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  • L’Histoire de la Cour des Comptes en 6 Minutes

    L’Histoire de la Cour des Comptes en 6 Minutes

    Temps de lecture : 6 minutes (comme promis !)

    Cette histoire de la Cour des comptes est notamment construite sur le livre La Cour des comptes « ouvrez et voyez » de Bertucci et Moati.

    L’Origine Médiévale de la Cour des Comptes

    Une Création de Saint Louis

    C’est en 1256 que Saint Louis institue des « gens de comptes ». Il s’agit alors de magistrats et clercs chargés spécifiquement d’instruire les affaires financières du Royaume et d’en rendre compte devant la Cour du Roi.

    Pour plus d’informations sur l’histoire administrative de la France, vous pouvez vous référer à cet article consacré à la naissance de l’administration centrale sous l’Ancien Régime.

    Une Structuration Progressive

    À la fin du XIIIe siècle, Philippe le Bel attribue à ses gens une « Chambre » dans le nouveau Palais de l’île de la Cité.

    Puis, les pouvoirs de cette Chambre des comptes s’élargissent progressivement :

    • Par l’ordonnance du Vivier-en-Brie de 1320, Philippe le Long consacre la Chambre des comptes comme une institution souveraine. Elle compte alors vingt personnes : sept maîtres des comptes, onze clercs et deux présidents ;
    • En 1337, la Chambre de Paris devient responsable de l’enregistrement des documents financiers de la Couronne. Tous les actes domaniaux font désormais l’objet d’un double enregistrement : au Parlement et à la Chambre, ce qui permet d’accroître la fiabilité des comptes et leur contrôle ;
    • En 1469, Louis XI reconnaît l’inamovibilité des juges1.

    Les trois principales institutions de la monarchie administrative sont nées :

    • Le Conseil du Roi (sorte de pouvoir exécutif moderne2) ;
    • Le Parlement (juridiction de droit commun et pouvoir législatif) ;
    • La Chambre des comptes de Paris.

    Toutefois, aucune unification territoriale n’a encore lieu, à l’exemple du contrat d’union entre la France et la Bretagne (1532) qui maintient l’intégralité des institutions bretonnes indépendantes — dont sa propre Chambre des comptes3.

    Un Lent Déclin à Compter du XVIe Siècle

    La centralisation monarchique se construit graduellement, notamment autour du contrôleur général des finances. Celui-ci devient rapidement le second personnage du royaume4.

    À l’évidence, Colbert, le plus connu des contrôleurs généraux
    À l’évidence, Colbert, le plus connu des contrôleurs généraux

    Pour autant, malgré cette importance des sujets financiers, les chambres des comptes sont en déclin. Elles peinent à unir leurs pratiques et à développer un contrôle financier plus moderne. Le formalisme prend progressivement le pas sur la réalité des prérogatives de contrôle.

    La Chambre de Paris devient ainsi une charge familiale, de plus en plus honorifique.

    De 1506 à 1791, les présidents de la Chambre de Paris sont tous issus de la lignée de Nicolay.

    En 1632, le Roi refuse ainsi à la Chambre de Paris de statuer en dernier ressort. La justice financière est de nouveau « retenue »5.

    La Disparition de la Cour à la Révolution et sa Réapparition sous l’Empire

    La Disparition de la Cour des Comptes

    Les dernières années de la Chambre des comptes de Paris sont particulièrement difficiles. L’incendie de 1737 illustre cette perte d’autorité et de prestige6.

    La suppression en 1791 de la Chambre des comptes de Paris et des chambres des comptes provinciales n’est donc pas une surprise.

    Le contrôle financier est alors confié à l’Assemblée législative elle-même, mais il aboutit rapidement à une anarchie complète, faute d’une organisation professionnelle dédiée7.

    Le Renouveau Sous l’Empire

    Napoléon Bonaparte réintroduit d’anciennes structures monarchiques, comme le Conseil du Roi, qui devient, en 1799, le Conseil d’État8. L’objectif étant de reconstituer un pouvoir exécutif fort et structuré9.

    Il en est de même pour la Cour des comptes qui renaît par la loi du 16 septembre 1807 et synthétise tout le syncrétisme napoléonien :

    • L’apparat et l’appareil des anciennes cours ;
    • L’autorité absolue de l’État et la poursuite de la centralisation révolutionnaire ;
    • Le service exclusif de l’empereur.

    La Cour s’installe dans les locaux du Palais de Justice de l’île de la Cité le 5 novembre 180710.

    Source : Ville de Paris / BHVP / Roger-Viollet
    Source : Ville de Paris / BHVP / Roger-Viollet

    De Grands Principes Encore en Vigueur

    Dès sa création, plusieurs principes sont posés :

    • La Cour juge les comptes, pas les comptables (ces derniers pouvant même être déchargés par le ministre des finances) ;
    • La Cour n’a aucune autorité sur les ordonnateurs (ministres, préfets…) ;
    • La Cour est composée de magistrats, nommés à vie par l’Empereur (avec le même rang alors que les magistrats de la Cour de cassation) ;
    • Enfin, la Cour rédige un rapport annuel sur l’exécution des dépenses de l’État. Ce rapport est d’abord secret et destiné au seul Empereur. Il relate l’ensemble des infractions et des mauvais usages de deniers publics constatés11.

    La Cour doit appuyer le gouvernement, pas l’entraver.

    Le Premier président de l’institution est Francois de Barbé-Marbois, ancien ambassadeur de France aux États-Unis et conseiller d’Etat.

    Il présidera la Cour jusqu’en 1834, à l’âge de 88 ans. Barbé-Marbois traversera ainsi plusieurs régimes avec l’institution qu’il dirige, construisant ainsi l’image d’une Cour technicienne et détachée des enjeux politiques.

    Le Maintien de la Cour Malgré les Changements de Régimes

    L’Habileté des Hommes

    La monarchie de 1814 préserve la Cour, servie par l’incroyable longévité (et habileté) de Barbé-Marbois et de quelques commis de talent comme le marquis d’Audiffret.

    Président de chambre pendant trente ans (1829-1859), le marquis d’Audiffret attachera son nom à une remise en ordre comptable et financière du royaume. Il est notamment l’auteur de l’ordonnance du 14 septembre 1822 qui posera les principes d’annualité, d’universalité et de spécialité.

    Progressivement, la Cour se distancie de l’exécutif et se rapproche du Parlement auquel elle apporte son concours.

    La Formalisation d’une Activité de Contrôle Moderne

    Par la loi du 21 avril 1832, le rapport annuel de la Cour est remis au Parlement et est rendu public.

    Symboliquement, en 1842, la Cour déménage dans les locaux du Palais d’Orsay — elle s’éloigne ainsi du pouvoir exécutif. Elle y restera jusqu’en 1872, en compagnie du Conseil d’Etat.

    Parallèlement, le contrôle administratif des dépenses publiques est codifié par l’ordonnance du 31 mai 1838, sous la conduite d’Audiffret.

    Il s’ensuivra le très célèbre décret du 31 mai 1862 portant règlement général sur la comptabilité publique, qui s’appliquera pleinement pendant un siècle12.

    Avec le développement de l’économie, en particulier sous le Second Empire, le champ du contrôle de la Cour des comptes s’élargit. Il en est ainsi, par exemple, des activités industrielles et économiques menées par les pouvoirs publics.

    Au-delà de ce champ, les pouvoirs de la Cour s’affermissent face à l’administration.

    La Réaffirmation Républicaine de la Cour des Comptes

    L’Édification du Palais Chambon

    Avec l’avènement de la République13, la Cour des comptes et le Conseil d’État déménagent au Palais Royal.

    Toutefois, les locaux se révèlent assez rapidement inadaptés aux travaux de la Cour, notamment en raison de l’emport par les magistrats d’importantes liasses financières à contrôler14.

    Un concours d’architecte est lancé en 1898 sur l’emplacement de l’ancien couvent de l’Assomption, près de la place de la Concorde. Le concours est remporté par Constant Moyaux.

    Un premier bâtiment (le bâtiment des archives) est livré en 1900. Il n’est visible que depuis l’intérieur du Palais Chambon. Après la mort de l’architecte, son collaborateur, Paul Gaudet, terminera son œuvre par la livraison du palais complet, en 1912.

    Vue de la cour intérieure du Palais Cambon
    Vue de la cour intérieure du Palais Cambon

    L’Essor de l’État Providence et l’Interventionnisme Économique

    La Première Guerre mondiale constitue un tournant économique et financier. La dépense budgétaire augmente ainsi considérablement : de 5 milliards de francs en 1913 à 14 milliards en 1918.

    Le pilotage budgétaire de la France doit s’adapter, ce qui implique notamment la création de la direction du budget.

    L’après 1945 est encore plus radical avec un développement des politiques publiques sociales et économiques tous azimuts.

    Ce volontarisme s’exprime notamment par des nationalisations :

    • Renault (1945) ;
    • Électricité de France (1946) ;
    • Gaz de France (1946) ;
    • Charbonnage de France (1947) ;
    • Régie autonomie des transports parisiens (1948)…

    Et, par la création de la Sécurité sociale en 1945 : allocations vieillesse, famille, couverture santé.

    Pour faire face à ce développement de l’action publique, le contrôle de la Cour s’adapte. Il couvre dès 1950 la Sécurité sociale, puis il concerne peu à peu l’ensemble des organismes, publics ou privés, qui perçoivent :

    • Des taxes parafiscales ;
    • Des cotisations rendues obligatoires par la loi (ordres professionnels, fédérations de chasseurs…) ;
    • Des versements libératoires en contrepartie d’une obligation légale de faire (1 % logement, formation professionnelle).

    Enfin, depuis 1991, la Cour contrôle également les organismes bénéficiant de la générosité du public15.

    1. Il est aussi étonnant de voir la conjonction de grands Rois dans la construction de la Cour des comptes moderne : Saint Louis, Philippe Le Bel, Louis XI.
    2. J’espère que les historiens du droit me pardonneront ces raccourcis.
    3. La Chambre des Comptes de Bretagne a été créée en 1365, soit relativement tôt comparativement à la France. Le duché dispose en effet d’institutions particulièrement modernes et fortes, notamment héritées des Plantagenet.
    4. Tant de noms viennent à l’esprit à l’évocation de la fonction : Gilles de Maupeou (Henri IV), Jean-Baptiste Colbert, John Law, Anne Robert Jacques Turgot, Jacques Necker.
    5. Pour rappel : la justice peut être « retenue », la décision finale revenant au Roi ; la justice « déléguée », confiée par le Roi sans intervention de sa part (le juge agit au nom du Roi) et la Justice indépendante.
    6. Cet incendie aura eu également le malheur de détruire quantité d’archives financières.
    7. Un bureau de la comptabilité nationale est créée, puis une commission de la comptabilité nationale, mais sans disposer de l’autorité et de suffisamment de moyens pour exercer leurs fonctions.
    8. Napoléon Bonaparte innove également en créant par exemple la Banque de France en 1800.
    9. Si la reconstruction d’un pouvoir exécutif en France est à mettre au crédit de Napoléon Bonaparte, il convient bien sûr de relever l’échec politique et institutionnel dans l’édification des contre-pouvoirs législatif et judiciaire – sans parler de ses nombreuses et de plus en plus injustifiables guerres.
    10. Lieu de l’ancienne Chambre des comptes parisienne.
    11. Napoléon invente une forme de droit de remontrance inversé : c’est à la demande de l’Empereur que l’ensemble des dysfonctionnements de l’État lui sont adressés et l’utilisation de ces informations est à sa seule main.
    12. Certaines mesures subsistent encore.
    13. Et suite à l’incendie du palais d’Orsay lors de la Commune en 1871.
    14. Compte tenu de l’exiguïté des locaux, les magistrats se voient autoriser à les emporter dans leur domicile.
    15. Cette générosité étant pour partie financée sous fonds publics du fait de la défiscalisation à l’impôt sur les revenus d’une partie des dons.
  • Comment Devenir Conseiller de Chambre Régionale des Comptes ? (Magistrat Financier)

    Comment Devenir Conseiller de Chambre Régionale des Comptes ? (Magistrat Financier)

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Tous concours confondus, douze magistrats des chambres régionales des comptes (CRC) ont été recrutés sur 2024.

    Les missions des magistrats de CRC sont essentiellement de quatre ordres :

    • Contrôle juridictionnel : la CRC est tenue de déférer au ministère public près de la Cour des comptes les faits susceptibles de constituer des infractions au code des juridictions financières (article L. 211-1 dudit code). Par ailleurs, les magistrats de CRC peuvent être affectés sur des fonctions juridictionnelles durant leur carrière ;
    • Contrôle des comptes et de la gestion : régularité des recettes et des dépenses, économie des moyens mis en œuvre, évaluation des résultats atteints (article L. 211-3) d’organismes particulièrement divers dépendant ou financés par des collectivités territoriales ;
    • Contrôle des actes budgétaires (article L. 211-11) et des conventions relatives à des délégations de service public (article L. 211-12) ;
    • Évaluation de politiques publiques du ressort territorial de la chambre régionale (article L. 211-15).

    Concrètement, le magistrat est en binôme avec un vérificateur (article R. 212-23)1 et est chargé de réaliser trois à quatre contrôles par an.

    Calculs personnels à partir des rapports d’activité des CRC. Les juridictions financières comptent au total 1 808 magistrats (source : Chiffres clés de la Cour des comptes)
    Calculs personnels à partir des rapports d’activité des CRC. Les juridictions financières comptent au total 1 808 magistrats (source : Chiffres clés de la Cour des comptes)

    Pour une présentation plus complète, vous pouvez consulter la plaquette de présentation du concours publié par la Cour des comptes au titre de 2024.

    Les Modes d’Accès à la Fonction de Magistrat de Chambre Régionale des Comptes

    Compte tenu du faible nombre de magistrats de chambres régionales des comptes (environ 400), les voies d’accès sont relativement étroites.

    Le concours d’accès est ainsi unique (étudiants et professionnels réunis) et se tient tous les deux ans, en alternance avec la procédure de recrutement au tour extérieur.

    Les Concours

    Deux concours permettent d’accéder à la fonction de conseiller (article L. 221-3 du code des juridictions financières) :

    1. Le concours de l’Institut national du service public (INSP, ex-École nationale d’administration) pour les élèves formulant ce choix à la fin de leur scolarité. Au titre de 2024 : deux postes ont été ainsi attribués à des élèves de l’INSP ;
    2. Le concours direct (et unique). Dix postes ouverts au titre de 2024.

    Contrairement au concours de magistrat administratif, la sélectivité est plus forte au concours unique d’accès direct qu’au concours de l’Institut national du service public2.

    Toutefois, le faible nombre d’emplois offerts à l’issue de la scolarité plaide pour le passage du concours de conseiller si le candidat souhaite exercer en juridiction financière.

    Comme pour les magistrats administratifs, une formation statutaire est prévue pour les lauréats des concours dans les douze mois suivent l’entrée en fonction (article R. 221-3 et R. 228-7). Cette formation est assurée par la Cour des comptes et peut être complétée par une formation organisée par l’INSP. Elle est généralement assurée durant le premier semestre de l’année suivant la nomination.

    Le Tour Extérieur

    Il existe également une procédure de recrutement au « tour extérieur »3.

    Ouvert aux Agents Publics Ayant Dix ans d’Expérience

    Celle-ci est fixée à l’article L. 221-4 du code des juridictions financières. Elle concerne :

    • Les agents publics des trois versants de la fonction publique appartenant à un corps de catégorie A ou assimilé4 et
    • Justifiant au 31 décembre de l’année considérée d’un minimum de dix ans de services publics dans un organisme relevant du contrôle de la Cour des comptes ou des chambres régionales des comptes.

    Le nombre de places est fixé par arrêté du président de la Cour des comptes et ne peut pas être supérieur au nombre de places offertes au concours direct (dix places pour 2023).

    L’Examen des Candidatures par une Commission de Haut Niveau

    Cette inscription est prononcée par une commission chargée d’examiner les titres des candidats et qui comprend onze membres :

    • Le premier président de la Cour des comptes, président de la commission ;
    • Le procureur général près la Cour des comptes ou son représentant ;
    • Le président de la mission permanente d’inspection des chambres régionales et territoriales des comptes ;
    • Trois membres désignés respectivement par :
      • Le ministre chargé des Finances ;
      • Le ministre chargé de l’Intérieur ;
      • Le ministre chargé de la Fonction publique ;
    • Le directeur de l’Institut national du service public ou son représentant ;
    • Un magistrat de la Cour des comptes désigné par le conseil supérieur de la Cour des comptes et
    • Trois magistrats de chambres régionales des comptes désignés par le Conseil supérieur des chambres régionales des comptes.

