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  • Les cabinets ministériels

    Les cabinets ministériels

    Temps de lecture : 9 minutes.

    Pour des analyses socio-politiques, voir notamment le n° 168 de la Revue française d’administration publique.

    Pour les chiffres, consultez le Jaune budgétaire dédié aux cabinets ministériels.

    L’Importance du Moment de Nomination

    Louis Marin, ministre des pensions
    Louis Marin, ministre des pensions

    Christian Vigouroux1, distingue deux types de cabinets ministériels :

    • Le « cabinet neuf » ;
    • Le « cabinet de remplacement ».

    Le « cabinet neuf » est constitué au moment de la formation du gouvernement, au début du quinquennat présidentiel ou d’une période de cohabitation.

    Ce cabinet est fort et est constitué le plus souvent de personnes d’expérience. Il s’agit à l’évidence d’un cabinet prisé, les places étant particulièrement convoitées2.

    Le « cabinet de remplacement », plus fréquent, est celui constitué au fil de l’eau, suite aux départs et remplacements. On pourrait aussi y intégrer les nouveaux gouvernements en cours de quinquennat, dont la force transformatrice est le plus souvent émoussée.

    Les Fonctions Exercées au Sein d’un Cabinet Ministériel

    Le Directeur de Cabinet

    Cheneaux de Leyritz, directeur de cabinet
    Cheneaux de Leyritz, directeur de cabinet

    La première décision d’un ministre est de choisir son directeur de cabinet et à la moindre ambiguïté, celui-ci est congédié.

    Symboliquement, son bureau jouxte celui du ministre avec qui il doit travailler en harmonie.

    Le directeur de cabinet est, en effet, l’interlocuteur principal du ministre. La distance entre lui et son ministre doit être la plus faible possible.

    Les Missions d’un Directeur de Cabinet

    Le directeur de cabinet du ministre est le personnage clé du cabinet, il assume des fonctions particulièrement importantes :

    • Management du cabinet : il recrute, congédie et anime l’équipe de conseillers ;
    • Conseil auprès du ministre : il fait remonter les dossiers sensibles, anticipe les risques, s’assure de l’exécution des décisions et conseil le ministre sur les aspects techniques et politiques des affaires présentées ;
    • Représentation du ministre et suivi des arbitrages : il représente régulièrement le ministre auprès de l’administration, s’assure de l’exécution des décisions, arbitre, négocie avec les autres ministères, s’entretient avec les représentants d’intérêts…

    Le directeur de cabinet est le chef d’orchestre du travail administratif ministériel. À cet égard, pour l’administration, il est souvent plus important que le ministre.

    Le Choix du Directeur de Cabinet

    Le nouveau ministre peut être confronté à trois situations :

    • Il s’agit d’un ministre faible et il ne dispose pas du choix du directeur de cabinet ou tarde à le choisir, la décision revient alors au Premier ministre, voire au président de la République. C’est évidemment la pire des situations3 ;
    • Il s’agit d’un ministre avec une capacité de choix, mais peu d’entregent administratif. La pratique consiste alors à solliciter des noms, auprès des directeurs d’administration centrale sous son autorité, de personnalités du secteur ou auprès de personnes politiques expérimentées4.
    • Il s’agit d’un ministre fort et expérimenté, auquel cas, il sait avant même d’être nommé qui sera son directeur de cabinet, et l’intéressé aussi.

    Contrairement aux représentations de la fonction de ministre par le grand public, il est très facile de se retrouver spectateur de son propre mandat.

    Le ministre qui ne choisit pas, ou qui choisit mal son directeur de cabinet peut être dépassé par le rythme des visites ministérielles, la nécessité d’être présent aux réunions gouvernementales, au Conseil des ministres et au Parlement.

    Un bon ministre doit savoir identifier rapidement la personnalité qui lui conviendra pour porter sa vision et influer concrètement sur le quotidien des administrations et des opérateurs relevant de ses attributions5.

    Le Profil du Directeur de Cabinet

    Le directeur de cabinet est presque toujours un fonctionnaire, qui plus est expérimenté6. Prendre un directeur de cabinet extérieur à l’administration constitue, en effet, un risque7, qui plus est dans les très gros ministères comme ceux de l’Intérieur ou de l’Économie et des finances.

    Une nomination extérieure à l’administration peut aussi être vue comme une forme de défiance, voire de défi. Je n’ose imaginer la difficulté que constituerait, pour le membre d’un comité de direction d’une grande entreprise (et recruté comme tel), l’exercice d’une fonction de directeur de cabinet du ministère de la Justice ou de l’Éducation nationale.

    La pratique consiste plutôt à repérer un haut fonctionnaire influent et qui, par son parcours8, a exercé des fonctions importantes au sein du ministère considéré.

    Cette influence et ce parcours sont censés offrir au ministre un réseau et une connaissance des personnes à même de faire avancer ses dossiers :

    • Au ministère de l’Intérieur, il s’agira plutôt d’un préfet ;
    • Au ministère Économique et financier, un inspecteur général des finances ou un ancien chef de service ou directeur d’administration centrale ;
    • Au ministère du Travail, un inspecteur général des affaires sociales ;
    • Aux Affaires étrangères, un ambassadeur ;
    • Au ministère des Armées, un militaire.

    L’Adjoint au Directeur de Cabinet

    Il n’existe pas ici de fonction type d’adjoint au directeur de cabinet. Le plus souvent, il s’agit d’une forme de nomination honorifique, tout en permettant au directeur de cabinet de disposer d’un relais managérial et stratégique au besoin.

    Bref, cette fonction dépend des personnes et des moments, elle n’en est pas moins quasi systématique.

    Le Chef de Cabinet

    Le chef de cabinet est le « chef de la maison ministérielle », il conduit l’emploi du temps du ministre jusque dans les détails les plus intimes. Il organise, anime et accompagne le ministre à chacun de ses déplacements9

    La fonction est opérationnelle et logistique, le chef de cabinet :

    • Anime l’équipe de chauffeurs, l’équipe de sécurité, les cuisiniers, les intendants ;
    • Organise les déplacements : temps de trajet, événements, acteurs à rencontrer et la coordination des discours ;
    • Encadre toute la logistique du ministre, y compris des temps privés.

    Compte tenu de cette proximité avec le ministre, la discrétion et le dévouement sont évidemment essentiels. À la différence du directeur de cabinet, le chef de cabinet n’intervient pas dans les décisions politiques. Par ailleurs, lorsqu’il est fonctionnaire, il s’agit plus souvent d’un attaché d’administration de l’État10.

    Le Conseiller Spécial

    Certains ministres apprécient la présence d’un conseiller spécial. Celui-ci est un proche du ministre auprès de qui il peut échanger de manière plus libre.

    Cette fonction permet aussi au ministre de disposer d’un relais loyal et fiable au sein de son cabinet, il renforce d’autant son emprise politique et sa maitrise des dossiers.

    Les Autres Membres du Cabinet

    Il existe, outre le directeur de cabinet et le chef de cabinet, des fonctions inévitables :

    • Un conseiller budgétaire11,
    • Un conseiller en communication,
    • Un conseiller parlementaire et un conseiller politique (parfois la même personne).

    Ces fonctions ne sont pas propres aux ministres. Elles se retrouvent dans tous les exécutifs publics d’importance (collectivités locales ou établissements publics) et dans les grandes entreprises : le conseiller parlementaire et politique étant un conseiller en relations publiques.

    Les conseillers restants doivent donc coordonner l’activité ministérielle, par grandes thématiques.

    Par exemple, au ministère chargé de la Fonction publique, compte tenu d’un portefeuille le plus souvent élargi à la modernisation de l’action publique, il n’existe souvent qu’un seul conseiller dédié à la fonction publique.

    Le Nombre de Membres des Cabinets Ministériels

    Depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, un mouvement assumé de limitation du nombre de membres des cabinets ministériels a été initié12.

    L’objectif étant de recentrer les cabinets ministériels dans l’orientation politique en laissant aux administrations le soin de l’exécution technique.

    La tendance à la limitation des cabinets ministériels a abouti à la création de cabinets au niveau des directions d’administration centrale et à la création d’instances nouvelles13 ou de secrétariat d’État. Paradoxalement, la diminution du nombre de conseillers, peut donc être aussi un facteur de complexification.

    Il n’en reste pas moins un nombre relativement élevé de collaborateurs gouvernementaux. Au titre de 2024 :

    • près de 500 membres de cabinet et
    • 2 200 personnels supports.
    Jaune budgétaire 2025
    Jaune budgétaire 2025

    La spécificité de Matignon et des Services du Président de la République

    Les Services du Premier Ministre

    Matignon est un monde en soi où il existe des « pôles » :

    • Éducation nationale et Enseignement supérieur ;
    • Justice ;
    • Intérieur ;
    • Social ;
    • Économique ;
    • Comptes publics ;
    • Diplomatique ;
    • Culture ;
    • Outre-mer ;
    • Environnement, Énergie, Transport, Logement ;
    • Agriculture…

    Concrètement, le cabinet du Premier ministre s’appuie sur une double machinerie :

    • Le Secrétariat général du gouvernement (SGG), véritable direction juridique centralisée du gouvernement, dédié au suivi technique des arbitrages gouvernementaux et
    • Les conseillers politiques des différents pôles précités : chaque chef de pôle étant accompagné de deux à cinq conseillers et éventuellement d’un chargé de mission.

    Au total, le SGG compte environ une centaine d’agents dont une trentaine de chargés de mission chargés du suivi des différentes politiques ministérielles14 ; tandis que le Premier ministre dispose de cinquante à soixante conseillers ou chefs de pôle.

    Compte tenu de la taille des effectifs, les liens qu’entretiennent le Premier ministre et le directeur de cabinet avec les conseillers sont nécessairement plus lâches.

    Léon Blum, l’inventeur du SGG
    Léon Blum, l’inventeur du SGG

    Les Services du Président de la République

    Outre l’État-major particulier du Président de la République, le chef de l’État peut s’appuyer sur des conseillers, également organisés en pôles.

    On y trouve, un pôle :

    • Régalien ;
    • Diplomatique ;
    • Social ;
    • Économique ;
    • Écologique, agriculture, énergie, transport, logement.

    À la différence du Premier ministre, certains pôles sont particulièrement fournis. Il en est ainsi pour le pôle diplomatique, et de manière transversale, pour la communication.

    À titre exceptionnel dans l’histoire de la Ve République, des conseillers communs ont même existé en 2017 entre MM. Edouard Philippe et Emmanuel Macron. Cette pratique n’a pas été renouvelée.

    La Diversité des Cabinets Ministériels

    Comme énoncé plus haut, l’État comporte des pôles avec des spécificités très marquées, dans le langage, les habitudes de travail, les lieux.

    Les « sociaux » se distinguent nettement des « militaires », qui se distinguent des « comptes », qui se distinguent des « diplo ».

    Le Cabinet Briand, en 1921
    Le Cabinet Briand, en 1921

    Ce faisant, certains cabinets présentent une ouverture au secteur privé spécifique. En premier lieu, le ministre chargé des petites et moyennes entreprises (lorsqu’il existe) et plus généralement le ministère du Travail.

    À l’inverse, certains cabinets sont les chasses gardées de personnels étatiques, et parfois de corps spécifiques. Il en est ainsi des Armées, de l’Intérieur, de l’Economie, du Budget et dans une moindre mesure de l’Environnement15.

    Au global, près de la moitié des collaborateurs sont sur contrat, le plus souvent issus du secteur privé.

    Jaune budgétaire 2025
    Jaune budgétaire 2025

    Il existe également des différences dans l’âge de recrutement, outre le fait que le directeur de cabinet est le confirmé, les conseillers ministériels sont en général jeunes, voire très jeunes16.

    Par ailleurs, certains emplois ont un recrutement à la mesure de leur spécificité :

    • Le chef de cabinet est souvent jeune et dispose, de préférence, d’une expérience politique17 ;
    • Le conseiller parlementaire se recrute en majorité parmi les collaborateurs parlementaires ;
    • Enfin, le conseiller en communication, qui est plus souvent une femme, provient fréquemment du monde entrepreneurial et plus précisément de l’univers du conseil. 

    Bonus : la Classification de Guy Carcassonne

    Dans un article de la revue Pouvoirs, Guy Carcassonne esquisse une typologie des cabinets et membres de cabinets :

    • « Les copains » : Ce qui se rapproche des conseillers spéciaux évoqués plus haut, entendu comme des proches du ministre. Carcassonne évoque ici un « avatar du scootisme » ;
    • « Les enfants » : Des conseillers techniques, très jeunes, en présence d’un ministre et d’un directeur de cabinet plus expérimenté. « Lorsqu’elle est réussie, cette combinaison donne d’excellents résultats. »
    • « Les valets » : Les recrutements sont réalisés par le directeur de cabinet seul, le ministre ne souhaitant pas s’investir dans la conduite du cabinet. Disposant de peu d’autonomie, ces conseillers exécutent. Si dans certains ministères très politiques ce mode de fonctionnement peut présenter quelques avantages, il est le plus souvent très dommageable.
    • « Les lieutenants » : Le ministre prend une part active au choix des conseillers, laissant au directeur de cabinet l’animation quotidienne. Le ministre délégue une part de ses prérogatives aux conseillers et se rend accessible à leurs suggestions. À l’évidence, il s’agit du modèle idéal selon Carcassonne.
    1. Ancien président de section au Conseil d’État, directeur de cabinet de plusieurs ministres : Enseignement supérieur, Justice, Intérieur, Emploi et Solidarité.
    2. En supposant toutefois une compatibilité des idées politiques entre le ministre et les éventuels membres de cabinet.
    3. Le directeur de cabinet dispose alors d’une légitimité lui octroyant une forme d’autonomie avec le ministre et de relais lui permettant de faire prévaloir son orientation auprès du Premier ministre ou du Chef de l’État.
    4. Un ministre d’un parti politique peut ainsi solliciter son ainé ayant occupé il y a peu la fonction.
    5. Sur les attributions des ministres, vous pouvez vous référer à cet article relatif aux directions d’administration centrale.
    6. C’est même, très souvent, le professionnel le plus expérimenté du cabinet.
    7. Risque qui semble par ailleurs plutôt inutile. Le travail administratif est, somme toute, très différent du travail d’un manager du secteur privé.
    8. Voire son corps d’appartenance (conseiller d’État, Inspecteur général, ambassadeur, magistrat…).
    9. Le directeur de cabinet demeurant à Paris, sauf pour les déplacements les plus importants.
    10. Le directeur de cabinet, hormis les cas où il est issu du secteur privé, est systématiquement un haut fonctionnaire. Les conseillers ministériels sont aussi majoritairement des hauts fonctionnaires, des collaborateurs d’élus ou des salariés du secteur privé.
    11. Il peut y avoir des cabinets sans conseiller budgétaire, mais on frise alors l’amateurisme.
    12. Conformément au décret 2024-23 du 17 janvier 2024, un ministre de plein exercice peut disposer de quinze membres de cabinet et un ministre délégué auprès du Premier ministre de onze membres.
    13. Par exemple, la création de hauts commissaires, dont la réapparition est également une des singularités de ces dernières années.
    14. Ces politiques ministérielles rejoignent les pôles précités, mais pas entièrement. Le SGG comporte moins de thématiques que le cabinet politique. La pratique est qu’un chargé de mission, de catégorie A+, est accompagné par un chargé de mission adjoint, généralement un attaché principal d’administration de l’État.
    15. Logement, Énergie, Transport.
    16. Notamment pour les conseillers budgétaires, souvent issus de la direction du Budget, avec une expérience d’un ou deux postes de chef de bureau.
    17. Auprès d’un député ou d’un exécutif local notamment.
  • « Fonctionnaire moyen », par Bernard Letondu (2009)

    « Fonctionnaire moyen », par Bernard Letondu (2009)

    Temps de lecture : 11 minutes.

