directions d’administration centrale importantes sont effectués en dehors de Paris, le choix d’implantation est souvent la petite couronne francilienne.

    Tel est le cas, par exemple, de la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) à Montreuil ou encore de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), à Levallois-Perret.

    Le cas des administrations centrales en province

    Lorsque les administrations centrales sont en dehors de l’Ile-de-France, il s’agit le plus souvent de démembrements d’administration :

    • Le service central d’état civil du ministère des Affaires étrangères est à Nantes ;
    • Des services de la direction générale des Finances publiques sont à Béthune et à Lens, d’autres déménagements sont encore prévus, notamment à Lille ;
    • De même pour l’État-major des armées avec plusieurs lieux d’implantation en France.

    En 2022, 3 907 emplois en administration centrale étaient ainsi exercés en dehors de Paris, selon la Direction interministérielle de la transformation publique. L’objectif étant de quasiment doubler ce nombre d’ici à 2027.

    1. Ce qui rejoint le point précédent sur la concentration de ces administrations en Ile-de-France.
    2. On se retrouve ici, typiquement, dans des programmes de rationalisation budgétaire et organisationnelle.
  • Comment est financée la sécurité sociale ?

    Comment est financée la sécurité sociale ?

    Temps de lecture : 10 minutes.

    Petite lecture du rapport de la Cour des comptes d’octobre 2022 sur le financement de la sécurité sociale, à travers le : « Chapitre II : dès règles à clarifier et à stabiliser. »

    Un billet assez technique, mais qui permet de brosser à grands traits les principaux financements de la sécurité sociale, leur diversité, les évolutions à l’œuvre et les questions pourtant fondamentales que ces techniques de financement impliquent vis-à-vis des prestations servies.

    La sécurité sociale est historiquement financée par des cotisations

    À leur création, en 1945, les régimes de sécurité sociale, organisés par statut professionnel ou par profession, versaient, aux actifs, aux anciens actifs retraités ou invalides et à leurs ayants droit, des prestations en contrepartie de cotisations prélevées sur les revenus du travail.

    L’histoire de la sécurité sociale est en effet indissociable de l’histoire du droit du travail, donc des cotisations versées par les employeurs et les salariés.

    Toutefois, cinq évolutions majeures ont bouleversé cette architecture financière

    Ces cinq évolutions majeures sont intervenues au cours du temps, mais se sont accélérées depuis le début des années 2000 :

    1. Une partie des prestations (remboursements de frais de santé et prestations familiales en premier lieu) a été généralisée à l’ensemble de la population, acquérant ainsi un caractère universel sans lien avec l’activité professionnelle et ses revenus ;
    2. Des droits de retraite, dits non contributifs, ont été accordés sans la contrepartie de cotisations ;
    3. L’impôt, sous des formes diverses (contribution sociale généralisée – CSG, autres impôts et taxes affectés), a pris une place croissante dans les recettes de la sécurité sociale afin d’alléger le coût du travail peu qualifié, d’améliorer la compétitivité des entreprises et de donner du pouvoir d’achat à certains salariés ;
    4. De nombreux régimes spéciaux ont été absorbés par le régime général des salariés (se faisant, le régime général s’est aussi considérablement complexifié) ;
    5. Les missions de la sécurité sociale ont été étendues au risque de dépendance.

    Pour la Cour des comptes, ces transformations de grande ampleur se sont accompagnées d’une complexification et d’une instabilité croissantes des circuits de financement. Les comptes de la sécurité sociale (567 milliards d’euros de charges nettes en 2021, soit 24,6% du produit intérieur brut français) ont perdu, de ce fait, en clarté et en cohérence (I).

    En conséquence, la Cour appelle à une prise en compte plus affirmée des notions de contributivité, d’assurance et d’universalité permettrait d’améliorer la lisibilité et le 

    pilotage financier de la sécurité sociale (II).

    S’agissant de la perte de cohérence de l’architecture financière (I) :

    En résumé, la Cour note les éléments suivants :

    • Une chute de la part des cotisations (266,1 Md€ en 2021) dans les recettes (produits nets) des régimes de base de la sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) : de 90% des produits à la fin 1980 à 50% en 2021 ;
    • En contrepartie d’une augmentation forte des impôts (207,6 Md€ en 2021) avec en premier lieu la CSG (19,7% des recettes en 2021), la TVA (8,2%) et d’autres impôts et taxes affectées (10,3%) ;
    • Enfin, il convient aussi d’intégrer la contribution d’équilibre de l’État au régime des pensions des fonctionnaires (contribution au titre du Compte d’affectation spéciale pour les Pensions), assimilée1 à des cotisations employeur (7,8 %).

    Cette volonté de réduire la part des cotisations vise à répondre à trois enjeux des pouvoirs publics :

    1. Alléger le coût du travail faiblement qualifié, pour favoriser l’emploi ;
    2. Améliorer la compétitivité des entreprises ;
    3. Augmenter le salaire net des actifs pour améliorer le pouvoir d’achat.

    Des taux réduits de cotisations s’appliquent jusqu’à 2,5 Smic pour les cotisations maladie et jusqu’à 3,5 Smic pour les cotisations famille (celles-ci étant exclusivement patronales). 

    À ces allègements généraux, estimés par le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) de juillet 2022 à 55 Md€ en 2021 pour les régimes de base de sécurité sociale, s’ajoutent des allègements ciblés de cotisations en faveur de certains publics (apprentis, jeunes en difficulté d’insertion…), territoires (outre-mer, zones franches urbaines et de

    revitalisation territoriale, Corse) ou secteurs d’activité (aides à domicile), pour 6,6 Md€ en 2021 au titre de ces mêmes régimes (hors mesures d’urgence liées à la crise sanitaire).

    Les allègements représentent au total de l’ordre de 20 % de l’assiette des cotisations.

    Lorsque l’on analyse la situation de nos voisins, on ne peut que constater la singularité française qui opère une forme de changement de paradigmes en rejoignant les pays du sud de l’Europe (Italie, Espagne, Portugal et Grèce) dans un mix de financement à moitié contributif et à moitié fiscal2.

    Au bout du chemin se trouve les modèles britannique, irlandais et nordiques avec une part contributive proche de 38% des recettes :

    Extrait du rapport de la Cour des comptes d’octobre 2022 sur le financement de la sécurité sociale, Chapitre II.

    Toutefois, le modèle de financement au sein des branches est également très hétérogène, avec un caractère contributif encore très marqué pour l’AT-MP et dans une moindre mesure pour la branche famille et, à l’inverse, une branche maladie et (de manière archétypale pour ce dernier exemple) une branche autonomie essentiellement financées par transferts.

