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  • L’Institut National du Service Public et la Formation Continue des Cadres Supérieurs de l’État

    L’Institut National du Service Public et la Formation Continue des Cadres Supérieurs de l’État

    Temps de lecture : 12 minutes.

    En juillet 2024, le Premier ministre a demandé à plusieurs inspections générales1 de formuler des propositions visant à définir une offre globale de formation continue pour les hauts cadres de l’État et de proposer « un modèle économique » pour l’INSP2.

    Comme on a pu le constater dans un précédent article (l’évolution des rémunérations des hauts fonctionnaires de Bercy), l’encadrement supérieur de la fonction publique fait l’objet de beaucoup d’attention de la part de l’Exécutif3.

    En synthèse, les inspections formulent deux grands constats :

    1. Le manque de stratégie de l’État en matière de formation continue et
    2. Le positionnement incertain de l’Institut national du service public (INSP).

    Enfin, la mission expose quelques propositions d’évolution dans une dernière partie.

    Source : Pexels, Bertellifotografia
    Source : Pexels, Bertellifotografia

    L’Absence de Stratégie de l’État dans le Champ de la Formation Continue

    Une Succession de Rapports sur la Formation Continue Sans Mise en Pratique

    Trois grands rapports ont été publiés sur les vingt dernières années :

    ⁃ La formation continue des agents de la fonction publique de septembre 2007 (comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics) ;

    ⁃ Le bilan et les perspectives des mutualisations en matière de formation professionnelle tout au long de la vie pour les agents de l’État en administration centrale et en services déconcentrés de l’Inspection générale de l’administration (IGA) en juillet 2015 ;

    ⁃ La revue des dépenses de formation initiale et continue des agents de l’État de l’Inspection générale des finances (IGF) de 2016.

    Ces rapports ont relevé plusieurs défaillances4 :

    ⁃ L’absence de données fiables sur les effectifs et catégories de formation concernées ;

    ⁃ Une manque de données budgétaires consolidées ;

    ⁃ Un pilotage interministériel défaillant (une seule circulaire annuelle de la DGAFP) ;

    ⁃ L’absence de modèle économique unifié au sein de l’État ;

    ⁃ L’absence de recensement des besoins et d’articulation avec les entretiens professionnels ;

    ⁃ L’insuffisante évaluation des formations.

    Or, pour les inspecteurs :

    « Pratiquement aucune conséquence n’a été retenue des constats des rapports précédents. »

    Source : Pexels, Pixabay
    Source : Pexels, Pixabay

    La Stratégie des Secrétariats Généraux Ministériels en Matière de Formation Professionnelle des Cadres Supérieurs est Insuffisante

    La mission a sollicité l’intégralité des secrétariats généraux (SG) afin d’identifier leur stratégie s’agissant de la formation continue des cadres supérieurs. 70 % des SG ont élaboré un document d’orientation en matière de formation continue, mais seuls deux, ont une partie dédiée à l’encadrement supérieur : l’Intérieur et l’Éducation nationale.

    Les éléments analysés font état de grandes constantes :

    • Des thématiques transversales : numérique, diversité, égalité, laïcité, lutte contre les violences sexuelles et sexistes5, et
    • Le management, notamment pour les primo-arrivants.

    Par ailleurs, la mission relève que très peu de documents ministériels évoquent les orientations de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) ou de la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (DIESE).

    Un Pilotage Défaillant de la Formation Continue des Cadres Supérieurs

    L’Absence de Remontées Formalisées des Besoins de Formation

    Les rapporteurs constatent que 70 % des SG ne disposent pas de remontées des besoins au titre des entretiens professionnels et s’appuient sur des estimations « artisanales ».

    « Il apparaît que les remontées des besoins sont mieux organisées pour les formations métiers, lorsque des directions très techniques recensent les besoins au moment des changements de postes, que pour les formations plus transverses. »

    Pour la mission, ce désintérêt pour la formation continue est le symptôme d’une absence de réflexion sur les parcours de carrière.

    « Plus qu’un désintérêt pour la question de la formation continue en elle-même, cette lacune apparaît plutôt dès lors que le ministère ou la direction concernée ne propose pas de parcours de carrières identifiés et jalonnés par des prises de postes et la nécessité d’acquérir des compétences particulières.

    « Autrement dit, et fort logiquement, la formation continue n’est jamais considérée comme un sujet RH stratégique si elle n’est pas articulée à une problématique de déroulement de carrière ou de maintien de l’employabilité. »

    Une Offre de Formation Jugée « Foisonnante et Cloisonnée »

    La mission relève que l’offre de formation est essentiellement construite sur du contenu technique, y compris pour les encadrants.

    Seuls les ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères, les ministères sociaux (Travail, Santé, Solidarités) et l’Écologie disposent de formations transversales en management.

    Cette offre de formation est proposée par :

    ⁃ Des organismes ministériels spécialisés, pour le public du ministère de tutelle ;

    ⁃ Des organismes spécialisés, hors code général de la fonction publique (militaires et magistrats) ;

    ⁃ Des organismes interministériels ;

    ⁃ Des organismes interprofessionnels.

    Mon regard est ici immédiatement troublé par l’absence des Instituts régionaux d’administration…

    Dans son analyse des modes de gestion étrangers, la mission a relevé que 80 % des États analysés disposent d’un système décentralisé (ministériel), la moitié avec une structure centralisée (interministérielle). Aucun ne propose un modèle totalement centralisé6.

    Le système hybride française est donc commun, toutefois, il apparaît selon les inspecteurs que « l’offre de formation reste largement « silotée », avec de nombreux doublons » dans l’appareil étatique français.

    Les Compétences à Développer en Priorité

    Les Compétences Transversales, ou Soft Skills

    Quatre grandes compétences de l’encadrement supérieur sont énumérées par la mission :

    1. L’incarnation : Incarner les valeurs du service public ; Communiquer et rayonner ; Se connaître, se maîtriser, se développer ;
    2. La conception : Développer une vision stratégique ; Innover ;
    3. La relation : Responsabiliser ses équipes sur le plan individuel et collectif ; Écouter et bâtir des relations solides ; Coopérer ;
    4. L’action : Piloter la performance ; S’adapter ; Transformer ; Animer.

    Or, l’analyse de l’offre de formation révèle de multiples redondances selon les rapporteurs7.

    Dans un format similaire, voici le référentiel managerial de l’OCDE, qui recoupe pour partie le référentiel de la mission :

    Les Avancées en Compétences Transversales

    En termes de mutualisation, la mission relève :

    La constitution du Réseau des écoles du service public (RESP) en 1996. Ce réseau regroupe 39 instituts et écoles des trois versants de la fonction publique et permet d’initier des projets en commun.

    Néanmoins, il ne constitue pas encore, pour la mission, un espace de mutualisation, de partage d’outils et de construction de parcours de formation.

    La création de la plateforme Mentor en 2021 par la DGAFP est également une avancée. Comptabilisant 243 000 ouvertures de comptes en janvier 2025, elle est désormais incontournable. Cependant, tout le catalogue enregistré n’est pas disponible (politiques ministérielles de verrouillage), il n’existe pas de véritable accompagnement pédagogique avec un formateur et les dispositifs d’autoévaluations sont encore primaires.

    Source : Pexels, Julia M Cameron
    Source : Pexels, Julia M Cameron

    Le tronc commun de formation assuré par l’INSP prévu par le décret de décembre 2021, avec aujourd’hui (arrêté du 28 novembre 2023) 21 écoles et 30 corps et cadres d’emplois.

    Le programme de formation à la transition écologique des 25 000 cadres supérieurs de l’Etat et des magistrats.

    Les Compétences Recherchées par les Cadres

    Les attentes des agents publics en termes de formation et d’accompagnement ont été mesurées récemment8.

    La moitié des personnes interrogées ont exprimé leur souhait d’un accompagnement dans leur mobilité, et d’un besoin de formations dédiées pour concrétiser leur projet professionnel.

    Pour autant, malgré cette appétence, les agents de catégorie A font seulement 1,6 jour de formation continue par an9.

    Le Souhait des Rapporteurs de Conserver une Fonction Publique Généraliste

    La fonction publique française repose sur un modèle généraliste :

    • Recrutement sur un concours,
    • Une école de « formation initiale » et
    • Un parcours de carrière au sein du corps.

    Cette fonction publique généraliste s’oppose à la fonction publique technicienne, incarnée notamment par le système anglais. Celle-ci est très décentralisée (gestion purement ministérielle) et repose sur une culture technique très forte (peu de fonctionnaires généralistes)10.

    Pour les rapporteurs, le modèle généraliste français est « à défendre », contre ce qu’ils qualifient de closed-shops. La mission n’explique toutefois pas en quoi ce modèle généraliste serait meilleur11.

    Le Modèle Économique des Écoles de Formation est Jugé « Biaisé »

    L’Absence de Recettes Privées

    « Il n’existe ni modèle économique unifié, ni aucun “marché interne” de la formation continue au sein de l’État, pas plus pour les cadres supérieurs que pour les autres catégories d’agents. »

    Par « marché interne », il faut entendre, selon la mission, la rencontre d’une demande exprimée par les administrations ou les agents et une offre de formation.

    Le modèle de financement des écoles et des instituts demeure encore largement assis sur une dotation budgétaire. Rares sont les modèles plus autonomes comme l’École nationale supérieure de la sécurité sociale (EN3S, formant l’encadrement supérieur des caisses de sécurité sociale), où la formation continue est financée à 95 % par des recettes propres12.

    Le modèle de l’École des hautes études en santé publique (EHESP, formation de l’encadrement supérieur de la fonction publique hospitalière) est similaire, mais avec une dotation plus importante, en contrepartie d’un accueil quasi gratuit des agents du ministère.

    Pour ces deux écoles, ces financements privés sont interprétés positivement, comme constituant un « aiguillon » à même de permettre le renouvèlement de l’offre et la qualité.

    L’Impossibilité de Déterminer le Coût Complet d’une Formation

    Dans la majorité des cas, le coût de la formation délivrée n’est pas connu par l’école ou l’institut. Partant, aucune comparaison n’est possible entre les différentes offres, y compris lorsque les objectifs pédagogiques sont semblables.

    Il existe par ailleurs des inégalités entre les écoles et les instituts. Certains, profitant du régime de service à compétence nationale13, ne tiennent pas compte des frais supports (immobilier, gestion), tandis que les établissements publics, étant autonomes, présentent un coût complet.

    Par ailleurs, la facturation partielle, voire la gratuité des formations (souvent pratiquée pour le ministère donneur d’ordre, en contrepartie de la dotation budgétaire) brouillent davantage le « signal » prix.

    Un Positionnement de l’INSP comme « Opérateur Ensemblier » Qui Reste à Définir

    L’Échec de la Formation Continue à l’INSP

    La mission relève tout d’abord les défis de l’INSP : un fort turnover de son équipe de direction, une absence de COP signée avec l’État et pâtit d’un manque d’implantation régionale14.

    Cependant, les services de formation continue de l’INSP sont fournis : quinze agents, dont cinq assistants de formation et cinq ingénieurs de formation.

    Pour autant, l’offre de formation continue proposée par l’INSP n’a quasiment pas évoluée par rapport à celle proposée par l’École nationale d’administration (ENA), notamment sur le public formé (alors que les administrateurs de l’État sont désormais minoritaires).