    Le premier livre (à ma connaissance) d’un attaché d’administration sur les attachés d’administration.

    Ce petit livre, assez peu connu, tient son intérêt dans la représentation du vécu d’un attaché d’administration dans les 1970 à 1980. L’auteur étant affecté à la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), rue Oudinot1.

    Si l’auteur décrit assez peu son travail, il s’attarde longuement sur l’injustice de sa situation : être attaché d’administration de l’État, faute d’avoir réussi le concours d’entrée à l’École nationale d’administration (ENA). Sa verve sur ce concours et cette école (et sur ses collègues et supérieurs, qu’il méprise) n’en est que plus grande. Un personnage se dessine : proche de celui de l’Araigne de Michel Troyat, les sœurs en moins.

    Bien que dispensable, cet ouvrage éclaire l’une des singularités des attachés d’administration, et plus particulièrement ceux d’administration centrale :

    L’attaché d’administration centrale est celui qui partage son espace de travail avec des individus particuliers : les énarques.

    Un Échec Fondateur au Concours de l’ENA

    Source : Pexels, Antoine Conotte
    Source : Pexels, Antoine Conotte

    Après quelques éléments biographiques, l’auteur en arrive au bouleversement fondamental de son existence professionnelle : son échec à l’École nationale d’administration (ENA).

    De cet échec, il en tire quelques jugements lapidaires :

    « Dans l’administration (…) tout parait joué d’avance. »

    Plusieurs récriminations s’ensuivent, alimentées par un sentiment d’injustice, induisant une forme de frustration agressive :

    « Il aurait été impensable de tutoyer les énarques, bien qu’ils aient le même âge que moi. J’avais un peu l’impression que doivent avoir les salariés d’une petite entreprise familiale, dans le secteur privé. Ceux qui ne font pas partie de la famille des dirigeants, quelles que soient leurs compétences et leurs qualifications, seront toujours bloqués dans leur carrière, et cantonnés dans les tâches subalternes. »

    Une Critique du Système de Concours et de Carrière

    Élément assez étonnant pour un fonctionnaire, qui plus est affecté à la Direction générale de la fonction publique (DGAFP), l’auteur se fait particulièrement critique sur le système de carrière, qu’il juge déconnecté des besoins de l’administration.

    « Dans l’administration comme dans l’armée, on ne cherche pas du tout à utiliser la formation qu’ont pu acquérir les agents avant leur recrutement. Seuls comptent le statut et le grade. »

    « On commence par vous recruter et après, on réfléchit à ce qu’on va faire de vous. »

    Puis, plus loin, dans une remarque, une fois encore, tout en sous-entendus et inspirée par un rejet du système de carrière2 :

    « Lorsqu’on a été conditionné par des années d’études, on a tendance à croire qu’il faut s’adapter au profil du poste offert, alors que ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui savent adapter le poste à leur propre profil. »

    Toutefois, le propos est tellement teinté de ressentiment qu’on peine à y discerner une structuration correctement argumentée3. L’auteur semble plutôt chercher, par l’ironie et le dédain, à marquer sa supériorité vis-à-vis du système.

    La Description de l’Administration « Par le Petit Trou de la Serrure »

    Une Révélation des Hiérarchies Ministérielles

    Arrivé dans une direction dépendant alors du Premier ministre (la DGAFP), pourtant jugée prestigieuse, l’auteur se voit reproché son affectation.

    Parmi ces nouveaux collègues, quelques-uns lui conseillent ainsi de partir au plus vite pour choisir la direction générale de l’aviation civile ou la Caisse des dépôts et des consignations, deux administrations qui, encore aujourd’hui, sont réputées pour leurs rémunérations généreuses.

    « Le fonctionnaire n’est jamais satisfait d’être là où il est. Il est toujours persuadé que sa situation serait plus enviable ailleurs. »

    Source : Pexels, Ann H
    Source : Pexels, Ann H

    Des Hiérarchies Toujours Marquées

    Encore aujourd’hui, et particulièrement pour les affectations interministérielles (administrateurs de l’État et attachés d’administration de l’État), cette hiérarchie demeure :

    • Les ministères économiques et financiers qui comptent plusieurs directions particulièrement prestigieuses :
      • la direction générale du Trésor,
      • la direction du Budget,
      • la direction des affaires juridiques et désormais4
      • la direction générale de l’administration et de la fonction publique ;
    • Le ministère de l’Intérieur, parce qu’il permet d’accéder à des fonctions préfectorales (très recherchées par certains fonctionnaires) et qu’il compte également des directions emblématiques :
      • la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, évidemment…
      • la direction générale des collectivités locales,
      • les directions « sécurité » :
        • la direction généralise de la sécurité intérieure,
        • les directions générales de la gendarmerie nationale et de la police nationale,
        • la direction générale de la sécurité civile et des crises ;
    • Le ministère des Affaires étrangères, sans qu’il soit besoin d’expliquer longtemps d’où vient cette passion chez certains candidats…
      • la direction générale de la mondialisation,
      • la direction générale des affaires politiques et de sécurité ;
    • Enfin, la Caisse des dépôts et des consignations : pour ses rémunérations, son organisation proche du secteur privé et son réseau territorial, particulièrement recherché (Angers, Bordeaux…) ;
    • La direction générale de l’aviation civile : pour ses rémunérations, par passion pour les politiques publiques poursuivies.

    Des Hiérarchies au Sein des Directions

    L’auteur évoque sur de nombreuses lignes l’un des instruments de clivage les plus évidents et marqués : le mobilier de bureau.

    Si les meubles en bois massifs ont aujourd’hui quasiment disparu des administrations, certains constats demeurent : sur la taille des bureaux (la pièce, comme le meuble lui-même), l’octroi de table de travail et de chaises.

    Le mobilier administratif est généralement uniforme, le besoin de distinction n’en est donc que plus important et il est très codifié suivant le niveau de responsabilité.

    « Les fonctionnaires civils se différencient les uns des autres, non par des galons, comme les militaires, mais par l’ameublement de leur bureau. »

    La Création de l’ENA est Indissociable du Statut de la Fonction Publique

    La Conjugaison du Gaullisme et du Communisme

    Le premier statut général, de 19465, comme le second, celui de 1981, furent conçus par des ministres communistes : Michel Thorez, pour le premier ; Anicet le Pors, pour le second.

    L’autre grand pilier du statut a été initié par Michel Debré dans une « étrange collusion »6 avec les communistes : il s’agit de la création de l’ENA7.

    L’auteur précise les objectifs assignés à la création de cette école :

    • Centraliser les recrutements pour éviter le favoritisme et la cooptation des différents concours organisés jusque-là et
    • Proposer une formation commune à même de favoriser l’interministerialité8.

    La création de cette école va de pair avec une promotion de la mobilité sociale :

    • Un concours externe (classique), pour les étudiants ;
    • Un concours interne, pour les fonctionnaires motivés et méritants, qui constitue la novation du dispositif.

    Une Touche de Christianisme

    L’auteur rajoute une dernière interprétation dans l’analyse des racines culturelles et politique du statut de la fonction publique : le christianisme.

    Chacun jugera.

    « Beaucoup de ceux qui veulent entrer dans l’Administration auraient peut-être cherché à embrasser une carrière ecclésiastique sous l’Ancien régime. Pas seulement par opportunisme et désir de bénéficier d’une rente de situation, mais aussi par désir de se dévouer au bien public et par goût d’un environnement hiérarchisé, aux règles strictes. »

    « Les fondements du statut général des fonctionnaires se situent donc au confluent de trois traditions : la tradition catholique, la tradition bonapartiste, dans laquelle s’inscrit Michel Debré, fondateur de l’ENA et dirigeant du parti gaulliste, et la tradition stalinienne, qui est celle de Maurice Thorez. Il faut rappeler aussi que Staline était un ancien séminariste… »

    Une Promotion Interne en « Trompe-l’Œil »

    Cette mobilité professionnelle des internes s’est révélée rapidement biaisée selon l’auteur9, principalement de deux façons :

    • Elle a été utilisée par les fonctionnaires les plus diplômés, en guise de rattrapage du concours raté et
    • Elle n’a pas permis aux (faux ?) internes de se distinguer au classement de l’ENA dans l’attribution des places ouvertes au titre des « grands corps ». Autrement dit, le caractère « professionnel » de l’École manque sa cible.

    Un Système Qui S’Apparente à une Rente Pour l’Auteur

    L’élitisme républicain connaît aujourd’hui de nombreuses critiques, françaises10 ou américaines11.

    Si, mécaniquement, chaque société organisée tend à créer et à se structurer autour d’un centre de commandement. La problématique de l’élitisme est de séparer et de hiérarchiser les individus, souvent très tôt dans leur vie. Ce faisant, ces sociétés présentent généralement un modèle rigide et laissent peu de place à l’appréciation de la valeur professionnelle en situation réelle, dans la vie des individus.

    Les sociétés élitistes sont donc inégalitaires et cloisonnées. Afin de justifier ces inégalités, plusieurs modèles existent, dont le modèle dit « méritocratique »12 qui vise à sélectionner « les meilleurs » par des épreuves censées être incontestables.

    « Le système de castes qui existe en France est peut-être encore plus pernicieux que celui qui existe en Inde, parce qu’il est invisible. (…) L’idée géniale, c’est d’avoir justifié des privilèges exorbitants non plus par la naissance, ce qui serait bien sûr injuste, mais par le mérite, en instaurant un concours réellement difficile, et en faisant croire qu’il était ouvert à tous. »

    En effet, cette justification (du concours méritocratique) appelle elle-même deux critiques :

    • D’abord, elle est réservée à un trop faible nombre de personnes, ce qui nuit à la concurrence au sein même de cette élite ;
    • Ensuite, elle est définitive. La réussite au concours de l’ENA garanti l’accès aux plus hautes fonctions de l’État de manière quasiment définitive13.

    « La société française distille ses élites au compte-gouttes, et ce qui fait toute la valeur des membres des grands corps, c’est leur rareté. Ce n’est d’ailleurs pas si absurde pour ceux qui bénéficient ainsi d’une rente de situation à vie, précisément grâce à cette rareté. Ils n’ont donc aucun intérêt à accepter une remise en cause de leurs privilèges. »

    « Le statut des hauts fonctionnaires français rappelle celui des « Forts des Halles14 » : autrefois, ceux qui parvenaient à soulever un poids très lourd obtenaient le titre envié de « fort des halles », moyennant quoi ils étaient définitivement dispensé de soulever quoi que ce soit, et pouvaient le faire soulever par d’autres. »

    Un Élitisme qu’il Considère Fermé, Endogame

    « L’un des inconvénients de ce prestige hypertrophié d’un très petit nombre de grandes écoles, c’est la dévalorisation des formations universitaires. »

    En dehors de l’École nationale supérieure citée ci-après, les énarques proviennent essentiellement de Sciences Po Paris. La diversité des parcours, des savoirs, des profils… semble secondaire15.

    Par ailleurs, l’université française n’est pas exempte de critique pour l’auteur :

    « L’université française fonctionne pour la plus grande gloire des professeurs, et se désintéresse complètement des étudiants. »

    Une Critique Appuyée Contre les « Normaliens »

    L’auteur appuie plus fortement encore ses critiques sur les anciens élèves de l’École normale supérieure (ENS).

    « L’anomalie la plus flagrante est le cas des normaliens : (…) Après deux ou trois ans de préparation, ils passent le concours de l’École normale supérieure, et ils sont payés pendant trois ans pour préparer l’agrégation des lycées. Leur salaire est celui d’un fonctionnaire de catégorie B (puisqu’ils ont le bac) (…). Certains se détournent de l’enseignement, et préfèrent passer, juste après l’agrégation, le concours étudiant de l’ENA. Leur grande culture générale, mais aussi le fait d’avoir déjà réussi deux concours prestigieux les fait bénéficier d’un préjugé favorable auprès des membres du jury, qui n’ont souvent pas un jugement très personnel. Il est déjà discutable que le contribuable ait payé la formation de futurs enseignants qui n’enseigneront jamais, et qu’il doive ensuite payer leur scolarité à l’ENA. »

    « Contrairement à la classe dirigeante des pays anglo-saxons, qui doit faire de gros sacrifices pour financer les études de ses enfants, la classe dirigeante française les fait donc financer par le contribuable. »

    La Création des Attachés d’Administration Comme Corps de Relégation

    Une Création du Corps des Attachés en 1955, Pour Seconder les Administrateurs Civils

    Le corps des attachés d’administration centrale est créé en 1955, dix ans après la création de l’ENA. Pour l’auteur, ce corps est d’abord créé pour rehausser l’image et les perspectives professionnelles des énarques.

    Ici encore, l’attaché d’administration, comme l’auteur, ne semblent exister qu’en contrepoint du haut-fonctionnaire, énarque :

     « Le corps des attachés d’administration centrale est créé (…) pour décharger les administrateurs civils de leurs tâches les plus ingrates. Ils seront désormais secondés par un corps de sous-fifres aux perspectives de carrière pratiquement inexistantes, qui doivent pourtant comme eux être titulaires d’un diplôme d’enseignement supérieur pour pouvoir passer le concours de recrutement. »

    « Ils appartiennent donc à la catégorie A, mais les énarques ne les considèrent pas comme des fonctionnaires de catégorie A à part entière, et emploient à leur sujet le terme dévalorisant de catégorie « A’ », bien que ce terme n’ait pas de valeur juridique. Une autre façon de présenter les choses consiste à dire que les attachés font bien partie de la catégorie A, mais alors les administrateurs civils deviennent des « A+ ». »

    Des Perspectives Professionnelles Jugées Trop Maigres

    Source : Pexels, Justin Nealey
    Source : Pexels, Justin Nealey

    Le ressentiment à l’égard du corps d’attaché d’administration est particulièrement prononcé chez l’auteur et n’est pas, à ma connaissance, observable dans d’autres corps de catégorie A équivalents.

    À titre d’exemple, nous avons pu constater dans un précédent article que les inspecteurs de la concurrence et de la répression des fraudes étaient très fidèles à leur corps et leurs métiers.

    La spécificité du travail des attachés en administration centrale, en proximité directeur avec les administrateurs, explique probablement ces difficultés.

    « Au niveau des catégories intermédiaires et subalternes (…) la frustration est la règle : frustration des administrateurs civils qui n’ont pu accéder aux grands corps, frustration encore plus grande des attachés d’administration centrale dont le sort est intimement lié à celui des administrateurs civils, puisqu’ils ont statutairement l’honneur d’être leurs “collaborateurs directs” (…), mais qui en sont cependant séparés par une ligne de démarcation infranchissable pour la plupart d’entre eux. »

    « En effet, les attachés peuvent théoriquement espérer (…) accéder au corps des administrateurs civils, mais la probabilité d’y parvenir est très faible et, de toute façon, rares sont ceux qui y arrivent avant quarante ans. Ils ont donc, même dans la meilleure hypothèse, quinze ans de retard sur les administrateurs civils issus de l’ENA, et ce retard ne se rattrape jamais. »

    Pour plus d’informations sur l’accès des attachés d’administration au corps des administrateurs, vous pouvez vous référer à cet article sur le tour extérieur des administrateurs de l’État.