    Extrait du rapport de la Cour des comptes d’octobre 2022 sur le financement de la sécurité sociale, Chapitre II.

    Concernant la branche maladie (77,3 Md€ de cotisations en 2021)

    La création de la couverture maladie universelle de base (CMU-B) en 1999, puis celle de la protection universelle maladie (Puma) en 2016 ont conduit à l’universalisation de la prise en charge des frais de santé, à des niveaux identiques pour tous les régimes, à quelques exceptions près (une dizaine de régimes professionnels, dont les principaux, les mines et la SNCF, devraient fermer). En conséquence, seules les prestations en espèces (indemnités journalières maladie et maternité, pensions d’invalidité), qui se sont élevées à 21,7 Md€ en 2021, conservent un caractère contributif.

    La persistance d’un financement par cotisations allant au-delà de la contrepartie de ces prestations peut être considérée comme une incohérence. Sauf à considérer que la branche concourt à la santé des actifs, auquel cas, la part de financements peut sembler proportionnée.

    Concernant la branche famille

    La Cour relève un poids des cotisations très élevé (qui tient probablement à l’héritage des « sur-salaires » versés aux travailleurs avec enfants préalablement à 1945), alors que les prestations versées sont quasi-exclusivement non-contributives (à l’exception de la PreParE3.

    Pour la branche vieillesse

    A rebours des cas précédents, les prestations sont ici essentiellement contributives. Toutefois, la part des cotisations apparaît au contraire relativement faible (54,8 % en 2021) pour l’ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (et 64,9 % pour le régime général).

    Ce faible volume de cotisation traduit notamment la compensation de la réduction générale de cotisations par l’affectation d’impôts et de taxes (8,4 % des recettes) et certaines particularités du financement de cette branche comme la contribution de l’État employeur au régime de retraite des fonctionnaires (16 %), les subventions d’équilibre de l’État aux régimes spéciaux de retraite de la SNCF, de la RATP, des mines et des marins (2,9 %) et les transferts reçus de la branche famille et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) en vue du financement de droits et de prestations de retraite à caractère non contributif (11,1 %).

    Extrait du rapport de la Cour des comptes d’octobre 2022 sur le financement de la sécurité sociale, Chapitre II.

     En particulier, les droits familiaux de retraite ont deux financeurs :

    1. Les régimes de retraites financent les majorations de durées d’assurance pour enfant ;
    2. Tandis que l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) et les majorations de pensions pour trois enfants sont financées par la branche famille (sauf exceptions).

    Cette diversité de situations affaiblit la justification d’un financement d’une partie des majorations par la branche famille, majorations ayant un caractère universel. 

    Par ailleurs, l’ensemble des financements que la branche famille prend en charge au titre des droits non contributifs de retraite représente désormais près d’un cinquième de ses dépenses. Ces financements sont par ailleurs significativement supérieurs aux prestations financées et contribuent donc à réduire le déficit de la branche du fait des populations concernées (les générations parties à la retraite ont moins contribué à l’AVPF que les générations actuelles).

    Par ailleurs la composition des transferts de l’Etat aux branches est également complexe et mouvante, avec pas moins de 40 impôts et taxes recensées dans la LFSS pour 2022.

    Les propositions de la Cour (II)

    La Cour énumère plusieurs propositions afin d’améliorer la lisibilité et le pilotage des comptes sociaux :

    1. Réexaminer les affectations d’impôts à la sécurité sociale en fonction de leurs finalités : la Cour cible en particulier des taxes à faible rendement (taxe sur les véhicules de société, prélèvement sur les jeux et paris en ligne, etc.4), la contribution sociale de solidarité des sociétés, mais également la taxe sur les salaires qui est marquée par l’instabilité de sa répartition entre branches ;
    2. Rationaliser les transferts internes à la sécurité sociale :
      1. en prévoyant notamment la création de sections comptables distinctes s’agissant du financement des droits et prestations à caractère non contributif de retraite, avec une section dédiée aux contributions ayant une contrepartie contributives et une section dédiée aux recettes fiscales actuellement affectées au Fonds de solidarité vieillesse au titre du minimum vieillesse et à la branche famille pour l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), des périodes assimilées et de majorations de pensions pour trois enfants et plus. En dépenses, elle accueillerait les prestations non contributives du minimum vieillesse et l’estimation du coût actuel des droits non contributifs qu’elle prendrait en charge au titre de l’année écoulée.
    Extrait du rapport de la Cour des comptes d’octobre 2022 sur le financement de la sécurité sociale, Chapitre II.
    1. La Cour préconise également le regroupement au sein d’une même branche du financement des indemnités maternité et paternité, aujourd’hui assuré par les branches maladie et famille5.La Cour propose que la branche famille soit désignée au motif que les indemnités journalières maternité et paternité ont une destination familiale et que, n’ayant pas vocation à être régulées, elles ne sont pas comprises dans l’Ondam, contrairement aux indemnités maladie et AT-MP. Une autre option serait de faire supporter leur financement entièrement par la branche maladie, les CPAM assurant leur liquidation et leur paiement, ce qui conduirait à mettre fin au transfert de la branche famille à la branche maladie au titre du congé paternité6.
    2. Accorder les financements des branches au degré d’universalisation de leurs prestations :
      1. A cet égard et pour la Cour, la priorité doit être donnée à la refonte des financements de la branche famille puisque les cotisations sociales patronales y prennent une place prépondérante alors que les avantages retirées par les entreprises et leurs salariés sont faibles. En effet, l’essentiel des prestations services par les CAF sont universelles (comme pour les allocations familiales) ou, inversement, à destination des publics les plus précaires (par exemple, l’allocation de rentrée scolaire). Si les cotisations patronales étaient ramenées à hauteur des dépenses destinées à aider les familles à concilier vie personnelle et vie professionnelle (dépenses au titre de l’accueil individuel et collectif du jeune enfant), la branche famille connaîtrait une baisse importante de ses recettes.
      2. Pour leur part, les cotisations qui cesseraient d’être affectées à la branche famille pourraient être réattribuées soit à la branche vieillesse, en renforçant ainsi la part des cotisations dans son financement, aujourd’hui faible (voir supra), soit au financement des prestations en espèces de la branche maladie (indemnités journalières maladie et pensions d’invalidité). Le financement de ces dernières prestations est aujourd’hui assuré de manière indistincte par des cotisations patronales, de la CSG et d’autres impôts, alors qu’il s’agit de prestations à caractère contributif dont les dépenses appellent un effort accru de régulation.
    3. Redéfinir les conditions du pilotage financier des branches selon la nature de leurs prestations :
      1. La Cour préconise de regrouper au sein d’une même branche les prestations en espèces versées par l’assurance maladie au titre des risques maladie et AT-MP (assurance accidents du travail et maladies professionnelles), du fait du besoin de pilotage de la dépense et de la forte similarité dans certains secteurs d’activité entre les deux arrêts de travail. Ici encore, la Cour préconise l’existence de deux sections comptables.
      2. Différencier les règles d’affectation des recettes et d’équilibre financier selon la nature des branches de prestations : pour les branches contributives (retraites) ou à vocation assurantielle (prestations en espèces), un strict équilibre des soldes se justifie par l’objectif d’équité intergénérationnelle entre les bénéficiaires, avec un horizon temporel de moyen terme. En conséquence, ces branches seraient étanches, aussi bien dans les recettes que dans les dépenses. Pour les branches à caractère universel (maladie, famille, autonomie), les objectifs de dépenses par branche adoptés par le Parlement dans les lois de financement auraient vocation à être assortis, comme c’est déjà le cas pour la part de ces dépenses relevant de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), de mécanismes destinés à en renforcer le suivi infra-annuel afin d’en garantir le respect. Par ailleurs, la Cour préconise également de verser les recettes fiscales à l’ACOSS, charge à l’agence de verser ensuite ces ressources proportionnellement aux soldes à financer des objectifs de dépenses fixés aux branches universelles pour l’année à venir et les trois années suivantes.
    Extrait du rapport de la Cour des comptes d’octobre 2022 sur le financement de la sécurité sociale, Chapitre II.
    1. Non sans quelques contestations juridiques, statistiques, budgétaires et économiques. ↩︎
    2. Cela n’est pas sans incidence sur les prestations suivies, le système assurantiel est généralement plus généreux que le système public d’assistance. ↩︎
    3. Et encore, celle-ci est versée de manière forfaitaire. ↩︎
    4. La Cour cite par exemple une redevance sur les licences UMTS (Universal Mobile Télécommunications System), autrement dit la téléphonie mobile, dont le rendement n’est que de 13 M€. ↩︎
    5. En précisant que la loi de financement de la sécurité sociale a réalisé depuis un transfert de charges de près de 2 milliards d’euros de la branche maladie vers la branche famille afin de prendre en charge une partie des indemnités journalières pour congé maternité versée par la branche maladie. ↩︎
    6. La spécificité tient tout de même au fait que le congé de maternité n’a pas qu’une destination familiale, il vise également à prévenir les complications post-accouchements pour les mères. ↩︎
  • Histoire de l’administration centrale du ministère du travail et de la prévoyance