    Au total, l’INSP n’a réalisé que seize sessions de formation continue (la moitié des sessions proposées initialement étant finalement annulées) avec en moyenne une douzaine de participants (196 participants au total)15.

    Une Situation Économique Fragile qui Interroge sur la Capacité de l’INSP

    Par ailleurs, le contexte budgétaire est très contraint, puisque l’INSP est constamment en déficit : -0,9 million d’euros en 2023, -2,9 millions d’euros en 2024, -2,7 millions d’euros au budget prévisionnel pour 2025.

    Or, la formation continue, d’après les données de la mission, présenterait un déficit agrégé de 1,5 million d’euros.

    Alors que la formation continue devait être un vecteur de ressources budgétaires, elle creuse le déficit16.

    Outre les prix prohibitifs, il convient de noter que l’intégralité des contenus de formation proposés par l’INSP sont dispensés en présentiel. Pourtant, l’INSP dispose d’une direction de la digitalisation et de l’innovation pédagogique composée de cinq agents. Par ailleurs, le besoin de formations flexibles et pour partie en distanciel est connu et régulièrement exprimé par les agents publics, et en particulier les cadres supérieurs.

    Le retard de l’INSP en la matière est difficilement compréhensible, qui plus est dans un contexte de transformation profonde de la formation professionnelle17 par : le développement de la micro-formation (ou microlearning), de l’apprentissage ciblé avec des tests de positionnement par intelligence artificielle, de l’apprentissage par réalité virtuelle, du gaming en apprentissage ou de l’apprentissage collaboratif.

    Les Préconisations de la Mission pour Bâtir un Système de Formation Continue des Cadres Supérieurs de l’État

    Pour les inspecteurs, la formation continue des cadres supérieurs de l’État doit être conçue à partir des besoins :

    • De l’État employeur, en tenant compte des évolutions du service public et
    • Des besoins en compétences des hauts fonctionnaires, tels qu’ils ont été exprimés dans les entretiens professionnels ou les évaluations « parcours carrière ».

    La Nécessité de Construire une Stratégie Interministérielle Claire et Partagée

    Pour les rapporteurs, cette stratégie devrait permettre d’assurer :

    • L’employabilité des cadres supérieurs de l’État tout au long de leur vie, tant en externe (sic)18 qu’en interne ;
    • La prise en compte des priorités politiques gouvernementales ;
    • Un appui sur le dispositif du parcours-carrière (qui vise à apprécier les perspectives de carrières des cadres supérieurs de l’État) ;
    • Une modernisation des systèmes d’informations de gestion des ressources humaines.

    Objectifs qui me semblent assez minimalistes, peu portés sur les compétences, la productivité et l’innovation.

    Source : Pexels, Divinetechygirl
    Source : Pexels, Divinetechygirl

    Cette stratégie devrait s’appuyer, pour les rapporteurs, sur un système centralisé de recueil et d’exploitation des données, qui s’appuierait sur :

    • Une cartographie complète et mise à jour en temps réel des cadres supérieurs et des postes occupés ;
    • Des indicateurs de mobilité des cadres supérieurs ;
    • Des indicateurs sur les formations suivies ;
    • L’identification des besoins de formation des cadres supérieurs à partir des entretiens professionnels et du dispositif parcours-carrière.

    Il me semble ici aussi qu’il manque une identification des compétences rares ou stratégiques.

    La mission recommande également de mener une prospective des emplois de cadres supérieurs de l’État à cinq et dix ans, en s’appuyant notamment sur France stratégie.

    Enfin, la mission propose de rétablir les accords conventionnels en matière de formation professionnelle dans la fonction publique et de décliner ces politiques ministérielles avec des objectifs chiffrés et des moyens dédiés.

    Piloter cette Stratégie par la Donnée

    Évaluer la qualité de l’offre en s’appuyant sur la méthodologie de Donald Kirkpatrick avec quatre niveaux d’évaluation :

    • Le niveau 1 : la réaction (reaction). Autrement dit, l’évaluation « à chaud », généralement pratiquée dans le secteur public ;
    • Le niveau 2 : l’apprentissage (learning). Vise à mesurer l’acquisition de connaissances, compétences, l’attitude, la confiance et l’engagement des participants. Suppose de proposer à la fin de la formation des tests ;
    • Le niveau 3 : le comportement (behaviour). Vise à mesurer l’application des apprentissages dans le quotidien du travail. Évaluation postérieure à la formation.
    • Le niveau 4 : les résultats (results). Quels résultats quantifiables dans l’activité du formé (évolution du chiffre d’affaires, de la satisfaction usagers, de la productivité…) ?

    La mission propose ensuite, assez étrangement, de raisonner en « blocs de compétences »19 :

    • Les métiers et expertises sectorielles : formation « métiers » ;
    • Le management, les savoir-être et les soft skills ;
    • Le corpus commun et les valeurs ;
    • Le savoir-faire en situation professionnelle : compétences professionnelles adaptées à une fonction ou à un environnement professionnel.

    Redéfinir le Rôle de l’INSP

    La mission propose d’inscrire dans la COP de l’INSP un indicateur dédié à la formation continue, puis suggère plusieurs ajustements :

    • La publication des scores de satisfaction des stagiaires sur la plateforme interministérielle de l’INSP ;
    • La création d’une mission de veille et d’observatoire sur la « complétude » de l’offre de formation continue ;
    • L’élargissement de l’offre de formation de l’INSP par la création de parcours de un à trois jours thématiques : finances publiques, affaires européennes, gestion de crise, management, transformation et innovation ;
    • Le développement d’une offre à destination du secteur privé, spécifiquement en affaires européennes et en gestion de crise.

    La mission propose de réaliser un bilan à quatre ans de l’application du plan. En cas d’échec de l’INSP, la mission recommande de mettre un terme à l’activité de formation continue de l’INSP. La formation des cadres supérieurs de l’État serait alors mise en œuvre par le biais d’appels à projets interministériels pilotés par la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État.

    Normaliser les Coûts des Organismes et Présenter des Facturations Transparentes et Complètes

    Cette recommandation, couplée à la création d’un fonds de péréquation de formation professionnelle ministérielle pour l’encadrement supérieur, permettrait, selon les rapporteurs, de faire émerger un marché interministériel de la formation (reste à savoir si les acteurs publics sont compétitifs…).

    La mission préconise un taux de péréquation équivalent à 0,2 % de la masse salariale des cadres supérieurs de l’État. La mission considère ce taux modeste au regard des 0,9 % du CNFPT et du 1 % du secteur privé.

    1. L’inspection générale de l’administration, qui dépend du ministère de l’Intérieur ; l’inspection générale des affaires sociaux, pour les ministères sociaux et l’inspection générale des finances, pour les ministères économiques et financiers.
    2. Cette demande s’inscrivant notamment la préparation de la prochaine convention d’objectif et de performance de l’INSP.
    3. Réforme de l’institut national du service public, créé en 2021 ; création quasi concomitante de la Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (DIESE) et du nouveau corps d’administrateur de l’État.
    4. On peut s’étonner du caractère extrêmement « top-down » des préconisations citées par la mission, qui invitent peu à l’innovation, la décentralisation et la performance.
    5. Un fait étonnant : l’intelligence artificielle n’est mentionné nulle part. Le rapport et les annexes ne comptent pas une seule référence.
    6. Il aurait été probablement utile de comparer le niveau de centralisation de l’État et son modèle d’organisation de la formation continue. Ainsi, le Royaume-Uni est très centralisé dans son organisation publique, mais l’organisation de la formation continue est ministériel.
    7. On pourrait objecter que les thématiques choisies sont très générales…
    8. Enquête « Fonction publique + 2023 », ayant recueilli près de 110 000 réponses d’agents de catégorie A, dont 35% en situation d’encadrement. Le périmètre est donc plus large que l’encadrement supérieur.
    9. Rapport annuel sur l’état de la fonction publique de 2024.
    10. Autre particularité du système anglais, toutes les formations généralistes (comme celles liées au management) sont externalisées, puisque le marché est censé pourvoir à ces besoins. Il convient de relever que cette bascule dans une fonction publique technicienne est relativement récente au Royaume-Uni. On la retrouve également en Suisse, au Danemark et aux Pays-Bas.
    11. Ce débat entre généraliste et spécialiste se retrouve dans de nombreux corps de l’État : l’inspection du travail, l’inspection de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la magistrature (publique comme privée), les enseignants du premier degré, les infirmiers, etc.
    12. Les 2 500 agents de direction de la sécurité sociale sont initialement formés par cette école, mais en formation continue, l’EN3S est en concurrence avec tous les organismes intervenant dans le domaine.
    13. Le service à compétence nationale (SCN) est une structure nationale, mais opérationnelle (à la différence des directions d’administration centrale). Se faisant, l’ensemble de ses moyens organisationnels sont gérés par un secrétariat général : immobilier, ressources humaines, systèmes d’informations.
    14. Très étrangement, la mission propose de réaliser dans les instituts régionaux d’administration (IRA) des formations conçues par l’INSP, alors même que l’INSP ne dispose pas de formateurs dédiés. On peine à comprendre la logique : les IRA étant des instituts de formation interministériels de catégorie A, pourquoi ne seraient-ils pas compétents pour former des agents de catégorie A ? Même s’il s’agit, parmi ceux-ci, de cadres supérieurs.
    15. Au regard des moyens humains consacrés à la formation continue à l’INSP, on peine à imaginer une structure privée avec un tel bilan. C’est évidemment très inquiétant.
    16. Cela interroge aussi fortement sur le manque d’attractivité de l’INSP du point de vue pédagogique.
    17. Bien que le rapport soit consacré à la formation professionnelle et que certains acteurs du secteur privé aient été interrogés, il est étonnant de constater l’absence de toute présentation de cette activité. Comme si la fonction publique était en vase clos et que la formation professionnelle ne valait pas, pour elle-même, quelques digressions théoriques. C’est dommage.
    18. Il semble étrange de former ses salariés pour une autre entreprise ou administration. La vision de l’État est ici très généreuse.
    19. Le « bloc de compétence » renvoie, dans la formation continue, à des parties cohérentes et homogènes de certifications professionnelles.
  • Birnbaum – Où va l’État ?

    Birnbaum – Où va l’État ?

    Temps de lecture : 9 minutes.

    Petit ouvrage (160 pages) d’un très grand auteur1, consacré à l’examen des nouvelles interactions public-privé des plus hauts agents de l’État. Particulièrement intéressant pour sa conclusion.

    Elle interroge toutefois sur le positionnement attendu de l’État et de ses serviteurs. Est-ce que la fonction publique doit être réservée à une classe professionnelle étanche ou doit-on au contraire favoriser les échanges ? La question se pose avec plus d’acuité aujourd’hui que l’entrée dans la fonction publique est plus tardive et moins linéaire (voir l’article des Légistes sur le rapport de la Cour des comptes consacré aux jeunes et aux recrutements de l’État).

    Emmanuel Macron et la Société Civile

    L’auteur commence son ouvrage par ce qu’il qualifie de nouvelle circulation de l’élite politique : « entre public, privé et public ». Autrement qualifié de « revolving door » ou en bon français : « rétropantouflage ».

    Source : Pexels, Mvdheuvel
    Source : Pexels, Mvdheuvel

    Une « Privatisation2 » de l’Entourage du Président de la République

    À cet égard, la Composition du Cabinet d’Emmanuel Macron est symptomatique :

    À sa nomination comme chef de l’État, 19 des 45 conseillers proviennent du secteur privé. Sur les 26 conseillers issus de la fonction publique, 16 sont énarques, dont 3 diplômés d’écoles de commerce et plusieurs autres diplômés de facultés américaines.