    « Les fonctionnaires de catégorie B sont à la limite moins à plaindre que les attachés, puisqu’ils sont recrutés au niveau du bac et qu’ils n’ont donc pas eu la peine de préparer un diplôme d’études supérieures. Par la voie du concours interne, beaucoup arrivent à accéder au corps des attachés, mais leur promotion va rarement au-delà. On est donc dans un système assez scolaire, où les fonctionnaires, au lieu de s’impliquer dans leur travail, passent leur temps à préparer des concours pour essayer d’y échapper. Les cas de hauts fonctionnaires qui ont débuté tout en bas de l’échelle sont quand même assez rares. Pour y parvenir, il faut beaucoup de persévérance, car plus on avance en âge, plus il devient difficile de se replonger dans des études sans sacrifier sa vie personnelle. »

    1. Dans les locaux de l’actuelle direction générale des outre-mer (DGOM)
    2. Comme énoncé dans un précédent article (Le recrutement par concours dans la fonction publique est-il fini ?), le concours implique assez largement une forme corporatiste : une autonomie collective et technique. Ce qui peut favoriser certains profils que l’économiste libéral qualifierait de free rider ou passager clandestin. Il ne me semble toutefois pas que ces profils soient les plus nombreux.
    3. L’auteur est affecté au cœur du système statutaire, dans l’une des directions les plus prestigieuses de la République et il n’en tire… rien. Pas ou peu de textes, aucune interprétation ou argumentation juridique. Dommage.
    4. La direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) est désormais rattachée en gestion au secrétariat généraux des ministères économiques et financiers.
    5. Le statut de Vichy de 1941 étant évidemment mis à part.
    6. L’expression est de l’auteur.
    7. L’ordonnance n° 45-2283 du 9 octobre 1945 crée l’ENA et la DGAFP.
    8. En soulignant qu’il n’existait pas, évidemment, la formation des instituts régionaux d’administration (IRA) – elle-même interministérielle. L’auteur, et c’est dommage, ne parle pas de la création des IRA et de l’institutionnalisation progressive du corps des attachés d’administration de l’État.
    9. Mais ce constat n’est en rien original.
    10. Que l’on pense à Michel Crozier par exemple, ou à Pierre Bourdieu (mais sa pensée a vieilli, il me semble).
    11. Pour ne citer qu’un seul ouvrage récent : The Tyranny of Merit de Michael Sandel.
    12. La méritocratie comporte, paradoxalement, une part égalitaire en posant l’idée qu’un même savoir délivré à l’ensemble des enfants permet de distinguer « les meilleurs » des « moins bons » de manière juste. Les progrès des sciences sociales démontrent aujourd’hui le caractère léger du principe – sans pour autant enlever aux lauréats des concours leurs compétences, notamment intellectuelles, et aussi leur « mérite »… Contrairement à l’auteur, je ne crois pas au blanc et noir en la matière.
    13. Voir la partie relative aux sanctions disciplinaires, à partir des constats de Marcel Pochard dans l’intervention de Jean-Marc Sauvé devant les élèves de l’École nationale d’administration : https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/discours-et-contributions/quelle-deontologie-pour-les-hauts-fonctionnaires
    14. https://fr.wikipedia.org/wiki/Forts_des_Halles
    15. On pourrait ici tempérer le propos de l’auteur en faisant état des prépas talents, du concours pour les docteurs.
  • Comment Devenir Conseiller de Chambre Régionale des Comptes ? (Magistrat Financier)

    Comment Devenir Conseiller de Chambre Régionale des Comptes ? (Magistrat Financier)

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Tous concours confondus, douze magistrats des chambres régionales des comptes (CRC) ont été recrutés sur 2024.

    Les missions des magistrats de CRC sont essentiellement de quatre ordres :

    • Contrôle juridictionnel : la CRC est tenue de déférer au ministère public près de la Cour des comptes les faits susceptibles de constituer des infractions au code des juridictions financières (article L. 211-1 dudit code). Par ailleurs, les magistrats de CRC peuvent être affectés sur des fonctions juridictionnelles durant leur carrière ;
    • Contrôle des comptes et de la gestion : régularité des recettes et des dépenses, économie des moyens mis en œuvre, évaluation des résultats atteints (article L. 211-3) d’organismes particulièrement divers dépendant ou financés par des collectivités territoriales ;
    • Contrôle des actes budgétaires (article L. 211-11) et des conventions relatives à des délégations de service public (article L. 211-12) ;
    • Évaluation de politiques publiques du ressort territorial de la chambre régionale (article L. 211-15).

    Concrètement, le magistrat est en binôme avec un vérificateur (article R. 212-23)1 et est chargé de réaliser trois à quatre contrôles par an.

    Calculs personnels à partir des rapports d’activité des CRC. Les juridictions financières comptent au total 1 808 magistrats (source : Chiffres clés de la Cour des comptes)
    Calculs personnels à partir des rapports d’activité des CRC. Les juridictions financières comptent au total 1 808 magistrats (source : Chiffres clés de la Cour des comptes)

    Pour une présentation plus complète, vous pouvez consulter la plaquette de présentation du concours publié par la Cour des comptes au titre de 2024.

    Les Modes d’Accès à la Fonction de Magistrat de Chambre Régionale des Comptes

    Compte tenu du faible nombre de magistrats de chambres régionales des comptes (environ 400), les voies d’accès sont relativement étroites.

    Le concours d’accès est ainsi unique (étudiants et professionnels réunis) et se tient tous les deux ans, en alternance avec la procédure de recrutement au tour extérieur.

    Les Concours

    Deux concours permettent d’accéder à la fonction de conseiller (article L. 221-3 du code des juridictions financières) :

    1. Le concours de l’Institut national du service public (INSP, ex-École nationale d’administration) pour les élèves formulant ce choix à la fin de leur scolarité. Au titre de 2024 : deux postes ont été ainsi attribués à des élèves de l’INSP ;
    2. Le concours direct (et unique). Dix postes ouverts au titre de 2024.

    Contrairement au concours de magistrat administratif, la sélectivité est plus forte au concours unique d’accès direct qu’au concours de l’Institut national du service public2.

    Toutefois, le faible nombre d’emplois offerts à l’issue de la scolarité plaide pour le passage du concours de conseiller si le candidat souhaite exercer en juridiction financière.

    Comme pour les magistrats administratifs, une formation statutaire est prévue pour les lauréats des concours dans les douze mois suivent l’entrée en fonction (article R. 221-3 et R. 228-7). Cette formation est assurée par la Cour des comptes et peut être complétée par une formation organisée par l’INSP. Elle est généralement assurée durant le premier semestre de l’année suivant la nomination.

    Le Tour Extérieur

    Il existe également une procédure de recrutement au « tour extérieur »3.

    Ouvert aux Agents Publics Ayant Dix ans d’Expérience

    Celle-ci est fixée à l’article L. 221-4 du code des juridictions financières. Elle concerne :

    • Les agents publics des trois versants de la fonction publique appartenant à un corps de catégorie A ou assimilé4 et
    • Justifiant au 31 décembre de l’année considérée d’un minimum de dix ans de services publics dans un organisme relevant du contrôle de la Cour des comptes ou des chambres régionales des comptes.

    Le nombre de places est fixé par arrêté du président de la Cour des comptes et ne peut pas être supérieur au nombre de places offertes au concours direct (dix places pour 2023).

    L’Examen des Candidatures par une Commission de Haut Niveau

    Cette inscription est prononcée par une commission chargée d’examiner les titres des candidats et qui comprend onze membres :

    • Le premier président de la Cour des comptes, président de la commission ;
    • Le procureur général près la Cour des comptes ou son représentant ;
    • Le président de la mission permanente d’inspection des chambres régionales et territoriales des comptes ;
    • Trois membres désignés respectivement par :
      • Le ministre chargé des Finances ;
      • Le ministre chargé de l’Intérieur ;
      • Le ministre chargé de la Fonction publique ;
    • Le directeur de l’Institut national du service public ou son représentant ;
    • Un magistrat de la Cour des comptes désigné par le conseil supérieur de la Cour des comptes et
    • Trois magistrats de chambres régionales des comptes désignés par le Conseil supérieur des chambres régionales des comptes.

    Cet examen se fait en deux temps :

    1. Une analyse du dossier de chaque candidat, puis
    2. Une audition par la commission des candidats dont les dossiers sont jugés satisfaisants.

    L’Établissement d’une Liste d’Aptitude

    La commission établit ensuite une liste d’aptitude, par ordre de mérite.

    Il ressort de l’analyse des résultats au tour extérieur que la quasi-intégralité des candidats retenus au tour extérieur sont ou ont été vérificateurs en chambre régionale des comptes5.

    Comme pour les magistrats recrutés par la voie du concours, et dans des modalités identiques, une formation à compter de leur entrée en fonction est prévue par le code des juridictions financières (article R. 221-10).

    S’agissant des affectations géographiques, quelques CRC concentrent les recrutements :

    Calculs personnels, à partir des postes ouverts sur les trois derniers tours extérieurs.
    Calculs personnels, à partir des postes ouverts sur les trois derniers tours extérieurs.

    Le Détachement (Qui Peut Être Suivi d’une Intégration)

    L’article L. 221-10 établi la liste des corps pouvant être détachés dans le corps des magistrats de chambre régionale des comptes :

    • Les magistrats de l’ordre judiciaire ;
    • Les fonctionnaires appartenant à un corps recruté par la voie de l’Institut national du service public ;
    • Les professeurs titulaires des universités ;
    • Les maîtres de conférences ;
    • Les fonctionnaires civils et militaires issus de corps et cadres d’emplois appartenant à la même catégorie et de niveau comparable.

    Par ailleurs, l’alinéa 2 du même article L. 221-10 prévoit la possibilité pour certains contractuels justifiant d’une expérience professionnelle d’au moins six années d’activité « les qualifiant particulièrement » d’exercer des fonctions de magistrat des chambres régionales des comptes.

    Dans une communication de 20166, la Cour des comptes comptabilisait une centaine de personnels détachés dans des fonctions de magistrat en CRC (pour environ 350 magistrats en exercice). En majorité des administrateurs territoriaux.

    Autrement dit, près du quart des magistrats de CRC est constitué de fonctionnaires détachés7.

    Les Épreuves du Concours d’Accès au Grade de Conseiller (Concours Direct)

    Le concours direct est ouvert :

    • Aux agents publics appartenant à un corps de catégorie A ou assimilé justifiant au 31 décembre de l’année du concours de sept ans de services publics effectifs, dont trois ans en catégorie A ;
    • Aux magistrats de l’ordre judiciaire ;
    • Aux titulaires de l’un des diplômes exigés pour se présenter au concours externe d’entrée à l’Institut national du service public.

    La Composition du Jury

    Celle-ci est prévue par l’article R. 228-2 du code des juridictions financières8 et comprend dix membres :

    • La présidence du jury est assurée par le président de la mission permanente d’inspection des chambres régionales et territoriales des comptes assure la présidence du jury ;
    • Trois membres sont ensuite désignés par :
      • Le ministre chargé des Collectivités territoriales ;
      • Le ministre chargé du Budget ;
      • Le ministre chargé de la Fonction publique ;
    • Deux professeurs des universités (titulaires) ;
    • Un avocat général, un procureur financier ou un substitut général désigné par le procureur général près la Cour des comptes ;
    • Un président ou vice-président de chambre régionale des comptes ;
    • Deux membres du corps des magistrats de chambre régionale des comptes, proposés par le Conseil supérieur des chambres régionales des comptes.

    La diversité des professionnels représentés témoigne du haut niveau de compétences attendu.

    Les Épreuves d’Admissibilité et d’Admission

    Les épreuves du concours de conseiller de chambre régionale des comptes sont particulièrement ramassées (article R. 228-4).

    Deux épreuves d’admissibilité) :

    • L’étude d’un dossier de finances publiques (quatre heures, coefficient 2) ;
    • Une composition sur un sujet de droit constitutionnel ou administratif (quatre heures, coefficient 1).

    Une épreuve d’admission consistant en une interrogation portant sur un sujet tiré au sort se rapportant à la gestion publique locale suivie d’une conversation d’ordre général avec le jury sur des questions juridiques (trente minutes de préparation et quarante-cinq minutes d’échanges, coefficient 2)9.

    Toute note inférieure à 5 est éliminatoire (article R. 228-5). Cependant, et contrairement au concours de magistrat administratif, il n’existe aucune limite à la présentation du concours.

    Contrairement au tour extérieur, les postes ouverts sont nettement mieux répartis, y compris dans certaines régions plus attractives :

    Calculs personnels
    Calculs personnels

    Le Programme des Épreuves

    Le programme est fixé par l’arrêté du 8 mars 2018 fixant le programme des épreuves du concours organisé pour le recrutement direct de conseillers de chambre régionale des comptes. Bien que les épreuves soient peu nombreuses, le nombre de matières à maîtriser se révèle important.

    Le programme des écrits

    Le cadre général des finances publiques :

    Les prélèvements obligatoires et les autres ressources publiques :

    Déficits et dette publics :

    Les finances de l’État :

    Les finances locales :

    Les règles comptables et le contrôle des finances publiques :

    En compléments, des éléments de droit public sont également attendus.

    Ici, vous pouvez vous rapporter au programme de droit public pour le concours de magistrat administratif.

    Les sujets pouvant susciter des questions à réponses courtes ou à une discussion juridique avec le jury portent sur les sujets suivants :

    L’organisation et les compétences des collectivités territoriales :

    La politique budgétaire et financière des collectivités territoriales :

    La gestion du personnel dans les CT (statut de la FPT).

    Les services publics locaux :

    Les collectivités territoriales et les citoyens (information et communication locales, concertation et participation des citoyens).

    Le contrôle des comptes et la gestion des organismes publics locaux et de leurs satellites :

    1. Agent de catégorie A chargé de l’assister dans son contrôle.
    2. Environ 4 % de réussite au concours unique de CRC. Il s’agit de l’un des concours les plus difficiles de la République.
    3. Le recrutement au tour extérieur est un recrutement sur dossier, après audition des candidats. De solides références juridiques et un parcours professionnel de haut niveau sont évidemment requis.
    4. Sont également listés les magistrats de l’ordre judiciaire, mais ces derniers n’ont en réalité aucun intérêt à passer le concours ou le tour extérieur, puisqu’ils peuvent être détachés dans le corps.
    5. Et, dans une moindre mesure, à la Cour des comptes.
    6. « Devenir magistrat de chambre régionale des comptes », Cour des comptes, 10 octobre 2016.
    7. Inversement, une soixantaine de magistrats de CRC étaient, à la date de l’enquête, en dehors des CRC. Soit un peu moins du cinquième (dont certains à la Cour des comptes).
    8. Ici encore, la ressemblance avec le jury du concours de conseiller de juridiction administrative n’est pas fortuite. Les mêmes exigences techniques et intellectuelles sont requises.
    9. L’épreuve orale est en réalité double et se rapproche en cela de celle prévue au concours direct pour l’accès aux fonctions de conseiller de tribunal administration et cour administrative d’appel.
  • Comment devenir juge administratif ?

    Comment devenir juge administratif ?

    Temps de lecture : 6 minutes.

    101 magistrats de tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et de la Commission nationale du droit d’asile ont été recrutés sur 2024.