    Histoire de l’administration centrale du ministère du travail et de la prévoyance

    Temps de lecture : 10 minutes.

    La cité ministérielle place Fontenoy est injustement méconnue, comparativement aux implantations du ministère de l’intérieur place Beauvau ou plus encore des ministères économiques et financiers rue de Bercy.

    Un petit billet pour retracer son histoire, articulé à un grand projet de cité interministérielle en plein cœur de Paris.

    1- L’origine de la création du ministère du travail et de la prévoyance sociale

    Avant de parler de ses bâtiments, il convient de rappeler le fait générateur de la création du ministère du travail, à savoir pour l’époque la plus grande catastrophe minière de l’histoire, donnant évidemment lieu à d’intenses revendications et affrontements au Parlement et parmi les ouvriers et en particulier les mineurs du nord de la France.

    Les suites de l’une des plus grandes catastrophes minières de l’histoire

    Georges Clémenceau est à l’origine de la création du ministère du travail par un décret signé le 25 octobre 1906, date de sa prise de fonction en qualité de président du Conseil.

    Cette création s’inscrit donc dans un contexte particulier, puisqu’elle fait suite au terrible accident de la mine de Courrières le 10 mars 1906, tuant plus de 1 100 mineurs à l’occasion d’un « coup de grisou ». Cet accident, qui demeure l’un des plus meurtrier de l’histoire des mines (et qui demeure le plus meurtrier d’Europe), marque durablement la région : des centaines de mineurs étant ensevelis vivants, sans pouvoir être dégagés à temps par les secouristes. 

    Rapidement, la négligence de la compagnie est soulignée, des alertes répétées des mineurs ayant été formulées à la direction. Pour autant, l’entreprise comme le gouvernement appellent à reprendre le travail pour maintenir la production.

    Spontanément, les 50 000 mineurs de la région se déclarent en grève et paralysent la production de houille. Par ailleurs, des ouvriers s’activent pour maintenir les recherches de survivants, et près de trois semaines plus tard, treize mineurs sont sauvés.

    Malgré les deux mois de grève faisant suite aux 1 100 tués lors de la catastrophes, les 562 veuves, 1 133 orphelins et l’ensemble des familles d’ouvriers de la région se retrouvent finalement contraints de reprendre le travail, sans un seul acquis social (si ce n’est quelques augmentations de salaires). Clémenceau, ministre de l’Intérieur à compter du 14 mars de la même année (4 jours après la catastrophe) s’est d’abord singularisé par sa grande brutalité dans la gestion de la catastrophe, engageant l’armée pour briser les grèves.

    Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

    Et si cela vous intéresse : Catastrophe de Courrières — Wikipédia (wikipedia.org)

    Une fois président du Conseil, sa décision de donner à l’administration du travail le rang d’un ministère de plein-exercice prend donc une dimension fortement symbolique, sans pour autant induire de véritables réformes pour les ouvriers.

    2- Le décret du 25 octobre 1906 créant le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale

    Le nouveau ministère est formé par le transfert de services des ministères du Commerce et de l’Industrie (service du travail et service de l’assurance et de la prévoyance sociale), de l’Intérieur et des Travaux publics (service de la mutualité et service de l’assistance et de l’hygiène publiques).

    Le rattachement de trois directions ministérielles

    Ce nouveau ministère comporte donc trois directions (décret du 20 juillet 1907) :

    • La direction du travail1, avec le bureau de l’office du travail, le bureau de l’inspection du travail et le bureau des associations professionnelles et des conseils de prud’hommes ;
    • La direction de l’assurance et de la prévoyance sociales2 avec le bureau des retraites et des assurances, le bureau de l’épargne et le bureau de l’habitation à bon marché et du crédit mutuel ;
    • La direction de la mutualité3 avec le bureau de l’administration générale des sociétés et le bureau de la statistique et des pensions.