    Cet examen se fait en deux temps :

    1. Une analyse du dossier de chaque candidat, puis
    2. Une audition par la commission des candidats dont les dossiers sont jugés satisfaisants.

    L’Établissement d’une Liste d’Aptitude

    La commission établit ensuite une liste d’aptitude, par ordre de mérite.

    Il ressort de l’analyse des résultats au tour extérieur que la quasi-intégralité des candidats retenus au tour extérieur sont ou ont été vérificateurs en chambre régionale des comptes5.

    Comme pour les magistrats recrutés par la voie du concours, et dans des modalités identiques, une formation à compter de leur entrée en fonction est prévue par le code des juridictions financières (article R. 221-10).

    S’agissant des affectations géographiques, quelques CRC concentrent les recrutements :

    Calculs personnels, à partir des postes ouverts sur les trois derniers tours extérieurs.
    Calculs personnels, à partir des postes ouverts sur les trois derniers tours extérieurs.

    Le Détachement (Qui Peut Être Suivi d’une Intégration)

    L’article L. 221-10 établi la liste des corps pouvant être détachés dans le corps des magistrats de chambre régionale des comptes :

    • Les magistrats de l’ordre judiciaire ;
    • Les fonctionnaires appartenant à un corps recruté par la voie de l’Institut national du service public ;
    • Les professeurs titulaires des universités ;
    • Les maîtres de conférences ;
    • Les fonctionnaires civils et militaires issus de corps et cadres d’emplois appartenant à la même catégorie et de niveau comparable.

    Par ailleurs, l’alinéa 2 du même article L. 221-10 prévoit la possibilité pour certains contractuels justifiant d’une expérience professionnelle d’au moins six années d’activité « les qualifiant particulièrement » d’exercer des fonctions de magistrat des chambres régionales des comptes.

    Dans une communication de 20166, la Cour des comptes comptabilisait une centaine de personnels détachés dans des fonctions de magistrat en CRC (pour environ 350 magistrats en exercice). En majorité des administrateurs territoriaux.

    Autrement dit, près du quart des magistrats de CRC est constitué de fonctionnaires détachés7.

    Les Épreuves du Concours d’Accès au Grade de Conseiller (Concours Direct)

    Le concours direct est ouvert :

    • Aux agents publics appartenant à un corps de catégorie A ou assimilé justifiant au 31 décembre de l’année du concours de sept ans de services publics effectifs, dont trois ans en catégorie A ;
    • Aux magistrats de l’ordre judiciaire ;
    • Aux titulaires de l’un des diplômes exigés pour se présenter au concours externe d’entrée à l’Institut national du service public.

    La Composition du Jury

    Celle-ci est prévue par l’article R. 228-2 du code des juridictions financières8 et comprend dix membres :

    • La présidence du jury est assurée par le président de la mission permanente d’inspection des chambres régionales et territoriales des comptes assure la présidence du jury ;
    • Trois membres sont ensuite désignés par :
      • Le ministre chargé des Collectivités territoriales ;
      • Le ministre chargé du Budget ;
      • Le ministre chargé de la Fonction publique ;
    • Deux professeurs des universités (titulaires) ;
    • Un avocat général, un procureur financier ou un substitut général désigné par le procureur général près la Cour des comptes ;
    • Un président ou vice-président de chambre régionale des comptes ;
    • Deux membres du corps des magistrats de chambre régionale des comptes, proposés par le Conseil supérieur des chambres régionales des comptes.

    La diversité des professionnels représentés témoigne du haut niveau de compétences attendu.

    Les Épreuves d’Admissibilité et d’Admission

    Les épreuves du concours de conseiller de chambre régionale des comptes sont particulièrement ramassées (article R. 228-4).

    Deux épreuves d’admissibilité) :

    • L’étude d’un dossier de finances publiques (quatre heures, coefficient 2) ;
    • Une composition sur un sujet de droit constitutionnel ou administratif (quatre heures, coefficient 1).

    Une épreuve d’admission consistant en une interrogation portant sur un sujet tiré au sort se rapportant à la gestion publique locale suivie d’une conversation d’ordre général avec le jury sur des questions juridiques (trente minutes de préparation et quarante-cinq minutes d’échanges, coefficient 2)9.

    Toute note inférieure à 5 est éliminatoire (article R. 228-5). Cependant, et contrairement au concours de magistrat administratif, il n’existe aucune limite à la présentation du concours.

    Contrairement au tour extérieur, les postes ouverts sont nettement mieux répartis, y compris dans certaines régions plus attractives :

    Calculs personnels
    Calculs personnels

    Le Programme des Épreuves

    Le programme est fixé par l’arrêté du 8 mars 2018 fixant le programme des épreuves du concours organisé pour le recrutement direct de conseillers de chambre régionale des comptes. Bien que les épreuves soient peu nombreuses, le nombre de matières à maîtriser se révèle important.

    Le programme des écrits

    Le cadre général des finances publiques :

    Les prélèvements obligatoires et les autres ressources publiques :

    Déficits et dette publics :

    Les finances de l’État :

    Les finances locales :

    Les règles comptables et le contrôle des finances publiques :

    En compléments, des éléments de droit public sont également attendus.

    Ici, vous pouvez vous rapporter au programme de droit public pour le concours de magistrat administratif.

    Les sujets pouvant susciter des questions à réponses courtes ou à une discussion juridique avec le jury portent sur les sujets suivants :

    L’organisation et les compétences des collectivités territoriales :

    La politique budgétaire et financière des collectivités territoriales :

    La gestion du personnel dans les CT (statut de la FPT).

    Les services publics locaux :

    Les collectivités territoriales et les citoyens (information et communication locales, concertation et participation des citoyens).

    Le contrôle des comptes et la gestion des organismes publics locaux et de leurs satellites :

    1. Agent de catégorie A chargé de l’assister dans son contrôle.
    2. Environ 4 % de réussite au concours unique de CRC. Il s’agit de l’un des concours les plus difficiles de la République.
    3. Le recrutement au tour extérieur est un recrutement sur dossier, après audition des candidats. De solides références juridiques et un parcours professionnel de haut niveau sont évidemment requis.
    4. Sont également listés les magistrats de l’ordre judiciaire, mais ces derniers n’ont en réalité aucun intérêt à passer le concours ou le tour extérieur, puisqu’ils peuvent être détachés dans le corps.
    5. Et, dans une moindre mesure, à la Cour des comptes.
    6. « Devenir magistrat de chambre régionale des comptes », Cour des comptes, 10 octobre 2016.
    7. Inversement, une soixantaine de magistrats de CRC étaient, à la date de l’enquête, en dehors des CRC. Soit un peu moins du cinquième (dont certains à la Cour des comptes).
    8. Ici encore, la ressemblance avec le jury du concours de conseiller de juridiction administrative n’est pas fortuite. Les mêmes exigences techniques et intellectuelles sont requises.
    9. L’épreuve orale est en réalité double et se rapproche en cela de celle prévue au concours direct pour l’accès aux fonctions de conseiller de tribunal administration et cour administrative d’appel.
  • La Cour des comptes et la formation professionnelle, épisode 2 : l’OPCO EP

    La Cour des comptes et la formation professionnelle, épisode 2 : l’OPCO EP

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Le rapport de la Cour des comptes sur l’OPCO Entreprises de proximité (OPCO EP) met en lumière les défis et les opportunités liés à la gouvernance, à la gestion et à la transformation de cet opérateur de compétences.

    Pour rappel, les opérateurs de compétences sont responsables du financement de l’apprentissage et de l’accompagnement des petites et moyennes entreprises dans leurs projets de formation (financement et conseils). Organismes privés, chargés d’une mission de service public ; les OPCO sont à mi-chemin entre les secteurs publics et privés.

    Présentation de l’OPCO EP

    OPCO interprofessionnel, comme AKTO (précédent billet consacré à l’OPCO AKTO)1, l’OPCO EP réunit 53 branches professionnelles, dont la principale cohérence tient à leur taille : en moyenne trois salariés.

    L’OPCO couvre 434 000 entreprises et près de 2,4 millions de salariés2.

    Une gouvernance éclatée et mobilisant beaucoup d’administrateurs

    L’OPCO compte presque autant d’administrateurs que de salariés

    L’OPCO compte 1 000 administrateurs pour 1 140 salariés :

    • Un conseil d’administration de 60 administrateurs ;
    • Sept instances d’appui composées d’une vingtaine d’administrateurs :
      • Un bureau ;
      • Un comité stratégique ;
      • Une commission financière ;
      • Une commission apprentissage et professionnalisation ;
      • Une commission immobilière ;
      • Une commission certifications ;
      • Un comité des risques et d’audit ;
    • 33 sections paritaires professionnelles, réunissant l’essentiel des administrateurs (960) et
    • 17 commissions paritaires régionales (340 administrateurs).

    Ces 67 instances présentent un coût important et embolisent le conseil d’administration

    Cette comitologie présente un coût croissant : de 0,6 million d’euros en 2020 (pendant la crise sanitaire) à 5,5 millions d’euros en 2022.

    La Cour note par ailleurs que le conseil d’administration est : « encombré par des sujets d’un niveau peu stratégique », malgré un nombre élevé de commissions et comités. Le bureau manque notamment de délégations durables du conseil d’administration.

    Les sections paritaires professionnelles (SPP) sont encore trop nombreuses et pas assez interprofessionnelles

    L’OPCO EP comptait à fin 2022 :

    • 32 sections paritaires professionnelles (SPP), dont 6 multibranches3 et
    • 1 section paritaire interprofessionnelle.

    26 SPP sont « mono branches », soit la moitié des branches professionnelles adhérentes à l’OPCO.

    Pour la Cour, il convient de poursuivre ce travail de rapprochement entre branches :

    • Le foisonnement de SPP présente des coûts importants, y compris en coordination administrative et est contraire au principe de mutualisation des financements et de convergence des prises en charges ;
    • Par ailleurs, certaines SPP regroupent à peine quelques milliers de salariés ou apparaissent incomplètes (par exemple : il existe une SPP dentaire et une SPP santé).

    Le cas particulier de l’APNI

    L’OPCO EP présente la particularité de déléguer une partie de ses missions et financement à une association paritaire : l’APNI (association des particuliers-employeur).

    Outre le fait que cette délégation est illégale, elle rajoute une complexité à un système déjà compliqué. D’autant que l’APNI délègue elle-même à un prestataire l’animation de la politique de formation de la branche.

    La Cour sollicite la création d’une SPP qui délèguerait directement cette animation au prestataire (faute de mieux).

    Une organisation des ressources humaines marquée par de profondes transformations

    Un changement de paradigme lors de la fusion-transformation d’Agefos PME

    Agefos PME était l’organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) interprofessionnel préexistant à la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Son organisation était profondément décentralisée.

    Inversement, Actalians4, le second OPCA fusionné, était assis sur une organisation centralisée. C’est cette vision, notamment incarnée par son directeur général, devenu directeur général d’OPCO EP, qui a prévalu.

    Ainsi, 45 % des effectifs du nouvel ensemble ont été réaffectés à la direction générale. 367 postes de gestionnaires de dossiers ont été recentralisés. Le réseau de proximité ne comptait plus, à fin 2020, que 334 postes sur 1 054.

    Un recours systématique et coûteux à des cabinets de consultants

    Comme pour l’OPCO AKTO :

     « L’Opco a un recours permanent à une société de conseil pour des prestations intellectuelles « de conseil en stratégie et en organisation pour la constitution opérationnelle de l’entreprise EP » pour des montants facturés très élevés. »

    Par ailleurs, la Cour note qu’au regard des documents transmis (tardivement) :

    « (Les livrables) relèvent davantage d’un travail de secrétariat ou de l’exercice d’une activité courante dévolue aux agents des directions de l’opérateur que d’une prestation de conseil de haut niveau, stratégique ou organisationnelle, justifiant une tarification élevée. »

    Les coûts (qui ont fait l’objet d’un audit) et la couverture de la quasi-intégralité des missions de l’OPCO témoignent du caractère excessif et incontrôlé de ce recours :

    Une transformation sans plan social

    L’opérateur n’a pas connu de plan social d’entreprise, ni mis en œuvre de rupture conventionnelle collective. L’effectif de salariés est donc resté stable, de 1 134 ETP en 2020 à 1 087 fin 2021.

    Pour autant et comme pour AKTO, des transactions ont été réalisées pour certains salariés. La Cour en relève six, dont trois sans délégation du conseil d’administration. Par ailleurs, aucune transaction n’a été évoquée au conseil d’administration5.

    Enfin, et ici encore, la Cour relève des montants particulièrement élevés pour ces transactions :

     « Deux transactions (indemnité de licenciement incluse) ont atteint plus de 400 000 euros, alors que l’indemnité médiane des cadres dirigeants s’élève ainsi à 62 360 € en cas d’ancienneté supérieure à 10 ans. »

    Un pilotage administratif et financier à parfaire

    Des charges de fonctionnement élevées

    L’OPCO EP présente, avec AKTO, les charges les plus importantes de l’ensemble des OPCO. Toutefois, le ratio de dépenses de l’OPCO est cohérent avec le nombre de salariés qu’il gère :

    • L’OPCO EP emploie 18 % des effectifs des onze OPCO ;
    • Ses charges de fonctionnement représentent 19 % de l’ensemble des charges de fonctionnement.

    Le déclin des versements volontaires

    Depuis la loi du 5 septembre 2018, les montants collectés directement et volontairement auprès des entreprises ne cessent de baisser.

    Cette baisse tient pour partie à la structuration de l’OPCO (peu de grandes entreprises) et à une offre de services qui peine à démontrer son intérêt et justifier un versement volontaire de la part des entreprises.

    De plus en plus, les OPCO deviennent de simples payeurs, en particulier sur l’apprentissage :

    Le droit de la commande publique est encore peu appliqué

    L’OPCO EP s’est doté d’un « embryon de service » par le recrutement d’une personne dédiée aux achats publics en 2020.

    Toutefois, l’opérateur ne suit de manière systématique ses achats que depuis fin 2022, trois ans après sa constitution.

    Pour la Cour, et malgré le recours à des cabinets de consultants spécialisés :

    « L’essentiel reste à faire en matière de respect de la commande publique »6.

    Une structuration solide du contrôle interne, mais une lutte contre la fraude encore timide

    Un OPCO manifestement actif s’agissant du contrôle interne

    L’OPCO EP a mis en place un dispositif de contrôle interne et de gestion des risques organisé en trois « lignes de défense » conformément aux préconisations de l’institut français d’audit et du contrôle internes (IFACI).

    Un référentiel de contrôle interne et gestion des risques et une charte d’audit interne, validés par les instances paritaires, font l’objet d’un suivi par le comité d’audit et des risques.

    À ce titre, l’opérateur contrôle ainsi aléatoirement 5 % des dossiers financés.

    Une lutte contre la fraude encore peu prioritaire

    La lutte contre la fraude ne fait pas l’objet d’une priorité, même si des projets notamment en lien avec l’intelligence artificielle sont évoqués.

    L’engagement automatique des contrats d’apprentissage présentent cependant des risques élevés, en termes de fraudes ou d’erreurs sur les données.

    Par ailleurs, le discours tenu par les administrateurs sur leur manque supposé de prérogatives contredit la réalité des pouvoirs importants dévolus aux OPCO dans le Code du travail. La Cour recommande à l’OPCO EP de se saisir de l’ensemble de ses prérogatives de contrôle.

    Un rôle majeur joué par l’OPCO dans la dynamique d’apprentissage

    L’apprentissage est une priorité de l’OPCO

    L’OPCO EP concentre près de 24 % des alternants français. La dynamique très relevée est, comme pour les autres OPCO, très supérieure aux prévisions initiales.

    Par ailleurs, les apprentis financés par l’OPCO préparent très majoritairement des diplômes de niveau bac et infra (86 % de niveaux infra-bac). Il convient de noter que ce type de qualifications (historiquement très présente en apprentissage), a été moins dynamique que celles de l’enseignement supérieur.

    L’OPCO a adopté une posture d’accompagnement des CFA

    L’OPCO EP a formé ses conseillers formation à l’accompagnement des centres de formation des apprentis (CFA). Près de 1 700 visites de centres étaient ainsi prévues sur 2022.