    Un Gouvernement Comptant Très Peu d’Agents Publics

    Le premier ministre Édouard Philippe et son directeur de cabinet (Benoît Ribadeau-Dumas3) présentent les mêmes spécificités : public-privé-public.

    Bien que Bruno Le Maire n’ait jamais exercé de fonctions dans le privé, la quasi-intégralité de son cabinet est également originaire du privé, énarque ou non.

    Au total, le gouvernement d’Édouard Philippe compte « seulement » deux énarques sur vingt-neuf ministres. Les ministres sont essentiellement des professeurs, médecins, juristes ou représentants du monde associatif.

    À titre de comparaison, le gouvernement de Valls comptait seize ministres, dont :

    • Cinq énarques ;
    • Marisol Touraine, normalienne et nommée au Conseil d’État par le tour extérieur ;
    • Quatre enseignants ;
    • Deux avocats et
    • Quatre professionnels de la politique.

    Une Assemblée Nationale Profondément Renouvelée

    L’Assemblée nationale présente le même visage que l’Exécutif. Elle compte ainsi, pour la première fois de l’histoire de la Vᵉ République, une majorité de députés de la société civile.

    Source : Pexels, Matreding
    Source : Pexels, Matreding

    Pour autant, et selon l’auteur, la verticalité voulue par Macron et en partie portée par son cabinet tranche rapidement avec cette image d’ouverture.

    Le Rôle Joué par le Non-Cumul des Mandats

    À l’élection de la nouvelle Assemblée nationale en 2017, 75 % des députés sont des primo-députés. 188 n’ont jamais exercé aucun mandat local. Par ailleurs, il leur est désormais interdit de cumuler leur mandat avec un mandat local.

    En 1998 et en 2008, près de 90 % des députés de l’Assemble nationale cumulaient leur fonction de député avec un mandat local.

    Pour l’auteur, cette règle de non-cumul et la très grande jeunesse du parti présidentiel ont « contribué à briser le processus de professionnalisation du politique ».

    « On mesure ainsi l’ampleur du bouleversement qui frappe un monde parlementaire tourné davantage vers l’économie, le monde des affaires, des innovations technologiques, de l’informatique, peu socialisé à la politique, disposant d’un moindre ancrage politique local, moins inséré dans une carrière politique, ayant moins accès aux réseaux politiques nationaux, au monde des cabinets, de la haute administration, aux sommets de l’État. »

    Le Rôle Joué par les Énarques, Qualifiés par l’Auteur de « Gardiens de l’État »

    Les Énarques Constituent la Structure de Commandement de l’État et Sont Recrutés par Concours

    Pour Birnbaum, les travaux sur l’ENA se concentrent trop souvent sur la reproduction sociale, sans égard pour le caractère « méritocratique du recrutement des élèves ».

    Source : Pexels, Rdne
    Source : Pexels, Rdne

    L’auteur considère ces hauts-fonctionnaires comme les véritables « gardiens de l’État » et l’ENA comme l’école permettant la promotion et la continuité de ces valeurs4.

    Il reconnaît toutefois : « son exceptionnalisme lié à la centralisation française » et : « son statut dans l’accélération de la carrière des hauts fonctionnaires qui n’a guère d’équivalent à l’étranger. »

    Une Partie des Énarques Rejoignent le Secteur Privé

    Cependant, en dépit du recrutement « méritocratique », l’auteur conçoit la nécessité de tenir compte des nouvelles réalités. Il cite ainsi Luc Rouban :

    « On passe du cadre supérieur au service de l’État finissant chef de service au dirigeant « multicartes » passant d’un service à un cabinet puis à un établissement public pour aller en entreprise… et revenir avant de repartir pour passer sa retraite comme président d’une banque d’affaires. »

    L’Essentiel des Énarques Demeurent dans le Secteur Public

    Le phénomène de pantouflage, une fois reconnu, est cependant circonscrit :

    Les 2/3 des énarques de la cohorte de 1989-1990 demeurent au service de l’État trente ans plus tard.

    Finalement, ce phénomène concerne essentiellement les grands corps et en particulier l’Inspection générale des finances (IGF).

    Birnbaum prend ensuite appui sur une analyse sectorielle pour appuyer sa démonstration. Toutefois, celle-ci peut être critiquable au regard du quasi-monopole de la Sécurité sociale dans la couverture des risques maladies et familiaux5 :

    « À partir d’une analyse sociographique des personnes ayant occupé des fonctions administratives, entre 1981 et 1997, dans les deux secteurs de l’assurance maladie et des prestations familiales, on peut distinguer un ensemble de hauts fonctionnaires presque tous issus de l’ENA (76 %), et en particulier de la Cour des comptes, qui, entre l’administration centrale et les cabinets ministériels, ont acquis une expertise propre à ces questions, et forment une élite unifiée et sectorisée quasiment fermée aux intrus du privé. »

    La Logique de « l’État Stratège »

    Une Forte Contestation du Rôle de l’État à Travers des Politiques Récentes

    Pour l’auteur, de nombreux dispositifs juridiques modernes entraînentune forme de « banalisation » de l’État :

    • La nouvelle organisation budgétaire de l’État issue de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), construite à partir d’indicateurs de performance et d’un découpage par missions et actions ;
    • La décentralisation et l’essor d’exécutif locaux de grande dimension et doté d’une autonomie budgétaire (comme les conseils régionaux) ;
    • La logique de contractualisation (y compris, au sein même de l’État) ;
    • L’agenciarisation, souvent associée au démantèlement de l’État ;
    • La démocratie consultative et participative.

    On pourrait y ajouter l’européanisation du droit et les processus de contrôles constitutionnels. Puis, on nuancerait le tout en remarquant le poids considérable de l’État dans la vie économique, sociale, culturelle, sanitaire… de notre pays.

    Le Rôle Pourtant Majeur de l’État dans la Conduite de la Nation

    Pour l’auteur, force est de constater que les grandes réformes publiques ont toutes été initiées et menées par des hauts fonctionnaires. Que ce soit au niveau politique : avec Valéry Giscard d’Estaing, Michel Rocard et Alain Juppé ; comme au niveau intellectuel et programmatique, avec Jean Picq notamment6.

    Par ailleurs, même la régionalisation de l’action publique et la réduction du nombre de directions déconcentrées suite à la Révision générale des politiques publiques (RGPP) sous la présidence de Nicolas Sarkozy7 auront permis à l’État de concentrer sa force et de promouvoir une voix étatique locale.

    Le Danger de la Corruption

    L’Opacité Complète pour les Fonctionnaires Devenant Avocats

    Le principal danger pour l’auteur est celui de la corruption. À cet égard, il appuie son argumentation sur les travaux de Pierre France et Antoine Vauchez relatif aux fonctionnaires devenant avocats d’affaires.

    Source : Pexels, Cottonbro
    Source : Pexels, Cottonbro

    En effet, dans cette situation, deux principes contradictoires peinent à s’équilibrer :

    • Celui du respect des règles déontologiques visant à prévenir les conflits d’intérêts8 ;
    • Celui du secret professionnel applicable aux avocats… et qui empêche tout contrôle déontologique.

    Or, plusieurs très hauts fonctionnaires passés par un ou des cabinets ministériels et ayant, à cette occasion, accédé à des informations confidentielles, ont ainsi (comme avocat) rejoint le secteur privé.

    À ces hauts fonctionnaires s’ajoutent de manière plus visible encore de grands noms de la politique publique française :

    • Claude Guéant,
    • Dominique de Villepin,
    • Pascal Clément,
    • Rachida Dati,
    • Jean-François Copé,
    • Dominique Perben,
    • Claude Evin,
    • Pierre Moscovici,
    • Dominique Strauss-Kahn9

    Les Conflits d’Intérêts Avérés

    L’autre situation emblématique de cette porosité est incarnée par François Pérol, nommé à la tête du groupe BPCE après avoir facilité la création de cette nouvelle entité dans ses fonctions de secrétaire général adjoint de l’Élysée10.

    Le fait le plus grave concerne toutefois la condamnation pour corruption de Claude Guéant, avec Michel Gaudin, alors directeur général de la police national. Ce dernier avait partagé avec le ministre des enveloppes d’argent en liquide, normalement destinées à payer des frais d’enquête de police. Sans parler des enquêtes sur le financement illégal de la campagne de Sarkozy11.

    Source : Pexels, SuzyHazelwood
    Source : Pexels, SuzyHazelwood

    À ceux-ci s’ajoutent les inculpations de :

    • Bernard Squarcini, directeur du renseignement pour détournement de fonds publics et trafic d’influence ;
    • Christian Flaesch, ancien directeur de la police judiciaire de Paris ;
    • Jean Daubigny, ancien préfet de police de Paris et membre de la Cour des comptes pour fraude fiscale ou encore
    • Dominique-Claire Testart-Mallemanche, préfète, pour corruption.

    La multiplication de ces affaires induit un sentiment de corruption généralisée au sein de la classe politique et de la haute fonction publique, alimentant inévitablement une vague populiste de rejet des élites et du parlementarisme.

    Le Brouillage Public-Privé Alimente un Populisme Anti-Élites et Anti-État

    Une Critique de « l’Oligarchie »

    Pour l’auteur, si la IIIe République a connu son lot de scandales, la légitimité de l’État demeurait préservée. Cela n’est plus le cas aujourd’hui, pour partie, du fait du « grand brouillage » induit par cette interpénétration d’élites du privé et du public.

    Vient notamment en tête le « scandale des décorations » qui éclaboussa le président Jules Grévy, par le comportement de son gendre, avant de l’obliger à démissionner.
    Vient notamment en tête le « scandale des décorations » qui éclaboussa le président Jules Grévy, par le comportement de son gendre, avant de l’obliger à démissionner.

    Le populisme déployé par Mélenchon conte « l’oligarchie » et ses « pantins » est symptomatique du phénomène. Alimenté par les expériences d’Amérique latine et « des travaux pseudo-scientifiques comme ceux de Pinçon-Charlot et de Chantal Mouffe. »

    Ce mouvement, d’un genre nouveau, fondamentalement contraire à toute sociologie sérieuse, mais également aux mouvements marxistes ou socialistes, est commun aux populistes de droite comme de gauche. On semble retrouver les élucubrations d’un Gustave Le Bon ou d’un Gabriel Tarde, sur le rejet de la raison et la consécration des passions comme seules dynamiques de l’action collective ; celles de Carl Schmitt sur la théorisation de la politique comme un conflit, l’adversaire est l’ennemi.

    Deux Populismes (de Gauche et de Droite), Pour Une Même Haine

    François Ruffin reprend également ce langage parlant d’un gouvernement « passif », « veule », « lâche », « complice », « collabos »…

    In fine, c’est un appel à la haine que François Ruffin manifeste, seule émotion à même de canaliser politiquement un mouvement d’opposition à la présidence de Macron. L’auteur y retrouve les pamphlets d’extrême droite de la IIIe République, à l’exemple de ceux contre Blum.

    Paradoxalement, l’extrême droite voue une haine identique envers l’oligarchie et, de manière surprenante au regard de son histoire, appelle à de nouvelles interventions de l’État. Seule différence, sa vision du peuple restreinte à une frange ethnique jugée plus légitime. Elle aussi s’insurge contre le monde de la finance et une forme de mondialisme capitaliste contraire aux intérêts du peuple.