    Afin d’équilibrer le poids entre les différentes directions ministérielles, l’enseignement technique demeure attaché au ministre du Commerce, ce qui n’est pas sans susciter des interrogations au regard de ses liens indissociables avec la politique du travail. 

    D’un point de vue purement administratif, cette réorganisation ne constitue pas nécessairement une réussite, d’autant qu’elle s’effectue à budget constant avec un simple redéploiement des personnels. 

    Une imbrication dès l’origine très forte entre le ministère du Travail et la Prévoyance sociale (future sécurité sociale)

    Concomitamment à la création de ce ministère, il convient en effet de mentionner le grand projet en discussion au Parlement : à savoir le projet de loi sur les retraites ouvrières et paysannes, adopté par la Chambre en février 1906 (la loi a été présentée par Paul Guieysse en 1901), mais qui ne sera définitivement adopté par le Sénat qu’en avril 1910.

    Faisant suite à cette adoption, une quatrième direction dédiée aux retraites ouvrières et paysannes sera alors créée en 1911 (décret du 27 novembre de la même année). Elle marque et renforce la prépondérance, dès l’origine, de la prévoyance sur la politique de droit du travail. Une trentaine d’agents de la nouvelle direction s’ajoutent aux 140 précédents.

    Cet élan perdurera jusqu’à la veille de la première guerre mondiale puisque, faisant suite à la loi du 29 juin 1894 créant une assurance maladie et vieillesse pour les mineurs, la loi du 25 février 1914 institue la création d’un service national de retraites pour les ouvriers mineurs, organisé autour d’une caisse autonome de retraite.

    3- L’installation du ministère du travail à l’Hôtel du Châtelet

    L’immeuble de l’archevêché de Paris, autrement connu comme l’Hôtel du Chatelet, est désigné très opportunément (suite à la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat votée l’année précédente) comme le nouveau siège du ministère du travail.

    Guillaume Tronchet, notamment connu pour la réalisation du château Mont-Royal près de Chantilly et du Théâtre Ducourneau d’Agen (l’un des premiers bâtiments construits en ciment armé de France) est alors chargé, en tant qu’architecte des bâtiments civils de l’Etat de cette installation.

    Les bâtiments font l’objet d’une réfection et de réaménagements intérieurs afin de permettre l’installation des bureaux du cabinet et des services centraux du nouveau ministère, complété par l’occupation d’une aile du bâtiment par les services de la mutualité.

    Cette installation du ministre dans un hôtel particulier démontre par ailleurs la volonté de continuité du gouvernement républicain vis-à-vis de la représentation des institutions. Le ministre de la Guerre est ainsi à l’hôtel de Brienne depuis 1817, le ministère de l’Instruction publique à l’hôtel de Rochechouart depuis 1828, le ministère des Travaux publics à l’hôtel de Roquelaure depuis 1839.

    L’édifice, sans être extravagant, se révèle charmant et agréable :

    L’escalier d’honneur. Source : Cité de l’Architecture.
    Bureau du ministre. Source : Cité de l’Architecture.

    Ces photos sont à retrouver ici : LA CONSTRUCTION MODERNE – FRAPN02_COM_1911_23.pdf (citedelarchitecture.fr)

    4- Le grand projet d’une cité interministérielle au cœur de Paris

    La création d’une cité ministérielle du travail

    Avec l’extension des missions du ministère Travail et de la Prévoyance du fait de la poursuite du développement de la politique sociale de l’Etat, le petit hôtel du Chatelet n’est plus suffisant pour héberger tous les services. 

    Parallèlement, des discussions et différents projets ont été esquissés afin de construire une cité administrative interministérielle sur les terrains militaires autour des Invalides et de l’Ecole militaire. 

    Trois ministères seront ainsi construits en quelques années : le ministère du Travail, en 1930 ; le ministère de la Marine marchande, en 1932 et, plus tardivement, le ministère des Postes et télécommunications (PTT) en 1939.

    Pour plus d’informations sur ces différents projets : L’espace public au service du pouvoir : l’utopie de la cité ministérielle à Paris | 124-Sorbonne. Carnet de l’École Doctorale d’Histoire de l’art et Archéologie (hypotheses.org)

    Sur cette photographie, on peut distinguer les terrains militaires aujourd’hui occupés par les ministères précités.

    Source : Centenaire 1911-2011 des rues Lapparent-Vaudoyer-Heredia: 3- Bâtiments (centenairelvh.blogspot.com).

    Le siège des bâtiments administratifs du ministère du Travail est donc créé en 1929, place de Fontenoy, en huit mois seulement par ce même Guillaume Tronchet. Il s’agit de la première réalisation ab initio d’un bâtiment à l’usage d’un service central ministériel, le tout étant financé par l’Allemagne au titre des dommages de guerre.

    La construction se veut innovante et mobilise des ossatures en acier, du béton cellulaire et des briques armées pour parer l’intérieur des bâtiments.  Les deux ailes construites rue d’Estrée et avenue de Lowendal se rejoignent en angle aigu sur la place Fontenoy, où se trouve l’entrée initiale du ministère. Le tout forme un V caractéristique, qui sera reproduit quelques mois plus tard avec le projet de la marine marchande.

    Ce qu’en disait la commission municipale du vieux Paris alors : Procès-verbaux / Commission municipale du Vieux Paris | 1929 | Gallica (bnf.fr)

    L’ouverture au public eut lieu le 1er octobre 1930. Le bâtiment comportait alors les services centraux du ministère, mais également une salle des guichets pour les assurés sociaux des départements de la Seine et de la Seine-et-Oise. 

    Source : Photographie d’Edouard Desprez. Plaque de verre, 1930. Département Histoire de l’Architecture et Archéologie de Paris.

    Le bâtiment évoluera ensuite :

    • En 1938, les deux ailes sont reliées entre elles par un grand hall central et font l’objet d’extensions ;
    • En 1939, un bunker anti-aérien est aménagé en sous-sol (normalement visible lors des journées du patrimoine) ;
    • Dans les années 50, les deux ailes initiales des rues d’Estrées et Lowendal sont prolongées jusqu’à l’avenue Duquesne en reprenant l’esthétique d’origine :
    Source : Centenaire 1911-2011 des rues Lapparent-Vaudoyer-Heredia: 3- Bâtiments (centenairelvh.blogspot.com).
    • En 1971-72 les deux ailes sont reliées sur l’avenue Duquesne par un bâtiment de style plus contemporain avec la réalisation d’une grande façade vitrée, œuvre de l’architecte Louis Aublet : le V est désormais fermé ;
    • En 2004, cette façade constituée de modules verriers d’un seul tenant est reconstruite par l’architecte Jean-François Jodry (tout en respectant les plans de Louis Aublet) et devient progressivement l’entrée principale, puis unique du ministère. Le bâtiment fait ensuite l’objet d’une nouvelle transformation en 2012 par l’Agence FS Braun et associés, essentiellement sur l’aménagement intérieur (dépose des boiseries, transformation des cloisonnements, etc.).