    L’OPCO dépasse son rôle de financeur, dans l’objectif de pérenniser l’offre de formations et d’améliorer les relations avec l’OPCO (notamment du point de vue administratif et financier). Par ailleurs, l’OPCO a mis à disposition un baromètre de satisfaction permettant de mesurer le niveau de satisfaction des CFA.

    L’ensemble de ces éléments témoignent d’une approche qualitative et particulièrement fine dans le développement et le suivi de l’offre de formation par apprentissage.

    L’offre de services à destination des entreprises de l’OPCO

    La promotion de l’accès des TPE-PME à la formation

    L’OPCO a dépassé les objectifs qui lui étaient assignés dans la convention d’objectifs et de moyens signés avec l’État.

    Toutefois, ces indicateurs « ne rendent qu’imparfaitement compte de la qualité et de l’adéquation des formations réalisées, tout particulièrement à destination des salariés » selon la Cour.

    La durée moyenne de formation demeure relativement courte (10 heures en 2021). Cependant, l’OPCO en est conscient et a fléché une enveloppe de six millions d’euros en 2023 pour le financement de formations exclusivement certifiantes.

    Des prestations de conseil aux entreprises en relatif échec

    Comme on l’a vu, les conseillers de l’OPCO ont la particularité d’accompagner les entreprises relevant de l’OPCO, mais également les CFA.

    En moyenne, chaque conseiller a un portefeuille de 1 450 entreprises.

    Ces conseillers proposent des solutions en matière de formation dans le cadre des priorités fixées par le conseil d’administration et les SPP. Le plus souvent, ces conseillers proposent les services de l’OPCO à l’occasion de visites en entreprise, mais également, et de plus en plus, par des moyens dématérialisés.

    Toutefois, l’OPCO est ici en difficulté et peine à atteindre les objectifs qui lui sont assignés :

    1. Né d’un accord entre la CPME et l’U2P. Alors qu’AKTO a un accord constitutif signé par le MEDEF, comme on a pu le voir dans notre précédent billet.
    2. Pour rappel, avec un peu moins d’entreprises couvertes, l’OPCO AKTO compte près de six millions de salariés, soit trois fois plus.
    3. Artisanat alimentaire ; communication graphique et du multimédia ; juridique ; officiers publics et ministériels ; santé ; particuliers employeurs et emploi à domicile.
    4. Au-delà de la querelle organisationnelle et managériale, ce sont aussi des enjeux politiques qui se sont affrontés : Agefos PME était dirigée, côté patronal, par la CPME, tandis qu’Actalians l’était par l’U2P.
    5. Le contrôleur général économique et financier et le commissaire du gouvernement auprès de l’OPCO n’ont pas davantage été informé de ces transactions.
    6. Chose étonnante, ces difficultés concernent également l’achat de… formations. Malgré son expertise supposée dans le domaine, la Cour relève un nombre anormalement élevé de marchés demeurant infructueux, notamment du fait de « l’inadéquation de l’allotissement avec le marché de la formation »
  • La Cour des comptes et la formation professionnelle : Épisode 1, l’OPCO AKTO

    La Cour des comptes et la formation professionnelle : Épisode 1, l’OPCO AKTO

    Temps de lecture : 10 minutes.

    La Cour des Comptes a rendu deux rapports assez sévères sur la gestion paritaire des fonds de la formation professionnelle par deux des plus gros opérateurs de compétences (OPCO) : AKTO et l’OPCO EP (entreprises de proximité).

    Le présent billet portera sur l’OPCO AKTO. Après une brève présentation de cet opérateur, les principaux éléments relevés par la Cour seront abordés s’agissant de la gouvernance, de l’organisation et du pilotage de l’OPCO.

    Qu’est-ce qu’un OPCO et pourquoi il est intéressant d’observer leur fonctionnement ?

    Les OPCO occupent une place singulière :

    • Il ne s’agit pas de personnes publiques (les OPCO sont des associations paritaires),
    • Ni d’opérateur de l’État1 et
    • Ce ne sont pas davantage des caisses de Sécurité sociale.

    Pour autant, leur existence, leur modalité d’organisation et leurs financements sont intégralement définis par l’État2. Par ailleurs, n’étant pas des « sujets administratifs », ils disposent de modalités de pilotage du secteur privé.

    Ce modèle original permet ainsi de comparer la gestion du secteur privé pilotée par des organisations paritaires avec des acteurs similaires gérés par l’État :

    • Les OPCO perçoivent 630 millions d’euros de frais de gestion pour financer l’apprentissage3, probablement 800 millions d’euros tous dispositifs confondus. Ils comptaient, en 2020, 6 500 salariés4.
    • À titre de comparaison, les ARS devraient percevoir 623 millions d’euros sur 20255 pour 8 300 équivalents temps pleins (ETP), soit environ 9 000 salariés.

    Au-de ces éléments quantitatifs, qui démontrent un coût total de financement supérieur par agents gérés du système privé paritaire, l’appréciation qualitative portée par la Cour des comptes est particulièrement inquiétante.

    Présentation de l’OPCO AKTO

    AKTO est un opérateur de compétences (OPCO). Et, il est l’un des plus gros parmi les onze OPCO agréés par le ministère du Travail depuis 2019.

    Les OPCO sont notamment chargés de financer les contrats d’apprentissage du secteur privé et d’accompagner les entreprises des conventions collectives qui leur sont rattachées dans leurs besoins de formation. Ils ont été créés par la loi 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Les onze OPCO ayant remplacé les vingt OPCA précédents6.

    AKTO compte près de 1 100 salariés et couvre un champ composé de près de 400 000 entreprises pour six millions de salariés et intérimaires relevant de l’intérim, de l’hôtellerie et de la restauration, de la propreté, de l’enseignement…

    Il se distingue également des autres OPCO par le fait que son accord constitutif est signé par le MEDEF7.

    Page de présentation du site AKTO.

    Une gouvernance particulièrement complexe

    Une structure de gouvernance lourde et peu transversale

    La Cour note tout d’abord que le conseil d’administration est composé de 70 membres et l’Assemblée générale de 350 représentants.

    À cette première comitologie imposante, s’ajoute 21 sections paritaires professionnelles (SPP) réunissant les branches professionnelles composant l’OPCO. À l’exception de trois d’entre elles, toutes sont mono-branches. La transversalité entre les différents secteurs professionnels est donc particulièrement faible.

    Enfin, l’OPCO compte aussi quatre commissions transverses et treize commissions paritaires régionales interbranches, ainsi que six commissions d’orientation paritaire en outre-mer.

    Avec le conseil d’administration et l’assemblée générale, ce sont ainsi 44 commissions paritaires, composées de centaines d’administrateurs représentant les salariés ou les employeurs, qui pilotent les missions de l’OPCO.

    Une négociation des conventions d’objectifs et de moyens (COM) avec l’État difficile et peu stratégique

    La convention d’objectifs et de moyens détermine, comme son nom l’indique, des cibles d’indicateurs ainsi qu’un ratio de financement de l’opérateur sur la collecte gérée. Elle constitue, avec l’agrément initial, l’instrument de contrôle de l’État sur ces opérateurs.

    Toutefois, la Cour relève que la négociation de la COM 2020-2022 entre l’État et AKTO a été complexe, avec un rendu partiel et sans analyse approfondie.

    Par ailleurs, la COM 2023-2025 présente peu de différences par rapport à la précédente, soulignant une certaine stagnation dans les objectifs et les moyens. En conséquence, la COM n’est pas de nature à permettre une meilleure maitrise budgétaire.

    Une organisation interne instable

    Évolution de la Direction Générale

    Jusqu’en janvier 2024, la direction générale comprenait plusieurs départements clés :

    • communication,
    • finance,
    • gestion administrative,
    • pilotage et animation du réseau,
    • développement et ingénierie,
    • systèmes d’information,
    • secrétariat général,
    • ressources humaines, et
    • audit.

    En 2023, la direction du contrôle, chargée du contrôle qualité des organismes de formation et du contrôle interne, a été supprimée suite au départ de la directrice en fin d’année 2022.

    Ce n’est qu’en septembre 2024 qu’une nouvelle directrice générale adjointe aux finances a pu être nommée, dans un contexte de réflexion sur le renforcement sur les activités de contrôle et de détection de la fraude8.

    Une mobilité des directeurs inquiétante

    AKTO a connu une forte mobilité des directeurs, avec des départs notables (DSI, directrice contrôle (précitée), DAF, directeur audit).

    « Les salariés rencontrés ont exprimé leur perplexité face à ces changements qui ne facilitent pas une bonne appropriation du sens et des missions qui leur sont confiées. »

    Une externalisation de fonctions stratégiques

    Autre spécificité d’AKTO, et ce, malgré plus de mille salariés, une très forte externalisation :

    La direction de la transformation, la direction des systèmes d’information et la direction financière ont été confiées à une même société prestataire, malgré la présence de nombreux cadres supérieurs susceptibles d’être recrutés en interne.

    L’OPCO dépense ainsi beaucoup en sous-traitance et en honoraires, en particulier dans les services informatiques :

    • 1,5 million d’euros par an en 2022 et 2023 pour la sous-traitance ;
    • 3,7 millions d’euros en 2022 et 2,3 millions d’euros en 2023, s’agissant des honoraires.

    Un agrément comme opérateur unique en outre-mer « pas satisfaisant »

    En outre-mer, le principe est celui de la mutualisation des moyens, un OPCO assurant pour les autres l’animation locale de la politique de formation professionnelle des salariés du privé (y compris les financements).

    Toutefois, la Cour relève qu’AKTO ne dispose pas du « référentiel entreprises » permettant de rattacher les entreprises locales à leur OPCO9, ce qui empêche ainsi AKTO de disposer des remboursements correspondants.

    Un pilotage des systèmes d’information défaillant

    L’absence de documents stratégiques fondamentaux

    Malgré ces nombreuses prestations auprès d’entreprises spécialisées, AKTO n’a formalisé aucun des éléments pourtant essentiels d’une conduite de projet informatique :

    • Le schéma directeur informatique (SDI),
    • Le plan de continuité et de reprise d’activité (PCA/PRA),
    • La charte informatique,
    • Une politique de sécurité des systèmes d’information (PSSI).

    Ces lacunes exposent l’opérateur à des risques significatifs en matière de sécurité des données et des systèmes.

    Un dérapage du budget consacré au système d’information

    Le budget consacré aux systèmes d’information a presque triplé par rapport à l’estimation initiale, atteignant 16 M€.

    Une évolution des ressources humaines qui n’est pas soutenable

    Une évolution des effectifs et des rémunérations incontrôlées

    De 2021 à 2024, les effectifs ont augmenté d’un quart, passant de 884 à 1 113 équivalents temps plein.

    Les effectifs de cadres ont même augmenté de moitié de 2022 à 2023.

    Des métiers essentiellement liés au conseil et une sur-proportion de femmes

    Les conseillers et gestionnaires représentent 60 % des salariés. Par ailleurs, l’ensemble des salariés de l’OPCO, 77 % sont des femmes10.

    Une forte progression des dépenses de rémunérations

    La masse salariale a progressé de plus de 16,6 millions d’euros, soit une augmentation de plus de 28 % en l’espace de trois ans (proche de l’évolution des effectifs), correspondant à une augmentation annuelle moyenne de près de 5,5 M€.

    Pour la Cour :

     « Cette dynamique n’est pas soutenable au regard des ressources de l’opérateur et suscite des interrogations (compte tenu des) difficultés malgré tout persistantes de l’opérateur dans la gestion administrative des dossiers ou le pilotage des marchés. »

    Toutefois, à la date du contrôle, l’opérateur envisageait toujours le recrutement de 120 nouveaux salariés. Ce qui, pour la Cour, est à « contre-courant » des tendances observées dans les autres OPCO, alors même que l’on constate une relative stabilisation du nombre de contrats d’apprentissage.

    Des rémunérations élevées, en particulier pour les cadres dirigeants

    En 2023, les dix plus hautes rémunérations de l’opérateur s’échelonnent de 113 618 € à 202 835 €, avec une moyenne de 135 252 €.

    La Cour note que la rémunération de la directrice générale a été augmentée successivement en 2022, 2023 et 2024. Ces augmentations ont été réalisées sans information préalable au conseil d’administration.

    Par ailleurs, AKTO ne respecte pas l’obligation de publier les rémunérations des trois plus hauts cadres dirigeants prévue par la loi du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l’engagement éducatif11.

    Des ruptures conventionnelles coûteuses et sans délégation de pouvoir du conseil d’administration

    16 ruptures conventionnelles ont été signées entre janvier 2020 et fin 2021, sans délégation nécessaire du conseil d’administration. La direction générale engageant donc des dépenses importantes et non autorisées.

    Le coût total des ruptures conventionnelles et des licenciements d’anciens directeurs généraux s’élève à plus de 1,2 million d’euros. Une rupture conventionnelle a ainsi porté sur un montant brut de 405 000 euros.

    Une politique sociale généreuse et parfois peu contrôlée

    Une politique sociale avantageuse

    AKTO s’assure la fidélisation de ses salariés à travers une politique sociale attractive : épargne salariale, protection sociale, accord d’intéressement, conditions de travail.

    À titre d’exemple, l’accord d’intéressement prévoit une enveloppe globale d’un million d’euros12, pouvant aller jusqu’à 1,2 million d’euros en fonction de l’atteinte des objectifs.

    En conséquence, le turn-over est relativement faible, même s’il est en hausse : de 6,4 % en 2020 à 18,4 % en 202313. L’ancienneté moyenne est de 9,25 ans.

    Un avantage en nature généralisé : la mise à disposition de véhicules de fonction

    AKTO dispose d’une importante flotte automobile, avec 345 véhicules de fonction.

    Autrement dit : un salarié sur trois dispose d’un véhicule de fonction. Cela représente évidemment un avantage en nature très significatif.

    La Cour invite l’Opco à gérer la flotte de véhicules de façon moins dispendieuse, compte tenu du doublement de la dépense en quatre ans.

    Une gestion des notes de frais peu scrupuleuse

    La Cour relève également une utilisation récurrente de cartes de paiement par certains salariés, notamment les directeurs régionaux et membres du comité de direction. Par ailleurs, la directrice générale a, à plusieurs reprises, effectué des dépenses personnelles avec ces cartes professionnelles (remboursées ensuite).

    Autre fait étrange : certains salariés disposent de telles cartes de frais pour des raisons « historiques » et qui ne tiennent pas à leurs fonctions actuelles.

    La Cour précise logiquement que cette pratique ne peut perdurer pour une multitude de raisons :

    • L’absence d’habilitation préalable du conseil d’administration,
    • Le rattachement à un nombre de bénéficiaires non déterminé,
    • L’absence de contrôle et la validation hiérarchique peu rigoureuse,
    • L’absence de barèmes et la substitution aux ordres de mission14,
    • Le non-respect des marchés publics.
    • Par ailleurs, la directrice des finances et le responsable du pôle fonctionnement disposent de droits en écriture qui devraient, à l’évidence, interdire la détention d’une telle carte.

    Ce caractère dispendieux se retrouve aussi dans les dépenses liées aux frais de déplacement, de réception et d’événementiel : avec 6,1 millions d’euros pour 2022 et 6,2 millions d’euros pour 2023.

    Des financements de l’OPCO : portés par l’apprentissage et les subventions de l’État

    Une montée en puissance de l’apprentissage

    Cette montée en puissance se révèle notamment dans les produits de formation de l’organisme :

    La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel transfère la gestion des contrats d’apprentissage des Régions aux nouveaux OPCO à compter du 1er janvier 2020.

    L’année 2020 a été particulièrement dense dans l’apprentissage, marquée par des aides à l’embauche de l’État en sortie de crise sanitaire.

    Des financements volontaires très faibles

    Les OPCO sont censés être un outil au service des branches professionnelles et des entreprises. Toutefois, force est de constater que la section budgétaire « Plan volontaire » est, ici encore, essentiellement constituée de subventions publiques : État, Régions, Union européenne.

    En 2020, les subventions représentaient 54 % du total des produits de la section budgétaire, 67 % en 2021. Cette dynamique est notamment portée par des conventions budgétaires signées avec l’État au titre du FNE-Formation :

    Une gestion financière problématique

    Une direction financière peu réactive et outillée

    La direction financière de l’OPCO est substantielle, puisque composée de 48 salariés, organisés en trois pôles : fonctionnement, formation et contrôle interne.

    Cependant, la Cour relève dans son contrôle « de réelles difficultés à obtenir rapidement des informations fiables ».