    « Au bout du compte, deux types de populisme s’affrontent, qui partagent parfois un même vocabulaire : le populisme de gauche s’en prend uniformément à l’oligarchie et à la caste, il fait une croix sur l’État, lui déniant toute autonomie en prenant acte d’une osmose croissante entre secteur public et secteur privé, vouée nécessairement, dans cette perspective, à la corruption. Le populisme de droite défend au contraire l’État fort qui échappe à l’oligarchie, mais c’est pour en faire l’instrument d’une mobilisation ethnique. »

    Un Populisme Injustifié Pour l’Auteur

    « Les moments Sarkozy et Macron, qui diffèrent par bien des aspects fondamentaux, font figure l’un et l’autre de tournant idéologique vers la libéralisation économique, la logique de l’entreprise, l’introduction de techniques de rationalisation, de décentralisation des décisions empruntées au secteur privé12. Il n’empêche qu’à la différence de bien des États du monde occidental, l’État n’a toujours pas renoncé, en France, à imposer sa loi ni à gouverner à distance. »

    Par ailleurs, selon l’auteur, la haute fonction publique demeure loyale et dévouée au service public.

    « L’abaissement de l’État, si d’aventure, il s’accentuait, bouleverserait de fond en comble la société française, qui ne pourrait plus compter sur lui pour défendre sa vision de la citoyenneté, sa conception de la laïcité qui limite l’empreinte du religieux dans l’espace public, en un mot : sa paix civile. »

    Pour l’auteur, il ne faudrait donc pas qu’une dénonciation abusive de l’oligarchie en vienne à détruire cet instrument aussi indissociable de notre histoire collective qu’est l’État.

    1. Pierre Birnbaum a le privilège d’avoir écrit des classiques comme l’ouvrage Les Fous de la République et d’être le biographe de Léon Blum.
    2. Au sens de remplacement d’individus issus du secteur public par des individus du secteur privé.
    3. Polytechnicien, camarade d’Édouard Philippe dans la promotion Marc-Bloch de l’Ecole nationale d’administration (ils sortirent tous les deux au Conseil d’État). Il occupera différents postes en cabinets ministériels avant de rejoindre le groupe Thales.
    4. Il me semble toutefois nécessaire de bien distinguer les finalités des corps de hauts fonctionnaires avec les éventuelles critiques sur le mode de recrutement. S’arrêter au caractère « méritocratique » est malheureusement réducteur, alors que la sélection par concours fait l’objet de beaucoup de discussions : voir l’article des Légistes sur les concours.
    5. Il existe évidemment un secteur mutualiste français, mais dont la taille n’est pas comparable avec celle offerte par la sécurité sociale. C’est également le cas, pour le moment, dans le champ de la santé. La même analyse conduite auprès d’agents de la direction générale du Trésor, de la direction du Budget, des Entreprises ou d’une direction à forte composante industrielle ne produirait évidemment pas les mêmes résultats.
    6. L’argument me semble quelque peu manquer de force. La surreprésentation d’agents publics aux plus hautes fonctions de l’État facilite nécessairement une surreprésentation de ces derniers dans l’édiction de mesure d’importance.
    7. De dix-huit directions à huit.
    8. Ce qui implique l’impossibilité de plaider contre l’État une fois inscrit au barreau pendant une période de cinq ans.
    9. Ce qui est particulièrement marquant est le peu d’expertise juridique de nombreux anciens élus. L’attrait pour l’exercice de la profession d’avocat semble reposer principalement sur le secret professionnel qu’elle permet. On notera également la surreprésentation de personnes inquiétées par la justice.
    10. M. François Pereol ne consultera même pas la Commission de déontologie.
    11. L’ouvrage a été publié avant la condamnation de l’ancien chef de l’État.
    12. Le discours est en effet particulièrement marqué par une certaine forme de fascination pour la réussite libérale anglo-saxonne chez les présidents Sarkozy et Macron. Mais, il me semble toutefois que l’épreuve du réel a fortement nuancé leurs bilans. L’un et l’autre ont été confrontés à des crises majeures et on alors choisi d’augmenter fortement les dépenses de l’État et d’assumer une augmentation inquiétante des déficits et de la dette française. En d’autres circonstances, je peine à les imaginer abandonner Lehman Brothers, comme a pu le faire le président Georges W. Bush.
  • St-Preux-A l’ENA, y Entrer, s’en Sortir (2013)

    St-Preux-A l’ENA, y Entrer, s’en Sortir (2013)

    Temps de lecture : 15 minutes.

    Récit d’un auteur, anonyme, ancien professeur ayant réussi le concours interne de l’ex-École nationale d’administration (ENA), désormais Institut national du supérieur public (INSP).

    L’auteur explique le déroulement de la scolarité, l’atmosphère, présente son ressenti, ainsi que quelques réflexions sur la formation. Si les constats et jugements ont désormais plus de dix ans, certains éléments demeurent et peuvent susciter l’intérêt du préparationnaire ou du curieux.

    Le but de l’école est, pour l’auteur, clairement assumé : « faire endosser le costume ».

    Vous voilà parti à droite et à gauche, parachuté dans des milieux les plus divers et en situation de stress et de commandement.

     « On ne ressort pas inchangé de deux ans d’une scolarité menée à un rythme trépidant, qui vous envoie dans les lieux les plus divers vous accoutumer aux réalités les plus opposées. »

    Le Concours de l’École Nationale d’Administration

    L’auteur commence par une petite présentation du concours.

    Le Nombre de Places

    L’auteur note que depuis les années 80, l’étiage de recrutement est à peu près stable à 80 élèves :

    • 40 externes,
    • 38 internes et
    • 8 troisième concours.

    Répartition aujourd’hui largement remise en cause par la diversification des voies d’accès à l’INSP :

    • Aux concours « classiques » : Externe, Interne, Troisième Concours ;
    • Se sont ajoutés deux nouveaux concours : Externe « Talents » et Externe « Docteurs ».

    Par ailleurs, le vivier du concours interne et les affectations étant plus larges, le nombre de places est en augmentation.

    Plus largement, sur les concours (interne, externe, troisième concours…), vous pouvez retrouver les articles suivants sur ce blog : le recrutement par concours dans la fonction publique est-il fini ?

    Les Épreuves

    Les Écrits : l’Admissibilité

    Traditionnellement, les écrits de l’ENA (puis de l’INSP) se tenaient en septembre. Ce qui impliquait concrètement le sacrifice des vacances d’estivales pour le candidat1.

    Il était attendu pour les candidats externes des dissertations, tandis que les internes devaient rédiger des notes de synthèses à partir de dossier d’une cinquantaine de pages2.

    Les matières abordées sont le droit public, l’économie, les questions européennes et les questions sociales.

    Les Oraux : l’Admission

    Les oraux de l’auteur eurent lieu, comme aujourd’hui, dans les locaux parisiens de l’institution, avenue de l’Observatoire, dans le VIe arrondissement de Paris.

    Les épreuves débutaient alors par les oraux techniques, avant de se conclure par le fameux « grand oral ». La difficulté tenant au fait que les cinq épreuves orales s’enchaînaient en une seule semaine.

    S’agissant des oraux techniques3, les candidats étaient attendus trente minutes avant l’épreuve pour se retrouver « coincé dans une salle ridicule au milieu d’appariteurs et d’auditeurs libres. » Une fois le sujet en main, le candidat disposait de dix minutes pour préparer son intervention et valoriser les mois de préparation au concours.

    La prestation durait vingt minutes, dont dix pour l’exposé du candidat. Ensuite, les questions du jury portaient d’abord sur le sujet, puis s’ouvraient à de nouveaux champs de la discipline.

    « La séance peut tourner à l’exécution publique à la première erreur. »

    L’oral de « culture générale » (ou « Grand Oral »4) est différent. D’une durée de quarante-cinq minutes, il est évidemment moins rythmé.

    L’idée est davantage de sonder la personnalité du candidat, sa motivation réelle et de débusquer les contradictions que peut soulever sa présentation. L’épreuve est redoutée par son coefficient et la faculté du jury d’utiliser tout le spectre de notation afin d’éliminer délibérément un candidat qui ne le satisfait pas.

    Le jury est composé de cinq membres à l’épreuve de culture générale, contre seulement deux pour les épreuves techniques. Par ailleurs, l’auteur note que le public est plus nombreux au « grand oral », ce qui rajoute inévitablement au stress du candidat.

    Les Trois Modules de Formation de l’École Nationale d’Administration

    Source : Pexels, Jmark
    Source : Pexels, Jmark

    Une fois à l’école, après la réception de janvier, est présenté le cycle en trois modules :

    • Le stage International qui débute en février et se termine par les premières épreuves du cycle en juillet ;
    • Le stage Territoires, qui débute en septembre avec une épreuve de classement en avril de l’année suivante ;
    • Enfin, le stage Entreprises à compter de mai, jusqu’aux épreuves d’octobre.

    Dans son ensemble, chaque module est pris en compte dans la détermination du classement final par la combinaison d’une note de stage et par des notes d’épreuves. Ces derniers vont de la note de synthèse classique à l’épreuve collective de simulation d’une négociation ou de rédaction d’un texte normatif5.

    Ce découpage en différents stages, longtemps inchangé, a fait régulièrement l’objet de critiques. En effet, 80 % des énarques rejoignaient ensuite les administrations centrales des ministères, mais ils n’y effectuaient aucun stage lors de leur formation.

    Aparté : La Nouvelle Formation à l’INSP

    La nouvelle formation à l’INSP prévoit désormais (s’agissant de la voie générale6) une durée globale de stages de onze mois, pour une formation totale de vingt-quatre mois7, avec :

    • Un stage en environnement international d’une durée de quatorze semaines ;
    • Une mission en administration centrale d’une durée de quatre semaines ;
    • Un stage en territoire (généralement une préfecture) d’une durée de dix-neuf semaines ;
    • Une mission « au contact du public » (en « guichet » d’une préfecture, d’une direction des finances publiques ou d’une caisse de Sécurité sociale) d’une durée de trois semaines ;
    • Une mission « d’ouverture en territoire », après le stage préfectoral, pour « prolonger l’expérience territoriale » au sein d’un service déconcentré de l’État ou d’une collectivité publique, d’une association ou d’une entreprise.

    Autre changement majeur, le classement de sortie ayant été supprimé, les évaluations n’ont plus d’impact sur le débouché de la formation, comme en 2013 à la publication de l’ouvrage de l’auteur.

    Une Affectation en Stage Largement à la Main de la Direction

    Avant le premier départ en stage, l’auteur dépeint une ambiance détendue et sereine, avec une certaine forme de convivialité entre les élèves.

    Toutefois, le premier tableau d’affectation des stages est : « l’une des premières vraies épreuves de l’ENA », elle entraine le stagiaire à gérer joies et déconvenues avec le même entrain et la même soumission.

    « La direction des stages est toute-puissante et conduit les affectations comme elle l’entend ; les vœux que nous avons faits ne sont qu’indicatifs. »

    L’auteur évoque ainsi des situations où les vœux présentés par les élèves sont ouvertement ignorés.

    « Assez vite, certains diront que la meilleure manière d’obtenir un stage conforme à ses vœux est encore de ne rien révéler de ceux-ci… »

    Le Stage International à la Commission Européenne

    Source : Pexels, Lil Artsy
    Source : Pexels, Lil Artsy

    Le premier stage de l’auteur est à la Commission européenne. Il y découvre une nouvelle institution, mais également une « paperasserie » abondante.