    Pour plus d’informations : visite du patrimoine (sante.gouv.fr)

    Ce bâtiment accueille désormais les services du ministère de la santé et, de nouveau depuis 2023-24, du ministère du travail – direction générale du travail et délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.

    Les autres ministères place Fontenoy

    Le ministère de la Marine marchande

    Bâti sur un terrain acheté par l’Enim (Etablissement National des Invalides de la Marine, organisme gérant la sécurité sociale des marins) au ministère de la défense, l’immeuble a été conçu par l’architecte des monuments historiques André Ventre (1874-1951), et achevé en 1931.

    Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

    Il sera plus tard surélevé. Il accueille aujourd’hui les services du Défenseur des droits et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). 

    Détail de l’entrée. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

    Le ministère des Postes, télégraphes et téléphones (PTT)

    Inauguré en mars 1939, le bâtiment est bâti à l’angle des avenues de Saxe et de Ségur et est l’oeuvre de l’architecte Jacques Debat-Ponsan (1882-1942). 

    Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

    Le bâtiment fera l’objet d’une profonde rénovation en 2014. Les bureaux de postes historiquement installés dans ce bâtiment seront déménagés rue Eblé, tandis que des services du Premier ministre prendront possession des locaux.

    La caisse autonome de retraite des ouvriers mineurs

    On ne saurait oublier également, un bâtiment administratif important, compte tenu (notamment) de la catastrophe de Courrières précitée, et situé à quelques centaines de mètres des locaux administratifs du ministère du travail inauguré sept ans plus tard : la caisse autonome de retraite des ouvriers mineurs.

    La Caisse, peu après son inauguration. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

    Ce bâtiment de trois étages a été construit en 1922 à l’angle des avenues de Suffren et Ségur par les architectes Charles Davidson et René Patouillard-Demoriane. Sa porte principale du 77 avenue de Ségur est en ferronnerie avec à son sommet une plaque de fonte montrant un mineur actionnant sa pioche, plaque elle-même surmontée d’une sculpture d’un mineur casqué.

    Détail de l’entrée. Source : https://patrimoine.secumines.org/histoire.

    En 1948, le bâtiment a été surélevé de trois étages, le dernier étage étant en retrait.

    Bien que la gestion du régime ait été transféré par décret aux services de la Caisse des dépôts et consignations en 2004, les locaux abriteront jusqu’en 2010 les salariés du service de retraite des mines, avant leur complète intégration dans les locaux de la CDC dans le XIIIe arrondissement de Paris.

    Pour en savoir plus : Le musée du Régime Minier – ps_immo_paris15_segur (secumines.org)

    1. Correspondant à l’actuelle direction générale du travail. ↩︎
    2. Qui correspondrait aujourd’hui à la direction de la sécurité sociale. ↩︎
    3. Ce champ pourrait recouper celui de l’actuelle direction de la sécurité sociale, mais également de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES). ↩︎
  • Où vont les nouveaux hauts fonctionnaires ?

    Où vont les nouveaux hauts fonctionnaires ?

    Temps de lecture : 1 minute.

    Un arrêté a été publié récemment portant publication de la répartition des postes des élèves de l’Institut national du service public (INSP) par administration : Arrêté du 13 avril 2024 portant répartition des emplois offerts aux élèves de l’Institut national du service public achevant leur scolarité en octobre 2024 – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

    Outre les quelques postes en juridictions, on note l’évidente prépondérance des ministères économiques et financiers, mais également (et plus généralement) la forte concentration des recrutements.

    En effet, trois ministères portent plus de la moitié des affectations :

    Emplois offerts aux élèves de l’Institut national du service public achevant leur scolarité en octobre 2024 POSTES PART (%)
    Magistrats 12 12%
    Conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel 8 8%
    Conseillers de chambres régionales des comptes 4 4%
    Administrateurs de l’Etat 83 85%
    Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique 28 29%
    Ministère de l’intérieur et des outre-mer 11 11%
    Ministère du travail, de la santé et des solidarités  15 15%
    Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse,
    Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche
    3 3%
    Ministère de la culture  2 2%
    Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire  2 2%
    Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires  5 5%
    Ministère des armées  5 5%
    Ministère de la justice  4 4%
    Ministère de l’Europe et des affaires étrangères  6 6%
    Ministère de la transformation et de la fonction publiques 1 1%
    Caisse des dépôts et consignations 1 1%
    Administrateurs de la Ville de Paris 3 3%
    TOTAL 98 100%
  • Qui travaille au… ministère du travail ?

    Qui travaille au… ministère du travail ?

    Temps de lecture : 15 minutes.

    Observations définitives de la Cour des comptes sur les exercices 2015 à 2022

    Le lien vers le rapport : Documents | Cour des comptes (ccomptes.fr)

    Les observations de la Cour portent sur trois points principaux :

    1. La performance du service de ressources humaines (RH), qui demeure à améliorer;
    2. La baisse des effectifs du ministère, dont l’impact est difficile à évaluer;
    3. L’analyse des initiatives prises par le ministère pour développer l’attractivité.

    D’abord, quel est le périmètre couvert ?

    Le programme 155 relatif à la conception, la gestion et l’évaluation des politiques de l’emploi et du travail porte sur les effectifs du ministère. A savoir, 8 360 équivalents temps plein (ETP) répartis entre directions d’administration centrale :

    • La direction générale du travail (DGT),
    • La délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP),
    • La direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES),
    • Une partie des agents du secrétariat général aux affaires sociales (et des agents des cabinets ministériels) et
    • Les services déconcentrés : avec les DEETS (direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) et les DREETS (échelon régional des DEETS).

    La gestion RH elle-même est partagée entre un cœur centralisé à la DRH des ministères sociaux et un réseau de correspondants de proximité dans les directions et services déconcentrés.

    Un ministère touché par d’importantes baisses d’effectifs dans ses services déconcentrés :

    « Les effectifs du ministère chargé du travail ont diminué de 15 % depuis 2015 pour atteindre 8 360 ETPT en 2021. Cette baisse est liée non seulement à des suppressions d’emplois mais aussi au transfert de 603 ETPT en 2021 au ministère de l’intérieur dans le cadre de la réforme de l’organisation territoriale de l’État. Hors transferts, la diminution des emplois est de 9% sur la période, ce qui reste significatif. Les réductions d’effectifs ont été en totalité portées par les services déconcentrés : l’effectif du niveau central a même augmenté de 6 % sur la période 2015-2021. »

    Toutefois, les services déconcentrés continuent de demeurer les principaux employeurs avec 85% des agents contre 15% pour l’administration centrale.