    Malgré l’importance des montants gérés et les dépenses en matière de systèmes d’informations, la direction financière de l’OPCO semble peu appropriée :

     « Les salariés recourent à des fichiers Excel pour la préparation et le suivi budgétaire, avec tous les risques d’erreurs et de fuites de données que cela implique. Le déploiement d’un système d’information financier est resté à l’état de réflexion, l’opérateur ayant voulu concentrer prioritairement ses efforts sur le système d’information global. »

    Des processus d’achats non maitrisés

    Le constat est similaire s’agissant des achats publics, puisque :

     « Près de cinq ans après la création de l’Opco, la structuration de la commande publique reste lacunaire. Il n’existe toujours pas, fin 2024, de stratégie d’achats et les préalables indispensables à celle-ci. »

    « AKTO n’apparaît pas davantage en capacité de mesurer l’efficience de cette activité (taux d’infructuosité non fiabilisé, mesure des économies générées, délais moyens de mise en œuvre des procédures, recensement des incidents).

    « Plus important, l’analyse de la balance des fournisseurs transmise par la direction financière montre que l’essentiel des dépenses de fonctionnement ne respecte pas les dispositions du code de la commande publique. »

    Un contrôle interne très en retard et encore non finalisé

    Le pôle contrôle interne est composé de six agents et d’un chef de pôle. Toutefois, ce n’est qu’au cours du premier trimestre 2024 (cinq ans après la création d’AKTO) que l’OPCO s’est doté d’une charte du contrôle interne.

    Une cartographie des risques est présentée comme devant être opérationnelle durant l’année 2025.

    À l’évidence, la Cour des comptes est donc peu timorée sur cette gestion très légère des fonds publics :

    « Alors que l’opérateur gère plus de deux milliards d’euros de crédits avec plus de 1 100 collaborateurs, ces carences dans le déploiement d’un plan de maîtrise des risques ne sont pas acceptables. »

    Une lutte contre la fraude extrêmement réduite

    Le gouvernement communique désormais sur l’impératif de la lutte contre les fraudes dans le secteur de l’apprentissage15. Pour autant, l’OPCO AKTO ne réalise que peu d’actions concrètes :

    En matière de lutte contre la fraude, l’essentiel des contrôles de l’OPCO AKTO porte sur l’identité des organismes, la fiabilité des informations fournies et le contrôle des coordonnées bancaires. Les véritables contrôles sont délégués à un tiers16.

    La Cour relève d’ailleurs que l’OPCO assume une « vision restrictive de son rôle (…) d’autant plus paradoxale que dans ses “conditions générales”, l’opérateur rappelle justement les contrôles qu’il est habilité à mettre en œuvre, ainsi que leurs modalités, d’une ampleur bien plus importante17. »

    Des délais d’engagement (et de paiement) des contrats d’apprentissage qui « révèlent d’importantes difficultés »

    En 2023, le délai moyen entre le dépôt et le début d’un contrat est de 108 jours, contre 48 jours pour la moyenne des opérateurs. Par ailleurs, cet indicateur se dégrade pour AKTO, alors qu’il continue de se réduire pour les autres opérateurs.

    1. Ce qui signifie que l’État n’exerce pas de « tutelle » directe sur ces organismes : nomination du dirigeant, droits de vote au conseil d’administration, avis sur le budget…
    2. Dans le code du travail, au Livre VI consacré à la formation professionnelle.
    3. Tableau 5 de l’Annexe IV de la Revue de l’inspection générale des finances des dépenses publiques d’apprentissage et de formation professionnelle de mars 2024. Les frais de gestion des autres dispositifs comme le plan de développement des compétences pour les petites entreprises ou le Fonds national pour l’emploi Formation (FNE-Formation) ne sont pas décomptés. Le montant total devrait donc se rapprocher 800 millions d’euros.
    4. https://www.opco2i.fr/les-opco-dressent-un-premier-bilan/
    5. Au titre du programme 155 de la mission Travail Emploi de la loi de finances pour 2025.
    6. Les OPCA, pour organisme paritaire collecteurs agréés, collectaient directement les fonds de la formation professionnelle (aujourd’hui, ce sont les URSSAF), mais sans la taxe d’apprentissage. Ils finançaient essentiellement les contrats de professionnalisation et les plans de formation des petites et moyennes entreprises (aujourd’hui, il est question de « plan de développement des compétences »).
    7. Les autres OPCO émanent le plus souvent de fédérations professionnelles, à l’exception de l’OPCO Entreprises de proximité, qui rassemble les deux autres organisations patronales interprofessionnelles : la CPME et l’U2P.
    8. Pour rappel, des centaines de millions d’euros de paiements transitent chaque mois par l’OPCO. Cette prise en compte tardive de la lutte contre la fraude interroge.
    9. Chaque OPCO acquitte de sa contribution unique pour le financement de la formation professionnelle auprès de l’URSSAF. Toutefois, ces paiements sont attachés à la convention collective appliquée par l’entreprise et chacune de ces conventions collectives est elle-même rattachée à un OPCO.
    10. Elles sont toutefois moins nombreuses dans les fonctions managériales (66 %) et supports (60 %).
    11. Obligation qui s’impose aux associations dont le budget annuel est supérieur à 150 000 € et qui reçoivent un
      montant de subventions supérieur à 50 000 €.
    12. Soit un montant brut moyen de 1 087 euros au titre de 2022.
    13. Ce qui peut être lié aux recrutements récents.
    14. La Cour note ainsi que deux salariés ont bénéficié, par notes de frais, de remboursement de leurs trajets domicile-travail. Certains membres du comité de direction se font rembourser des dépenses de taxi ou des nuits d’hôtel à Paris, alors qu’il s’agit de leur domicile professionnel.
    15. Communiqué de presse du 10 janvier 2025 de Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et Philippe Baptiste, ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
    16. Le groupement inter-entreprises D20F.
    17. Des contrôles de service fait, qui peuvent être approfondis et se réaliser sur place. Des contrôles de qualité, qui peuvent porter également sur l’ingénierie pédagogique, les tarifs… Or, la Cour note que ces contrôles : « qui ouvre(nt) potentiellement
      l’accès à des données nombreuses n’est pas développé. »
    Professeur devant un tableau d’équations
  • La conduite des projets numériques de l’État

    La conduite des projets numériques de l’État

    Temps de lecture : 9 minutes.

    La Cour des comptes a publié en décembre 2024 un rapport consacré aux gains de productivité du numérique. Ses investigations portent en particulier sur un échantillon de projets informatiques « significatifs » réalisés au sein des ministères économiques et financiers.

    Pour rappel, un précédent article de ce blog est consacré aux informaticiens des ministères économiques et financiers.

    Le numérique est envisagé comme un levier de transformation de l’État

    Une succession de plans numériques

    Depuis le début des années 2000, plusieurs plans de transformation numérique se succèdent au niveau interministériel :

    • Administration électronique (ADELE) de 2004 à 2007,
    • France Numérique en 2012,
    • État plateforme en 2014,
    • Action publique 2022 en 2017.

    Des attentes fortes en termes de gains de productivité

    La dématérialisation des procédures est notamment envisagée comme permettant d’augmenter la productivité des services, tout en améliorant la qualité des services rendus.

    Les gains de productivité attendus sont de plusieurs natures :

    • La réduction du nombre d’emplois et des coûts de fonctionnement associés à production au moins constante ;
    • L’augmentation des recettes de l’État ;
    • L’amélioration du service rendu (accès, pertinence, délai) sans augmentation aussi forte des coûts de production.

    Une mise en œuvre généralement confiée au Premier ministre et au ministre chargé de la fonction publique

    À compter de 1981, le ministre de la fonction publique se voit, quasi systématiquement, adjoindre le portefeuille de la réforme de l’État et de la modernisation.

    Sous la présidence d’Emmanuel Macron, il est même question de « l’Action et des Comptes publiques », puis de la « Transformation et de la Fonction publiques ».

    Le pilotage de la transformation de l’État s’appuie donc sur deux leviers : les ressources humaines et le numérique.

    Deux directions interministérielles sont responsables de la conduite de ces projets

    • La direction interministérielle du numérique1, rattachée au Premier ministre et au ministre de la fonction publique, est responsable de la conception et de la mise en œuvre de la stratégique numérique de l’État ;
    • La direction interministérielle de la transformation publique, rattachée aux mêmes autorités, notamment responsable du Fonds de transformation de l’action publique2.

    À cet égard, et de manière plus générale, il convient de noter un renforcement depuis quinze ans des directions interministérielles3. Pour n’en citer que quelques-unes :

    • La direction des achats de l’État (DAE), en 2016 ;
    • La direction de l’immobilier de l’État (DIE), en 2016 ;
    • La délégation interministérielle à l’encadrement supérieure de l’État (DIESE), en 2022.

    Une mesure des gains de productivité difficile pour les projets informatiques de l’État

    En dépit d’ambitions importantes, la réalité des projets et de leur suivi fait peu de place à une véritable politique de productivité.

    La mesure des gains de productivité dans le secteur public est plus complexe que dans le secteur privé

    La Cour des comptes relève tout d’abord la spécificité des biens ou services produits par le secteur public. Ceux-ci sont le plus souvent non marchands et fournis gratuitement ou à un prix symbolique, en dessous du coût réel de production4.

    Les recettes sont celles des contributions publiques, généralement obligatoires, et non le produit des ventes. Par ailleurs, compte tenu de l’universalité budgétaire et de la complémentarité de certaines politiques publiques, il est également difficile de mesurer précisément le coût d’une politique5.

    Le calcul de la productivité du service public ne peut donc être réalisé que par une opération intellectuelle et comptable.

    Ce faisant, c’est aussi une critique de la LOLF6 qui est émise par la Cour. Les instruments budgétaires actuels (programmes et rapports annuels de performance) ne permettent pas de reconstituer les coûts des différentes politiques publiques.

    Les méthodes d’évaluation des coûts

    Deux méthodes principales existent :

    • La méthode comptable, qui s’appuie sur le coût de production du bien ou service. Cette méthode consiste à rattacher tous les différents coûts à une prestation afin d’en évaluer le coût. Une productivité supérieure revient donc à produire plus avec autant ou moins, et inversement ;
    • Une méthode qualitative, notamment développée par Anthony Atkinson. L’objectif est ici de considérer les bénéfices sociaux d’une politique publique7. L’approche n’est plus comptable, mais se révèle quasiment impossible à mettre en œuvre :
      • Même en établissant des mesures qualitatives des actions menées, comment s’assurer de l’imputabilité d’un bienfait à telle ou telle politique publique ?
      • Comment comparer les effets ?
      • Enfin, dans l’attente des évaluations, comment piloter les politiques publiques ?

    La distinction entre la performance et l’efficience

    Le guide méthodologique de la LOLF définit la performance comme :

    La capacité à atteindre des objectifs préalablement fixés, exprimés en termes d’efficacité socio-économique (résultat des politiques), de qualité de service (en se plaçant depuis les points de vue respectifs du citoyen, du contribuable et de l’usager) ou d’efficience de la gestion (optimisation des moyens).

    La notion d’efficience met en regard un résultat avec les moyens consacrés (par exemple : la réduction de la surface en m² par poste de travail dans la gestion du parc immobilier).

    Elle n’est toutefois pas équivalente à celle de productivité, qui se concentre sur les activités productives de l’État.

    Des objectifs de performance très peu définis

    Une quasi-absence de critères de productivité dans les indicateurs de performance publiés par l’État

    L’analyse par la Cour des comptes des 2 128 sous-indicateurs renseignés dans le volet performance des PAP annexés au projet de loi de finances pour 2023 montre que la productivité est très rarement mesurée :

    • Seule une quarantaine d’indicateurs (moins de 2 %) met en rapport les résultats d’une production administrative avec les moyens engagés ;
    • Un unique sous-indicateur (au sein de la mission « Gestion des finances publiques ») comporte explicitement le terme « productivité » dans son libellé.

    S’agissant des indicateurs budgétaires liés aux enjeux numériques

    Vingt-sept indicateurs du budget de l’État (sur les plus de 2 000 évoqués plus haut) évoquent des enjeux numériques. Aucun ne mentionne la question de performance ou de productivité. Lorsqu’ils le font, c’est essentiellement de manière indirecte, comme pour les médias publics et leurs audiences sur les plateformes numériques.

    Le portage des projets numériques de l’État n’est quasiment pas orienté vers la performance

    À l’image des objectifs et indicateurs de la LOLF, les fondamentaux des projets numériques au sein de l’État ne semblent pas prioritairement portés par des enjeux de productivité.

    Les projets d’évolution des systèmes d’information sont entrepris le plus souvent pour répondre à l’un des trois objectifs suivants :

    • L’amélioration du service rendu aux citoyens ou aux entreprises (sans préoccupation de productivité) ;
    • La lutte contre l’obsolescence technologique des outils déjà en place ;
    • L’adaptation aux respects d’engagements européens ou internationaux (cas de la DGDDI avec le Brexit, nécessitant d’adapter ses SI aux nouvelles règles douanières).

    De rares projets portent des objectifs explicites en termes de productivité

    L’analyse des grands projets numériques les plus récents suivis par la DINUM montre que seuls un quart d’entre eux ont intégré des enjeux de productivité :

    • TELEMAC, sur les conditions d’exercice des agents de terrain de la direction générale des douanes et des droits indirects, lancé en 2022 et
    • URF, sur l’unification du recouvrement fiscal, lancé en 2020 et
    • Deux projets issus du programme de chaîne pénale numérique par le ministère de la Justice.

    Pour la Cour, ces projets constituent des exceptions.

    Les raisons de ce défaut de pilotage de la productivité

    La Cour identifie plusieurs raisons à ce manque de pilotage.

    • La productivité est « souvent un non-dit des décisions publiques ». Les craintes (supposées ou non) sur l’emploi ou l’évolution des organisations impliquent une réserve des employeurs publics.
    • En termes budgétaires, l’annonce de gains potentiels constitue un risque pour le gestionnaire ministériel. En l’absence des gains escomptés, leur budget pourrait être amputé à mesure de la projection initialement communiquée8.

    En conséquence, ce sont les gains qualitatifs qui sont le plus souvent mis en avant dans les projets numériques de l’État.

    L’absence de recommandations en termes de productivité de la direction interministérielle du numérique

    La direction interministérielle du numérique a rendu près d’une centaine d’avis sur les principaux projets de système d’information de l’État9.

    Cependant, elle ne se prononce presque jamais sur des considérations liées à la performance :

    « Contrairement aux questions techniques, budgétaires ou de pilotage, les gains attendus au cours ou à l’achèvement du projet ne font presque jamais l’objet de constats ou de recommandations et sont simplement évoqués, sous un angle qualitatif, dans la partie introductive qui présente le projet. »

    De grands projets numériques en difficulté

    Le panorama des grands projets numérique de l’État étudié par la Cour (19ᵉ édition, juin 2024) recense 45 projets, représentant un coût prévisionnel total de 3,8 milliards d’euros pour une durée moyenne de six ans.

    Il fait apparaître, en moyenne, des retards et des dérives budgétaires de respectivement 18,8 % et 17,5 %.

    À titre d’exemple, l’évolution du projet PILAT10 de la direction générale des Finances publiques, de son lancement à son achèvement :

    En revanche, le panorama et les documents qui l’accompagnent ne comportent aucune information sur les gains de productivité attendus.

    L’initiative du Fonds pour la transition de l’Action publique (FTAP)

    La Cour appelle ici à renouveler la démarche volontariste initiée à l’occasion du lancement du FTAP, tout en la consolidant par :

    • Un examen sérieux des gains de productivité au lancement du projet ;
    • Un suivi en cours de vie ;
    • Une évaluation des gains finalement obtenus une fois le projet achevé.

    Pour ce faire, la Cour recommande de :

    • Renforcer la procédure d’avis conforme de la DINUM (en association avec la direction du budget) et
    • Améliorer les outils de suivi des activités et des coûts, « dans une démarche de contrôle de gestion », pour mesurer l’atteinte des objectifs et les moyens associés.

    Pour les curieux :

    Depuis 2016, la DINUM rend public un tableau de bord semestriel des grands projets

    numériques de l’État11, c’est-à-dire ceux qui appartiennent à une ou plusieurs catégories suivantes :

    • Les projets qui ont un impact significatif sur les usagers, les ministères ou leurs agents ;
    • Ceux dont le contenu ou la gestion est complexe ou présente des risques majeurs ;
    • Ceux qui visent à réaliser des économies substantielles ou qui conduisent à engager des dépenses supérieures à 9 M€.