    Professionnellement, le choc culturel est total. Le jargon, la lourdeur des textes et des processus d’élaboration, le décalage entre sa perception de la réalité et la bureaucratie européenne heurtent ce professeur devenu administrateur :

     « Les journées passent devant l’écran d’ordinateur. Je fais des notes : je synthétise les textes que d’autres fonctionnaires avant moi se sont plu à délayer. Nous imprimons par ramettes entières des textes de directives, des rapports, des études. »

     « La Commission est une formidable usine à produire des textes qui ressemblent à du sirop de sucre et qui se répètent tous les uns les autres. »

    Outre cette artificialité bureaucratique, l’auteur découvre son nouveau positionnement de « haut fonctionnaire » français. Ainsi, il rencontre José Manuel Barroso8, qui l’invite à dîner la semaine suivante.

    « Je commence à réaliser ce qui m’arrive. Il y a quatre mois, je donnais des cours à des élèves de terminale, dans une ambiance assez ronronnante. (…) Maintenant, j’ai eu l’ENA : les problèmes que je découvrais en lisant Le Monde, je me mets à en parler directement avec ceux qui les traitent. »

    Enfin, Bruxelles est un lieu de travail anglophone. Mais, l’auteur y découvre un anglais particulier. Outre le jargon européen, la langue commune n’est quasiment jamais la langue maternelle de ses interlocuteurs :

    L’atmosphère est étrange avec un anglais parlé par des dizaines de nationalités. L’impression d’être en Erasmus.

    Le Profond Malaise de l’Auteur dans les Arcanes Bruxelloises

    La marche était peut-être trop haute pour cet ancien professeur.

    La passion d’agir et l’envie de servir se retrouvent empêtrés dans une complexité peu amène pour celui qui se destinait plus probablement à des fonctions d’administrateur civil ou de sous-préfet :

    « Le plus ennuyeux, c’est que Bruxelles m’aura offert, durant ce stage, un visage opposé à ce qui avait fondé ma démarche d’entrée à l’ENA. Si je suis entré dans cette école, c’est parce que je crois à l’utilité de l’action publique, parce que je crois à la possibilité de me rendre utile moi-même en aidant à conduire des actions qui soient réellement bénéfiques socialement. Le quartier européen de Bruxelles m’a présenté une image inverse. (…) Le mastodonte bruxellois est un animal monstrueux, dépourvu de raison, qui avance imperturbablement sur une route tracée d’avance. Le divorce démocratique avec les aspirations réelles des peuples est consommé depuis longtemps. N’obéissant qu’à sa propre logique bureaucratique, à son idéologie molle, consensuelle et sans attaches, souvent instrumentalisé dans le jeu peu clair d’États-nations qui n’ont jamais vraiment renoncé à une politique de puissance propre, il s’impose avec une nécessité froide. »

     « Vingt ans après la chute du Mur, la Commission a entrepris de ressusciter l’Union soviétique. »

    Une Scolarité à l’ENA Critiquée par l’Auteur pour son Conformisme

    Les journées à Strasbourg commencent par les cours de langue, suivi des cours magistraux ou grandes conférences, des travaux pratiques et des études de cas.

    Un Programme Ambitieux Mais dont la Teneur est Inégale

    La liste des thèmes abordés est des plus vastes :

    • Économie,
    • Négociation,
    • Droit constitutionnel,
    • Management,
    • Légisitique9

    Toutefois, les enseignements sont intégralement dispensés par des intervenants extérieurs. L’École nationale d’administration est une École sans enseignants10

    « Les seuls enseignants plus ou moins permanents sont les professeurs de langues : encore sont-ils payés à l’heure, et révocables du jour au lendemain. (…) La conséquence logique est que l’enseignement est très inégal, du plus technique au plus fumeux. Du conférencier qui sera trop heureux de pouvoir afficher sur son CV qu’il a donné des cours à l’ENA, au préfet en préretraite qui se fait plaisir en venant parler de lui, de l’ancien ministre dont l’École est trop heureuse de pouvoir capter quelques heures, au jeune énarque sorti il y a moins de cinq ans dans les grands corps ou à Bercy. »

     « Si bien que chaque stagiaire se présente à l’amphithéâtre avec un ordinateur et un espoir tout entier placé sur le réseau Wifi de l’école. »

    Une Absence de Réflexion dans les Enseignements Présentés

    Plus dramatique, mais probablement rencontré dans d’autres écoles du service public, l’auteur identifie une autocensure profonde de la direction de l’École dans le traitement des sujets.

    L’administration de l’ENA veille à ne présenter aucun sujet politiquement sensible ou sujet à division, donc débats, devant les stagiaires. Rien sur la crise financière, les vicissitudes de la construction européenne ou les ressorts de l’immigration.

    « Point besoin d’être pourvu d’un sens hypercritique pour prendre conscience de la vérité souterraine qui traverse cet enseignement : un énarque n’a pas à penser ; il est d’abord un gestionnaire. Les dossiers qu’il nous est demandé d’étudier, les épreuves d’entraînement, laissent ainsi une impression assez nette de formatage. Notre attention est sans cesse rappelée sur la sacro-sainte “commande”. »

    Une Critique Plus Aiguë de l’Auteur sur le Conformisme

     « L’ENA nous forme moins qu’elle ne nous formate. L’essentiel de nos connaissances, d’ailleurs, était censé être acquis avant notre entrée. Ce que l’École veut, c’est donc moins nous enrichir de nouveaux savoirs que de nous donner la conscience exacte des formes dans lesquelles tout savoir doit s’inscrire ; nous ramener au même moule de savoir-être et de savoir-faire, s’assurer de la standardisation de ce que nous produirons. Les deux ans que nous passons à faire des notes en tous genres n’ont que ce seul but : inscrire en nous, comme un fait acquis, la conscience exacte des limites à ne jamais dépasser, des solutions à ne jamais inventer. »

    L’auteur déplore le fait que l’évaluation valorise, non pas l’originalité des solutions ou la créativité des idées, mais la clarté et le caractère direct et opérationnel des solutions proposées.

    Il est attendu des candidats d’épouser strictement le point de vue du ministère qu’il représente et de négliger les éléments, éventuellement pertinents, qui contrediraient la « commande ». En conséquence, les élèves identifient des trames et des mots-clés (externalités, défaillances de marché, signal-prix, élasticité, distorsion…) à même de venir justifier n’importe quel raisonnement.

    Tout amène à un conformisme de bon aloi. Dans la promotion, chacun sent cette absence de réflexion personnelle, cette docilité dans la justification et la traduction opérationnelle :

     « Les résultats (sont) édifiants : la fidélité absolue aux instructions données aboutit à une homogénéité surprenante des copies. De façon stupéfiante, les élèves les plus différents de caractère, aux opinions politiques les plus diverses, se retrouvent à rédiger des copies qui semblent se cloner les unes les autres : mêmes plans, mêmes analyses, mêmes conclusions. »

    Le conformisme s’exprime jusque dans la tenue où, en stage, le « maitre de stage11 » est ainsi amené à se prononcer sur la « présentation » du stagiaire.

    Je suis ici partagé. Certes, la réflexion, y compris critique, et une certaine indépendance intellectuelle sont importantes pour le fonctionnaire (ce recul est d’ailleurs valorisé à l’oral de culture général précédemment évoqué). Toutefois, il ne revient pas au fonctionnaire de discuter du bien fondé de la « commande » d’un supérieur, à plus forte raison, s’il s’agit d’un élu. Ce « conformisme » est aussi la réponse au principe d’obéissance hiérarchique.

    L’article L. 121-10 du code général de la fonction publique12 est d’ailleurs suffisamment explicite en la matière :

    « L’agent public doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. »

    Une Évaluation Continue Valorisant la « Docilité » des Candidats Selon l’Auteur

     « C’est comme un jeu dont le meilleur serait celui qui respecte le mieux les règles : ce que l’École attend de nous, il faut le faire sans état d’âme. »

    L’auteur partage alors quelques bons conseils mâtinés d’ironie, notamment sur la pratique de la « lettre d’installation » adressée à la direction des études et des stages de l’ENA peu après le démarrage du stage :

    « On insistera évidemment — mais faut-il le rappeler ? — sur l’enthousiasme et l’appétit avec lesquels on s’est jeté sur ces missions, l’idée étant que le lecteur doit être convaincu que notre stage est parti sur un rythme trépidant et sera rempli de tâches plus formatrices les unes que les autres. La lettre se clôt sur de nouvelles salutations respectueuses et doit laisser un sentiment d’impatience et de réelle envie de se voir confier encore plus de travail. »

    Le Stage « Territoires » en Préfecture

     « Le stage Préfecture est un hommage d’une institution prestigieuse, mais jeune, l’ENA, à une veille dame qui représente la tradition plus que séculaire de l’administration française. »

    Source : Pexels, Stuthnagyniki
    Source : Pexels, Stuthnagyniki

    Parmi tous ces stages et évaluations, le stage « territoires » est le plus important :

    • Il s’agit d’un stage long (cinq mois « complets »13, avec en général la permanence à assurer pendant les fêtes de fin d’année) ;
    • Il s’agit du plus gros coefficient ;
    • Il s’agit du seul vrai stage « administratif » et en lien avec les futures fonctions de l’énarque14 ;
    • Enfin, et surtout, il s’agit d’un stage en contact permanent avec le préfet. Occasion unique d’apprendre pour le stagiaire et de tester les potentialités d’une potentielle future recrue pour le préfet15.

     « Des journées qui commencent à 7 heures pour finir à 22, après la traditionnelle réunion du soir entre le préfet, le secrétaire général et le directeur de cabinet. »

    Les préfets ont au moins une chose en commun : leur personnalité forte16 et leur capacité de travail immense.

    Le stage territorial est aussi connu pour proposer la plus grande diversité de sujets : le préfet devant, en permanence, passer du sujet le plus grave au plus mineur, d’une réunion ministérielle à un échange avec un élu municipal, de la délinquance à l’urbanisme.

    Le Stage en Entreprise

    Source : Pexels, Pierre Blache
    Source : Pexels, Pierre Blache

    Troisième et ultime stage, l’Entreprise, où le stagiaire est censé produire :

    « Un effort de réflexion sur la possibilité d’appliquer à l’administration publique les modes de gestion et de management observés sur les lieux de stage. »

     « La stratégie consistant à envoyer toute une promotion de l’ENA, six mois avant sa sortie, dans ces lieux où l’argent semble couler à flots échappe à beaucoup d’entre nous. »

    Pour l’auteur, le stage en entreprise constitue un vrai choc de culture, semble-t-il largement partagé par ses condisciples.

    L’enjeu est de paraître pressé, occupé et heureux. Tout est d’abord dans la communication, à destination des middle managers, du top management, du consumer

    « À l’opposé de l’administration, qui peut donner l’image de l’immobilisme ou de l’inertie, l’entreprise est comme un chien fou qui fonce sans trop savoir où il va, ne suivant que son flair, l’attirant vers les meilleures sources supposées de profit. »

    L’auteur est ainsi étonné par la valeur purement indicative des organigrammes, le degré d’initiative laissé aux salariés, la concurrence au sein même des équipes. L’entreprise paraît en tous points contraire à l’administration, que l’auteur qualifie de « jardin à la française ».