    Le rapport public du Conseil d’État sur l’activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2024 permet d’abord de se représenter l’activité de ces magistrats :

    • Environ 600 000 litiges enregistrés sur l’exercice 2024 (+ 8 %), dont 280 000 enregistrés par les seuls tribunaux administratifs1 ;
    • Une durée moyenne prévisionnelle de jugement de onze mois pour les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, cinq mois à la Commission nationale du droit d’asile (CNDA) et six mois au Conseil d’État ;
    • Près de 1 300 magistrats et plus de 2 000 agents de greffe et soutien dans les tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et de la CNDA. Environ 240 membres du Conseil d’État et 400 agents de soutien.
    • Des affaires constituées pour près de la moitié par le contentieux des étrangers, suivi du contentieux des agents publics, du logement, des aides sociales.
    Extrait du rapport annuel du Conseil d’État sur l’exercice 2024
    Extrait du rapport annuel du Conseil d’État sur l’exercice 2024

    Les modes d’accès à la fonction de magistrat des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel

    Les concours

    Deux concours permettent d’accéder à la fonction de conseiller (article L. 233-2 du code de justice administrative) :

    1. Le concours de l’Institut national du service public (ex-École nationale d’administration) pour les élèves formulant ce choix à la fin de leur scolarité. Relativement minoritaire : environ 10 % des entrées dans le corps ;
    2. Par un concours direct (externe ou interne), devenu la voie normale d’accès : environ 50 % des entrées dans le corps ;
      1. Le concours externe : ouvert aux titulaires de l’un des diplômes exigés pour se présenter au concours externe d’entrée à l’Institut national du service public (niveau licence) ;
      2. Le concours interne : pour les agents publics, civils ou militaires, ainsi que les magistrats de l’ordre judiciaire justifiants, au 31 décembre de l’année du concours, de quatre années de services publics effectifs.

    Si votre souhait est de devenir magistrat, vous n’avez pas d’intérêt à passer le concours de l’Institut national du service public (sauf à vouloir multiplier vos chances) :

    • La sélectivité est plus élevée au concours de l’Institut national du service public2 ;
    • La formation est nettement plus longue (deux ans, contre six mois pour le concours direct) et
    • La diversité des postes proposées à l’issue de la formation constitue un aléa.

    Le tour extérieur

    Il existe plusieurs procédures de recrutement au « tour extérieur »3 :

    1. Celle de l’article L. 233-3 du code de justice administrative, qui offre accès au grade de conseiller pour :
      1. Les fonctionnaires civils ou militaires justifiants d’au moins dix ans de services publics effectifs dans un corps ou un cadre d’emplois de catégorie A ;
      2. Les magistrats de l’ordre judiciaire.
    2. Celle de l’article L. 233-4 du même code, qui offre accès au grade de premier conseiller pour les cadres supérieurs des trois fonctions publiques justifiant d’au moins huit ans de services effectifs dans les corps listés4.

    Chaque année, le vice-président du Conseil d’État détermine le nombre d’emplois à pourvoir au titre du L. 233-3 et du L. 233-4 précités.

    Concrètement, l’essentiel des candidats et des nommés relève de la catégorie 1.1 : attachés d’administration (des trois versants), inspecteurs des finances publiques, etc.

    Le tour extérieur concerne environ 15 % des entrées annuelles dans le corps.

    Le détachement (qui peut être suivi d’une intégration)

    Pour les corps suivants, il est possible de solliciter un détachement en qualité de conseiller ou de premier conseiller :

    • Les fonctionnaires recrutés par la voie de l’Institut national du service public ;
    • Les professeurs et maîtres de conférences titulaires des universités ;
    • Les administrateurs des assemblées parlementaires et
    • Les fonctionnaires civils ou militaires de l’État, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière appartenant à des corps ou à des cadres d’emplois de niveau équivalent à celui des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel5.

    S’ils satisfont aux critères des articles L. 233-3 et L. 233-4 précités, ils peuvent alors demander l’intégration dans ce corps ; aux grades de conseiller ou de premier conseiller.

    Le détachement est le mode d’accès le plus aisé pour les corps précités. La procédure formelle de sélection au tour extérieur étant nettement plus lourde et complexe.

    22 % des entrées dans le corps se font par la voie du détachement, qui est donc un instrument important de gestion.

    Ce haut niveau témoigne également de l’attractivité de ce corps.

    En synthèse

    Extrait (chapitre 2) du guide pratique du site www.lesja.fr consacré au recrutement
    Extrait (chapitre 2) du guide pratique du site www.lesja.fr consacré au recrutement

    Les épreuves du concours d’accès au grade de conseiller (concours direct)

    L’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État a abrogé l’article L. 233-6 consacré au « recrutement direct ».

    Pour autant, la partie règlementaire du code de justice administrative continue d’y faire référence et fixe plusieurs principes.

    Tout d’abord, deux règles importantes :

    L’impossibilité de se présenter plus de trois fois au concours (R. 233-9)6 et le caractère éliminatoire de toute note inférieure à 5 (R. 233-11)

    La composition du jury

    Celle-ci est prévue par l’article R. 233-8 du code de justice administrative :

    • Le chef de la mission permanente d’inspection des juridictions administrative (président du jury) ;
    • Un représentant du ministre de la justice ;
    • un représentant du ministre chargé de la fonction publique ;
    • Deux professeurs titulaires d’université et
    • Deux membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel7.

    La diversité des professionnels représentés témoigne du haut niveau de compétences attendu.

    Les épreuves d’admissibilité et d’admission

    Les trois épreuves d’admissibilité (1° du R. 233-11 du code de justice administrative) :

    • L’étude d’un dossier de contentieux administratif (quatre heures, coefficient 3). L’épreuve la plus déterminante ;
    • Une épreuve constituée de (en général, quatre) questions portant sur des sujets juridiques ou administratifs appelant une réponse courte (une heure et demie, coefficient 1) ;
    • Une dernière épreuve (quatre heures, coefficient 1), suivant l’origine des candidats :
      • Concours externe : dissertation portant sur un sujet de droit public ;
      • Concours interne : note administrative portant sur la résolution d’un cas pratique posant des questions juridiques.

    Deux épreuves d’admission :

    • Une épreuve orale portant sur un sujet de droit public suivie d’une conversation avec le jury sur des questions juridiques (trente minutes de préparation et trente minutes d’échanges, coefficient 2) ;
    • Un entretien avec le jury portant sur le parcours et la motivation du candidat (vingt minutes, coefficient 2).

    Le programme des épreuves

    L’étude d’un dossier de contentieux, la dissertation portant sur un sujet de droit public (concours externe) et le programme de sujets de droit public tirés au sort par les candidats lors de la première épreuve d’admission portent sur les sujets suivants :

    Quelques éléments fondamentaux de droit public :

    Le droit constitutionnel :

    Le droit administratif :

    Le contentieux administratif :

    Les sujets pouvant susciter des questions à réponses courtes ou à une discussion juridique avec le jury portent sur les sujets suivants :

    La gestion des administrations :

    Quelques éléments sur les grandes politiques publiques :

    Le droit de la fiscalité :

    Enfin, des notions fondamentales de :

    • Droit civil et de procédure civile ;
    • Droit pénal et de procédure pénale.
    1. 200 000 pour le tribunal du stationnement pays, 56 500 pour la Cour nationale du droit d’asile, 31 500 pour les cours administratives d’appel et 9 500 pour le Conseil d’État.
    2. Environ 6 % au titre du concours externe pour 2023, contre 10 % pour le concours externe direct. Pour le concours interne, le constat est plus nuancé, le taux de sélectivité étant d’environ 10 % à l’INSP, contre 12 à 13 % pour le concours interne direct.
    3. Le recrutement au tour extérieur est un recrutement sur dossier, après audition des candidats. De solides références juridiques et un parcours professionnel de haut niveau sont évidemment requis.
    4. Fonctionnaires de l’INSP, fonctionnaires de catégorie A ou cadre d’emplois de même niveau et titulaires de l’un des diplômes exigés pour se présenter au concours d’entrée de l’INSP, magistrats de l’ordre judiciaire, professeurs et maîtres de conférences titulaires des universités, administrateurs territoriaux, personnels de direction des établissements de santé et autres établissements (directeur d’hôpital et directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social).
    5. En pratique, cela recouvre les corps cités à l’article L. 233-4 de la note de bas de page précédente. Le Conseil d’État est chargé d’établir la liste.
    6. On peut s’interroger sur la portée de cette disposition attachée à un article abrogé. Ici, le concours de magistrat administratif se distingue de celui de juge judiciaire où le nombre de passage n’est pas limité. Régulièrement des élèves de l’Ecole nationale de la magistrature ont ainsi passés plus de trois fois le concours avant d’être admis.
    7. Nommés par arrêté du vice-président du Conseil d’État, sur proposition du Conseil supérieur des tribunaux administratives et des cours administratives d’appel.
  • Attractivité de la fonction publique : l’émergence d’un problème public

    Attractivité de la fonction publique : l’émergence d’un problème public

    Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 2)

    Temps de lecture : 5 minutes.

    Deuxième volet d’une série d’articles consacrés au rapport remis par France stratégie en décembre 2024 sur l’attractivité de la fonction publique.

    Dans ce chapitre introductif, les chercheurs tendent à démontrer que la question de l’attractivité s’impose désormais dans le débat public. Pour autant, ce problème n’est pas nouveau, ses ressorts sont complexes et nécessitent une remise en cause probablement profonde des administrations et de leurs chefs de service.

    Une dénonciation ancienne du « trop grand nombre de fonctionnaires »

    Les rapporteurs précisent d’abord que le néologisme « bureaucratie » a été créé par l’économiste physiocrate Vincent de Gournay (1712-1758). L’objet de ce concept était déjà de dénoncer l’influence, jugée trop importante, des fonctionnaires sur la vie sociale et économique du pays. En spécifiant qu’alors, l’administration de l’État monarchique était très (très) modeste.

    Ces premiers éléments rappellent à l’évidence les travaux d’Émilien Ruiz, notamment rassemblés dans son ouvrage Trop de fonctionnaires dont est tiré le graphique suivant :

    Le souci de bien recruter et bien former

    La sélection par concours et la création d’écoles spécialisées dès le début du XIXe siècle

    La compétence et la formation des agents deviennent progressivement un critère de recrutement avec l’affermissement de l’État.

    Les ministères chargés de l’Équipement et des Armées sont les premiers à développer une logique de concours, puis de formation préalable au recrutement :

    • L’École des ponts et chaussées est fondée en 1747 ;
    • L’École polytechnique en 17941 ;
    • L’École spéciale militaire de Saint-Cyr en 1803 et
    • L’école Navale en 1830.

    La logique de sélection et de formation des agents publics compétents est ensuite graduellement adoptée dans les administrations civiles. Dès 1835, un concours est ainsi mis en place pour l’accès à la magistrature2.

    Un long chemin vers la généralisation du concours

    Une montée en puissance progressive du milieu du XVIIIe jusqu’à la fin de la IIIe République

    Dès 1844, un rapport propose de sélectionner au mérite, par concours, examen ou diplôme les agents publics.

    Cette effervescence intellectuelle et libérale permettra la création quatre ans plus tard, en 1848, de la première École nationale d’administration pour sélectionner les agents administratifs de l’État.

    Toutefois, cette école survivra à peine quelques mois et il faudra attendre la Troisième République pour voir le système de concours émerger de nouveau.

    Une consécration juridique à compter de la moitié du XXe siècle

    Le souci de sélection et de formation se renforce sous Vichy dans une approche punitive et culpabilisante. Les fonctionnaires étant tenus pour partie responsable de la débâcle.

    Le concours devient alors un fondement du recrutement des fonctionnaires3 :

    L’article 27 de la « loi » du 14 septembre 1941 dispose ainsi que :

    « Nul ne peut être admis à un emploi de début s’il n’a satisfait aux épreuves d’un concours ou aux examens de sortie d’une école lorsque le recrutement est assuré par cette voie. »

    Pour autant, ici comme ailleurs, les « valeurs » portés par Vichy se révèlent à l’usage très peu suivi d’effets.

    Le régime a besoins de bras pour réaliser ses « missions » et, pour ce faire, non seulement il recrute des agents publics, mais il le fait davantage encore que sous la IIIe République, en dehors des modes de recrutements traditionnels :

    • En 936, l fonction publique comptait 106 000 agents non titulaires (19,7 % de l’emploi public) ;
    • En 1946, ils étaient 356 000 (40 %).

    Le principe de sélection par concours sera réaffirmé dans le statut de 1946 (premier statut républicain de la fonction publique), puis par le statut général de 1983. Toutefois, il ne présente pas de caractère constitutionnel4.

    Un problème d’attractivité ancré dans l’histoire de la fonction publique

    Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des difficultés recrutements pour la quasi-totalité des ministères

    De 1952 à 1964, la population française augmente de près de cinq millions et demi de personnes. Nous sommes alors en plein « baby boom ». Assez logiquement, d’importantes administrations voient leurs effectifs augmenter fortement :

    • Le ministère de l’Éducation nationale double ainsi ses effectifs, dans un contexte d’augmentation du nombre de jeunes suite aux naissances d’après-guerre et de l’essor d’une scolarisation de masse de ces derniers ;
    • Le ministère des Postes et des télécommunications recrute près de 57 000 postiers.

    Cependant, le nombre total d’agents publics dans les autres ministères (Armées, Intérieur, Santé et Travaux publics notamment) connaît une croissance particulièrement faible, de l’ordre de 1 000 recrutements par an. Cette très faible croissance s’explique par les difficultés de recrutement de l’administration.

    Ces difficultés de recrutements sont dues au trop faible nombre de candidats

    Le nombre de candidats aux concours de la fonction publique de catégorie A (cadre) et B (cadre intermédiaire) est particulièrement bas sur la période.

    Jean-Luc Bodiguel et Luc Rouban recensent ainsi :

    « 162 candidats inspecteurs élèves des impôts pour 360 postes en 1960, 16 candidats inspecteurs de la Sécurité sociale pour 32 postes en 1958. »

    Il en va de même pour les écoles de service public comme l’ENA (1945) et l’ENM (1958) :

    « En 1964, la Magistrature était bien heureuse d’avoir deux candidats pour un poste [5 pour 1 en 1953] .(…) Situation identique à l’ENA où, entre 1957 et 1960, on ne put, au concours étudiant, pourvoir qu’à 155 postes pour 162 offerts, malgré la faiblesse du taux de sélection : 1 reçu pour 3,5 candidats. »

    La situation actuelle en terme d’attractivité

    Une tension généralisée dans les recrutements (secteur privé et public)

    Il convient de relever tout d’abord l’augmentation du taux d’emploi et la baisse du chômage.

    Huit métiers sur dix (représentant 87 % de l’emploi) sont en tension forte ou très forte selon la DARES5.

    Mécaniquement, la concurrence est donc plus forte entre les entreprises, associations et administrations dans le recrutement de salariés qualifiés. Plus encore, lorsque les métiers ou compétences sont comparables

    Un phénomène qui demeure toujours difficile à qualifier

    Les rapporteurs soulignent ainsi qu’avant 2009, il n’existe aucune base de données fiable sur le nombre d’agents des services publics.

    Par ailleurs, le sujet souffre également d’une difficulté dans le choix des indicateurs :

    • Les emplois vacants ?
    • La durée de vacance desdits emplois ?
    • Le nombre de candidats au concours ?
    • Le turn-over dans les structures ?

    Enfin, les comparaisons internationales sont encore plus complexes. La Commission européenne6 éprouve également des difficultés :

    « Les offices statistiques nationaux et les institutions internationales n’utilisent pas les mêmes définitions et méthodologies, ce qui entraîne des incohérences entre les pays et confirme la nécessité d’améliorer la validité et la cohérence des données dans ce domaine. »

    1. Les écoles d’ingénieurs créées sous la monarchie (dont celles des ponts et chaussées) sont conservées, en étant intégrées au parcours des polytechniciens.
    2. Toutefois, la création d’une école, l’École nationale de la magistrature, n’est réalisée qu’en 1958. En précisant également que les magistrats financiers de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, ainsi que les magistrats administratifs ne disposent pas d’école de formation dédiées.
    3. Le premier statut de la fonction publique est créé par le régime de Vichy, toutefois, l’idée statutaire traverse toute la IIIe République.
    4. C’est le principe d’égal accès en fonction des « capacités » du citoyen qui revêt un caractère constitutionnel, conformément à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (voir notamment la décision du juge constitutionnel du 28 janvier 2011, n° 2010-94).
    5. DARES Résultats, n° 59, novembre 2023.
    6. Commission européenne (2017), « A comparative overview of public administration characteristics and performance in EU28 ».