    Quelques mots de conclusion sur l’intelligence artificielle

    L’intelligence artificielle peut devenir un levier de productivité pour la Cour des comptes.

    Toutefois, les magistrats relèvent les discordances dans les évaluations des potentiels gains. À titre d’exemple :

    • Le cabinet de conseil Boston Consulting Group évaluait, en 2023, les gains potentiels de l’intelligence artificielle générative dans le secteur public à 1 750 milliards de dollars par an à horizon 2023 et 83 milliards de dollars pour la seule administration française12 ;
    • Le cabinet Mc Kinsey évaluait la même année les gains potentiels à 480 milliards de dollars par an, soit un niveau quatre fois inférieur13.

    1. La « Dinum » est un service du Premier ministre placé sous l’autorité du ministre de la transformation et de la fonction publiques. Parmi ses missions, prévues par le décret du 25 octobre 2019 modifié par le décret du 22 avril 2023, figurent le pilotage de la stratégie numérique de l’État, dont la mise en oeuvre est déléguée aux ministères, et la mobilisation des leviers numériques et technologiques nécessaires à l’accompagnement des services.
    2. Pour plus d’informations sur ce fonds créé en 2017 : https://www.modernisation.gouv.fr/accompagner-les-administrations/fonds-pour-la-transformation-de-laction-publique
    3. Celles-ci complètent ainsi « l’arsenal administratif » du Premier Ministre, qui dispose désormais d’une autorité sur près de 59 services, ou du ministre de l’Economie et des Finances, dans son volet de coordination des politiques supports.
    4. Une première difficulté est d’ailleurs le calcul de ce coût de production, rendu souvent compliqué par la multiplicité des missions réalisées et le travail en réseau du secteur public.
    5. À titre d’exemple, le ministère du travail et de l’emploi dispose de trois programmes budgétaires : le P102, pour l’accès et le retour à l’emploi ; le P103, pour l’amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail et le P155, qui recense les dépenses supports (conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail). Pour autant, comment considérer l’impact et les résultats de ces différents programmes sans mesurer les programmes portés par le ministère de l’Économie et des finances ? De l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur ? Des dépenses de solidarités et d’insertion, du financement des retraites… ?
    6. Loi organique relative aux lois de finances.
    7. Par exemple, une dépense de prévention en matière de santé publique présente des économies potentiellement très substantielles sur plusieurs années. En conséquence, pour Atkinson, il n’est pas souhaitable d’enregistrer uniquement le coût que présenterait une telle action.
    8. En précisant qu’en gestion, il n’existe pas davantage d’incitation à optimiser l’enveloppe accordée.
    9. Sur le fondement de l’article 3 du décret n° 2019-1088 du 25 octobre 2019 relatif au système d’information et de communication de l’Etat et à la direction interministérielle du numérique. Autrement dit, les projets de système d’information de l’État dont le montant prévisionnel global est égal ou supérieur à neuf millions d’euros.
    10. Projet visant à unifier dans une application le contrôle fiscal : de sa programmation, jusqu’au recouvrement et l’éventuel contentieux.
    11. Également disponible sur le site data.gouv : https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/panorama-des-grands-projets-numeriques-de-letat/
    12. BCG, Generative AI for the Public Sector: From Opportunities to Value, novembre 2023.
    13. McKinsey, Unlocking the potential of generative AI: Three key questions for government agencies, décembre 2023.
    Une main de robot devant un écran avec des points reliés
  • La Direction générale des entreprises (en 5 minutes)

    La Direction générale des entreprises (en 5 minutes)

    Temps de lecture : 5 minutes.

    La Cour des comptes a publié ses observations définitives le 5 décembre 2024 consacrées à la Direction générale des entreprises.

    La direction générale des entreprises est née en 2014 de la fusion de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services. Elle constitue l’administration centrale de référence pour la conception et la mise en œuvre des politiques de soutien aux entreprises et des politiques économiques sectorielles. 

    Malgré son rôle d’impulsion fondamental dans l’accompagnement des entreprises, cette direction des ministères économiques et financiers demeure peu connue. Ces quelques éléments de synthèse permettront, je l’espère, de disposer d’une première image de son activité, de son histoire récente et des agents qui la compose.

    Une direction au service des entreprises

    Selon les termes du décret n° 2009-37 du 12 janvier 2009 modifié, elle :

    « propose, met en œuvre et évalue les actions et les mesures, notamment financières, juridiques et scientifiques, propres à créer, sur le territoire national, un environnement favorable à la création et au développement des entreprises, notamment les petites ou moyennes entreprises et les entreprises de croissance, ainsi qu’au développement de l’industrie, du tourisme, du commerce, de l’artisanat, des services aux entreprises et aux personnes, de l’économie numérique, des communications électroniques et des professions libérales. Elle propose des mesures fiscales dans ces domaines. Elle concourt à la définition, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques de compétitivité, d’innovation, d’accompagnement des mutations économiques, de développement de la compétitivité internationale des entreprises et d’attractivité du territoire français. »

    Les moyens budgétaires à la disposition de la DGE

    Les dépenses de la DGE sont importantes et principalement portés par trois programmes budgétaires :

    • Le programme 134 (P134), « Développement des entreprises et régulations » ;
    • Le programme 192 (P192), « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle » ;
    • Le programme 343 (P343), « Plan France Très haut débit ».

    Au titre du plan de relance, la DGE a également géré de nouveaux programmes :

    • Le programme 362 (P362), « Écologie » (en soutien aux stratégies de transformation énergétique) ;
    • Le programme 363 (P363), « Compétivité » (consacré au secteur spatial, au numérique et à la souveraineté industrielle) ;
    • Le programme 364 (P364), « Cohésion » (petites entreprises, zones rurales…).

    Ces crédits sont désormais en extinction progressive.

    Des crédits budgétaires en recul jusqu’à la pandémie de la COVID 19

    Avant la crise sanitaire, ces programmes étaient en baisse et majoritairement orientés vers le financement des écoles et aides à l’innovation (P192), qui constituait 65 à 75 % des enveloppes gérées.

    Le mouvement de concentration de ces aides à l’innovation vers la mission budgétaire d’investissements d’avenir amplifiait cette tendance baissière.

    Une rupture avec le « quoiqu’il en coûte »

    À la suite de la crise sanitaire de la COVID-19, les crédits gérés par la DGE sont multipliés par six :

    De 1,13 milliard d’euros en 2017 (dont 0,76 milliard sur le P192) à 6,66 milliards d’euros en 2023.

    Outre les effets de la relance budgétaire initiée par le Gouvernement, il convient de noter également un effet de périmètre avec le transfert à la DGE des crédits du programme 193 dédiés à la recherche spatiale à compter de 2021 (en jaune dans le graphique à suivre).

    Une réorganisation profonde à compter de 2018

    En 2018 et 2019, à la prise de fonctions du nouveau directeur général et quelques mois à peine avant la crise sanitaire, la DGE et son réseau régional ont connu une restructuration en profondeur.

    Ces transformations visaient à répondre aux ambitions gouvernementales portées dans la démarche « Action publique 2022 » et aux circulaires du Premier ministre relatives à :

    • La transformation et la réorganisation des administrations centrales (5 juin 2019) et
    • L’organisation territoriale des services publics (24 juillet 2018 et 12 juin 2019).

    Elles ont conduit à diviser par près de deux le nombre d’agents dans le réseau territorial1 et à concentrer les effectifs à l’échelon central.

    Les effets de la réorganisation sur le déploiement des agents

    Les effectifs relevant de la DGE ont baissé d’un tiers de 2018 à 2023. Soit une baisse de 187 équivalents temps pleins travaillés.

    Toutefois, cette baisse n’a pas été uniforme :

    • Les effectifs en administration centrale ont augmenté de 6,1 % (+43,3 ETP),
    • Tandis que les effectifs du réseau territorial diminuaient de 40 %.

    La nouvelle composition de la DGE suite à la réforme

    Les données pour l’année 2019 détaillées par service révèlent l’ampleur de la réorganisation opérée :

    Près des deux tiers des effectifs du SISSE et du service de l’économie numérique ont été renouvelés, un tiers de ceux du service de l’industrie, du SCIDE et du secrétariat général.

    Le remplacement des fonctionnaires de catégories A et B, par des contractuels recrutés au niveau A+

    La moyenne d’âge est passée de 47,9 ans à 40,6 ans ; la part des plus de 50 ans de 52 % à 29 % et celle des contractuels de 22 % à 50 %.

    En parallèle, un repyramidage des postes a été opéré :

    • La part des agents titulaires et contractuels de catégorie A + représente désormais 38,7 % des effectifs, contre 23,5 % en 2018 ;
    • Celle des agents de catégorie A est toutefois en régression à : 49,4 %, contre 52 % en 2018.

    Les catégories A et A + regroupent ainsi 88 % des agents en 2023 contre 76 % en 2018.

    « La forte hausse du nombre d’agents A+ résulte des modalités de recrutement des agents contractuels, dont la majorité sont recrutés sous ce statut qui leur garantit l’accès à un indice majoré plus élevé, à même de rendre leur rémunération plus attractive. »

    Pour aller plus loin : Les hauts fonctionnaires des ministères économiques et financiers.

    Du point de vue structurel : une bascule des effectifs vers le soutien au numérique

    Certaines missions ont été abandonnées ou transférées :

    • L’Agence du numérique a ainsi été transférée à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT),
    • La sous-direction de l’animation territoriale, de l’Europe et de l’International a été supprimée, ces missions étant redistribuées (et le cas échéant ajustées) ou arrêtées.

    L’objectif de ces reconfigurations étant de renforcer les effectifs des services jugés prioritaires :

    • L’économie numérique, avec un quasi-doublement des ETP ;
    • L’industrie (+ 70,6 % des effectifs) et, dans une moindre mesure), le SISSE (Service de l’information stratégique et de la sécurité économique)é.

    Lorsqu’on regarde en région, les bouleversements sont majeurs :

    Des éléments qui demeurent encore à parfaire, malgré la réorganisation

    Le taux de renouvellement du personnel est élevé, à 25 %. Si, comme le souligne la Cour, cela n’est pas inhabituel pour une direction d’administration centrale, il s’agit d’une critique récurrente de la part des partenaires2.

    Par ailleurs, l’articulation avec les autres directions d’administration centrale demeure perfectible. Notamment avec :

    • La DGEFP sur les politiques de l’emploi et de la formation ;
    • La DG Trésor, pour la publication de travaux de référence en matière économique ;
    • Avec les directions métiers des ministères chargés de l’Environnement (pour les sujets liés à l’énergie, la construction…), l’Agriculture (pour le soutien aux entreprises agroalimentaires) ou encore l’Aviation civile…

    1. Étant considéré, notamment, qu’il ressort des missions des conseils régionaux d’animer les politiques économiques locales.
    2. La mobilité en administration centrale est généralement favorisée après deux ou trois ans en poste. Si bien que les turn-over sont le plus souvent élevés, ce qui contraste en effet avec les longévités rencontrées parmi les dirigeants et salariés d’opérateurs de l’Etat, d’entreprises ou d’associations partenaires, les représentants de branches professionnelles ou de fédérations…
    Vue sur la Seine
  • L’ENA, l’école qui meurt deux fois

    L’ENA, l’école qui meurt deux fois

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Retour sur un article intitulé : « Les élèves de l’École nationale d’administration de 1848 à 1849 » des chercheurs Howard Machin et Vincent Wright (Oxford University). Lecture qui peut utilement être complétée par un autre article de Vincent Wright, également disponible sur Persée : « L’École nationale d’administration de 1849 : un échec révélateur ».

    Ces auteurs sont les spécialistes de la période. On peut également se reporter au livre de Guy Thuillier, L’ENA avant l’ENA.

     « Un des premiers actes du Gouvernement provisoire établi en février 1948 fut la fondation d’une école d’administration. »

    La création de l’École (nationale) d’administration par Hippolyte Carnot

    Cette école d’un nouveau genre1, envisagée sans succès depuis des décennies, connaîtra toutefois une histoire courte : elle est officiellement supprimée dès l’année suivante en août 1849.

    Elle reste encore aujourd’hui indissociable de la personnalité d’Hippolyte Carnot.

    Qui était Hippolyte Carnot ?

    Ancien élève de l’École polytechnique, Hippolyte Carnot entendait dupliquer le modèle de cette école aux savoirs administratifs. Ce faisant, M. Carnot poursuivait trois objectifs :

    • Un instrument de promotion sociale et de renouvèlement des élites ;
    • La mise à disposition pour le gouvernement d’une pépinière de talents disposant d’une formation de haut niveau. L’administration devant : « posséd(er) dans les rangs secondaires une pépinière de jeunes sous-officiers capables de remplacer immédiatement les supérieurs empêchés »2 ;
    • Enfin, la possibilité de mettre fin au népotisme et au favoritisme dans les recrutements.

    « La pensée qui présida à la fondation de l’École d’administration répondait au sentiment démocratique, je n’ai pas besoin de dire de quelle manière : en ouvrant aux capacités la porte des emplois publics, elle détrônait le plus absurde des privilèges, celui d’administrer par droit de naissance ou par droit de richesse… »

    La période d’études était fixée à trois ans et le nombre d’élèves à six cents (deux cents par année3). Un modèle, là encore, très proche de l’École polytechnique4.

    Il convient de souligner l’origine républicaine de cette école, alors même qu’une grande continuité a pu exister dans l’administration entre les différents régimes. S’agissant du fonctionnement comme des hommes. À cet égard, la bascule dans le Second Empire sonnera rapidement le glas de cette école.

    La deuxième République. Musée Ingres, Montauban. À consulter à cette adresse : https://histoire-image.org/etudes/figures-symboliques-iie-republique.

    Un concours pour les jeunes hommes de 18 à 22 ans

    Un processus de sélection en deux temps

    Deux catégories d’épreuves ont été mises en place pour assurer l’admissibilité, puis l’admission. Celles-ci étaient en tous points semblables aux épreuves de l’École normale supérieure :

    • Les épreuves d’admissibilité étaient purement orales et comportaient des questions de grec, de latin, d’histoire littéraire, d’arithmétique, de géométrie et d’algèbre ;
    • Les épreuves d’admissions étaient orales et écrites et comportaient des interrogations de version latine, d’histoire de France, de physique, de chimie et de sciences naturelles.

    Cette très grande diversité des épreuves et leur caractère très général contrastait avec les velléités opérationnelles du processus de sélection.

    Par ailleurs, les préparations n’étant pas proposées par les facultés, celles-ci demeuraient à la charge des candidats.

    Un premier concours organisé en 1848 et suscitant un certain enthousiasme, avant de s’essouffler dès l’année suivante

    Au premier concours, de mai à juin 1848, près de 865 candidats se présentèrent. À l’issue des épreuves : 152 candidats sur les 200 envisagés furent sélectionnés.

    Au second concours, organisé en novembre 1848 et uniquement à Paris, la chute des candidatures est drastique : 174 candidats se présentèrent aux épreuves, pour 106 places. Il s’agissait le plus souvent de ceux écartés du premier concours.

    Cette dégradation rapide de l’image de l’école tient à une multiplicité de raisons :

    • La qualité des enseignements5,
    • Les débats rapides sur l’opportunité de supprimer cet établissement,
    • L’absence de perspective professionnelle assurée (contrairement à l’École polytechnique, par exemple)
    • L’absence d’indemnités pour suivre le cursus.

    Les origines sociales des élèves : la bourgeoisie des grandes villes

    Une surreprésentation des classes urbaines

    Les individus de grandes villes sont surreprésentés :

    • 17 % des étudiants étant d’origine parisienne (alors que 2,9 % de la population habitait à Paris6) et trois candidats sur cinq avaient ou effectuaient au moment du concours leurs études à Paris ;
    • Deux sur cinq provenaient d’un chef-lieu de département.

    Ceci s’expliquait par les professions exercées par les pères :

    • Près de 30 % étaient agents publics,
    • Environ 25 % dans le commerce, l’industrie ou la banque,
    • 20 % étaient libéraux,
    • Le reste étant propriétaire, cultivateur, artisan.

    L’apparition d’une classe bourgeoise « moyenne »

    Même si quelques grandes familles sont présentes. Les auteurs soulignent toutefois l’extraction relativement faible des élèves. Beaucoup n’auraient probablement pas pu accéder à la haute fonction publique sans ce concours.