    Enfin, l’auteur retient de son stage en entreprise une certaine forme de violence et de cynisme dans les rapports interpersonnels. En témoigne les propos du manager de l’entreprise d’affectation de l’auteur :

     « Si on veut que les gens se bougent, il suffit de leur fixer des objectifs impossibles. »

    Les Dernières Épreuves et le Bilan de la Scolarité

    Source : Pexels, Runffwpu
    Source : Pexels, Runffwpu

    Une fois le stage terminé, la fatigue s’installe, d’autant que la durée complète de la formation (deux ans), souvent précédée d’une année de préparation, se révèle de plus en plus pesante.

     « Cela fait un an et demi que l’École nous promène à droite et à gauche, que nos semaines sont ponctuées de conférences de méthode et de simulations de réunions, de rencontres en tout genre et de voyages en train ; nous approchons du dixième déménagement-réenmménagement dans un nouveau lieu : nous en sommes arrivés à un point où même l’effet de surprise n’agit plus ; la lassitude est générale. »

    L’auteur en profite pour réaliser un bilan, aussi lucide que froid, sur ce que l’École appelle avec un euphémisme : « l’implication ». Autrement dit, un dévouement total, voire un « sacrifice »17.

    Chacun doit mettre en parenthèse sa vie privée et familiale, peu importe les contraintes ou les événements personnels :

     « Des camarades devenus pères en cours de scolarité me confieront l’absence complète de compréhension de l’École quant à de possibles absences autour de la date d’accouchement. En stage, poser un jour de congé est très mal vu. »

     « Les tensions nées du rythme imposé sont réelles, même si elles sont délibérément ignorées de l’École. Des camarades voient leur couple exploser. D’autres doivent gérer les perturbations que leurs absences prolongées induisent désormais chez leurs enfants. Pour ces chargés de famille, les week-ends finissent par devenir aussi épuisants que le travail de la semaine. »

    L’auteur s’interroge alors franchement sur le décalage entre les exigences de l’École et les perspectives en sortie d’école qui : « frisent parfois l’absurde ».

    La Question du Classement de Sortie et d’une Forme de Discrimination Institutionnelle à l’Égard des Internes

    Les élèves de la promotion Rousseau de plus de 33 ans représentent près de la moitié des élèves, mais moins du quart des meilleures notes. Et, le préjudice lié à l’ancienneté s’accroît : les élèves de 36 ans et plus représentent le quart de l’effectif et la moitié des notes les plus basses.

    Pour autant, pour l’auteur, la suppression du classement de sortie est « une fausse bonne idée ». Paradoxalement, le classement homogénéise la promotion et permet d’éviter les discriminations.

     « Supprimer le classement, c’est supprimer l’égalité a priori qui existe entre tous les élèves d’une promotion : chacun redevient non plus seulement un élève de l’ENA, mais d’abord un ancien de Sciences Po, un littéraire ou un juriste, un ingénieur, un ancien d’une école de commerce…18 »

    En Conclusion : Faut-il Passer le Concours de l’ENA ?

    Pour l’auteur, si on considère froidement les postes à la sortie de l’école, en général un poste d’adjoint à chef de bureau en administration centrale, la réponse est clairement : non.

     « On peut même pousser plus loin en ajoutant qu’au vu des niveaux de responsabilité ou de rémunération offerts dans beaucoup de cas, engager deux ans de sa vie dans une scolarité aussi exigeante que celle de l’ENA est presque contre-productif. »

    Toutefois, l’auteur considère une autre option, plus résignée, consistant à suivre la scolarité « en bon père de famille », sans se préoccuper du classement. Travailler ces deux années, même doucement, garantit de réelles possibilités de carrière, sans les « trajectoires de fusée d’un capitaine d’industrie ».

    Le problème est que la majorité des élèves veulent et tentent d’obtenir les meilleures places du classement.

    « Aimantés vers ce pôle d’attraction que constituent le Conseil d’État, la Cour des comptes ou l’IGF, une majorité d’élèves sont prêts à sacrifier deux ans de vie personnelle pour décrocher le Graal. À la clef, trop de désillusions. »

    Pour autant, et en dépit des déconvenues de certains élèves, l’auteur note que ces hiérarchies sont inhérentes au fonctionnement administratif selon l’auteur :

    « L’administration est une chaîne de commandement et une organisation que se pense de façon verticale, en pyramide ; l’horizontalité, le fonctionnement en réseau, lui sont contre-nature, puisqu’elles supposent une prise d’autonomie qui est contraire à son souci du contrôle et de l’égalité de traitement des administrés. »

    Compte tenu du nouveau mode d’appariement en fin de scolarité, reposant sur des entretiens avec les futurs recruteurs, il serait très utile que de nouveaux témoignages et études renouvèlent les points de vue sur cette scolarité.

    1. À compter de l’édition 2026, les épreuves devraient (enfin !) se dérouler au cours du premier semestre, pour une rentrée en formation en septembre.
    2. Pour connaître les épreuves du concours de l’INSP, vous devez vous référer à l’arrêté modifié du 21 mars 2023 fixant les modalités d’organisation, la nature, la durée, les coefficients et le programme des épreuves des concours d’entrée à l’Institut national du service public. On remarquera le caractère plus « professionnel » des épreuves avec la nécessité, pour les externes comme les internes, de rédiger des notes « opérationnelles ».
    3. Le nouveau concours interne de l’INSP ne comporte simplement plus d’épreuves académiques. Outre l’entretien de motivation (qui remplace le « grand oral »), seuls subsistent une épreuve d’anglais, qui peut-être éliminatoire et une épreuve de mise en situation collective avec un coefficient important. Cette dernière épreuve vise à identifier les compétences relationnelles des candidats et leurs capacités de coopération.
    4. Il n’existe plus d’oral de « culture générale » ou de « grand oral », mais un « entretien » destiné à apprécier les qualités et aptitudes du candidat, son savoir-être et sa motivation.
    5. La sacro-sainte légistique.
    6. La « voie générale » est la voie administrative « classique », tandis que la « voie d’orient » vise à former les futurs diplomates.
    7. Les durées de formation de 24 mois semblent désormais la norme pour les formations de cadres supérieurs : administrateur territorial, directeur d’hôpital, directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social…
    8. Alors président de la Commission européenne.
    9. La légistique est l’art du… légiste. Cet enseignement consiste, selon le Guide de légistique, a : « présenter l’ensemble des règles, principes et méthodes qui doivent être observés dans la préparation des textes normatifs : lois, ordonnances, décrets, arrêtés… »
    10. C’est le cas de l’ensemble des écoles professionnelles de la fonction publique. Ce caractère se retrouve également dans certaines professions règlementées comme pour les avocats (avec les mêmes critiques sur l’inégalité des enseignements).
    11. Le haut-fonctionnaire (diplomate ou préfet) ou chef d’entreprise qui accueille le stagiaire.
    12. Ancien article 28 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
    13. « Un ou deux jours de congés, voire pas du tout, des astreintes de weekends à répétition. (…) Nous en sortirons rincés. »
    14. Les énarques sont plus souvent affectés en administration préfectorale qu’en ambassade.
    15. Les énarques sont plutôt rares en administration territoriale, cantonnés jusqu’il y a peu aux postes de sous-préfets, directeurs de cabinet d’un préfet ou secrétaire général de préfecture et quasiment absents des postes en directions départementales ou en opérateurs.
    16. « Parce qu’ils sont soumis à une forte pression et assument de lourdes responsabilités, les préfets ont des personnalités fortes. »
    17. Est évoqué également le coût prohibitif des différents déménagements et coûts de logement au regard de la faiblesse du traitement en formation. Ce point est normalement corrigé désormais, en particulier pour les internes.
    18. L’argument est réversible au regard de la très forte endogamie des élèves issus du concours externe et quasiment tous passés par Sciences Po Paris.
  • Les cabinets ministériels

    Les cabinets ministériels

    Temps de lecture : 9 minutes.

    Pour des analyses socio-politiques, voir notamment le n° 168 de la Revue française d’administration publique.

    Pour les chiffres, consultez le Jaune budgétaire dédié aux cabinets ministériels.

    L’Importance du Moment de Nomination

    Louis Marin, ministre des pensions
    Louis Marin, ministre des pensions

    Christian Vigouroux1, distingue deux types de cabinets ministériels :

    • Le « cabinet neuf » ;
    • Le « cabinet de remplacement ».

    Le « cabinet neuf » est constitué au moment de la formation du gouvernement, au début du quinquennat présidentiel ou d’une période de cohabitation.

    Ce cabinet est fort et est constitué le plus souvent de personnes d’expérience. Il s’agit à l’évidence d’un cabinet prisé, les places étant particulièrement convoitées2.

    Le « cabinet de remplacement », plus fréquent, est celui constitué au fil de l’eau, suite aux départs et remplacements. On pourrait aussi y intégrer les nouveaux gouvernements en cours de quinquennat, dont la force transformatrice est le plus souvent émoussée.

    Les Fonctions Exercées au Sein d’un Cabinet Ministériel

    Le Directeur de Cabinet

    Cheneaux de Leyritz, directeur de cabinet
    Cheneaux de Leyritz, directeur de cabinet

    La première décision d’un ministre est de choisir son directeur de cabinet et à la moindre ambiguïté, celui-ci est congédié.

    Symboliquement, son bureau jouxte celui du ministre avec qui il doit travailler en harmonie.

    Le directeur de cabinet est, en effet, l’interlocuteur principal du ministre. La distance entre lui et son ministre doit être la plus faible possible.

    Les Missions d’un Directeur de Cabinet

    Le directeur de cabinet du ministre est le personnage clé du cabinet, il assume des fonctions particulièrement importantes :

    • Management du cabinet : il recrute, congédie et anime l’équipe de conseillers ;
    • Conseil auprès du ministre : il fait remonter les dossiers sensibles, anticipe les risques, s’assure de l’exécution des décisions et conseil le ministre sur les aspects techniques et politiques des affaires présentées ;
    • Représentation du ministre et suivi des arbitrages : il représente régulièrement le ministre auprès de l’administration, s’assure de l’exécution des décisions, arbitre, négocie avec les autres ministères, s’entretient avec les représentants d’intérêts…

    Le directeur de cabinet est le chef d’orchestre du travail administratif ministériel. À cet égard, pour l’administration, il est souvent plus important que le ministre.

    Le Choix du Directeur de Cabinet

    Le nouveau ministre peut être confronté à trois situations :

    • Il s’agit d’un ministre faible et il ne dispose pas du choix du directeur de cabinet ou tarde à le choisir, la décision revient alors au Premier ministre, voire au président de la République. C’est évidemment la pire des situations3 ;
    • Il s’agit d’un ministre avec une capacité de choix, mais peu d’entregent administratif. La pratique consiste alors à solliciter des noms, auprès des directeurs d’administration centrale sous son autorité, de personnalités du secteur ou auprès de personnes politiques expérimentées4.
    • Il s’agit d’un ministre fort et expérimenté, auquel cas, il sait avant même d’être nommé qui sera son directeur de cabinet, et l’intéressé aussi.

    Contrairement aux représentations de la fonction de ministre par le grand public, il est très facile de se retrouver spectateur de son propre mandat.

    Le ministre qui ne choisit pas, ou qui choisit mal son directeur de cabinet peut être dépassé par le rythme des visites ministérielles, la nécessité d’être présent aux réunions gouvernementales, au Conseil des ministres et au Parlement.

