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Le rapport de la Cour des comptes sur l’OPCO Entreprises de proximité (OPCO EP) met en lumière les défis et les opportunités liés à la gouvernance, à la gestion et à la transformation de cet opérateur de compétences.
Pour rappel, les opérateurs de compétences sont responsables du financement de l’apprentissage et de l’accompagnement des petites et moyennes entreprises dans leurs projets de formation (financement et conseils). Organismes privés, chargés d’une mission de service public ; les OPCO sont à mi-chemin entre les secteurs publics et privés.
Présentation de l’OPCO EP
OPCO interprofessionnel, comme AKTO (précédent billet consacré à l’OPCO AKTO)1, l’OPCO EP réunit 53 branches professionnelles, dont la principale cohérence tient à leur taille : en moyenne trois salariés.
L’OPCO couvre 434 000 entreprises et près de 2,4 millions de salariés2.
Une gouvernance éclatée et mobilisant beaucoup d’administrateurs
L’OPCO compte presque autant d’administrateurs que de salariés
L’OPCO compte 1 000 administrateurs pour 1 140 salariés :
- Un conseil d’administration de 60 administrateurs ;
- Sept instances d’appui composées d’une vingtaine d’administrateurs :
- Un bureau ;
- Un comité stratégique ;
- Une commission financière ;
- Une commission apprentissage et professionnalisation ;
- Une commission immobilière ;
- Une commission certifications ;
- Un comité des risques et d’audit ;
- 33 sections paritaires professionnelles, réunissant l’essentiel des administrateurs (960) et
- 17 commissions paritaires régionales (340 administrateurs).
Ces 67 instances présentent un coût important et embolisent le conseil d’administration
Cette comitologie présente un coût croissant : de 0,6 million d’euros en 2020 (pendant la crise sanitaire) à 5,5 millions d’euros en 2022.
La Cour note par ailleurs que le conseil d’administration est : « encombré par des sujets d’un niveau peu stratégique », malgré un nombre élevé de commissions et comités. Le bureau manque notamment de délégations durables du conseil d’administration.
Les sections paritaires professionnelles (SPP) sont encore trop nombreuses et pas assez interprofessionnelles
L’OPCO EP comptait à fin 2022 :
- 32 sections paritaires professionnelles (SPP), dont 6 multibranches3 et
- 1 section paritaire interprofessionnelle.
26 SPP sont « mono branches », soit la moitié des branches professionnelles adhérentes à l’OPCO.
Pour la Cour, il convient de poursuivre ce travail de rapprochement entre branches :
- Le foisonnement de SPP présente des coûts importants, y compris en coordination administrative et est contraire au principe de mutualisation des financements et de convergence des prises en charges ;
- Par ailleurs, certaines SPP regroupent à peine quelques milliers de salariés ou apparaissent incomplètes (par exemple : il existe une SPP dentaire et une SPP santé).
Le cas particulier de l’APNI
L’OPCO EP présente la particularité de déléguer une partie de ses missions et financement à une association paritaire : l’APNI (association des particuliers-employeur).
Outre le fait que cette délégation est illégale, elle rajoute une complexité à un système déjà compliqué. D’autant que l’APNI délègue elle-même à un prestataire l’animation de la politique de formation de la branche.
La Cour sollicite la création d’une SPP qui délèguerait directement cette animation au prestataire (faute de mieux).
Une organisation des ressources humaines marquée par de profondes transformations
Un changement de paradigme lors de la fusion-transformation d’Agefos PME
Agefos PME était l’organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) interprofessionnel préexistant à la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Son organisation était profondément décentralisée.
Inversement, Actalians4, le second OPCA fusionné, était assis sur une organisation centralisée. C’est cette vision, notamment incarnée par son directeur général, devenu directeur général d’OPCO EP, qui a prévalu.
Ainsi, 45 % des effectifs du nouvel ensemble ont été réaffectés à la direction générale. 367 postes de gestionnaires de dossiers ont été recentralisés. Le réseau de proximité ne comptait plus, à fin 2020, que 334 postes sur 1 054.
Un recours systématique et coûteux à des cabinets de consultants
Comme pour l’OPCO AKTO :
« L’Opco a un recours permanent à une société de conseil pour des prestations intellectuelles « de conseil en stratégie et en organisation pour la constitution opérationnelle de l’entreprise EP » pour des montants facturés très élevés. »
Par ailleurs, la Cour note qu’au regard des documents transmis (tardivement) :
« (Les livrables) relèvent davantage d’un travail de secrétariat ou de l’exercice d’une activité courante dévolue aux agents des directions de l’opérateur que d’une prestation de conseil de haut niveau, stratégique ou organisationnelle, justifiant une tarification élevée. »
Les coûts (qui ont fait l’objet d’un audit) et la couverture de la quasi-intégralité des missions de l’OPCO témoignent du caractère excessif et incontrôlé de ce recours :