    Étagères de livres
  • La Direction générale des entreprises (en 5 minutes)

    La Direction générale des entreprises (en 5 minutes)

    Temps de lecture : 5 minutes.

    La Cour des comptes a publié ses observations définitives le 5 décembre 2024 consacrées à la Direction générale des entreprises.

    La direction générale des entreprises est née en 2014 de la fusion de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services. Elle constitue l’administration centrale de référence pour la conception et la mise en œuvre des politiques de soutien aux entreprises et des politiques économiques sectorielles. 

    Malgré son rôle d’impulsion fondamental dans l’accompagnement des entreprises, cette direction des ministères économiques et financiers demeure peu connue. Ces quelques éléments de synthèse permettront, je l’espère, de disposer d’une première image de son activité, de son histoire récente et des agents qui la compose.

    Une direction au service des entreprises

    Selon les termes du décret n° 2009-37 du 12 janvier 2009 modifié, elle :

    « propose, met en œuvre et évalue les actions et les mesures, notamment financières, juridiques et scientifiques, propres à créer, sur le territoire national, un environnement favorable à la création et au développement des entreprises, notamment les petites ou moyennes entreprises et les entreprises de croissance, ainsi qu’au développement de l’industrie, du tourisme, du commerce, de l’artisanat, des services aux entreprises et aux personnes, de l’économie numérique, des communications électroniques et des professions libérales. Elle propose des mesures fiscales dans ces domaines. Elle concourt à la définition, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques de compétitivité, d’innovation, d’accompagnement des mutations économiques, de développement de la compétitivité internationale des entreprises et d’attractivité du territoire français. »

    Les moyens budgétaires à la disposition de la DGE

    Les dépenses de la DGE sont importantes et principalement portés par trois programmes budgétaires :

    • Le programme 134 (P134), « Développement des entreprises et régulations » ;
    • Le programme 192 (P192), « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle » ;
    • Le programme 343 (P343), « Plan France Très haut débit ».

    Au titre du plan de relance, la DGE a également géré de nouveaux programmes :

    • Le programme 362 (P362), « Écologie » (en soutien aux stratégies de transformation énergétique) ;
    • Le programme 363 (P363), « Compétivité » (consacré au secteur spatial, au numérique et à la souveraineté industrielle) ;
    • Le programme 364 (P364), « Cohésion » (petites entreprises, zones rurales…).

    Ces crédits sont désormais en extinction progressive.

    Des crédits budgétaires en recul jusqu’à la pandémie de la COVID 19

    Avant la crise sanitaire, ces programmes étaient en baisse et majoritairement orientés vers le financement des écoles et aides à l’innovation (P192), qui constituait 65 à 75 % des enveloppes gérées.

    Le mouvement de concentration de ces aides à l’innovation vers la mission budgétaire d’investissements d’avenir amplifiait cette tendance baissière.

    Une rupture avec le « quoiqu’il en coûte »

    À la suite de la crise sanitaire de la COVID-19, les crédits gérés par la DGE sont multipliés par six :

    De 1,13 milliard d’euros en 2017 (dont 0,76 milliard sur le P192) à 6,66 milliards d’euros en 2023.

    Outre les effets de la relance budgétaire initiée par le Gouvernement, il convient de noter également un effet de périmètre avec le transfert à la DGE des crédits du programme 193 dédiés à la recherche spatiale à compter de 2021 (en jaune dans le graphique à suivre).

    Une réorganisation profonde à compter de 2018

    En 2018 et 2019, à la prise de fonctions du nouveau directeur général et quelques mois à peine avant la crise sanitaire, la DGE et son réseau régional ont connu une restructuration en profondeur.

    Ces transformations visaient à répondre aux ambitions gouvernementales portées dans la démarche « Action publique 2022 » et aux circulaires du Premier ministre relatives à :

    • La transformation et la réorganisation des administrations centrales (5 juin 2019) et
    • L’organisation territoriale des services publics (24 juillet 2018 et 12 juin 2019).

    Elles ont conduit à diviser par près de deux le nombre d’agents dans le réseau territorial1 et à concentrer les effectifs à l’échelon central.

    Les effets de la réorganisation sur le déploiement des agents

    Les effectifs relevant de la DGE ont baissé d’un tiers de 2018 à 2023. Soit une baisse de 187 équivalents temps pleins travaillés.

    Toutefois, cette baisse n’a pas été uniforme :

    • Les effectifs en administration centrale ont augmenté de 6,1 % (+43,3 ETP),
    • Tandis que les effectifs du réseau territorial diminuaient de 40 %.

    La nouvelle composition de la DGE suite à la réforme

    Les données pour l’année 2019 détaillées par service révèlent l’ampleur de la réorganisation opérée :

    Près des deux tiers des effectifs du SISSE et du service de l’économie numérique ont été renouvelés, un tiers de ceux du service de l’industrie, du SCIDE et du secrétariat général.

    Le remplacement des fonctionnaires de catégories A et B, par des contractuels recrutés au niveau A+

    La moyenne d’âge est passée de 47,9 ans à 40,6 ans ; la part des plus de 50 ans de 52 % à 29 % et celle des contractuels de 22 % à 50 %.

    En parallèle, un repyramidage des postes a été opéré :

    • La part des agents titulaires et contractuels de catégorie A + représente désormais 38,7 % des effectifs, contre 23,5 % en 2018 ;
    • Celle des agents de catégorie A est toutefois en régression à : 49,4 %, contre 52 % en 2018.

    Les catégories A et A + regroupent ainsi 88 % des agents en 2023 contre 76 % en 2018.

    « La forte hausse du nombre d’agents A+ résulte des modalités de recrutement des agents contractuels, dont la majorité sont recrutés sous ce statut qui leur garantit l’accès à un indice majoré plus élevé, à même de rendre leur rémunération plus attractive. »

    Pour aller plus loin : Les hauts fonctionnaires des ministères économiques et financiers.

    Du point de vue structurel : une bascule des effectifs vers le soutien au numérique

    Certaines missions ont été abandonnées ou transférées :

    • L’Agence du numérique a ainsi été transférée à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT),
    • La sous-direction de l’animation territoriale, de l’Europe et de l’International a été supprimée, ces missions étant redistribuées (et le cas échéant ajustées) ou arrêtées.

    L’objectif de ces reconfigurations étant de renforcer les effectifs des services jugés prioritaires :

    • L’économie numérique, avec un quasi-doublement des ETP ;
    • L’industrie (+ 70,6 % des effectifs) et, dans une moindre mesure), le SISSE (Service de l’information stratégique et de la sécurité économique)é.

    Lorsqu’on regarde en région, les bouleversements sont majeurs :

    Des éléments qui demeurent encore à parfaire, malgré la réorganisation

    Le taux de renouvellement du personnel est élevé, à 25 %. Si, comme le souligne la Cour, cela n’est pas inhabituel pour une direction d’administration centrale, il s’agit d’une critique récurrente de la part des partenaires2.

    Par ailleurs, l’articulation avec les autres directions d’administration centrale demeure perfectible. Notamment avec :

    • La DGEFP sur les politiques de l’emploi et de la formation ;
    • La DG Trésor, pour la publication de travaux de référence en matière économique ;
    • Avec les directions métiers des ministères chargés de l’Environnement (pour les sujets liés à l’énergie, la construction…), l’Agriculture (pour le soutien aux entreprises agroalimentaires) ou encore l’Aviation civile…

    1. Étant considéré, notamment, qu’il ressort des missions des conseils régionaux d’animer les politiques économiques locales.
    2. La mobilité en administration centrale est généralement favorisée après deux ou trois ans en poste. Si bien que les turn-over sont le plus souvent élevés, ce qui contraste en effet avec les longévités rencontrées parmi les dirigeants et salariés d’opérateurs de l’Etat, d’entreprises ou d’associations partenaires, les représentants de branches professionnelles ou de fédérations…
    Vue sur la Seine
  • L’ENA, l’école qui meurt deux fois

    L’ENA, l’école qui meurt deux fois

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Retour sur un article intitulé : « Les élèves de l’École nationale d’administration de 1848 à 1849 » des chercheurs Howard Machin et Vincent Wright (Oxford University). Lecture qui peut utilement être complétée par un autre article de Vincent Wright, également disponible sur Persée : « L’École nationale d’administration de 1849 : un échec révélateur ».

    Ces auteurs sont les spécialistes de la période. On peut également se reporter au livre de Guy Thuillier, L’ENA avant l’ENA.

     « Un des premiers actes du Gouvernement provisoire établi en février 1948 fut la fondation d’une école d’administration. »

    La création de l’École (nationale) d’administration par Hippolyte Carnot

    Cette école d’un nouveau genre1, envisagée sans succès depuis des décennies, connaîtra toutefois une histoire courte : elle est officiellement supprimée dès l’année suivante en août 1849.

    Elle reste encore aujourd’hui indissociable de la personnalité d’Hippolyte Carnot.

    Qui était Hippolyte Carnot ?

    Ancien élève de l’École polytechnique, Hippolyte Carnot entendait dupliquer le modèle de cette école aux savoirs administratifs. Ce faisant, M. Carnot poursuivait trois objectifs :

    • Un instrument de promotion sociale et de renouvèlement des élites ;
    • La mise à disposition pour le gouvernement d’une pépinière de talents disposant d’une formation de haut niveau. L’administration devant : « posséd(er) dans les rangs secondaires une pépinière de jeunes sous-officiers capables de remplacer immédiatement les supérieurs empêchés »2 ;
    • Enfin, la possibilité de mettre fin au népotisme et au favoritisme dans les recrutements.

    « La pensée qui présida à la fondation de l’École d’administration répondait au sentiment démocratique, je n’ai pas besoin de dire de quelle manière : en ouvrant aux capacités la porte des emplois publics, elle détrônait le plus absurde des privilèges, celui d’administrer par droit de naissance ou par droit de richesse… »

    La période d’études était fixée à trois ans et le nombre d’élèves à six cents (deux cents par année3). Un modèle, là encore, très proche de l’École polytechnique4.

    Il convient de souligner l’origine républicaine de cette école, alors même qu’une grande continuité a pu exister dans l’administration entre les différents régimes. S’agissant du fonctionnement comme des hommes. À cet égard, la bascule dans le Second Empire sonnera rapidement le glas de cette école.

    La deuxième République. Musée Ingres, Montauban. À consulter à cette adresse : https://histoire-image.org/etudes/figures-symboliques-iie-republique.

    Un concours pour les jeunes hommes de 18 à 22 ans

    Un processus de sélection en deux temps

    Deux catégories d’épreuves ont été mises en place pour assurer l’admissibilité, puis l’admission. Celles-ci étaient en tous points semblables aux épreuves de l’École normale supérieure :

    • Les épreuves d’admissibilité étaient purement orales et comportaient des questions de grec, de latin, d’histoire littéraire, d’arithmétique, de géométrie et d’algèbre ;
    • Les épreuves d’admissions étaient orales et écrites et comportaient des interrogations de version latine, d’histoire de France, de physique, de chimie et de sciences naturelles.

    Cette très grande diversité des épreuves et leur caractère très général contrastait avec les velléités opérationnelles du processus de sélection.

    Par ailleurs, les préparations n’étant pas proposées par les facultés, celles-ci demeuraient à la charge des candidats.

    Un premier concours organisé en 1848 et suscitant un certain enthousiasme, avant de s’essouffler dès l’année suivante

    Au premier concours, de mai à juin 1848, près de 865 candidats se présentèrent. À l’issue des épreuves : 152 candidats sur les 200 envisagés furent sélectionnés.

    Au second concours, organisé en novembre 1848 et uniquement à Paris, la chute des candidatures est drastique : 174 candidats se présentèrent aux épreuves, pour 106 places. Il s’agissait le plus souvent de ceux écartés du premier concours.

    Cette dégradation rapide de l’image de l’école tient à une multiplicité de raisons :

    • La qualité des enseignements5,
    • Les débats rapides sur l’opportunité de supprimer cet établissement,
    • L’absence de perspective professionnelle assurée (contrairement à l’École polytechnique, par exemple)
    • L’absence d’indemnités pour suivre le cursus.

    Les origines sociales des élèves : la bourgeoisie des grandes villes

    Une surreprésentation des classes urbaines

    Les individus de grandes villes sont surreprésentés :

    • 17 % des étudiants étant d’origine parisienne (alors que 2,9 % de la population habitait à Paris6) et trois candidats sur cinq avaient ou effectuaient au moment du concours leurs études à Paris ;
    • Deux sur cinq provenaient d’un chef-lieu de département.

    Ceci s’expliquait par les professions exercées par les pères :

    • Près de 30 % étaient agents publics,
    • Environ 25 % dans le commerce, l’industrie ou la banque,
    • 20 % étaient libéraux,
    • Le reste étant propriétaire, cultivateur, artisan.

    L’apparition d’une classe bourgeoise « moyenne »

    Même si quelques grandes familles sont présentes. Les auteurs soulignent toutefois l’extraction relativement faible des élèves. Beaucoup n’auraient probablement pas pu accéder à la haute fonction publique sans ce concours.

    Comme aujourd’hui, l’essentiel des candidats provient de la bourgeoisie et pour une infime minorité (moins d’un sur douze alors) de classes modestes. Cette origine relativement commune dénote fortement avec le recrutement aristocratique de l’époque s’agissant de la haute fonction publique7.

    Pour autant, et d’une manière semblable à l’École nationale d’administration de 1945, les auteurs notent une concentration particulièrement élevée d’élèves de grands lycées, le plus souvent parisiens : Henri IV, Louis-le-Grand, Charlemagne… et très souvent privés : Sainte-Barbe, Rollin et Vaugirard, notamment.

    « C’est ainsi qu’une des conséquences paradoxales de la création de l’École d’administration, si elle avait duré, autant été d’ouvrir la porte de l’administration aux enfants très doués des écoles privées, souvent issus de riches familles catholiques. »

    Quel bilan ?

    Une mort rapide

    Le destin de l’École est scellé avec l’accession à la présidence de la République de Louis-Napoléon Bonaparte.

    Alfred de Falloux remplace Hippolyte Carnot comme ministre de l’instruction publique et suspend presque immédiatement les cours, avant de faire supprimer l’École par l’Assemblée quelques mois plus tard, en août 1949.

    Du cycle initialement prévu sur trois ans, l’enseignement dura à peine cinq mois pour la première promotion et six semaines pour la seconde.

    Une majorité d’étudiants poursuivirent logiquement leurs études dans les facultés de droit8, traditionnelles voies d’accès à la fonction publique. D’autres dans des écoles d’ingénieurs (Saint-Cyr, École polytechnique, École des Mines, École centrale…).

    Certains encore choisirent une tout autre carrière (sciences, médecine, etc.) ou ne continuèrent pas leurs études.

    Des carrières difficiles pour les lauréats

    Un effet quasiment nul sur les carrières des élèves

    En l’absence de formations sérieuses et de droits d’accès spécifiques à l’administration, les élèves des deux promotions entamèrent des chemins tout à fait personnels.

    Deux cinquièmes furent nommés à des postes dans l’administration, mais la plupart dans des emplois peu importants et encore moins prometteurs. Seule une minorité devint auditeur au Conseil d’État ou attaché aux Affaires étrangères.