    Comme aujourd’hui, l’essentiel des candidats provient de la bourgeoisie et pour une infime minorité (moins d’un sur douze alors) de classes modestes. Cette origine relativement commune dénote fortement avec le recrutement aristocratique de l’époque s’agissant de la haute fonction publique7.

    Pour autant, et d’une manière semblable à l’École nationale d’administration de 1945, les auteurs notent une concentration particulièrement élevée d’élèves de grands lycées, le plus souvent parisiens : Henri IV, Louis-le-Grand, Charlemagne… et très souvent privés : Sainte-Barbe, Rollin et Vaugirard, notamment.

    « C’est ainsi qu’une des conséquences paradoxales de la création de l’École d’administration, si elle avait duré, autant été d’ouvrir la porte de l’administration aux enfants très doués des écoles privées, souvent issus de riches familles catholiques. »

    Quel bilan ?

    Une mort rapide

    Le destin de l’École est scellé avec l’accession à la présidence de la République de Louis-Napoléon Bonaparte.

    Alfred de Falloux remplace Hippolyte Carnot comme ministre de l’instruction publique et suspend presque immédiatement les cours, avant de faire supprimer l’École par l’Assemblée quelques mois plus tard, en août 1949.

    Du cycle initialement prévu sur trois ans, l’enseignement dura à peine cinq mois pour la première promotion et six semaines pour la seconde.

    Une majorité d’étudiants poursuivirent logiquement leurs études dans les facultés de droit8, traditionnelles voies d’accès à la fonction publique. D’autres dans des écoles d’ingénieurs (Saint-Cyr, École polytechnique, École des Mines, École centrale…).

    Certains encore choisirent une tout autre carrière (sciences, médecine, etc.) ou ne continuèrent pas leurs études.

    Des carrières difficiles pour les lauréats

    Un effet quasiment nul sur les carrières des élèves

    En l’absence de formations sérieuses et de droits d’accès spécifiques à l’administration, les élèves des deux promotions entamèrent des chemins tout à fait personnels.

    Deux cinquièmes furent nommés à des postes dans l’administration, mais la plupart dans des emplois peu importants et encore moins prometteurs. Seule une minorité devint auditeur au Conseil d’État ou attaché aux Affaires étrangères.

    Sur les 258 anciens élèves, il n’y eut ainsi que deux conseillers d’État et huit préfets, aucun auditeur de la Cour des comptes, un seul directeur général d’administration (à la direction générale des Monnaies), deux ambassadeurs, deux consuls généraux et quatre ministres plénipotentiaires.

    Vingt-cinq devinrent simples professeurs, la majorité des étudiants en droit devinrent avocats.

    Un accès aux plus hautes fonctions publiques qui demeure réservé aux grandes familles

    Ainsi, M. Senès, premier au concours de la première promotion, finit sa carrière comme agent d’assurance tandis que M. Triaire, premier de la seconde promotion, demeura toute sa vie professeur de lycée.

    En définitive, la place au concours n’était d’aucune aide : les rares élèves qui finirent hauts fonctionnaires se trouvaient pour l’essentiel entre la 90ᵉ et la 130ᵉ place… Tous étaient issus de la haute bourgeoisie ou de l’aristocratie.

    Inversement, on peut légitimement penser que l’école aurait pu, comme l’a fait l’ENA un siècle plus tard, renverser les modalités habituelles de sélection en permettant à des jeunes gens9 intelligents d’accéder aux plus hautes fonctions. Peu importe leurs origines — même si celles-ci étaient, et demeurent aujourd’hui, généralement bourgeoises.

    Une école qui ne satisfaisait finalement personne

    Une contestation tous azimuts

    La première contestation vint du monde universitaire, jusque-là seule pourvoyeuse de fonctionnaires administratifs et jalouse de ses prérogatives.

    Cette mise en place d’une première École d’administration a été également très mal vécue par le sérail administratif, attaché à ses facultés de sélection et de promotion de son personnel. Crainte aussi partagée par les « petits fonctionnaires », soucieux de pouvoir conserver des marges d’avancement en dehors de ce que certains pouvaient considérer comme un « élitisme estudiantin ».

    Enfin et surtout, les politiques y ont vu une perte de pouvoir en empêchant le « patronage » alors très répandu et permettant de se constituer une clientèle, en dépit des quelques règles minimales de compétences (notamment l’exigence d’une licence de droit).

    Le rôle ambigu des forces conservatrices et bourgeoises

    Cette école sera par ailleurs très critiquée par une partie de la moyenne et haute bourgeoisie. Un tel mode de sélection pouvant porter le germe de la sédition par la promotion de classes laborieuses jugée plus instable.

    Pour autant, force est de constater que la droite conservatrice ne portera aucunement atteinte aux autres « Grandes Écoles », toutes publiques et assises sur un concours. L’École normale supérieure, l’École des chartes, l’École des mines, l’École des ponts et chaussées et, plus encore, l’École polytechnique seront même particulièrement soutenues par les monarchistes et bonapartistes.

    Une interrogation plus profonde sur la finalité de l’enseignement

    Pour beaucoup, ce qui détonnait était surtout l’incompréhension devant la création d’une école consacrée à des matières aussi peu scientifiques.

    À cet égard, le mode de recrutement et le contenu des enseignements ensuite délivrés détonnaient avec cette prétention à l’opérationnalité. Nous ne pouvons que penser à La Princesse de Clèves et aux débats permanents sur le rôle des écoles professionnelles.

    1. Il s’agit de la première école dédiée à la « science administrative ».
    2. Le Conseil d’Etat devait initialement constituer cette pépinière, mais finalement sans grand succès.
    3. Avec une administration toutefois largement plus légère en effectifs qu’aujourd’hui, voir par exemple l’article sur ce blog consacré à l’administration centrale dès l’Ancien régime. Un tel périmètre recouvre donc les actuels attachés d’administration et administrateurs de l’Etat.
    4. En précisant que cette nouvelle école, s’agissant des enseignements, étaient adossée au Collège de France.
    5. Les enseignements étaient dispensés dans les locaux du Collège de France et portaient sur des sujets très divers et parfois très éloignés de la matière administrative. Les cours de minéralogie ont notamment longtemps constitué un sujet de plaisanterie. Ce qui permettait aux contempteurs de souligner l’hérésie de vouloir constituer un enseignement se prétendant scientifique et administratif sans trop d’effort.
    6. Soit une sur-représentation de près de 6 fois le poids de Paris sans la démographie française. Pour autant, ce concours n’en constitue pas moins une avancée. MM. Machin et Wright rapportent ainsi que sur les 234 auditeurs du Conseil d’Etat sous le Second Empire, 102 étaient originaires de Paris.
    7. Durant le Second Empire, un cinquième des conseillers d’Etat seront originaires de l’aristocratie et les quatre cinquième restant de la haute bourgeoisie.
    8. 113 obtinrent une licence en droit.
    9. Allusion évidemment à l’ouvrage de Mathieu Larnaudie : https://www.amazon.fr/jeunes-gens-Enqu%C3%AAte-promotion-Senghor/dp/2246815096
  • La fonction publique est-elle encore attractive ?

    La fonction publique est-elle encore attractive ?

    Temps de lecture : 10 minutes.

    J’ai lu avec beaucoup d’intérêt un rapport du Sénat relatif à la mission « Transformation et fonction publique »1 du projet de loi de finances pour 2024.

    Vous pouvez le retrouver ci-après : Avis n°1778 – Tome IX – 16e législature – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)

    Une augmentation inquiétante du ratio d’emplois non pourvus

    Le rapport sénatorial cite en premier lieu une note de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) datée de mai 2023.

    Celle-ci relevait qu’en 2021, comme en 2019 et en 2020, environ 8 % des postes de fonctionnaires de l’État n’avaient pas été pourvus : sur les 39 900 postes ouverts aux recrutements externes (concours et contractuels), seuls 36 700 agents avaient été recrutés.

    Si on s’intéresse aux emplois non pourvus à la suite d’un concours externe, le ratio augmente encore fortement, à près de 15%2. Ce qui peut expliquer, par ailleurs, la hausse du recours aux contractuels dans les différentes fonctions publiques.

    A titre de comparaison, et selon la DARES, au deuxième trimestre 2024, le taux d’emplois vacants s’élève à 2,8% dans les entreprises du secteur privé (hors agriculture, intérim, particuliers employeurs et activités extraterritoriales).

    Ce ratio global recouvre évidemment une diversité de situations avec des métiers plus ou moins tendus. On peut toutefois relever que la quasi-intégralité (99%) des employeurs de la fonction publique hospitalière font état de difficultés de recrutements3.

    Or l’attractivité d’un secteur est essentiel, pour a minima disposer du personnel en nombre suffisant pour exercer les missions confiées (le point de vue « quantitatif »), mais également pour disposer d’un personnel qualifié et ayant les compétences adaptées au besoin du recruteur (le point de vue « qualitatif »).

    Une problématique commune à plusieurs pays

    La moyenne d’âge dans les pays développés augmente progressivement, accentuant à la fois le vieillissement de la population et les besoins associés, notamment en termes de santé. Mécaniquement, les agents publics eux-mêmes vieillissent, d’autant que les fonctions publiques sont en moyenne plus âgées que le secteur privé.

    Parallèlement, si la part de jeunes intégrant la fonction publique demeure stable sur la période 1991-2015, entre 9 et 11%. Il convient de noter en termes relatifs une dégradation de l’attractivité de la fonction publique, évaluée en termes de rapports entre le nombre de candidats et de postes à pourvoir.

    Une problématique commune à toutes les fonctions publiques

    Concernant la fonction publique de l’État, la sélectivité aux concours externes a varié du simple au triple depuis le milieu des années 1980, mais elle baisse tendanciellement depuis la fin des années 2000. La sélectivité des recrutements externes est ainsi passée de 17 candidats pour 1 admis en 1997 pour s’établir en 2020 à 5,8 candidats pour 1 admis.

    Rapport annuel sur la fonction publique de 2022, « Les recrutements externes dans la fonction publique de l’Etat en 2020 »

    « La baisse tendancielle de la sélectivité n’est pas imputable à l’évolution du volume des recrutements mais est bien plus liée à une fuite des candidats : le nombre d’inscrits et de présents aux concours externes diminue depuis le milieu des années 1990, alors même que le vivier de jeunes diplômés, potentiels candidats, a crû presque continûment. Ainsi, à comportement inchangé des jeunes diplômés, la sélectivité des concours de catégorie A et B, hors enseignants, aurait dû croître. »

    Concernant la fonction publique hospitalière, les emplois les plus qualifiés et dans certains secteurs sont particulièrement en tension : 25% des postes de pédiatre et 46% des postes de radiologue sont vacants. 

    Concernant la fonction publique territoriale, 39% des recruteurs faisaient état de difficultés pour recruter en 2021. En particulier dans des métiers comme la police municipale, la petite enfance et le périscolaire, la propreté et l’administratif. La concurrence avec le secteur privé, notamment s’agissant des rémunérations est régulièrement soulevée4.

    Par ailleurs, les recrutements en milieu rural surajoute une difficulté rendant les recrutements particulièrement difficiles.

    Enfin, et de manière transversale, la filière du numérique représente également un sujet de difficulté pour les employeurs. Le secteur privé étant réputé répondre davantage aux attentes des candidats tant en terme de rémunérations, malgré les vélléités de l’Etat notamment5, de parcours de carrière, que de « culture managériale » selon un rapport de l’OCDE citée par la sénatrice6.

    Une contagion jusque dans la haute fonction publique

    La baisse de l’attractivité ne semble pas épargner la haute fonction publique, même si les grandes tendances cachent encore des situations contrastées selon les écoles et les types de concours.

    Le rapport Thiriez7 relevait ainsi en 2020 que « tous concours confondus (École nationale d’administration, École nationale de la magistrature, Institut national des études territoriales, École des hautes études en santé publique), le nombre de candidats a baissé d’un millier entre 2010 et 2018 pour s’établir à 5 900, alors même que le nombre de postes offerts augmentait de 50 % ».

    Il faut cependant nuancer l’analyse : à l’Institut national du service public (INSP), qui a succédé à l’École nationale d’administration (ÉNA), le nombre total d’inscrits et le taux de sélectivité se sont globalement maintenus sur cette période, et ont même légèrement augmenté depuis 2018, principalement sous l’effet de la multiplication des voies d’accès (création des concours externes « Docteurs » et « Talents »).

    L’ENM, l’INET et l’EHESP sont donc, plus spécialement, confrontés à de plus grandes difficultés de recrutements.

    Une attractivité de la fonction publique qui semble corrélée à la situation du marché du travail

    Cette faiblesse de l’attractivité de la fonction publique semble par ailleurs s’accentuer en période de faible chômage, avec une concurrence accrue entre employeurs.

    L’enquête « Besoins en main-d’œuvre » réalisée par Pôle Emploi en 2023 souligne ainsi que 61 % des recrutements sont jugés « difficiles », contre 57,9 % en 2022. De même, les études de la DARES sur les métiers en tension témoignent de la grande diffusion des difficultés de recrutements dans les différentes filières, en particulier dans les métiers qualifiés.

    Les atouts des métiers de la fonction publique et les difficultés à surmonter

    L’auteure du rapport tente ensuite de rappeler les atouts des métiers de la fonction publique.

    Le principal atout : les « valeurs du service public »

    Il est d’abord rappelé que la principale raison de l’engagement dans la fonction publique tient aux missions et aux valeurs, qui se distinguent le plus souvent du secteur privé notamment lucratif. L’intérêt pour le service public est mis en avant par trois candidats à la fonction publique sur quatre, et chez neuf candidats sur dix c’est le métier qui est la principale source de motivation selon le Rapport de restitution des travaux de la conférence sur les perspectives salariales de la fonction de mars 20228.

    Pour autant, la fonction publique ne dispose pas d’un monopole sur l’intérêt général. De nombreuses associations, ONG, voire entreprises à mission peuvent également remplir cette quête de sens.

    Première difficulté : une gestion jugée trop rigide et hiérarchique

    A l’inverse, l’« emploi à vie » n’est plus un élément fort d’attractivité. La sénatrice cite ainsi une enquête réalisée par la CFDT : « seuls 29 % des jeunes ayant répondu, exerçant dans les trois versants de la fonction publique, se disent prêts à y passer toute leur carrière. »

    A titre personnel, il me semble également qu’il existe désormais unhiatus entre la rigidité statutaire (corps ou cadres d’emploi, catégories hiérarchiques relativement étanches, recrutement sur concours et affectation nationale pour les métiers de la fonction publique d’Etat) et les velléités de mobilité et d’ouverture des agents.

    Le rapport relève aussi une gestion souvent jugée lourde et très hiérarchique.

    Le recrutement par concours est aussi en lui-même particulièrement long et coûteux et parfois en décalage avec les besoins immédiats des recruteurs et les viviers de candidats9.

    La Cour des comptes relevait ainsi dans un rapport consacré au recrutement des compétences numériques au sein des ministères économiques et financiers10, que le faible intérêt pour les postes offerts était : « accentué par le délai de recrutement dans l’administration comparé à celui des entreprises : 14 mois minimum pour les titulaires et 11 mois pour les contractuels. Ces délais ne sont pas adaptés à un marché en tension. Ils laissent peu de chance face à la concurrence du secteur privé qui peut recruter les jeunes 15 jours après leur diplôme. »

    Deuxième difficulté : les rémunérations, jugées trop basses

    Les faibles rémunérations sont régulièrement évoquées, dans la population générale, mais également par les fonctionnaires eux-mêmes, en particulier dans la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale.

    En valeur absolue, les rémunérations étaient en 2020 légèrement supérieures dans le secteur privé (2 518 euros) par rapport au secteur public (2 378 euros), mais avec d’importantes disparités :

    • Si le salaire de la fonction publique d’Etat est relativement élevé, à 2 639 euros, cela tient à un effet de composition, du fait de l’importance des catégories A (cadres), dont les enseignants ;
    • À l’inverse, la fonction publique territoriale, par un effet de composition inverse, présente un salaire net mensuel moyen plus bas : à 2 019 euros ;
    • Enfin, la fonction publique hospitalière présente un niveau médian, à 2 464 euros, mais avec là-encore, d’importantes disparités (notamment entre les personnels médicaux et les fonctionnaires11).

    Surtout, la dynamique des salaires est radicalement différente entre les secteurs public et privé.

    Selon l’INSEE 12, entre 2009 et 2020, le salaire des employés du secteur privé a augmenté de 7,8 %, soit une hausse de 0,7 % par an. Cette évolution est largement supérieure à celle constatée dans la fonction publique, où le salaire a augmenté de 1 % seulement sur la période, soit + 0,1 % par an.