    L’inspection du travail représente 42% des effectifs du ministère.

    Parallèlement, la structure des emplois est bouleversée avec une augmentation de la part des catégorie A de 36% à 58% entre 2015 et 2021, principalement du fait de la mise en extinction du corps des contrôleurs du travail. Ceci explique que la masse salariale a moins baissé que les effectifs (respectivement 8% et 15%). Elle représentait 567 M€ en 2021, soit 3% des crédits du ministère du travail et de l’emploi sur l’exercice.

    1-S’agissant de la performance du service RH

    La Cour rappelle l’origine de l’actuelle DRH, issue de la fusion en 2013, dans le cadre de la création d’un secrétariat général commun aux ministères chargés des affaires sociales, de l’ancienne DRH des ministères de la santé et du social et de la sous-direction chargée des ressources humaines de l’ancienne direction de l’administration générale et de la modernisation (DAGEMO) du ministère chargé du travail.

    Les magistrats évoquent également une réorganisation de la DRH plus récente, datée de 2019, qui manifestement n’a pas fonctionné et qui pourrait avoir son rôle dans le renouvellement quasiment complet en deux années seulement de l’ensemble des agents de la direction, ce qui n’est pas sans conséquence sur la compétence technique globale de la structure.

    Cette réorganisation qui a fortement complexifié les relations avec les directions partenaires (avec le passage parfois d’un interlocuteur à sept…) est par ailleurs intervenue au mauvais moment : crise sanitaire et réforme autour de la déconcentration des actes RH.

    La Cour note ensuite une coopération très limitée entre la DRH et les services ministériels. Par exemple, les correspondants RH n’ont pas accès à l’ensemble des données de paie des agents. Aucun outil de pilotage n’a été mis à disposition et le pilotage des effectifs est qualifié par la Cour d’ « artisanal ».

    En termes de systèmes d’informations (SI), le ministère du travail utilise depuis 2016 la solution RenoiRH développée par le CISIRH. Or, la Cour constate que certaines fiabilisations de données ne sont toujours pas opérantes entrainant des erreurs, par exemple le remplissage et le contrôle automatique n’est pas systématique sur l’ensemble des données :

    « Fin juin 2022, la DRH elle-même constatait de très nombreuses erreurs ou oublis d’enregistrement des dates de fin réelle de contrat et des dossiers non complets concernant les agents détachés ou mis à disposition et les agents transférés. Certains dossiers indiquent en outre des affectations incomplètes ou un programme budgétaire erroné. L’ancienneté n’est pas systématiquement saisie – ce qui engendre des listes de personnes promouvables incomplètes – tandis que les emplois-types du poste ne correspondent pas toujours à la fiche de poste, rendant approximatives les analyses qui peuvent être réalisées. »

    Par ailleurs, si un module « RenoiRH Décisionnel » existe, la Cour note que la quasi-exclusivité des bureaux préfèrent travailler sur des outils développés sur Excel indépendamment du SIRH.

    « La meilleure illustration en est le fichier de suivi des emplois et des effectifs, baptisé « fichier MSK», qui consiste en l’agrégation par la DRH, une fois tous les deux mois, de 92 fichiers remplis à la main par les services RH de proximité. Aucune comparaison n’est réalisée entre ce fichier et les données de RenoiRH afin de s’assurer de la qualité des données. C’est sur cette base que sont réalisées les prévisions de consommation d’ETPT et les analyses d’évolution d’effectifs. »

    L’analyse du taux de connexion à « RenoiRH Décisionnel» montre par ailleurs que la grande majorité des agents, à tous les niveaux hiérarchiques, ne l’utilise jamais. 

    Sur d’autres sujets, la Cour note qu’il n’existe pas de dossier personnel numérique des agents, ceux-ci sont encore aujourd’hui conservés en propre par les agents de la DRH ; le suivi du temps de travail et de télétravail diffère suivant les directions d’emploi ; la culture numérique des agents du ministère et de la DRH en particulier semble « particulièrement faible » avec notamment des formations qui se concentrent sur la bureautique.

    En conséquence, la Cour sollicite une feuille de route SI à même d’asseoir une gouvernance efficace de ce qu’elle considère être un enjeu stratégique au titre de la fiabilité et de la performance.

    2-Une baisse des effectifs du ministère dont l’impact est difficile à évaluer

    La Cour note en premier lieu que la baisse des effectifs de 2 à 3% par an porte exclusivement sur les services déconcentrés.

    Extrait du rapport de la Cour des comptes.
    Extrait du rapport de la Cour des comptes.

    Cette baisse générale intègre notamment le transfert de près de 600 équivalents temps pleins (ETPT) au ministère de l’intérieur en 2021 dans le cadre de la réforme de l’organisation territoriale de l’État, que ce soit au titre des services de la main-d’œuvre étrangère (une centaine d’ETPT) ou du fait des transferts des fonctions supports aux secrétariats généraux communs départementaux.

    Hors transfert et pour rappel : la baisse d’effectifs entre 2015 et 2021 est de 9% (contre 15% avec la prise en compte du transfert).

    Sur la période récente, il convient de noter le gel des effectifs dans le schéma d’emplois pour 2022, qui rompt avec la logique baissière des années précédentes. 

    Pour assurer cette trajectoire, il faut par ailleurs noter l’absence d’utilisation du mécanisme de ruptures conventionnelles, puisque la Cour n’en relève par exemple que deux pour l’exercice 2021. 

    Extrait du rapport, trajectoire en ETPT : administrations centrales (DGT, DGEFP, DARES) et déconcentrées (DEETS et DREETS).
    Extrait du rapport, trajectoire en ETPT : administrations centrales (DGT, DGEFP, DARES) et déconcentrées (DEETS et DREETS).

     Dans le détail, entre 2015 et 2021, le principal contributeur aux économies d’emplois a été l’inspection du travail (contrôle et renseignement inclus), qui a perdu 16% de ses effectifs, soit près de 740 ETP. Le secteur emploi présente quant à lui une baisse de 11 % mais il intègre, en 2021, les effectifs temporaires liés à la crise sanitaire (300 agents en charge de l’activité partielle). Sans ces renforts, la baisse serait d’environ 530 agents, soit 25% des effectifs de 2015. 