    Sur les 258 anciens élèves, il n’y eut ainsi que deux conseillers d’État et huit préfets, aucun auditeur de la Cour des comptes, un seul directeur général d’administration (à la direction générale des Monnaies), deux ambassadeurs, deux consuls généraux et quatre ministres plénipotentiaires.

    Vingt-cinq devinrent simples professeurs, la majorité des étudiants en droit devinrent avocats.

    Un accès aux plus hautes fonctions publiques qui demeure réservé aux grandes familles

    Ainsi, M. Senès, premier au concours de la première promotion, finit sa carrière comme agent d’assurance tandis que M. Triaire, premier de la seconde promotion, demeura toute sa vie professeur de lycée.

    En définitive, la place au concours n’était d’aucune aide : les rares élèves qui finirent hauts fonctionnaires se trouvaient pour l’essentiel entre la 90ᵉ et la 130ᵉ place… Tous étaient issus de la haute bourgeoisie ou de l’aristocratie.

    Inversement, on peut légitimement penser que l’école aurait pu, comme l’a fait l’ENA un siècle plus tard, renverser les modalités habituelles de sélection en permettant à des jeunes gens9 intelligents d’accéder aux plus hautes fonctions. Peu importe leurs origines — même si celles-ci étaient, et demeurent aujourd’hui, généralement bourgeoises.

    Une école qui ne satisfaisait finalement personne

    Une contestation tous azimuts

    La première contestation vint du monde universitaire, jusque-là seule pourvoyeuse de fonctionnaires administratifs et jalouse de ses prérogatives.

    Cette mise en place d’une première École d’administration a été également très mal vécue par le sérail administratif, attaché à ses facultés de sélection et de promotion de son personnel. Crainte aussi partagée par les « petits fonctionnaires », soucieux de pouvoir conserver des marges d’avancement en dehors de ce que certains pouvaient considérer comme un « élitisme estudiantin ».

    Enfin et surtout, les politiques y ont vu une perte de pouvoir en empêchant le « patronage » alors très répandu et permettant de se constituer une clientèle, en dépit des quelques règles minimales de compétences (notamment l’exigence d’une licence de droit).

    Le rôle ambigu des forces conservatrices et bourgeoises

    Cette école sera par ailleurs très critiquée par une partie de la moyenne et haute bourgeoisie. Un tel mode de sélection pouvant porter le germe de la sédition par la promotion de classes laborieuses jugée plus instable.

    Pour autant, force est de constater que la droite conservatrice ne portera aucunement atteinte aux autres « Grandes Écoles », toutes publiques et assises sur un concours. L’École normale supérieure, l’École des chartes, l’École des mines, l’École des ponts et chaussées et, plus encore, l’École polytechnique seront même particulièrement soutenues par les monarchistes et bonapartistes.

    Une interrogation plus profonde sur la finalité de l’enseignement

    Pour beaucoup, ce qui détonnait était surtout l’incompréhension devant la création d’une école consacrée à des matières aussi peu scientifiques.

    À cet égard, le mode de recrutement et le contenu des enseignements ensuite délivrés détonnaient avec cette prétention à l’opérationnalité. Nous ne pouvons que penser à La Princesse de Clèves et aux débats permanents sur le rôle des écoles professionnelles.

    1. Il s’agit de la première école dédiée à la « science administrative ».
    2. Le Conseil d’Etat devait initialement constituer cette pépinière, mais finalement sans grand succès.
    3. Avec une administration toutefois largement plus légère en effectifs qu’aujourd’hui, voir par exemple l’article sur ce blog consacré à l’administration centrale dès l’Ancien régime. Un tel périmètre recouvre donc les actuels attachés d’administration et administrateurs de l’Etat.
    4. En précisant que cette nouvelle école, s’agissant des enseignements, étaient adossée au Collège de France.
    5. Les enseignements étaient dispensés dans les locaux du Collège de France et portaient sur des sujets très divers et parfois très éloignés de la matière administrative. Les cours de minéralogie ont notamment longtemps constitué un sujet de plaisanterie. Ce qui permettait aux contempteurs de souligner l’hérésie de vouloir constituer un enseignement se prétendant scientifique et administratif sans trop d’effort.
    6. Soit une sur-représentation de près de 6 fois le poids de Paris sans la démographie française. Pour autant, ce concours n’en constitue pas moins une avancée. MM. Machin et Wright rapportent ainsi que sur les 234 auditeurs du Conseil d’Etat sous le Second Empire, 102 étaient originaires de Paris.
    7. Durant le Second Empire, un cinquième des conseillers d’Etat seront originaires de l’aristocratie et les quatre cinquième restant de la haute bourgeoisie.
    8. 113 obtinrent une licence en droit.
    9. Allusion évidemment à l’ouvrage de Mathieu Larnaudie : https://www.amazon.fr/jeunes-gens-Enqu%C3%AAte-promotion-Senghor/dp/2246815096
  • Le vieillissement de la fonction publique

    Le vieillissement de la fonction publique

    Temps de lecture : 10 minutes.

    Lecture d’un document récent1 de la Cour des comptes consacré à : L’allongement de la vie professionnelle des agents dans une fonction publique vieillissante.

    Le vieillissement des travailleurs n’est évidemment pas propre à la fonction publique2. En revanche, compte tenu de l’importance des trois fonctions publiques françaises au regard de l’ensemble des actifs, un rapport n’était pas inutile.

    Un vieillissement principalement lié aux réformes successives des retraites

    À cet égard, le graphique présenté par la Cour est éclairant :

    Cette pression du vieillissement est due à deux phénomènes conjugués :

    • Un départ en retraite plus tardif,
    • Une arrivée dans la fonction publique, également plus tardive.

    On peut également y ajouter une politique de recrutements heurtée, qui a induit notamment sous le mandat de Nicolas Sarkozy, un vieillissement de la cohorte du fait du non-remplacement de l’ensemble des fonctionnaires partant en retraite :

    Des agents qui partent en retraite de plus en plus tard

    La Cour note ainsi que les agents civils sédentaires partent en moyenne à 63 ans et 8 mois.

    Le report de l’agent de retraite à 64 ans n’aura donc qu’un effet très marginal sur la fonction publique :

    « La dernière étude communiquée par les services de l’État à la Cour évalue le « gain » de ce report (de l’âge de retraite à 64 ans) à 150 M€ pour 2024 et 2025. Pour une masse salariale estimée à 153,6 milliards d’euros sur 2024. »

    « Les différentes réformes de 2003, 2010 et 2014 ont progressivement repoussé l’âge de départ à la retraite des agents de la fonction publique. En 2006, 80 % des agents de catégorie sédentaire3 de la FPE partaient avant 61 ans, ils n’étaient plus que 10 % en 2022. Les agents de catégorie active enregistrent la même évolution : la part des fonctionnaires civils de catégorie active partant à la retraite après 55 ans est passée de 39 % en 2006 à 93 % en 2022. »

    Des jeunes de moins en moins jeunes

    L’âge moyen d’entrée dans la fonction publique d’État est en constante augmentation depuis plusieurs décennies :

    « Pour les agents civils, l’âge moyen d’entrée passe de 23 ans en 1980 à 29 ans en 2020. Cette tendance qui a vocation à se poursuivre s’explique par l’augmentation de la durée des études (qui vaut aussi pour la population générale) et les effets des « doubles carrières » privé/public, de plus en plus fréquentes. »

    Les agents de l’État sont particulièrement concernés, puisqu’il s’agit de la fonction publique structurellement la plus diplômée.

    De 1980 à 2020, l’âge moyen d’entrée dans la fonction publique passe ainsi :

    • De 26 à 31 ans pour la catégorie A,
    • De 22 à 26 ans pour la catégorie B et
    • De 23 à 27 ans pour la catégorie C.

    Des différences marquées entre fonctions publiques

    La moyenne d’âge des agents de la fonction publique d’État est de 44 ans. Ce qui correspond également à la moyenne d’âge de l’ensemble des agents des trois fonctions publiques.

    Toutefois, en analysant plus précisément chaque fonction publique, des disparités se font jour :

    • La moyenne d’âge de la fonction publique territoriale est de 46 ans, c’est la plus élevée des trois fonctions publiques ;
    • À l’inverse, la moyenne d’âge de la fonction publique hospitalière est de 42 ans. Il s’agit de la fonction publique la plus jeune.

    À titre de comparaison, la moyenne d’âge dans le secteur privé est de 41 ans. L’écart avec le secteur privé s’explique essentiellement par l’entrée plus tardive dans la fonction publique.

    La situation spécifique des seniors et les diversités de situation entre les trois fonctions publiques

    La proportion d’agents civils de plus de 50 ans est de 33 % pour l’État, contre une moyenne de 36 % pour l’ensemble des fonctions publiques. L’État se distingue donc par une fonction publique comportant relativement moins de « seniors ».

    La spécificité de l’État tient aussi à la surreprésentation de catégories A et A+ parmi les agents de plus de 60 ans. Ces derniers connaissant par ailleurs une forte dynamique démographique :

    « La situation des agents de plus de 60 ans différencie nettement la FPE du reste de la fonction publique : depuis 2010, leur part dans les effectifs est passée de 4 % à 9 % en 2021, elle devrait s’élever à l’échéance de 10 ans à 12 %, puis en 2040 à 14 %. »

    À l’inverse, le vieillissement accéléré est plus marqué pour les agents de catégorie C dans les collectivités territoriales.

    Le cas spécifique des agents administratifs de catégorie A (et A+) de l’État

    Les agents administratifs de la fonction publique représentent près de 162 000 agents :

    • 31 000 attachés d’administration de l’État ;
    • 51 000 secrétaires administratifs et
    • 80 000 adjoints administratifs.

    Ces professions, vieillissantes, sont par ailleurs très féminisées (a fortiori pour les secrétaires administratifs et adjoints). L’âge moyen des secrétaires d’administration atteint déjà 50 ans.

    Pour les attachés d’administration, le besoin de renouvellement à 10 ans serait estimé à environ 35 % des effectifs actuels, soit 11 000 agents.

    La Cour des comptes ne le relève pas, mais il convient aussi de préciser la transformation profonde à l’œuvre dans les effectifs administratifs avec :

    • Une suppression progressive des adjoints administratifs et
    • Une réduction du nombre de secrétaires administratifs.

    Cette recomposition, déjà détaillée dans une étude de la DARES de 2015, tient principalement à :

    1. La numérisation croissante de l’activité administrative ;
    2. Le besoin d’une expertise de plus en plus pointue et
    3. Une modification des modalités de fonctionnement des administrations, avec une dynamique de projet, toujours plus marquée (cas de la Direction générale des entreprises, par exemple).

    Une accélération récente du vieillissement des agents pour l’État

    Le vieillissement accéléré des agents de l’Education nationale

    Les enseignants de l’Education nationale constituent 80 % des agents de catégorie A de l’État.

    Or, parmi les agents de l’Education nationale, les agents de plus de 60 ans passeraient de 6 % du total des effectifs aujourd’hui à 16 % en 2035. Soit un niveau légèrement au-dessus de leur proportion dans l’ensemble de la fonction publique d’État.

    La situation du ministère de l’Intérieur

    Le ministère de l’Intérieur emploie un peu plus de 300 000 agents, dans la très grande majorité des fonctionnaires :

    • Ils appartiennent à la fonction militaire pour 34 % (les gendarmes) et
    • À 45 % aux personnels actifs de la police.

    Autrement dit : près de 80 % de ses agents relèvent de régimes dérogatoires de date de prise de la retraite. Malgré cela, une part significative des agents du ministère de l’Intérieur se concentre autour de la cinquantaine.

    Ce vieillissement s’explique par une politique de recrutement non-linéaire :

    • Des recrutements importants de 1998 à 2003,
    • Suivis de baisses d’effectifs de 2007 à 2015,
    • Puis, d’une nouvelle reprise des recrutements.

    Un élément suscite toutefois une profonde interrogation, mais il ne fait malheureusement pas l’objet d’investigations plus approfondies de la Cour : la situation du réseau préfectoral.

    Ce vieillissement accéléré semble signaler une profonde transformation à venir du réseau :

    Les agents des ministères économiques et financiers (la DGFiP)

    En raison de l’importance de leurs effectifs et de leur réseau déconcentré, un examen des grands corps d’inspection de Bercy s’imposait pour la Cour.

    En effet :

    • La direction générale des Finances publiques (DGFIP) réunit 95 000 agents, dont 1 500 A+ et
    • La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), près de 17 000 agents.

    À elles seules, ces deux directions représentent 87 % des emplois des ministères et financiers (MEF). Elles ont déjà fait l’objet d’un traitement par la Cour récemment, s’agissant de la gestion de ses informaticiens.

    Une situation dégradée s’agissant de la DGFiP :

    51 % des agents de la DGFiP ont plus de 50 ans et leur moyenne d’âge est de 48 ans4. Plus inquiétant, : cet âge moyen continue d’augmenter au fil des ans.

    Le vieillissement est encore plus marqué pour les cadres supérieurs de la DGFiP (qui incluent les inspecteurs principaux, inspecteurs divisionnaires et administrateurs des finances publiques adjoints). 74,5 % d’entre eux ont plus de 55 ans et ils partent à la retraite, en moyenne, à 64,7 ans.

    Une situation plus nuancée s’agissant des douanes :

    La moyenne d’âge est de 46 ans et 1 mois pour les douanes. Soit un niveau légèrement supérieur à celui de l’ensemble de l’État. Toutefois, une part importante des effectifs de la DGDDI sont en catégorie active, ce qui est normalement de nature à baisser la moyenne d’âge du corps. Comme pour l’Intérieur, la situation en termes de ressources humaines est donc à surveiller.

    Une évolution problématique des politiques de recrutement des hauts fonctionnaires

    La Cour souligne les contradictions dans la gestion de l’encadrement supérieur

    Des nominations de plus en plus jeunes aux plus hautes fonctions de l’État :

    La Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (DIESE) observe la tendance, davantage marquée, à nommer des agents toujours plus jeunes à des postes d’encadrement supérieur :

    La tranche des 41-45 ans est la génération la plus représentée parmi les nominations effectuées sur des postes de cadres dirigeants en 2023 : directeurs d’administration centrale, délégués interministériels, secrétaires généraux des ministères, préfets, ambassadeurs, recteurs.

    De même, et comme on l’a vu ici dans une autre étude de la Cour sur l’évolution des rémunérations des cadres dirigeants de Bercy : l’accélération des carrières est un point central de la réforme de l’encadrement supérieur. Cette accélération devant inciter les hauts fonctionnaires à occuper des postes d’emplois fonctionnels5.

    Une réforme de la haute fonction publique qui interroge sur les conditions d’emploi des hauts fonctionnaires les plus âgés :

    En retenant uniquement les 2 600 cadres dirigeants suivis par la DIESE précitée :

    • 52 % des agents ont plus de 55 ans (et 10 % plus de 65 ans) ;
    • 35 % ont entre 45 et 55 ans ;
    • 13 % ont moins de 45 ans.

    Au total, l’âge moyen de la population des cadres dirigeants en poste s’établit à 56 ans (hommes) et 54 ans (femmes), leur laissant une perspective de vie professionnelle d’au moins 12 ans.

    La réforme de la haute fonction publique a induit des transformations considérables, avec une logique « d’emploi », dans une fonction publique encore largement de « carrière » :

    • Création du corps des administrateurs de l’État et disparition des corps préfectoral, diplomatique et de l’ensemble des corps d’inspection :
      • Inspection générale des finances ;
      • Inspection générale des affaires sociales ;
      • Inspection générale de l’administration ;
      • Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche…
    • Fonctionnalisation en conséquence de ces différents métiers6, induisant une concurrence entre les hauts fonctionnaires et les contractuels.