    Concernant certains métiers, les évolutions sont encore plus éloquentes.

    Ainsi, le salaire d’entrée des enseignants en collège et lycée titulaires du CAPES, hors primes, était équivalent à 2,17 fois le SMIC en 1980, contre seulement 1,14 fois actuellement 13.

    La « smicardisation » de la fonction publique est également en marche : près d’un agent public sur cinq est aujourd’hui rémunéré autour du SMIC.

    Dans un contexte de hausse de l’inflation et de renchérissement du logement, cette situation devient problématique pour de nombreux agents publics, notamment dans les zones urbaines les plus denses, comme en Île-de-France et dans les grandes métropoles régionales.

    Le gel ou la sous-revalorisation du point d’indice a ainsi impliqué des efforts sur les rémunérations des agents publics essentiellement concentrés sur des mesures conjoncturelles, ciblées et dispersées (notamment à destination des hauts-fonctionnaires, mais également des agents de la santé14 ou de la police nationale), nuisant à la cohérence globale et, peut-être, aux besoins du service public.

    Données de l’INSEE, présentées dans le rapport sénatorial.

    La rapporteure souligne également la grande complexité de la rémunération des agents publics, qui est jugée « illisible » pour les observateurs extérieurs.

    Des conditions de travail considérées par les agents comme « en dégradation »

    Quatre agents publics sur dix déclarent effectuer une quantité de travail excessive et 55 % des agents de l’État continuent de penser à leur travail même quand ils n’y sont pas (soit 19 points de plus que pour les salariés du privé)15.

    Dans la fonction publique territoriale, plus des deux-tiers des agents exerçant des missions de catégorie C sont par ailleurs fortement exposés aux risques professionnels, et notamment à des relations difficiles avec les usagers, à des risques physiques et psycho-sociaux, à des horaires atypiques, ainsi qu’à une mobilisation fréquente dans le cadre d’astreintes16.

    Les recommandations de la sénatrice

    La sénatrice énonce plusieurs propositions, mais le contexte des finances publiques interroge sur les facultés à la main du gouvernement pour y répondre.

    La sénatrice propose en premier lieu de rendre les rémunérations plus attractives avec :

    • Une nouvelle augmentation du point d’indice ;
    • Une réforme des modalités de calcul de l’indemnité de résidence afin d’en faire un véritable levier d’attractivité 17.

    Mais il s’agit également de promouvoir des initiatives managériales accordant une plus grande flexibilité dans l’organisation du travail afin d’améliorer les conditions de travail comme le droit à la déconnexion (en particulier pour les fonctionnaires d’Etat) et le développement du télétravail.

    La sénatrice propose aussi de poursuivre le développement de la marque employeur récemment créée, pour mieux faire connaître les métiers de la fonction publique et mettre en œuvre des campagnes de communication ciblées sur les métiers en tension, auprès des jeunes, comme des travailleurs âgés.

    Enfin, la sénatrice propose de rendre les processus de recrutement plus efficaces :

    • En publiant des offres d’emploi plus pédagogiques et notamment plus précises s’agissant de la rémunération offerte ;
    • En adaptant le format de certains concours, notamment pour les apprentis ;
    • en améliorant la coordination entre les acteurs au niveau local pour proposer de véritables parcours de carrière au sein des différentes collectivités publiques.
    1. Le programme 148 en nomenclature LOLF (loi organique relative aux lois de finances), géré par le ministère chargé de la fonction publique.
    2. Pour la source, voir l’article publié sur le site vie-publique.fr sur les difficultés de recrutement par concours.
    3. Article précité publié sur le site vie-publique.fr.
    4. Une autre difficulté est celle du recrutement par concours, en particulier dans des métiers en tension où cette étape se révèle parfois incongrue lorsque la condition de diplôme est par ailleurs déterminante pour exercer la profession. C’est notamment le cas des éducatrices de jeunes enfants et auxiliaires de puériculture pour les crèches municipales.
    5. Confer la circulaire n° 6434-SG du 3 janvier 2024 relative à la politique salariale interministérielle des métier de la filière numérique signée par la Première ministre.
    6. OCDE, « Renforcer l’attractivité de la fonction publique en France. Vers une approche territoriale », 2023.
    7. Pour consulter ce rapport, suivre ce lien.
    8. Autrement connu comme le rapport Peny, Simonpoli. Disponible en suivant ce lien.
    9. Le procédé de recrutement par concours vise à évaluer l’« aptitude » générale du candidat à exercer les fonctions prévues dans son corps ou son cadre d’emploi, pas à mesurer les compétences en vue d’un emploi spécifique.
    10. Cour des comptes, « Disposer des personnels qualifiés pour réussir la transformation numérique : l’exemple des ministères économiques et financiers », Rapport public annuel de 2020. Pour consulter ce rapport, voici le lien.
    11. Les personnels médicaux avaient ainsi un salaire net moyen de 5 870 euros en 2020, contre 2 319 euros pour les fonctionnaires selon une étude de l’INSEE.
    12. Insee, « Chiffres-clés : L’essentiel sur… les salaires », 12 juin 2023. Et voici le lien.
    13. Lucas Chancel, La chute du salaire des enseignants (1980-2022) », document de travail, avril 2023.
    14. Au titre du « Ségur de la santé » à destination du personnel hospitalier, mais aussi des EHPAD et établissements médico-sociaux.
    15. Rapport précité de mars 2022 sur les perspectives salariales de la fonction publique de MM. Peny et Simonpoli.
    16. Rapport sur l’attractivité de la fonction publique territoriale, par Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, Corinne Desforges, inspectrice générale de l’administration, et Mathilde Icard, présidente de l’association des DRH des grandes collectivités, janvier 2022.
    17. Le rapport pointe ainsi montant brut moyen versé par mois de seulement 46 euros pour les agents publics d’Ile-de-France, ce qui ne compense évidemment pas le surcoût lié notamment au logement.
  • La situation et les perspectives des finances publiques – juillet 2024

    La situation et les perspectives des finances publiques – juillet 2024

    Temps de lecture : 10 minutes.

    Examen du dernier rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques 2024de la Cour des comptes

    La France occupe une situation singulière et fait l’objet d’une procédure de déficit excessif par la Commission européenne

    S’agissant de la dette publique, et selon les données d’Eurostat, la France présente en 2023 un ratio d’endettement plus élevé de 22 points de PIB que la moyenne de la zone euro. Ce différentiel est encore plus élevé avec l’Allemagne : l’écart étant de 47 points de PIB.

    Par rapport à des pays similaires, la France présente une dette publique légèrement supérieure à celle de l’Espagne (+2,9 points de PIB), mais l’Italie demeure à un niveau encore très supérieur à la France et à l’ensemble de l’Union européenne avec un ratio d’endettement de 137 points de PIB.

    Extrait du rapport de la Cour des comptes de juillet 2024.

    L’Italie, la Belgique, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et Malte figurent parmi les pays concernées par une procédure pour déficit excessif, comme la France.

    La trajectoire de déficit de la France analysée par la Cour

    Selon la nouvelle trajectoire du programme de stabilité 2024-2027, le déficit public serait réduit de 1 point en 2025, passant de 5,1 à 4,1 points de PIB1.

    Il serait ensuite ramené à 3,6 points de PIB en 2026 puis repasserait très légèrement sous le seuil des 3 % pour s’établir à 2,9 points de PIB en 2027. Il serait ainsi supérieur de 0,7 point en 2024 au niveau prévu dans la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 et excèderait de 0,2 point la cible de cette loi de programme en 2027.

    Extrait du rapport de la Cour des comptes de juillet 2024.

     Une trajectoire maintenue malgré une décélération de la croissance

    Cette trajectoire de déficit modifie, par ailleurs, la répartition prévisionnelle de celui-ci entre ses composantes conjoncturelle et structurelle, amenant de fait à moins compter sur la croissance économique et à programmer un effort structurel plus important que celui prévu en loi de programmation des finances publiques.

    La trajectoire du programme de stabilité repose en effet sur des hypothèses de croissance révisées à la baisse en 2024 (de 1,4 % à 1,0 %) et en 2025 (de 1,7 % à 1,4 %), les prévisions pour 2026 et 2027 demeurant identiques à celles de la loi de programmation des finances publiques (respectivement 1,7 % et 1,8 %).

    La réduction du déficit structurel est plus marquée (2,3 points contre 1,4 point dans la loi de programmation des finances publiques sur la période 2024-2027) et repose sur des efforts très importants de maîtrise durable de la dépense mais également de hausse pérenne des prélèvements obligatoires.

    Une trajectoire particulièrement peu volontariste selon la Cour

    La comparaison des programmes de finances publiques des quatre principales économies de la zone euro montre que la trajectoire prévue par la France est peu ambitieuse. Sur la période 2024-2027, celle-ci affiche systématiquement l’objectif de déficit public le plus élevé et reste le seul pays à ne pas viser un déficit inférieur ou égal au seuil de 3 % en 2026.

    A titre de comparaison, la Cour cite l’exemple de l’Italie qui, malgré un déficit public de 7,2 % de PIB en 2023, prévoit de le ramener à 4,3 % en 2024 et d’atteindre la cible des 3% en 2026.

    La Cour note ainsi que, contrairement à ses partenaires, la France ne parvient pas, au cours de la période de programmation, à réduire significativement son niveau de dette par rapport au point haut atteint en 2020.

    En 2025, selon les programmes de stabilité, la dette publique française excèderait ainsi de 15,2 points de PIB son niveau d’avant-crise, contre +3,7 points en Allemagne, +5,9 points en Espagne et +4,7 points en Italie.

    La dette publique italienne demeurerait toutefois la plus élevée, à proximité de 140 % de PIB (en légère progression depuis 2024).

    Extraits du rapport de la Cour des comptes de juillet 2024.

    Des hypothèses économiques très optimistes selon la Cour

    La Cour considère que les hypothèses macroéconomiques du Gouvernement, même abaissées, demeurent trop optimistes, s’agissant de la croissance potentielle comme de la croissance effective.

    Le Gouvernement présente ainsi un objectif de retour au plein emploi à l’horizon 2027 sous l’effet favorable des « réformes structurelles sur le marché du travail ». L’impact de la réforme des retraites est ainsi estimé à +200 000 emplois occupés et l’impact de la réforme de la contracyclicité de l’assurance-chômage à +100 000 à 150 000 emplois à moyen terme.

    Le programme de stabilité fait également l’hypothèse que les réformes récentes2 permettront d’atteindre le plein-emploi, sans en évaluer véritablement les impacts.

    Ce retour au plein emploi projeté par le Gouvernement se traduirait par une baisse du taux chômage jusqu’à son niveau le plus bas depuis plus de 40 ans, alors que la Banque de France, dans ses dernières prévisions, anticipe au contraire une remontée du taux de chômage à 7,8 % fin 2024 et un maintien à ce niveau en 2025.

    La Cour note par ailleurs que les tensions sur le marché du travail rencontrées au 1er trimestre 20233 avec un taux de chômage à 7,1 % suggère l’hypothèse que la France ait approché son niveau structurel et que la poursuite de sa diminution supposerait des gains du système de formation et d’accompagnement des demandeurs d’emploi nettement supérieurs aux réformes passées.

    Par ailleurs, la France est confrontée à une forte chute de sa productivité, dont les raisons sont probablement multifactorielles, mais qui impliquent de sérieux doutes sur les estimations de croissance potentielle à 1,35 % présentée par le gouvernement. Un horizon de 1 % par an parait pour la Cour plus réaliste.

    La Cour note à cet égard, s’agissant de la croissance effective, une hypothèse de croissance pour 2025 du programme de stabilité (revue à la baisse à 1,4 %) qui se situe dans la fourchette haute des prévisions disponibles (1,3 % pour le Consensus forecasts et pour la Commission européenne, 1,2 % pour l’OCDE, 1,4 % pour le FMI).

    Quant à la croissance moyenne de 1,75 % sur la période 2026-2027, celle-ci excède très largement celle du Consensus forecasts (1,3 %), de la Commission européenne (0,5 %) et du FMI (1,5 %).

    Ce rythme élevé de progression de l’activité résulterait en particulier, selon le programme de stabilité présenté par le Gouvernement, de la conjonction de deux hypothèses particulièrement optimistes :

    • Un retour du taux d’épargne des ménages à proximité de son niveau d’avant-crise que les enquêtes de conjoncture actuelles ne permettent pas d’anticiper ; et
    • Une hausse du pouvoir d’achat liée à un retour – hypothétique – au plein emploi et à une dynamique des salaires portée par des gains de productivité d’une ampleur inédite depuis la crise sanitaire.

    Enfin, il doit être relevé que ni le programme de stabilité, ni la loi de programmation des finances publiques n’explicitent l’impact macroéconomique des mesures d’ajustement structurel prévues tant en économies de dépenses qu’en hausses d’impôts, alors que celles-ci, de par leur ampleur, auront nécessairement un effet dépressif sur l’activité économique qu’il convient d’estimer et de prendre en compte4.

    L’avis de la Cour sur le fond des mesures proposées dans le pacte de stabilité

    La trajectoire du programme de stabilité pour 2025-2027 repose sur une augmentation du taux de prélèvements obligatoires de 43,6 points en 2024 à 43,9 points en 2025 puis 44,1 points en 2026 et 2027.

    Autrement dit, des hausses d’impots.

    Ces hausses d’impôts sont fixées à hauteur de 15 milliards d’euros en 2025 (0,5 point de PIB) et à 6,2 milliards d’euros en 2026 (0,2 point de PIB), soit 21,2 milliards à l’horizon 2026.

    L’extinction du bouclier tarifaire y contribuera à hauteur de 4 milliards d’euros en 2025, mais le reste des mesures envisagées, de l’ordre de 17 milliards d’euros, n’est pas précisé, alors même que certaines baisses pérennes d’impôt avaient été annoncées, comme la poursuite de la baisse graduelle de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) au rythme de 1 milliard d’euros par an ou des mesures en faveur de classes moyennes pour 2 milliards d’euros.

    Le programme de stabilité prévoit une croissance de la dépense publique en valeur5 de 1,8 % en 2025, 2,6 % en 2026 et 2,1 % en 2027. Le coût des mesures exceptionnelles adoptées en réponse aux crises successives (sanitaire, énergétique) se replierait de 12 milliards d’euros en 2024 à 3 milliards d’euros en 2025 et se stabiliserait à ce niveau en 2026 et 2027, ce montant correspondant à la chronique prévue des dépenses de relance.

    Parallèlement, la charge de la dette augmenterait régulièrement sur la période, préemptant une part croissante de la dépense publique, de l’ordre de 8 milliards d’euros en 2025 et 2026 et de 12 milliards d’euros en 2027 pour atteindre 83 milliards d’euros à cet horizon, soit un niveau comparable à celui prévu dans la loi de programmation des finances publiques alors même que le niveau de dette publique serait supérieur de 80 milliards d’euros. Cela s’explique par des hypothèses de taux revues à la baisse par rapport à la loi de programmation des finances publiques (3,2 % contre 3,5 % dans la loi de programmation pour les taux longs en 2024, du fait de l’accalmie récente, mais avec une remontée à un niveau supérieur à l’hypothèse de ladite loi en toute fin de période – 3,6 % contre 3,5 % dans la loi de programmation).

    Hors dépenses exceptionnelles et hors charge d’intérêts, la dépense devrait donc progresser en moyenne de 1,9 % en valeur et 0,2 % en volume par an entre 2025 et 2027.

    Or, la Cour des comptes notes qu’une telle maîtrise de la dépense « impliquerait un effort d’économie sans précédent », correspondant à des économies de l’ordre de 50 milliards d’euros en 2027 par rapport à la trajectoire de dépenses des exercices précédents.

    Toutefois, la Cour émet des toutes sur la sincérité de cette programmation :

    • La moitié de l’effort serait effectué en toute dernière année (en 2027) et
    • Le gouvernement ne documente pas cet effort, pourtant inédit sur la période récente. Seuls sont précisés les impacts budgétaires de la réforme des retraites et de la réforme de l’assurance-chômage, avec respectivement 3,5 milliards d’euros d’économies pour l’une (nettes des mesures d’accompagnement et dispositifs dérogatoires) et 4,2 milliards d’euros pour l’autre, soit un total de 7,7 milliards d’euros pour 2027. 