Une transformation sans plan social
L’opérateur n’a pas connu de plan social d’entreprise, ni mis en œuvre de rupture conventionnelle collective. L’effectif de salariés est donc resté stable, de 1 134 ETP en 2020 à 1 087 fin 2021.

Pour autant et comme pour AKTO, des transactions ont été réalisées pour certains salariés. La Cour en relève six, dont trois sans délégation du conseil d’administration. Par ailleurs, aucune transaction n’a été évoquée au conseil d’administration5.
Enfin, et ici encore, la Cour relève des montants particulièrement élevés pour ces transactions :
« Deux transactions (indemnité de licenciement incluse) ont atteint plus de 400 000 euros, alors que l’indemnité médiane des cadres dirigeants s’élève ainsi à 62 360 € en cas d’ancienneté supérieure à 10 ans. »
Un pilotage administratif et financier à parfaire
Des charges de fonctionnement élevées
L’OPCO EP présente, avec AKTO, les charges les plus importantes de l’ensemble des OPCO. Toutefois, le ratio de dépenses de l’OPCO est cohérent avec le nombre de salariés qu’il gère :
- L’OPCO EP emploie 18 % des effectifs des onze OPCO ;
- Ses charges de fonctionnement représentent 19 % de l’ensemble des charges de fonctionnement.
Le déclin des versements volontaires
Depuis la loi du 5 septembre 2018, les montants collectés directement et volontairement auprès des entreprises ne cessent de baisser.
Cette baisse tient pour partie à la structuration de l’OPCO (peu de grandes entreprises) et à une offre de services qui peine à démontrer son intérêt et justifier un versement volontaire de la part des entreprises.
De plus en plus, les OPCO deviennent de simples payeurs, en particulier sur l’apprentissage :

Le droit de la commande publique est encore peu appliqué
L’OPCO EP s’est doté d’un « embryon de service » par le recrutement d’une personne dédiée aux achats publics en 2020.
Toutefois, l’opérateur ne suit de manière systématique ses achats que depuis fin 2022, trois ans après sa constitution.
Pour la Cour, et malgré le recours à des cabinets de consultants spécialisés :
« L’essentiel reste à faire en matière de respect de la commande publique »6.
Une structuration solide du contrôle interne, mais une lutte contre la fraude encore timide
Un OPCO manifestement actif s’agissant du contrôle interne
L’OPCO EP a mis en place un dispositif de contrôle interne et de gestion des risques organisé en trois « lignes de défense » conformément aux préconisations de l’institut français d’audit et du contrôle internes (IFACI).
Un référentiel de contrôle interne et gestion des risques et une charte d’audit interne, validés par les instances paritaires, font l’objet d’un suivi par le comité d’audit et des risques.
À ce titre, l’opérateur contrôle ainsi aléatoirement 5 % des dossiers financés.
Une lutte contre la fraude encore peu prioritaire
La lutte contre la fraude ne fait pas l’objet d’une priorité, même si des projets notamment en lien avec l’intelligence artificielle sont évoqués.
L’engagement automatique des contrats d’apprentissage présentent cependant des risques élevés, en termes de fraudes ou d’erreurs sur les données.
Par ailleurs, le discours tenu par les administrateurs sur leur manque supposé de prérogatives contredit la réalité des pouvoirs importants dévolus aux OPCO dans le Code du travail. La Cour recommande à l’OPCO EP de se saisir de l’ensemble de ses prérogatives de contrôle.
Un rôle majeur joué par l’OPCO dans la dynamique d’apprentissage
L’apprentissage est une priorité de l’OPCO
L’OPCO EP concentre près de 24 % des alternants français. La dynamique très relevée est, comme pour les autres OPCO, très supérieure aux prévisions initiales.