    Ainsi, il n’y a plus de « droit au retour » du haut fonctionnaire dans son ancien corps (diplomatique, préfectoral, inspection générale…). Ce qui constitue un point d’attention pour la Cour :

    Le risque de créer une masse d’agents sans affectation, indépendamment de la gestion frictionnelle traditionnelle des nominations, est non seulement plus grand, mais aussi plus visible.

    Les propositions de la Cour pour accompagner ce vieillissement

    La retraite progressive

    La retraite progressive permet aux bénéficiaires de réduire progressivement leur activité à l’approche de la retraite sans perte substantielle de rémunération.

    Au 1ᵉʳ janvier 2024, le nombre d’agents éligibles était estimé à 124 000. Les générations de 1958 à 1963 concentrent plus de 90 % des éligibles :

    • 47 % d’entre eux relèvent du ministère de l’Éducation nationale,
    • 13 % du ministère de l’Économie et des Finances.

    Pour autant, la Cour s’interroge sur le dispositif actuel :

    • L’incitation à la prise de temps partiels supérieurs à 50 % du temps de travail semble disproportionnée et peu compatible avec les nécessités de service ;
    • Le coût de cette incitation n’est pas suffisamment évalué, notamment au regard des gains attendus ;
    • L’impact sur les plafonds d’emplois soulève également une question ;
    • Enfin, le message doit également être plus clair et transparent :

    « Certes, la décision d’accorder une préretraite progressive est à la main de l’employeur, toutefois cette mesure risque d’être considérée comme un acquis social lié à l’aménagement des conditions de travail et non comme un instrument de régulation de l’emploi, une contrepartie de l’allongement des carrières à destination des agents qui ont du mal à l’approche de la retraite à effectuer un temps plein. »

    Diversifier les emplois des administrateurs de l’État et s’interroger sur la sortie de la fonction publique

    Une première proposition consistant à développer les fonctions d’ « experts de haut niveau »

    Les emplois des administrateurs de l’État sont les suivants :

    • En début de carrière : chargés de mission auprès d’un sous-directeur ou d’un directeur, adjoint auprès d’un chef de bureau ;
    • Chef de bureau,
    • Détaché sur un emploi fonctionnel.

    Sauf à occuper un emploi fonctionnel, les perspectives de carrière sont donc réduites.

    Par conséquent, la Cour préconise d’augmenter le nombre d’ « experts de haut niveau ». Certes, ces emplois sont fonctionnels (de ce fait, contingentés), mais leur nombre est aujourd’hui très réduit : moins d’une centaine de postes pour l’ensemble de l’État. Une première piste consisterait donc à augmenter le nombre de ces emplois afin de faire fructifier l’expérience des hauts fonctionnaires sans affectation.

    On peut toutefois s’interroger sur la pertinence de cette analyse qui revient à inverser la réflexion sur les besoins d’une organisation de travail7.

    Les autres propositions

    D’autres perspectives sont esquissées par la Cour :

    • La limitation des prolongations au-delà de la limite d’âge8 (actuellement 67 ans) ;
    • L’utilisation des ruptures conventionnelles de façon ciblée. 

    La faiblesse des propositions de la Cour tient, il me semble, aux difficultés inhérentes aux réformes récentes de la fonction publique.

    En effet, comme j’ai pu l’énoncer plus haut, la tension entre la fonction publique d’emploi et de carrière induit inévitablement un décalage :

    • La fonction publique de carrière est assise sur le recrutement par concours d’un fonctionnaire, avec l’accès à des emplois fonctionnels en dernière partie de carrière9 et
    • La fonction publique d’emploi est assise sur le principe de mise en concurrence des emplois d’encadrement supérieurs (avec les contractuels), en contrepartie d’une absence de droit à carrière10.
    1. Délibéré le 30 septembre 2024.
    2. Voir notamment l’étude de l’INSEE consacrée au Vieillissement de la population active publiée au 1er décembre 2022, dans la revue Économie et Statistique, n° 355-356.
    3. Les agents « sédentaires » sont les agents qui ne sont pas « actifs ». Les agents « actifs » sont les agents qui exercent des fonctions présentant des risques particuliers ou des fatigues exceptionnelles : infirmiers, aides-soignants, douaniers, policiers, personnels pénitentiaires, contrôleurs aériens.
    4. Pour rappel, la moyenne d’âge est de 44 ans dans la FPE.
    5. Les emplois fonctionnels correspondent aux emplois les plus élevés des trois fonctions publiques. Pour l’Etat, il s’agit des préfets, recteurs, délégués interministériels, directeurs d’administration centrale et secrétaires généraux, chefs de service et sous-directeurs.
    6. Autrement dit, l’accès à une fonction se fait après le passage devant un comité de sélection. Le haut-fonctionnaire sélectionné est alors détaché sur l’emploi. Si c’est un contractuel qui est sélectionné, il signe un contrat sur une période déterminée.
    7. En clair : la Cour préconise de créer des emplois fonctionnels, donc particulièrement rémunérés, pour occuper des hauts fonctionnaires qui, sinon, seraient sans affectation. À l’évidence, ces créations d’emplois d’experts de haut niveau devront donc restées mesurées.
    8. De très nombreux hauts-fonctionnaires sollicitent une prolongation de la limite d’âge afin de pouvoir demeurer sur leurs fonctions.
    9. En tempérant d’emblée le principe s’agissant de la France du fait d’une politique de recrutement de hauts fonctionnaires dès la sortie de l’enseignement supérieur ou peu après.
    10. En tout cas, théoriquement. Dans la fonction publique étasunienne, les agents gouvernementaux disposent tout de même d’une sécurité de l’emploi et de grilles salariales.

  • Présentation de la direction du Budget en moins de dix minutes

    Présentation de la direction du Budget en moins de dix minutes

    Temps de lecture : 8 minutes.

    « Miroir, dis-moi qui est la plus belle » : La Cour des comptes parle de la direction du Budget.

    Lecture commentée du rapport de la Cour des comptes relatif à la préparation et au suivi du budget de l’État, ou comment : « redonner une place centrale à la maitrise de la dépense. »

    Les missions de la direction du Budget

    La Cour des comptes rappelle d’abord les principales missions de la direction du Budget :

    • Assurer la coordination interministérielle dans l’élaboration et l’exécution des projets de loi de finances (les fameux « PLF ») ;
    • Surveiller la soutenabilité de la programmation et de la gestion de chaque ministère par son réseau de CBCM et CBR1.

    La structuration de la direction du budget

    La direction du budget comptait 382 agents à fin 2021 :

    • 245 agents en administration centrale et
    • 137 agents dans son réseau de comptables et contrôleurs budgétaires.

    Celle-ci est composée quasi exclusivement de catégorie A (47 %) et A+ (43 %)2. Ce point est toutefois de plus en plus commun entre les directions d’administration centrale. Il s’explique par la technicité croissante des sujets traités.

    Particularités dans le champ administratif :

    • Un taux de féminisation bas (43,2 % pour l’administration centrale), encore davantage marqué pour les emplois de direction et d’encadrement (moins du tiers) ;
    • Comme évoqué plus haut, la quasi-parité s’agissant des catégories A entre les encadrants dits « supérieurs », ou : « A+ », et les autres catégories A, essentiellement des attachés d’administration de l’État.

    À noter :

    Sur la période récente, la direction du budget a légèrement évolué :

    • Par la création d’un secrétariat général3 et
    • Par l’ajout d’une fonction de « sous-directeur adjoint ». L’objectif étant de doter les sous-directeurs d’un adjoint afin de renforcer la fonction managériale et d’accroître les perspectives de promotion interne.

    Une chaîne hiérarchique courte et une surreprésentation de hauts fonctionnaires

    La Cour des comptes parle étrangement d’un « faible taux d’encadrement ». Ce qui semble être une erreur, ou alors le raisonnement est étrange, puisque dans les conclusions de la Cour, il est justement relevé que :

    « 1,06 agent de catégorie A est encadré par 1 agent A+ en administration centrale. »

    Une chefferie de bureau très exposée

    Concrètement, l’essentiel du travail technique est réalisé au niveau du bureau sectoriel : par le chef de bureau et ses quelques agents4.

    Le chef de bureau, comme pour les autres administrations centrales, se distingue par une expérience de plusieurs années. Autrement dit, de plusieurs cycles budgétaires. Cette expérience lui permet de disposer des réflexes à même de « sentir » les arbitrages sensibles et de prioriser les dossiers dans la conduite quotidienne du travail administratif.

    Les agents de la direction

    Commentaire :

    Malgré la parité des effectifs entre les catégories A et A+, la Cour des comptes présente des développements quasi exclusivement consacrés aux seconds. Cette appréciation partielle nuit à la compréhension globale de la direction.

    Une direction attractive, souvent considérée comme un « booster » de carrière pour les jeunes agents

    La Cour des comptes note plusieurs éléments pouvant porter atteinte à l’attractivité de la direction :

    • Des contraintes horaires et calendaires fortes ;
    • Des tâches complexes et répétitives, notamment dans l’harmonisation des tableaux budgétaires, suite aux arbitrages ;
    • Une moindre rémunération indemnitaire pour les administrateurs de l’État primo-affectés à la direction du budget : 29 400 euros de primes annuelles en 2021 contre une moyenne de 32 800 euros pour l’ensemble des administrateurs civils d’alors.

    Pour autant, en dépit des contraintes, la direction « demeure attractive » selon la Cour, car elle offre ainsi une importante visibilité aux agents. Visibilité qui permet aux agents de prétendre à des évolutions professionnelles rapides.

    Une direction particulièrement jeune

    « L’âge moyen des agents de la direction en administration centrale (39,2 ans) est inférieur de 8,5 années à celui de l’ensemble des agents d’administration centrale des ministères économiques et financiers en 2021 (47,7 ans). L’âge moyen des cadres A+ de l’administration centrale (34,0 ans) en 2022 est particulièrement jeune, de plus de dix ans inférieur à la moyenne de celui des cadres A+ des ministères économiques et financiers (44,7 ans) : 25 % des cadres A+ ont moins de 30 ans et 52 % ont moins de 35 ans, alors que 78 % des cadres A (moyenne d’âge de 44 ans) et 90 % des cadres B et C ont plus de 35 ans. »

    La Cour des comptes explique la jeunesse de cet encadrement supérieur par :

    • Les modalités de recrutement de la direction en sortie d’école (élément partagé pour partie par la direction de la Sécurité sociale, notamment) ;
    • Un moindre intérêt des agents expérimentés pour des fonctions exigeantes5 et sans responsabilités managériales importantes. Fonctions qui peuvent également présenter un caractère rébarbatif et théorique – éloigné des politiques publiques6.

    D’où viennent les agents de la direction du budget ?

    La moitié des cadres supérieurs sont des administrateurs de l’État formés à l’Institut national du service public (ex-ENA), un cinquième est issu de Polytechnique et plus du tiers est contractuels : recrutés en sortie de grandes écoles de commerce ou de Sciences Po Paris.

    À titre marginal, la direction compte également quelques profils atypiques : fonctionnaires des assemblées, militaires, administrateurs territoriaux, commissaires.

    S’agissant des cadres A, la direction recrute auprès :

    • Des instituts régionaux d’administration (IRA) formant les attachés d’administration de l’État ;
    • Des agents confirmés d’autres directions, et notamment de la direction générale des Finances publiques ou de la direction générale du Trésor, voire d’autres ministères, enfin
    • Des contractuels, ayant le plus souvent assuré des fonctions financières dans le privé.

    Où partent-ils ?

    La Cour des comptes n’a répertorié que les mobilités des A+.

    En 2018, à l’issue de leur passage dans la direction, ils rejoignaient dans 52 % des cas un ministère, dans 20 % un établissement public et dans 12 % le secteur privé.

    Un recrutement de contractuels en concurrence avec l’INSP

    Comme énoncé plus haut, le tiers de l’encadrement supérieur de la direction du budget est d’origine contractuelle.

    À cet égard, la Cour s’interroge sur l’attractivité du concours de l’INSP pour ces profils. Ceux-ci sont souvent bien formés et peu désireux de perdre plusieurs années à préparer, puis suivre, la formation de l’INSP.

    Par ailleurs, les contractuels peuvent désormais accéder aux emplois fonctionnels des directions d’administration centrale (autrement dit, aux postes de chefs de bureaux, et par la suite de sous-directeurs).

    Un recrutement de contractuels qui soulève aussi une question vis-à-vis des catégories A

    La Cour des comptes ne le note pas, mais cette situation crée aussi des inégalités avec les agents de catégorie A qui, pour certains, sont également sortis de grandes écoles (en particulier de Science Po Paris).

    Une dizaine d’attachés principaux exercent ainsi des fonctions de chefs de bureau à la direction du budget. Leurs sujétions sont identiques à celles des administrateurs et des contractuels. Toutefois, leur carrière, dans ce corps de catégorie A, s’arrêtera là. En effet, les attachés d’administration, comme les inspecteurs des finances publiques… ne peuvent pas, statutairement, exercer des fonctions d’encadrement supérieur7.

    Un fort turnover, facteur de risques pour la gestion des compétences

    La part importante de contractuels, qui n’ont pas vocation à « faire carrière » (même s’ils le peuvent), couplé à un taux de rotation également élevé des fonctionnaires, nécessitent une incessante lutte pour conserver un niveau d’expertise approprié.

    D’autant que les missions de la direction du budget impliquent des négociations budgétaires avec les ministères et un travail de représentation dans près de 250 conseils d’administration d’opérateurs et assimilés.

    « Le taux de rotation annuel des agents de l’administration centrale de la direction est de 43 % pour les cadres A+ fin 2021, ce qui signifie que la durée d’occupation des postes n’est que légèrement supérieure à deux ans, sous-directeurs compris. Près d’un quart des effectifs est renouvelé par recrutement extérieur chaque année. Ce taux de rotation a pour effet de raccourcir le déroulement des carrières et de limiter le retour sur investissement de l’administration centrale puisqu’en moyenne, plus de 70 % des effectifs de la direction y passe moins de cinq ans. »

    Une asymétrie dans les carrières proposées à l’encadrement supérieur

    « Compte tenu de la rapidité du début de carrière, la direction peut proposer un poste de sous-directeur à des cadres A+ parfois âgés de moins de 35 ans et de retour de mobilité, ce qui peut poser difficulté pour dérouler ensuite une carrière, au même rythme, dans les autres administrations. »

    La réflexion s’arrêtera là, encore une fois, et on ne s’interrogera pas sur les perspectives d’autres corps de la direction du budget.

    Une tension liée à la formation en interne

    Le taux de rotation élevé implique également une charge de travail plus importante pour les agents en poste, pour former les nouveaux arrivants.

    Pour favoriser le développement des compétences, la direction encourage les départs en formation. Mais, l’objectif de deux jours par an n’était, à la date du rapport, atteint que par 14 % des agents.

    Une autre initiative, plus installée, consiste à développer annuellement des travaux internes prospectifs et stratégiques destinés à réfléchir sur les thématiques budgétaires des bureaux sectoriels8.

    Les agents du réseau de la direction du budget

    Les onze départements du contrôle budgétaire (DCB) comptaient en 2021 131 agents, auxquels s’ajoutent 22 contrôleurs budgétaires en région (CBR) et en outre-mer.

    Une structuration hiérarchique très différente de l’administration centrale

    Les agents du DCB et du CBR appartiennent à une structure nettement plus classique, qui se rapprocherait de l’administration déconcentrée ou d’un service à compétence nationale.