    Evidemment, les fonctions support ont également été concernées dans le cadre de la réforme de l’organisation territoriale de l’Etat (OTE), ainsi que les postes de direction en services déconcentrés puisqu’une vingtaine, soit 14% d’entre eux, ont été supprimés entre 2015 et 2020.

    On peut, dans ces conditions, aisément imaginer un climat social tendu dans le réseau déconcentré.

    Dans le même temps, les effectifs de l’administration centrale ont augmenté de 6%, portés par une hausse assez élevée des effectifs des cabinets et des effectifs ministériels, qui passent sur la période de 136 ETPT à 193 ETPT (une augmentation de 42%…) et par des augmentations des emplois en administration centrale.

    Si on fait les comptes : il y a donc une augmentation de 71 ETPT en « administration centrale », dont 57 ETPT dans les cabinets ministériels, ce qui laisserait 14 ETPT pour l’administration centrale « classique ».

    La Cour précise ensuite que les postes de direction en administration centrale ont augmenté sur la période, passant de 27 à 38, soit une augmentation de 44%, du fait de la suppression d’un poste de sous-direction et de la création de sept postes de chef de service, de cinq postes de direction de projet ou d’expert de haut niveau.

    Cela fait donc 11 postes supplémentaires. En définitive, l’administration centrale n’a donc gagné qu’1 ETPT d’agent de conception et de pilotage de politique publique. Le déséquilibre dans la répartition des efforts et des créations de postes est frappant et pourrait interroger sur une forme de déconnexion entre une administration centrale qui, par définition, se politise (par les postes en cabinet et la création notamment de fonctions de chefs de services – en interaction avec ce cabinet) et l’ensemble des agents chargés de la mise en œuvre concrète et territorialisée des actions du ministère.

    Autre constat, une augmentation très forte des agents contractuels.

    La part des agents contractuels sur emploi permanent, étant normalement entendu comme « un emploi qui a normalement vocation à être occupé par un fonctionnaire », est passé de 5% en 2015 à 10% en 2021, soit 828 ETPT de contractuels contre 7 128 ETPT de fonctionnaires. Et parmi les agents contractuels occupant un emploi permanent, près du tiers est en CDI.

    On note également un effort et qui apparait somme toute logique pour le ministère du travail en faveur du recrutement d’apprentis. Ceux-ci sont passés de 16 en 2015 à 97 en 2021. 

    Sur la composition des effectifs et comme on l’a dit en introduction, il y a une profonde transformation du ministère. Les catégories A représentent 36% des effectifs en 2015 et 58% en 2021.

    Cette évolution est fortement liée au plan « ministère fort » porté initialement par le ministre Michel Sapin de suppression progressive du corps de contrôleurs du travail, mais elle tient également à une évolution de la filière administrative. On constate ainsi une forte augmentation du nombre d’attachés (+16% d’ETPT sur la période). Ce qui témoigne d’un besoin de technicité, mais aussi probablement, d’adaptabilité et de mutabilité. L’attaché d’administration étant un généraliste. 

    Extrait du rapport de la Cour des comptes.
    Extrait du rapport de la Cour des comptes.

    Les rapporteurs constatent également une forte diminution des catégories C, en valeur et en proportion, qui devrait encore s’accélérer du fait de l’augmentation du taux de promotion interne vers le corps des secrétaires administratifs depuis 2022 et jusqu’en 2024 (passage du taux de promotion de 1% à 5%, soit 125 possibilités de promotion sur 2022 au lieu de 32 en 2021).

    La Cour fait ensuite un petit point sur la réforme de l’OTE.

    Le transfert concernait donc 603 ETPT, dont une centaine sur le suivi de la main-d’œuvre étrangère, 84 directeurs de DEETS et 419 ETPT sur des fonctions support. On y apprend que plus de la moitié des agents (320) ont refusé le transfert, pourtant censément avantageux en terme indemnitaire, afin d’être repositionnés sur des emplois vacants du ministère du travail.

    Par ailleurs, il semblerait que ce transfert ait réalisé de manière assez chaotique avec des remarques réitérées de la Cour sur le manque de prévision et de suivi des effectifs par le ministère du travail.

    Plus généralement, et faisant écho aux constats précédents sur le pilotage RH, la Cour maintient ses critiques sur le suivi et l’analyse des besoins, effectué de manière « artisanale et chronophage » selon les termes du rapport.

    Cette mauvaise organisation du travail tient notamment au partage de tâches entre la DRH et la DFAS, la première n’ayant pas accès à Chorus ou à l’infocentre de gestion budgétaire, quand la DFAS n’a elle pas accès aux extractions automatisées de « RenoiRH ». En conséquence, la DRH n’est pas en capacité de justifier les données du rapport annuel de performance (RAP) de la mission travail et emploi avec 736 ETPT d’écart…

    La Cour rappelle que la DRH s’appuie aujourd’hui sur le réseau pour faire remonter des données, alors qu’il lui revient normalement d’alimenter les services à partir des données contenues dans les logiciels de gestion.

    Par ailleurs, le ratio de gestion présenté dans le rapport annuel de performance (RAP) apparaît particulièrement élevé pour les ministères sociaux pr rapport au secteur privé selon la Cour. Mais cette même Cour se refuse à aller plus loin : les comparaisons étant particulièrement difficiles à établir du fait des divergences organisationnelles et méthodologiques entre les secteurs privés et publics et entre les ministères eux-mêmes.

    3-Les initiatives pour développer l’attractivité du ministère doivent être prolongées

    En premier lieu, la Cour note le déficit d’attractivité de l’inspection du travail, ayant donné lieu à un plan d’actions qu’elle juge peu efficace.

    La DGT qui est chargée de l’organisation du système d’inspection du travail (la Cour ne le précise pas) suit le taux de vacances des sections d’inspection qui évolue de manière dégradé d’année en année avec 2 048 sections vacantes sur 2022 (soit 18% du total) contre 2 194 sections vacantes en 2017 (soit 15%) du total. Il convient par ailleurs de rappeler que la détérioration de ce ratio intervient malgré de nombreuses fusions de sections opérées sur la période.

    Le nombre de candidats au concours diminue, alors même que le nombre de places augmente très fortement. La Cour note assez justement que la réponse au déficit d’attractivité du concours ne peut pas passer uniquement par une augmentation du nombre de postes, sauf à renoncer à toute sélectivité.

    Extrait du rapport de la Cour des comptes.
    Extrait du rapport de la Cour des comptes.