Par ailleurs, les apprentis financés par l’OPCO préparent très majoritairement des diplômes de niveau bac et infra (86 % de niveaux infra-bac). Il convient de noter que ce type de qualifications (historiquement très présente en apprentissage), a été moins dynamique que celles de l’enseignement supérieur.

L’OPCO a adopté une posture d’accompagnement des CFA
L’OPCO EP a formé ses conseillers formation à l’accompagnement des centres de formation des apprentis (CFA). Près de 1 700 visites de centres étaient ainsi prévues sur 2022.
L’OPCO dépasse son rôle de financeur, dans l’objectif de pérenniser l’offre de formations et d’améliorer les relations avec l’OPCO (notamment du point de vue administratif et financier). Par ailleurs, l’OPCO a mis à disposition un baromètre de satisfaction permettant de mesurer le niveau de satisfaction des CFA.
L’ensemble de ces éléments témoignent d’une approche qualitative et particulièrement fine dans le développement et le suivi de l’offre de formation par apprentissage.
L’offre de services à destination des entreprises de l’OPCO
La promotion de l’accès des TPE-PME à la formation
L’OPCO a dépassé les objectifs qui lui étaient assignés dans la convention d’objectifs et de moyens signés avec l’État.

Toutefois, ces indicateurs « ne rendent qu’imparfaitement compte de la qualité et de l’adéquation des formations réalisées, tout particulièrement à destination des salariés » selon la Cour.
La durée moyenne de formation demeure relativement courte (10 heures en 2021). Cependant, l’OPCO en est conscient et a fléché une enveloppe de six millions d’euros en 2023 pour le financement de formations exclusivement certifiantes.

Des prestations de conseil aux entreprises en relatif échec
Comme on l’a vu, les conseillers de l’OPCO ont la particularité d’accompagner les entreprises relevant de l’OPCO, mais également les CFA.
En moyenne, chaque conseiller a un portefeuille de 1 450 entreprises.
Ces conseillers proposent des solutions en matière de formation dans le cadre des priorités fixées par le conseil d’administration et les SPP. Le plus souvent, ces conseillers proposent les services de l’OPCO à l’occasion de visites en entreprise, mais également, et de plus en plus, par des moyens dématérialisés.
Toutefois, l’OPCO est ici en difficulté et peine à atteindre les objectifs qui lui sont assignés :

- Né d’un accord entre la CPME et l’U2P. Alors qu’AKTO a un accord constitutif signé par le MEDEF, comme on a pu le voir dans notre précédent billet. ↩
- Pour rappel, avec un peu moins d’entreprises couvertes, l’OPCO AKTO compte près de six millions de salariés, soit trois fois plus. ↩
- Artisanat alimentaire ; communication graphique et du multimédia ; juridique ; officiers publics et ministériels ; santé ; particuliers employeurs et emploi à domicile. ↩
- Au-delà de la querelle organisationnelle et managériale, ce sont aussi des enjeux politiques qui se sont affrontés : Agefos PME était dirigée, côté patronal, par la CPME, tandis qu’Actalians l’était par l’U2P. ↩
- Le contrôleur général économique et financier et le commissaire du gouvernement auprès de l’OPCO n’ont pas davantage été informé de ces transactions. ↩
- Chose étonnante, ces difficultés concernent également l’achat de… formations. Malgré son expertise supposée dans le domaine, la Cour relève un nombre anormalement élevé de marchés demeurant infructueux, notamment du fait de « l’inadéquation de l’allotissement avec le marché de la formation » ↩