    On y trouve ainsi « seulement » 17 cadres A+, 78 catégories A, 28 catégories B et 8 agents de catégorie C.

    L’âge moyen en DCB était de 51 ans en 2021 et seuls 40 % des agents y restaient moins de cinq années, pour une ancienneté moyenne de 8 ans.

    Des postes techniques, plus comptable que budgétaire

    Au total, près de 12 500 équivalents temps pleins (ETP) travailleraient sur une fonction de gestion budgétaire et financière au sein de l’État (hors fonctions comptables).

    Dans ce cadre, les postes en DCB et CBR constituent des étapes importantes, permettant d’assumer des responsabilités financières dans les ministères ou leurs opérateurs.

    Une attractivité moindre

     « Les candidatures sont peu nombreuses et émanent essentiellement de la direction centrale et des autres DCB, attestant de la faible attractivité de ces fonctions budgétaires à l’extérieur de ce vivier. »

    Les agents ressentent des charges de travail croissantes et moins valorisées dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique9. En dépit du reclassement de l’ensemble de ces emplois en experts de haut niveau de groupe II et des revalorisations indemnitaires associées.

    Alors que la diversité des compétences est promue par la DGAFP, les agents des CBCM s’inquiètent d’être pénalisés par leur spécialisation.

    1. Ces acronymes désignent les services du contrôle budgétaire et comptable ministériel (comptables et contrôleurs des dépenses placés au sein des secrétariats généraux des ministères) et les contrôleurs budgétaires régionaux, en régions.
    2. C’est-à-dire de cadres.
    3. Le secrétariat général, créé par arrêté du 15 novembre 2022, regroupe désormais les quatre entités chargées des fonctions supports de la direction (40 agents).
    4. Etant précisé que contrairement aux administrations centrales « classiques », ces agents sont statutairement qualifiés d’ « adjoints ». Cela leur ouvre droit à des indemnités supérieures.
    5. Les contraintes horaires et calendaires mentionnées plus haut.
    6. Il faut aimer Excel, les synthèses de « Jaunes » et les boucles de courriels.
    7. Et, plus spécifiquement, occuper un poste de sous-directeur, conformément au décret n° 2012-32 du 9 janvier 2012 relatif aux emplois de chef de service et de sous-directeur des administrations de l’Etat.
    8. Une réflexion annuelle similaire existe également dans l’autre grande direction financière de l’Etat : la direction de la sécurité sociale.
    9. Une nouvelle fois, bien que les cadres supérieurs ne représentent ici « que » 20 % des effectifs, la Cour sait leur prêter une oreille attentive.
    Un cadran et un tas de pièces : la DB en dix minutes
  • La création de la direction du Budget

    La création de la direction du Budget

    Temps de lecture : 9 minutes.

    La IIIe République est née des circonstances, dans un régime où le parlementarisme dispose de l’essentiel des prérogatives, mais demeure très fragmenté pour faire face à des enjeux considérables :

    • Deux guerres mondiales et
    • La plus grande crise économique de l’histoire contemporaine.

    Événements induisant, à intervalles réguliers, une forte instabilité gouvernementale.

    Dans cette période particulièrement troublée, la maitrise des enjeux budgétaires présente un caractère stratégique. Pour autant, en dépit de projets de réformes administratives esquissés avant la Grande Guerre, il faut attendre 1919 pour assister à la naissance de la direction du Budget.

    Celle-ci est donc pleinement la « fille de la Grande Guerre » selon l’expression de Florence Descamps.

    La création de la direction du Budget en 1919 : les objectifs et la méthode

    Le travail de deux hommes : Georges Clemenceau et Louis-Lucien Klotz

    Comme pour le ministère du Travail, le personnage clé est une nouvelle fois le président du Conseil Clemenceau. La mise en œuvre étant réalisée sous la supervision d’un ministre des Finances particulièrement important et connaisseur : Louis-Lucien Klotz.

    M. Lucien Klotz.

    Celui-ci a, en effet, été :

    • Deux fois ministre des Finances avant la guerre,
    • Rapporteur général du budget auprès de la chambre des députés,
    • Président la commission du budget et des dommages de guerre à compter de 1915,
    • Enfin, ministre des Finances en septembre 1917.

    Comme ministre des Finances, il est également entré dans l’histoire comme l’un des cinq signataires français du traité de Versailles, avec :

    • Clemenceau, président du Conseil et ministre de la Guerre ;
    • Stephen Pichon, ministre des Affaires étrangères ;
    • André Tardieu, ministre des Régions libérées et
    • Jules Cambon, ambassadeur de France1.

    Un travail mené en commissions parlementaires de 1917 à 1918

    La première commission parlementaire, à l’initiative de Louis-Lucien Klotz, est présidée par le sénateur Justin de Selves. Celle-ci travaille au contrôle de l’exécution budgétaire avec des experts en finances publiques comme le professeur de droit Gaston Jèze.

    La seconde est présidée par Louis Courtin2 et est consacrée à la réorganisation de l’administration centrale des finances. 

    Ces deux commissions proposent la création d’une direction du Budget indépendante et spécialisée afin de pouvoir piloter plus efficacement3 la dépense.

    Un pilotage déjà mis en œuvre au Royaume-Uni et une prise de conscience internationale de la nécessité d’un pilotage budgétaire

    Le Treasury britannique dispose déjà d’une ancienneté remarquable avec une centralisation des dépenses et un fort pouvoir budgétaire.

    Le système français entend donc réaliser une forme de rattrapage sur le modèle britannique.

    Ce rattrapage est toutefois relatif :

    • L’Allemagne présente une trajectoire semblable à la France avec la création en 1919 d’un ministère des Finances centralisé, le : Reichsministerium der Finanzen ;
    • De même, les États-Unis créent leur Bureau of the Budget via le Budget and account Act en 1921.

    De discussions relativement rapides4 aboutissant à la loi du 21 octobre 1919

    Le ministre Klotz dépose donc un projet de loi avec un article portant création d’un emploi supplémentaire de directeur (d’une manière similaire, encore une fois, à la création du ministère du Travail)5, mais la commission du budget repousse quatre fois le projet. En effet, le rapporteur à la chambre des députés, Albert Grodet, plaide pour des économies budgétaires et la suppression de postes de cadres6

    L’article du projet de loi est finalement voté le 17 octobre 1919 après un amendement du député Paul Laffont. Celui-ci propose un compromis par la création de deux directions « simples » en lieu et place de directions générales :

    « L’inspecteur général des finances, contrôleur des dépenses engagées au ministère des Finances, aura le grade de directeur à l’administration centrale de ce ministère. »

    La loi du 21 octobre 1919 portant ouverture et annulation de crédits sur l’exercice 1919 constitue l’une des dernières lois du gouvernement d’Union nationale de Clemenceau. Elle est publiée au Journal officiel le lendemain.

    Les élections législatives se tiennent moins d’un mois après la publication, le 16 novembre.

    L’organisation du nouveau ministère des Finances après la loi d’octobre 1919

    La publication rapide de deux décrets en novembre 1919

    Dans les jours qui suivirent le vote et la publication de la loi, le Gouvernement fait paraître deux décrets matérialisant cette transformation du ministère des Finances :

    • Le décret du 7 novembre 1919 modifiant le décret du 1ᵉʳ décembre 1900 concernant l’organisation centrale du ministère des Finances (publié au Journal officiel du 16 novembre 1919)7 et
    • Le décret du 15 novembre 1919 modifiant le nombre et les attributions des bureaux de l’administration centrale du ministère (également publié au journal officiel du 16 novembre).

    L’administration centrale est alors composée selon une structuration rappelant l’organisation actuelle, à l’exception des commis et expéditionnaires8 :

    • Directeurs,
    • Chefs de service,
    • Sous-directeurs,
    • Chefs de bureau,
    • Adjoint aux chefs de bureau,
    • Rédacteurs principaux9,
    • Rédacteurs ordinaires,
    • Commis principaux ou commis d’ordre et de comptabilité,
    • Expéditionnaires principaux et expéditionnaires.

    À ces agents administratifs s’ajoutent quelques traducteurs, des agents d’entretien, deux douzaines d’agents de service et de sécurité et près de 260 huissiers, gardiens de bureau, concierges, ordonnances ou assimilés.

    L’insertion de la direction du budget dans le ministère des Finances

    La création de la direction du Budget est réalisée à moyens constants, comme pour le ministère du Travail en 1907.

    Deux bureaux de la direction générale de la Comptabilité publique, déjà chargés avant 1914 d’établir le budget, sont désormais érigés en direction indépendante : soit une vingtaine d’agents.

    Le nouveau directeur est Georges Denoix10. Il restera en poste jusqu’à sa mort en 1925.

    Les missions de cette nouvelle direction du budget :

    Les missions de la nouvelle direction sont les suivantes : 

    1. La réalisation de tous les : « travaux liés à la présentation aux Chambres du Budget de l’État » ;
    2. « Le contrôle général de la marche des dépenses publiques de l’État »,
    3. « L’étude de tous les projets ayant une répercussion sur les finances de l’État », notamment les rémunérations, traitements et retraites des personnels civils et militaires11 ;
    4. Le contrôle des règles d’engagement des dépenses et de l’emploi des crédits.

    Une direction du budget qui demeure encore peu outillée et qui ne dispose pas de l’autorité suffisante pour faire voter le budget

    Les premières années sont difficiles pour la direction du Budget, car elle ne dispose d’aucun moyen de coercitions sur les ministères.

    Ce faisant, ses missions sont encore très teintées « comptabilités publiques ».

    Il faut encore attendre quelques années avant de permettre à la direction du budget de verrouiller les dépenses publiques, par la loi du 10 août 1922 relative à l’organisation du contrôle des dépenses engagées, dite « Marin ».

    Le vote de la loi « Marin »

    Le ministre des Finances Joseph Caillaux12, lui-même inspecteur général des finances, avait proposé plusieurs mesures en 1914, sans succès :

    • Le contrôle a priori de la direction chargée du Budget ;
    • Le visa sur toutes dépenses ministérielles ;
    • La création d’un corps de contrôleurs dédiés.

    C’est finalement à Charles de Lasteyrie, nouveau ministre des Finances (1922-1924) et également inspecteur général des finances, qu’il revient de réussir cette réforme avec le rapporteur général du budget de la Chambre… Louis Marin.

    M. Louis Marin.

    La loi du 14 août 192213 constitue une petite révolution dont les éléments perdureront jusque dans les années 2000 :

    • L’article 1er crée d’abord un corps de contrôleurs placé auprès de chaque ministère ;
    • L’article 3 précise que la comptabilité élaborée par ces contrôleurs est transmise mensuellement au ministre de l’Économie et des finances, et une fois par an aux chambres ;
    • L’article 4 formalise la procédure d’avis sur tous les projets de loi, décrets, arrêtés, contrats, mesures ou décisions ayant un effet budgétaire ;
    • Enfin, l’article 5. L’arme juridique tant attendue par les budgétaires français d’alors : le « verrou budgétaire ». Toute dépense est soumise au visa de ces contrôleurs :

    « Si les mesures proposées lui paraissent entachées d’irrégularité, le contrôleur refuse son visa. En cas de désaccord persistant, il en réfère au ministre de l’Économie et des Finances.

    « Il ne peut être passé outre au refus du visa du contrôleur que sur avis conforme du ministre de l’Économie et des Finances. Les ministres et administrateurs seront personnellement et civilement responsables des décisions prises sciemment à l’encontre de cette disposition. »

    Pour matérialiser cette reprise en main budgétaire, le gouvernement Painlevé nomme, en 1925, un ministre exclusivement chargé des questions budgétaires : Georges Bonnet14.

    Parallèlement, un nouveau directeur du Budget est nommé, Pierre Fournier (1925-1929). Il s’agit (évidemment) d’un inspecteur général des finances, mais également de l’ancien directeur adjoint de Georges Denoix. Il devient le plus jeune directeur du Budget du XXe siècle (33 ans)15.

    La crise de 1929 et ses suites : la politique de déflation budgétaire

    Le début des années 30 est marqué par les difficultés financières, budgétaires, politiques et institutionnelles.

    Alors que la crise financière et budgétaire s’installe, la direction du budget se constitue en véritable outil de gestion et de pilotage des dépenses publiques.

    La politique du « rabot » fait ainsi son apparition avec les décrets-lois de 1934, rapidement suivis des décrets-lois de 1935 – dits « Laval-Régnier ». Par ailleurs, la direction du budget accentue son contrôle en matière de gestion des personnels civils et militaires16.

    Les directeurs à se suivre : Erik Haguenin, de 1932 à 1935 et Yves Bouthillier, de 1935 à 1936 incarnent cette politique de rigueur budgétaire jusqu’à l’arrivée de Léon Blum et du Front Populaire. 

    Mais, c’est une autre histoire…

    Pour aller plus loin :

    Voici trois articles de Florence Descamps dont on retrouvera ici des sources d’inspiration :

    1. Secrétaire général des affaires étrangères et frère de l’influent Paul Cambon, alors ambassadeur de la France au Royaume-Uni. Personnages que l’on peut notamment retrouver dans l’ouvrage Les somnambules de Christopher Clark.
    2. Polytechnicien, inspecteur des finances, puis président de chambre à la Cour des comptes de 1903 à 1924.
    3. Et parfois, plus simplement, connaître la dépense publique. Le manque de suivi budgétaire fut en effet l’une des grandes difficultés comptables de la Première guerre mondiale.
    4. Au regard des standards de la IIIe République.
    5. Les créations de postes sont aujourd’hui à la main de l’Exécutif et ne donnent plus lieu à discussion au Parlement. Il n’en était rien sous la IIIe République avec un Parlement empiétant très largement sur les prérogatives du Gouvernement s’agissant de l’organisation et de la gestion de la fonction publique.
    6. Sur les débats parlementaires et le « fonctionnariat », je ne peux que vous conseiller de suivre et lire les travaux d’Emilien Ruiz.
    7. Les dispositions du décret couvrent l’organisation de l’administration des finances, fixe les emplois, mais également les rémunérations. Un tel détail est symptomatique de la gestion parcellaire et protéiforme de l’administration sous la IIIe République. Le décret allant jusqu’à lister le nombre de sous-chef de bureau (88).
    8. Sauf à faire figurer ici les actuels secrétaires administratifs et adjoints administratifs.
    9. Le terme de « rédacteur » peut encore être utilisé dans quelques administrations centrales, mais il demeure rare. Il est désormais plus souvent question de « chargé de mission ».
    10. Il était auparavant directeur adjoint, chargé de la supervision des bureaux budgétaires.
    11. La direction du budget précède de quelques décennies la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) dans le pilotage de la politique salariale et, ce faisant, la politique de ressources humaines interministérielles de l’Etat – encore balbutiante.
    12. Évidemment connu comme le créateur de l’impôt sur le revenu français, mais également pour l’assassinat de Gaston Calmette, directeur du Figaro par sa femme, Henriette.
    13. Comme les très grandes lois de la IIIe République, elle est directement disponible sur Légifrance. Alléluia ! Mais pour ceux qui ne savent lire un texte de la IIIe que sur Gallica, voici le lien : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64423339/f2.item
    14. Appelé à se compromettre ultérieurement avec le régime de Vichy.
    15. Celui-ci deviendra par la suite sous-gouverneur (1929), puis Gouverneur de la Banque de France (1937-1940), avant de devenir président de la SNCF à compter de 1940. C’est notamment lui qui sera chargé d’évacuer les 2 500 tonnes de la Banque de France du port de Brest en 1939. Rappelons que la France n’a pas fait défaut en 1940 et qu’elle disposera de ce stock à la Libération.
    16. Comme précisé plus haut, la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) n’existe pas encore…