    Un bon ministre doit savoir identifier rapidement la personnalité qui lui conviendra pour porter sa vision et influer concrètement sur le quotidien des administrations et des opérateurs relevant de ses attributions5.

    Le Profil du Directeur de Cabinet

    Le directeur de cabinet est presque toujours un fonctionnaire, qui plus est expérimenté6. Prendre un directeur de cabinet extérieur à l’administration constitue, en effet, un risque7, qui plus est dans les très gros ministères comme ceux de l’Intérieur ou de l’Économie et des finances.

    Une nomination extérieure à l’administration peut aussi être vue comme une forme de défiance, voire de défi. Je n’ose imaginer la difficulté que constituerait, pour le membre d’un comité de direction d’une grande entreprise (et recruté comme tel), l’exercice d’une fonction de directeur de cabinet du ministère de la Justice ou de l’Éducation nationale.

    La pratique consiste plutôt à repérer un haut fonctionnaire influent et qui, par son parcours8, a exercé des fonctions importantes au sein du ministère considéré.

    Cette influence et ce parcours sont censés offrir au ministre un réseau et une connaissance des personnes à même de faire avancer ses dossiers :

    • Au ministère de l’Intérieur, il s’agira plutôt d’un préfet ;
    • Au ministère Économique et financier, un inspecteur général des finances ou un ancien chef de service ou directeur d’administration centrale ;
    • Au ministère du Travail, un inspecteur général des affaires sociales ;
    • Aux Affaires étrangères, un ambassadeur ;
    • Au ministère des Armées, un militaire.

    L’Adjoint au Directeur de Cabinet

    Il n’existe pas ici de fonction type d’adjoint au directeur de cabinet. Le plus souvent, il s’agit d’une forme de nomination honorifique, tout en permettant au directeur de cabinet de disposer d’un relais managérial et stratégique au besoin.

    Bref, cette fonction dépend des personnes et des moments, elle n’en est pas moins quasi systématique.

    Le Chef de Cabinet

    Le chef de cabinet est le « chef de la maison ministérielle », il conduit l’emploi du temps du ministre jusque dans les détails les plus intimes. Il organise, anime et accompagne le ministre à chacun de ses déplacements9

    La fonction est opérationnelle et logistique, le chef de cabinet :

    • Anime l’équipe de chauffeurs, l’équipe de sécurité, les cuisiniers, les intendants ;
    • Organise les déplacements : temps de trajet, événements, acteurs à rencontrer et la coordination des discours ;
    • Encadre toute la logistique du ministre, y compris des temps privés.

    Compte tenu de cette proximité avec le ministre, la discrétion et le dévouement sont évidemment essentiels. À la différence du directeur de cabinet, le chef de cabinet n’intervient pas dans les décisions politiques. Par ailleurs, lorsqu’il est fonctionnaire, il s’agit plus souvent d’un attaché d’administration de l’État10.

    Le Conseiller Spécial

    Certains ministres apprécient la présence d’un conseiller spécial. Celui-ci est un proche du ministre auprès de qui il peut échanger de manière plus libre.

    Cette fonction permet aussi au ministre de disposer d’un relais loyal et fiable au sein de son cabinet, il renforce d’autant son emprise politique et sa maitrise des dossiers.

    Les Autres Membres du Cabinet

    Il existe, outre le directeur de cabinet et le chef de cabinet, des fonctions inévitables :

    • Un conseiller budgétaire11,
    • Un conseiller en communication,
    • Un conseiller parlementaire et un conseiller politique (parfois la même personne).

    Ces fonctions ne sont pas propres aux ministres. Elles se retrouvent dans tous les exécutifs publics d’importance (collectivités locales ou établissements publics) et dans les grandes entreprises : le conseiller parlementaire et politique étant un conseiller en relations publiques.

    Les conseillers restants doivent donc coordonner l’activité ministérielle, par grandes thématiques.

    Par exemple, au ministère chargé de la Fonction publique, compte tenu d’un portefeuille le plus souvent élargi à la modernisation de l’action publique, il n’existe souvent qu’un seul conseiller dédié à la fonction publique.

    Le Nombre de Membres des Cabinets Ministériels

    Depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, un mouvement assumé de limitation du nombre de membres des cabinets ministériels a été initié12.

    L’objectif étant de recentrer les cabinets ministériels dans l’orientation politique en laissant aux administrations le soin de l’exécution technique.

    La tendance à la limitation des cabinets ministériels a abouti à la création de cabinets au niveau des directions d’administration centrale et à la création d’instances nouvelles13 ou de secrétariat d’État. Paradoxalement, la diminution du nombre de conseillers, peut donc être aussi un facteur de complexification.

    Il n’en reste pas moins un nombre relativement élevé de collaborateurs gouvernementaux. Au titre de 2024 :

    • près de 500 membres de cabinet et
    • 2 200 personnels supports.
    Jaune budgétaire 2025
    Jaune budgétaire 2025

    La spécificité de Matignon et des Services du Président de la République

    Les Services du Premier Ministre

    Matignon est un monde en soi où il existe des « pôles » :

    • Éducation nationale et Enseignement supérieur ;
    • Justice ;
    • Intérieur ;
    • Social ;
    • Économique ;
    • Comptes publics ;
    • Diplomatique ;
    • Culture ;
    • Outre-mer ;
    • Environnement, Énergie, Transport, Logement ;
    • Agriculture…

    Concrètement, le cabinet du Premier ministre s’appuie sur une double machinerie :

    • Le Secrétariat général du gouvernement (SGG), véritable direction juridique centralisée du gouvernement, dédié au suivi technique des arbitrages gouvernementaux et
    • Les conseillers politiques des différents pôles précités : chaque chef de pôle étant accompagné de deux à cinq conseillers et éventuellement d’un chargé de mission.

    Au total, le SGG compte environ une centaine d’agents dont une trentaine de chargés de mission chargés du suivi des différentes politiques ministérielles14 ; tandis que le Premier ministre dispose de cinquante à soixante conseillers ou chefs de pôle.

    Compte tenu de la taille des effectifs, les liens qu’entretiennent le Premier ministre et le directeur de cabinet avec les conseillers sont nécessairement plus lâches.

    Léon Blum, l’inventeur du SGG
    Léon Blum, l’inventeur du SGG

    Les Services du Président de la République

    Outre l’État-major particulier du Président de la République, le chef de l’État peut s’appuyer sur des conseillers, également organisés en pôles.

    On y trouve, un pôle :

    • Régalien ;
    • Diplomatique ;
    • Social ;
    • Économique ;
    • Écologique, agriculture, énergie, transport, logement.

    À la différence du Premier ministre, certains pôles sont particulièrement fournis. Il en est ainsi pour le pôle diplomatique, et de manière transversale, pour la communication.

    À titre exceptionnel dans l’histoire de la Ve République, des conseillers communs ont même existé en 2017 entre MM. Edouard Philippe et Emmanuel Macron. Cette pratique n’a pas été renouvelée.

    La Diversité des Cabinets Ministériels

    Comme énoncé plus haut, l’État comporte des pôles avec des spécificités très marquées, dans le langage, les habitudes de travail, les lieux.

    Les « sociaux » se distinguent nettement des « militaires », qui se distinguent des « comptes », qui se distinguent des « diplo ».

    Le Cabinet Briand, en 1921
    Le Cabinet Briand, en 1921

    Ce faisant, certains cabinets présentent une ouverture au secteur privé spécifique. En premier lieu, le ministre chargé des petites et moyennes entreprises (lorsqu’il existe) et plus généralement le ministère du Travail.

    À l’inverse, certains cabinets sont les chasses gardées de personnels étatiques, et parfois de corps spécifiques. Il en est ainsi des Armées, de l’Intérieur, de l’Economie, du Budget et dans une moindre mesure de l’Environnement15.

    Au global, près de la moitié des collaborateurs sont sur contrat, le plus souvent issus du secteur privé.

    Jaune budgétaire 2025
    Jaune budgétaire 2025

    Il existe également des différences dans l’âge de recrutement, outre le fait que le directeur de cabinet est le confirmé, les conseillers ministériels sont en général jeunes, voire très jeunes16.

    Par ailleurs, certains emplois ont un recrutement à la mesure de leur spécificité :

    • Le chef de cabinet est souvent jeune et dispose, de préférence, d’une expérience politique17 ;
    • Le conseiller parlementaire se recrute en majorité parmi les collaborateurs parlementaires ;
    • Enfin, le conseiller en communication, qui est plus souvent une femme, provient fréquemment du monde entrepreneurial et plus précisément de l’univers du conseil. 

    Bonus : la Classification de Guy Carcassonne

    Dans un article de la revue Pouvoirs, Guy Carcassonne esquisse une typologie des cabinets et membres de cabinets :

    • « Les copains » : Ce qui se rapproche des conseillers spéciaux évoqués plus haut, entendu comme des proches du ministre. Carcassonne évoque ici un « avatar du scootisme » ;
    • « Les enfants » : Des conseillers techniques, très jeunes, en présence d’un ministre et d’un directeur de cabinet plus expérimenté. « Lorsqu’elle est réussie, cette combinaison donne d’excellents résultats. »
    • « Les valets » : Les recrutements sont réalisés par le directeur de cabinet seul, le ministre ne souhaitant pas s’investir dans la conduite du cabinet. Disposant de peu d’autonomie, ces conseillers exécutent. Si dans certains ministères très politiques ce mode de fonctionnement peut présenter quelques avantages, il est le plus souvent très dommageable.
    • « Les lieutenants » : Le ministre prend une part active au choix des conseillers, laissant au directeur de cabinet l’animation quotidienne. Le ministre délégue une part de ses prérogatives aux conseillers et se rend accessible à leurs suggestions. À l’évidence, il s’agit du modèle idéal selon Carcassonne.
    1. Ancien président de section au Conseil d’État, directeur de cabinet de plusieurs ministres : Enseignement supérieur, Justice, Intérieur, Emploi et Solidarité.
    2. En supposant toutefois une compatibilité des idées politiques entre le ministre et les éventuels membres de cabinet.
    3. Le directeur de cabinet dispose alors d’une légitimité lui octroyant une forme d’autonomie avec le ministre et de relais lui permettant de faire prévaloir son orientation auprès du Premier ministre ou du Chef de l’État.
    4. Un ministre d’un parti politique peut ainsi solliciter son ainé ayant occupé il y a peu la fonction.
    5. Sur les attributions des ministres, vous pouvez vous référer à cet article relatif aux directions d’administration centrale.
    6. C’est même, très souvent, le professionnel le plus expérimenté du cabinet.
    7. Risque qui semble par ailleurs plutôt inutile. Le travail administratif est, somme toute, très différent du travail d’un manager du secteur privé.
    8. Voire son corps d’appartenance (conseiller d’État, Inspecteur général, ambassadeur, magistrat…).
    9. Le directeur de cabinet demeurant à Paris, sauf pour les déplacements les plus importants.
    10. Le directeur de cabinet, hormis les cas où il est issu du secteur privé, est systématiquement un haut fonctionnaire. Les conseillers ministériels sont aussi majoritairement des hauts fonctionnaires, des collaborateurs d’élus ou des salariés du secteur privé.
    11. Il peut y avoir des cabinets sans conseiller budgétaire, mais on frise alors l’amateurisme.
    12. Conformément au décret 2024-23 du 17 janvier 2024, un ministre de plein exercice peut disposer de quinze membres de cabinet et un ministre délégué auprès du Premier ministre de onze membres.
    13. Par exemple, la création de hauts commissaires, dont la réapparition est également une des singularités de ces dernières années.
    14. Ces politiques ministérielles rejoignent les pôles précités, mais pas entièrement. Le SGG comporte moins de thématiques que le cabinet politique. La pratique est qu’un chargé de mission, de catégorie A+, est accompagné par un chargé de mission adjoint, généralement un attaché principal d’administration de l’État.
    15. Logement, Énergie, Transport.
    16. Notamment pour les conseillers budgétaires, souvent issus de la direction du Budget, avec une expérience d’un ou deux postes de chef de bureau.
    17. Auprès d’un député ou d’un exécutif local notamment.
  • « Fonctionnaire moyen », par Bernard Letondu (2009)

    « Fonctionnaire moyen », par Bernard Letondu (2009)

    Temps de lecture : 11 minutes.