    Par ailleurs, même en tenant intégralement compte de ce qui constituerait un « coup de frein sur plusieurs années sans équivalent récent » de la dépense publique, la Cour des comptes relève que celle-ci continuerait de croître, en valeur comme en volume.

    Extrait du rapport de la Cour des comptes de juillet 2024.

    Une trajectoire par ailleurs très incertaine au regard de la multiplication des besoins de financement auquel est confronté l’Etat

    La Cour relève l’addition récente de lois de programmation sectorielles6, qui devrait couvrir jusqu’au tiers des dépenses de l’Etat à horizon 2027 et contribue à rigidifier la dépense.

    De surcroît, la montée en puissance du financement de la transition écologique n’est pas suffisamment pris en compte et entretient une sous-estimation « systématique » selon la Cour de l’évolution de la dépense publique.

    Chaque année, les prévisions pluriannuelles sont en effet actualisées à l’occasion du rapport économique social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances, permettant de constater l’écart des trajectoires envisagées en loi de programmation (courbes orange) avec la réalité des dépenses constatées (courbe noire) :

    Extrait du rapport de la Cour des comptes de juillet 2024.

    En synthèse, la Cour identifie « trois fragilités majeures » :

    • Des hypothèses de croissance très optimistes à moyen terme, particulièrement sur les deux dernières années ;
    • Une inflexion de la dépense publique hors mesures exceptionnelles et hors charge de la dette qui représenterait à l’horizon 2027 un effort sans précédent d’économies de l’ordre de 50 milliards d’euros par an, et
    • Des hausses de prélèvements obligatoires de plus de 20 milliards d’euros sur la période 2025-2027, d’une ampleur également inédite depuis une dizaine d’années.

    « Plus encore qu’au moment de l’adoption de la loi de programmation des finances publiques et de la loi de finances initiale pour 2024, les marges de sécurité apparaissent inexistantes et la moindre mauvaise surprise conjoncturelle ou réalisation budgétaire et fiscale en deçà des objectifs se traduira par l’échec à ramener le déficit sous les 3 % et par une augmentation continue du ratio d’endettement au cours de la période.»

    1. Nous vous présumer au 23 septembre 2024 qu’il n’en sera rien.
    2. L’accompagnement des bénéficiaires du revenu de solidarité active, la constitution du réseau « France Travail », le service public de la petite enfance et la réforme des lycées professionnels.
    3. Une tension sur la quasi-intégralité des métiers, en particulier qualifiés, entraînant une pénurie de personnels particulièrement grave et inattendue, désormais en voie de résorption, sans être pour autant effacée.
    4. Sans trop m’avancer, il me semble compliqué d’anticipé cet effet récessif, mais, en effet, une projection aurait été utile. Au-delà de cette construction technique, il semble compliqué d’anticiper des mécanismes macro-économiques portant des corrections importantes sans une présentation des ajustements par le Gouvernement.
    5. L’évolution en valeur est l’évolution non corrigée de l’inflation prévisionnelle. L’évolution en volume est l’évolution corrigée.
    6. Intérieur, armées, recherche, justice, énergie et climat.
  • Les aides à la presse imprimée en France

    Les aides à la presse imprimée en France

    Temps de lecture : 10 minutes.

    Un rapport de l’Inspection générale des finances publié en novembre 2023, portait sur la distribution de la presse imprimée.

    Outre la synthèse ici proposée, vous pouvez aussi vous appuyer sur les : « chiffres clés, statistiques de la culture – 2023 » publié par le ministère de la culture.

    Enfin, le Sénat a également contribué aux réflexions sur ce sujet avec un rapport déposé en 2021 et proposant déjà une vaste réforme du système d’aide à la presse.

    Un secteur dont l’importance tient notamment aux enjeux démocratiques en matière de libre circulation des opinions et idées

    Le secteur de la presse fait depuis longtemps l’objet d’une attention soutenue de la part des pouvoirs publics au regard des enjeux de pluralisme que revêt plus particulièrement la presse quotidienne nationale (dite « PQN ») d’information politique et générale.

    On pense inévitablement à la grande loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, symbole de ce républicanisme libéral porté par la IIIe République, mais il convient aussi ajouter la mise à disposition d’un service postal national unifié et opérationnel, matérialisé par la création d’un ministère dédié dès 1879 (ministère des postes, télégraphes et téléphones) et permettant la diffusion de la presse sur le territoire national.

    Toutefois, contrairement à l’inspiration libérale de la IIIe République, le législateur entend depuis la IVe République veiller à la diversité des titres de presse et à leur diffusion sur l’ensemble du territoire, en subventionnant le cas échéant, et parfois fortement, ces titres de presse.

    L’origine de notre système tient à la loi Bichet de 1947 introduisant un droit pour tous les quotidiens de la presse nationale d’être distribué sur l’intégralité du territoire et permettant la création des Nouvelles messageries de la presse parisienne, le distributeur historique et bénéficiant d’un monopole légal (devenu Presstalis en 2011 et désormais France messagerie).

    Cet interventionnisme légal est même reconnu par le juge constitutionnel qui a ainsi reconnu un objectif de valeur constitutionnelle au regard de l’enjeu démocratique que constitue la pluralité de la presse.

    Le rapport cite ainsi le considérant n° 38 de la décision du Conseil constitutionnel n°84-181 DC du 11 octobre 1984 : « Considérant que le pluralisme des quotidiens d’information politique et générale (…) est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; qu’en effet la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s’adressent ces quotidiens n’était pas à même de disposer d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents ; qu’en définitive l’objectif à réaliser est que les lecteurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu’on puisse en faire l’objet d’un marché »1.

    Les différents titres de presse et les obligations associées s’agissant de la diffusion

    Le rapport rappelle les distinctions existantes entre quatre grandes familles de presse imprimée :

    • La presse quotidienne nationale (PQN),
    • La presse quotidienne régionale (PQR) et la presse hebdomadaire régionale (PHR) ;
    • La presse magazine et
    • La presse gratuite.

    Si la loi confère à tout éditeur la liberté d’assurer lui-même la diffusion de ses propres journaux et publications, elle prévoit en revanche que lorsqu’un éditeur décide de ne pas s’auto-distribuer et donc de se grouper avec d’autres éditeurs pour la distribution en vue de la vente au numéro, il doit alors adhérer à une société coopérative de groupage de presse (ci-après « société coopérative » ou « coopérative »).

    Ces coopératives sont détenues par les éditeurs et doivent conclure un contrat de groupage auprès d’une société agréée de distribution de presse ou SADP (ci-après « messagerie » ou « messagerie de presse »), dont elles peuvent être actionnaires : les messageries gèrent ainsi les opérations commerciales et logistiques de la distribution de la presse imprimée en vue de sa vente au numéro. L’objectif est évidemment, dans un marché en rétractation, de mutualiser les moyens afin de permettre un minimum d’économie d’échelle.

    La PQN et la presse magazine nationale, destinées par nature à être distribuées sur la totalité du territoire français, font appel au système de distribution par des messageries, qui assurent la couverture du territoire national avec une forte capillarité (desserte de 20 000 points de vente en 2023), en dépit d’une rétraction constante du réseau depuis plusieurs années (-33% du nombre de points de vente depuis 2010).

    De leur côté, la presse gratuite et la presse régionale (quotidienne ou hebdomadaire) s’auto-distribuent.

    Le mécanisme de distribution et les acteurs aux différents niveaux

    Dans le cas du groupage pour la vente au numéro, les titres une fois imprimés sont acheminés par une messagerie (dite « niveau 1 ») qui assure leur regroupement et qui livre une soixantaine de dépositaires (dits « niveau 2 ») répartis sur le territoire.

    Le niveau 2 est principalement chargé de constituer des lots pour la distribution et d’acheminer les exemplaires dans les points de vente tenus par des diffuseurs ou marchands de presse (dits « niveau 3 »).

    Au niveau 1, deux messageries sont concurrentes :

    • D’une part, France Messagerie (anciennement Presstalis jusqu’à sa mise en liquidation en juillet 2020), qui a un monopole de fait sur la distribution des quotidiens nationaux car elle est la seule société à proposer cette prestation2 ;
    • D’autre part, les Messageries Lyonnaises de Presse (MLP), concurrent historique de la première, mais spécialisée dans les hebdomadaires.

    Les dépenses publiques destinées à la presse

    Le programme budgétaire de l’Etat portant les aides directes à la presse imprimée est le programme 180, « Presse et médias », porté par le ministère de la culture.

    Les inspecteurs généraux rapportent 199 millions d’euros d’aides directes :

    • Des aides à la diffusion : avec 72,2 millions d’euros d’aides aux exemplaires postés, 35,1 millions d’euros aux aides portées (distribution effectuées au domicile, mais par un service autre que La Poste), 2,4 millions d’euros d’aide aux réseaux de portages, 11,7 millions d’euros d’exonérations de charges pour les vendeurs colporteurs et les porteurs de presse ;
    • Des aides au pluralisme : pour 23,2 M€ ;
    • Des aides à la « modernisation » : pour 27,9 millions d’euros, dont 27 millions d’euros comme aide à la distribution de la presse quotidienne nationale d’information politique et générale vendue au numéro en France (versement effectué au prorata des numéros vendus par publication3, en précisant que les titres de presse reversent ensuite près de 9 millions d’euros de cette enveloppe à France messagerie sous forme de subvention d’exploitation ;
    • Des aides à la modernisation des diffuseurs de presse : pour 6 millions d’euros ;
    • Un Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) : pour 15,4 millions d’euros ;
    • Enfin, un Fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse : pour 5 millions d’euros.

    Soit un total de 149,7 millions d’euros complété par un versement à La Poste de 40 millions d’euros en 2023 (crédits de paiement du programme 134 ouvert au titre du projet de loi de finances pour 2023) destinés à compenser les tarifs préférentiels de distribution de la presse.

    En complément de ces dépenses directes et de la compensation pour le service postal, le secteur bénéficie d’aides indirectes sur le plan fiscal :

    • Une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à taux super-réduit : 2,10 % en métropole et 1,05% en Guadeloupe, Martinique et à La Réunion pour la presse imprimée et numérique ;
    • L’exonération de contribution économique territoriale (CET) pour les diffuseurs de presse ;
    • Une déduction fiscale, sous la forme d’une déduction spéciale sur l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés pour les investissements dans les entreprises de presse ;
    • Une réduction d’impôt des particuliers pour dons effectués en faveur des entreprises de presse ;
    • Une réduction d’impôts des particuliers pour souscription au capital des entreprises de presse : ces entreprises doivent éditer des publications ou services de presse en ligne d’IPG ou consacrées pour une large part à l’IPG.

    En dépit de ces aides, une presse quotidienne nationale qui peine et un secteur qui se transforme au profit du numérique

    Comme le montre la mission, le secteur est en pleine recomposition avec l’essor du numérique au détriment du papier.

    Extrait du rapport IGF-IGAC.

    Par ailleurs, l’essentiel de la valeur produite dans le secteur de la distribution de la presse nationale est désormais le fait des publications magazine dont la distribution est assurée pour 80% par les Messageries Lyonnaises de Presse (MLP). En rappelèrent que la presse magazine et MLP ne touchent aucune aide de l’État pour leur distribution au numéro.

    La presque quotidienne régionale (PQR), pour sa part, poursuit son auto-distribution, sans aide de l’État, et restructure ses imprimeries. Son canal de vente au numéro souffre certes également, avec une baisse de 78 % entre 2000 et 2022 (cf. graphique 2) mais moins que la PQN, avec laquelle la recherche de synergies est contrastée.

    En termes de chiffre d’affaires, le secteur de la presse quotidienne représente 2,5 Md€ en 2021, dont 592,2 millions d’euros pour la PQN et 1,9 milliards d’euros pour la presse quotidienne régionale.

    Extrait du rapport IGF-IGAC.

    En résumé, les rapporteurs notent une situation paradoxale : les quotidiens nationaux ont une diffusion toujours plus large, par le biais du numérique, mais ont toujours plus de mal à être rentables, du fait de la difficulté à monétiser cette diffusion numérique et des coûts associés au support papier. La difficulté tient à ce que l’impression et la distribution de la PQN sont des industries de coûts fixes. La baisse de volumes rend l’amortissement toujours plus difficile, en particulier pour le support papier.

    Les surcoûts inhérents à la diffusion de la PQN

    La distribution des quotidiens nationaux engendre des surcoûts spécifiques pour France Messagerie (et précédemment Presstalis), inhérents à cette activité. On parle de « flux chauds ».

    Ces surcoûts sont par exemple ceux associés au travail de nuit, au travail le dimanche, à des pics d’activité pour assurer le traitement en un temps court des exemplaires imprimés dans la nuit, etc. La gestion des flux de magazines, considérés comme plus « froids », présente moins de contraintes, et donc moins de surcoûts inhérents.

    Par ailleurs, compte tenu de ces contraintes, il n’apparaît pas envisageable de confier en l’était à La Poste la diffusion de la presse quotidienne nationale4.

    Une rentabilité plus faible du numérique

    la hausse de la diffusion numérique ne génère pas des recettes équivalentes à la diffusion papier, comme en témoigne le graphique 4. Ainsi, la diffusion numérique représentait en 2020 56 % de la diffusion totale, mais seulement 28 % du chiffre d’affaires, alors que la tendance est inversée pour le papier.

    Extrait du rapport IGF-IGAC.

    Un vieillissement accéléré du lectorat

    La tendance du marché est lourde, et semble irrémédiable avec l’évolution rapide des usages et un vieillissement plus rapide de la population de lecteurs de PQN imprimée que celui de la population globale.

    Ainsi, la mission a pu établir qu’entre 1997 et 2018, l’âge moyen du lecteur s’informant chaque jour ou presque avec de la presse quotidienne papier a augmenté de 14 années, à 65 ans. Sur la même période, l’âge moyen de la population française a augmenté de 3,5 ans, à 41,5 ans.

    Seuls les journaux Aujourd’hui en France et L’Équipe sont diffusés sur une large partie du territoire national avec une assiette de plus de 17 000 points de vente.

    Par ailleurs, la situation présente aussi de fortes vulnérabilités à très court terme

    En effet, en dépit de son monopole, France Messagerie, subit fortement l’attrition de la vente au numéro, qui devrait se poursuivre, voire s’accélérer, dans les prochaines années.

    Or, pour faire face à ces enjeux, la structure ne dispose d’aucun levier de développement, n’étant quasiment pas diversifiée. Sans la subvention d’exploitation de 9 millions d’euros évoquée plus haut, le résultat opérationnel serait nul et le résultat d’exploitation négatif selon les inspecteurs. Avec une activité en repli, des coûts largement fixes qui ne peuvent être que faiblement réduits sans réorganisation profonde, il est peu probable que la structure puisse se maintenir à moyen terme en l’état.

    S’agissant des imprimeries, des tendances négatives se dégagent également avec un système sur le point ou déjà en surcapacité.

    Au niveau des diffuseurs (niveau 3, constitué des kiosquiers et maisons de la presse), des tensions sur les conditions d’exercice du métier et sur le modèle économique nuisent à l’attractivité de la profession :

    • On constate un vieillissement de la profession ;
    • Une marginalisation des recettes liées à la presse, qui ne constituent plus que la quatrième source de revenus5 ;
    • Le volume d’heures travaillées est en constante augmentation ;
    • Se faisant, le nombre de publications est souvent plus faible ce qui induit une boucle négative : diminution de l’offre induisant une diminution des revenus potentiels.
    1. Au regard du très faible nombre de lecteurs, on peut toutefois s’interroger sur le maintien de cet « objectif ». Inversement, on peut souligner la très grande diversité d’opinions désormais accessible aux citoyens par les nombreux canaux disponibles : dans la presse numérique, via les chaînes de télévisions, les émissions de radiophonies, etc.
    2. Monopole qui n’empêche donc pas les déboires financiers réguliers de cet opérateur, nécessitant en conséquences des aides régulières de l’Etat afin de maintenir la continuité de ces activités.
    3. On retrouve ici les grands titres de la presse nationale : Aujourd’hui en France, La Croix, Les Échos, Le Figaro, L’Humanité, Libération, Le Monde, L’Opinion et le Journal du Dimanche.
    4. L’horaire de tournée des facteurs n’est pas compatible avec la livraison matinale des points de vente pour la presse quotidienne, et le sera encore moins dans le schéma logistique que La Poste met actuellement en place.
    5. A mettre en rapport avec la possibilité désormais offerte par la ville de Paris de permettre au kiosquier de vendre des « souvenirs », des boissons, etc.