    Plusieurs démarches ont été entreprises, avec une possibilité de détachement offerte avec 23 agents qui ont rejoint l’inspection sur ce fondement depuis 2021, mais qui n’est pas sans poser de difficultés. Le ministère de l’Education nationale, également en difficulté de recrutements, s’est ainsi opposé au détachement de plusieurs enseignants volontaires.

    Sinon, outre l’augmentation du nombre de postes au concours, un concours national à affectation régionale et locale a été proposé pour les secrétaires administratifs, ainsi qu’une refonte du déroulé de carrière des inspecteurs. 

    Plus largement, ce défaut d’attractivité fait également écho à ce que l’on a lu sur les perspectives de carrière en déconcentré, mais également aux problématiques plus larges qui se posent sur l’attractivité de la fonction publique. A titre personnel, je m’interroge sur le bien-fondé d’un recrutement national par concours qui ne vise, par définition, que des sorties d’écoles. Le détachement peut en effet, s’il offre des perspectives et valorise les nouveaux affectés, constituer une voie d’accès ou de débouchés. La pente semble toutefois raide et la voie étroite…

    Sur les autres métiers du ministère, et faute de données de la DRH, la Cour n’est pas en mesure d’évaluer l’attractivité des métiers.  

    En termes de formations internes, la Cour note une construction du catalogue assez classique, mais relève une initiative bienvenue d’une des directions du ministère, la DGEFP, qui a développé une « académie de la formation interne » permettant de partager des connaissances et savoirs sur les politiques publiques qu’elle porte. Ces formations sont assurées par l’encadrement interne.

    S’agissant des sanctions disciplinaires. Entre 2015 et 2021, le nombre moyen de sanctions disciplinaires est de 16 par an pour l’ensemble des ministères chargés des affaires sociales. 

    Cela fait donc très peu de sanctions disciplinaires et la Cour note que la plupart sont par ailleurs de faible niveau : deux tiers relevant du premier degré (sans réunion du conseil de discipline). Il n’y a eu aucun licenciement pour insuffisance professionnelle sur la période de contrôle, les quelques cas où cette solution de dernier recours avait été envisagée n’ayant pas prospéré compte tenu de pathologies médicales.

    En termes d’égalité femmes-hommes, le ministère est composé à 69% de femmes, avec une répartition équilibrée y compris dans les emplois de direction.

    Extrait du rapport de la Cour des comptes.
    Extrait du rapport de la Cour des comptes.

    En termes de rémunérations.

    La quasi-totalité des agents bénéficient du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (Rifseep). En 2021, le Rifseep représente ainsi 74,3 M€, soit 85 % des primes versées aux agents.

    Seuls les élèves inspecteurs du travail et les agents sur emploi fonctionnel bénéficient d’un régime indemnitaire distinct.

    La part du régime indemnitaire dans la rémunération brute des agents est variable selon les corps (comme pour tous les ministères). Elle représente en moyenne, sur la période 2015-2021, 23% de la rémunération brute des agents en catégorie C, 24% en catégorie B et 29% en catégorie A.

    Elle varie fortement en fonction du corps d’appartenance des agents: 25 % pour les inspecteurs du travail, 32 % pour les attachés d’administration de l’État, 45% pour les administrateurs de l’État. Cette part a globalement peu évolué au cours des dernières années. Le Rifseep est constitué de deux éléments : l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) et le complément indemnitaire annuel (CIA) lié à l’engagement et à la performance individuelle. 

    Sur l’IFSE, la Cour note un montant sensiblement plus élevé en administration centrale, en particulier pour les attachés d’administration. Par ailleurs, 17% des agents bénéficient de l’IFSE alors même que le renseignement de leur groupe de fonctions n’est pas effectué…

    S’agissant du CIA, celui-ci est à la main de la direction d’administration centrale ou du service déconcentré, qui le répartit selon des critères qu’il fixe lui-même ou avec son équipe de direction.  

    Extrait du rapport de la Cour des comptes.
    Extrait du rapport de la Cour des comptes.

    On constate que les montants évoluent substantiellement et qu’ils couvrent une population de plus en plus importante, marquant là la volonté d’individualiser la rémunération à la performance.

    Extrait du rapport de la Cour des comptes.
    Extrait du rapport de la Cour des comptes.

    Toutefois, et comme le note la Cour, ces montants ne sont pas homogènes entre catégories et affectations. Assez logiquement (au regard des éléments précités), les catégories A d’administration centrale sont les mieux servis.

    Le constat peut être prolongé s’agissant des agents des cabinets ministériels qui disposent d’indemnités de sujétions particulières en évolution très forte sur la période, ce qui pourrait accentuer aussi le clivage au sein du ministère entre les services déconcentrés et le sommet de la hiérarchie, au sein des cabinets ministériels.

    Extrait du rapport de la Cour des comptes.
    Extrait du rapport de la Cour des comptes.

    Au-delà de cette singularité des cabinets, la Cour note que les rémunérations de la filière administrative (la plus simple à comparer, puisqu’interministérielle) demeure très inférieure aux autres ministères, de l’ordre de 12%, voire de 26% pour les catégories B. Seul le corps des administrateurs de l’Etat, qui dépend directement du Premier ministre, est épargné. Autrement dit, ce sont les attachés et, plus encore, les secrétaires qui sont les mal-lotis du ministère.

    Pour répondre à cet enjeu, la DGAFP a lancé fin 2021 un chantier de convergence indemnitaire qui s’est traduit par l’attribution d’un montant supplémentaire forfaitaire pour l’ensemble des attachés et secrétaires administratifs (1 889 agents concernés), mais cette convergence demeure inachevée selon la Cour.

    Avant de conclure, voilà les rémunérations moyennes constatées par la Cour sur 2021 :

    Extrait du rapport de la Cour des comptes.
    Extrait du rapport de la Cour des comptes.
    Extrait du rapport de la Cour des comptes.
    Extrait du rapport de la Cour des comptes.

    S’agissant des contractuels, le niveau de rémunération est proche des attachés, à l’exception des agents contractuels recrutés sur des postes techniques (comme énoncé plus haut), notamment sur les fonctions informatiques, nettement mieux rémunérés que les titulaires (respectivement 67 700 € contre 53 600 € bruts).

    A cet égard, le rapport précise les conditions de fixation des rémunérations au moment du recrutement des contractuels, à savoir sur la base d’une fourchette de rémunération fixée par la DRH en fonction de l’expérience de l’agent recruté et des salaires pratiqués sur le marché, révisés selon l’inflation et le niveau de tension de recrutements sur certains postes.

    Photo de couverture : Par © Croquant / Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=16688738