    Le premier livre (à ma connaissance) d’un attaché d’administration sur les attachés d’administration.

    Ce petit livre, assez peu connu, tient son intérêt dans la représentation du vécu d’un attaché d’administration dans les 1970 à 1980. L’auteur étant affecté à la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), rue Oudinot1.

    Si l’auteur décrit assez peu son travail, il s’attarde longuement sur l’injustice de sa situation : être attaché d’administration de l’État, faute d’avoir réussi le concours d’entrée à l’École nationale d’administration (ENA). Sa verve sur ce concours et cette école (et sur ses collègues et supérieurs, qu’il méprise) n’en est que plus grande. Un personnage se dessine : proche de celui de l’Araigne de Michel Troyat, les sœurs en moins.

    Bien que dispensable, cet ouvrage éclaire l’une des singularités des attachés d’administration, et plus particulièrement ceux d’administration centrale :

    L’attaché d’administration centrale est celui qui partage son espace de travail avec des individus particuliers : les énarques.

    Un Échec Fondateur au Concours de l’ENA

    Source : Pexels, Antoine Conotte
    Source : Pexels, Antoine Conotte

    Après quelques éléments biographiques, l’auteur en arrive au bouleversement fondamental de son existence professionnelle : son échec à l’École nationale d’administration (ENA).

    De cet échec, il en tire quelques jugements lapidaires :

    « Dans l’administration (…) tout parait joué d’avance. »

    Plusieurs récriminations s’ensuivent, alimentées par un sentiment d’injustice, induisant une forme de frustration agressive :

    « Il aurait été impensable de tutoyer les énarques, bien qu’ils aient le même âge que moi. J’avais un peu l’impression que doivent avoir les salariés d’une petite entreprise familiale, dans le secteur privé. Ceux qui ne font pas partie de la famille des dirigeants, quelles que soient leurs compétences et leurs qualifications, seront toujours bloqués dans leur carrière, et cantonnés dans les tâches subalternes. »

    Une Critique du Système de Concours et de Carrière

    Élément assez étonnant pour un fonctionnaire, qui plus est affecté à la Direction générale de la fonction publique (DGAFP), l’auteur se fait particulièrement critique sur le système de carrière, qu’il juge déconnecté des besoins de l’administration.

    « Dans l’administration comme dans l’armée, on ne cherche pas du tout à utiliser la formation qu’ont pu acquérir les agents avant leur recrutement. Seuls comptent le statut et le grade. »

    « On commence par vous recruter et après, on réfléchit à ce qu’on va faire de vous. »

    Puis, plus loin, dans une remarque, une fois encore, tout en sous-entendus et inspirée par un rejet du système de carrière2 :

    « Lorsqu’on a été conditionné par des années d’études, on a tendance à croire qu’il faut s’adapter au profil du poste offert, alors que ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui savent adapter le poste à leur propre profil. »

    Toutefois, le propos est tellement teinté de ressentiment qu’on peine à y discerner une structuration correctement argumentée3. L’auteur semble plutôt chercher, par l’ironie et le dédain, à marquer sa supériorité vis-à-vis du système.

    La Description de l’Administration « Par le Petit Trou de la Serrure »

    Une Révélation des Hiérarchies Ministérielles

    Arrivé dans une direction dépendant alors du Premier ministre (la DGAFP), pourtant jugée prestigieuse, l’auteur se voit reproché son affectation.

    Parmi ces nouveaux collègues, quelques-uns lui conseillent ainsi de partir au plus vite pour choisir la direction générale de l’aviation civile ou la Caisse des dépôts et des consignations, deux administrations qui, encore aujourd’hui, sont réputées pour leurs rémunérations généreuses.

    « Le fonctionnaire n’est jamais satisfait d’être là où il est. Il est toujours persuadé que sa situation serait plus enviable ailleurs. »

    Source : Pexels, Ann H
    Source : Pexels, Ann H

    Des Hiérarchies Toujours Marquées

    Encore aujourd’hui, et particulièrement pour les affectations interministérielles (administrateurs de l’État et attachés d’administration de l’État), cette hiérarchie demeure :

    • Les ministères économiques et financiers qui comptent plusieurs directions particulièrement prestigieuses :
      • la direction générale du Trésor,
      • la direction du Budget,
      • la direction des affaires juridiques et désormais4
      • la direction générale de l’administration et de la fonction publique ;
    • Le ministère de l’Intérieur, parce qu’il permet d’accéder à des fonctions préfectorales (très recherchées par certains fonctionnaires) et qu’il compte également des directions emblématiques :
      • la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, évidemment…
      • la direction générale des collectivités locales,
      • les directions « sécurité » :
        • la direction généralise de la sécurité intérieure,
        • les directions générales de la gendarmerie nationale et de la police nationale,
        • la direction générale de la sécurité civile et des crises ;
    • Le ministère des Affaires étrangères, sans qu’il soit besoin d’expliquer longtemps d’où vient cette passion chez certains candidats…
      • la direction générale de la mondialisation,
      • la direction générale des affaires politiques et de sécurité ;
    • Enfin, la Caisse des dépôts et des consignations : pour ses rémunérations, son organisation proche du secteur privé et son réseau territorial, particulièrement recherché (Angers, Bordeaux…) ;
    • La direction générale de l’aviation civile : pour ses rémunérations, par passion pour les politiques publiques poursuivies.

    Des Hiérarchies au Sein des Directions

    L’auteur évoque sur de nombreuses lignes l’un des instruments de clivage les plus évidents et marqués : le mobilier de bureau.

    Si les meubles en bois massifs ont aujourd’hui quasiment disparu des administrations, certains constats demeurent : sur la taille des bureaux (la pièce, comme le meuble lui-même), l’octroi de table de travail et de chaises.

    Le mobilier administratif est généralement uniforme, le besoin de distinction n’en est donc que plus important et il est très codifié suivant le niveau de responsabilité.

    « Les fonctionnaires civils se différencient les uns des autres, non par des galons, comme les militaires, mais par l’ameublement de leur bureau. »

    La Création de l’ENA est Indissociable du Statut de la Fonction Publique

    La Conjugaison du Gaullisme et du Communisme

    Le premier statut général, de 19465, comme le second, celui de 1981, furent conçus par des ministres communistes : Michel Thorez, pour le premier ; Anicet le Pors, pour le second.

    L’autre grand pilier du statut a été initié par Michel Debré dans une « étrange collusion »6 avec les communistes : il s’agit de la création de l’ENA7.

    L’auteur précise les objectifs assignés à la création de cette école :

    • Centraliser les recrutements pour éviter le favoritisme et la cooptation des différents concours organisés jusque-là et
    • Proposer une formation commune à même de favoriser l’interministerialité8.

    La création de cette école va de pair avec une promotion de la mobilité sociale :

    • Un concours externe (classique), pour les étudiants ;
    • Un concours interne, pour les fonctionnaires motivés et méritants, qui constitue la novation du dispositif.

    Une Touche de Christianisme

    L’auteur rajoute une dernière interprétation dans l’analyse des racines culturelles et politique du statut de la fonction publique : le christianisme.

    Chacun jugera.

    « Beaucoup de ceux qui veulent entrer dans l’Administration auraient peut-être cherché à embrasser une carrière ecclésiastique sous l’Ancien régime. Pas seulement par opportunisme et désir de bénéficier d’une rente de situation, mais aussi par désir de se dévouer au bien public et par goût d’un environnement hiérarchisé, aux règles strictes. »

    « Les fondements du statut général des fonctionnaires se situent donc au confluent de trois traditions : la tradition catholique, la tradition bonapartiste, dans laquelle s’inscrit Michel Debré, fondateur de l’ENA et dirigeant du parti gaulliste, et la tradition stalinienne, qui est celle de Maurice Thorez. Il faut rappeler aussi que Staline était un ancien séminariste… »

    Une Promotion Interne en « Trompe-l’Œil »

    Cette mobilité professionnelle des internes s’est révélée rapidement biaisée selon l’auteur9, principalement de deux façons :

    • Elle a été utilisée par les fonctionnaires les plus diplômés, en guise de rattrapage du concours raté et
    • Elle n’a pas permis aux (faux ?) internes de se distinguer au classement de l’ENA dans l’attribution des places ouvertes au titre des « grands corps ». Autrement dit, le caractère « professionnel » de l’École manque sa cible.

    Un Système Qui S’Apparente à une Rente Pour l’Auteur

    L’élitisme républicain connaît aujourd’hui de nombreuses critiques, françaises10 ou américaines11.

    Si, mécaniquement, chaque société organisée tend à créer et à se structurer autour d’un centre de commandement. La problématique de l’élitisme est de séparer et de hiérarchiser les individus, souvent très tôt dans leur vie. Ce faisant, ces sociétés présentent généralement un modèle rigide et laissent peu de place à l’appréciation de la valeur professionnelle en situation réelle, dans la vie des individus.

    Les sociétés élitistes sont donc inégalitaires et cloisonnées. Afin de justifier ces inégalités, plusieurs modèles existent, dont le modèle dit « méritocratique »12 qui vise à sélectionner « les meilleurs » par des épreuves censées être incontestables.

    « Le système de castes qui existe en France est peut-être encore plus pernicieux que celui qui existe en Inde, parce qu’il est invisible. (…) L’idée géniale, c’est d’avoir justifié des privilèges exorbitants non plus par la naissance, ce qui serait bien sûr injuste, mais par le mérite, en instaurant un concours réellement difficile, et en faisant croire qu’il était ouvert à tous. »

    En effet, cette justification (du concours méritocratique) appelle elle-même deux critiques :

    • D’abord, elle est réservée à un trop faible nombre de personnes, ce qui nuit à la concurrence au sein même de cette élite ;
    • Ensuite, elle est définitive. La réussite au concours de l’ENA garanti l’accès aux plus hautes fonctions de l’État de manière quasiment définitive13.

    « La société française distille ses élites au compte-gouttes, et ce qui fait toute la valeur des membres des grands corps, c’est leur rareté. Ce n’est d’ailleurs pas si absurde pour ceux qui bénéficient ainsi d’une rente de situation à vie, précisément grâce à cette rareté. Ils n’ont donc aucun intérêt à accepter une remise en cause de leurs privilèges. »

    « Le statut des hauts fonctionnaires français rappelle celui des « Forts des Halles14 » : autrefois, ceux qui parvenaient à soulever un poids très lourd obtenaient le titre envié de « fort des halles », moyennant quoi ils étaient définitivement dispensé de soulever quoi que ce soit, et pouvaient le faire soulever par d’autres. »

    Un Élitisme qu’il Considère Fermé, Endogame

    « L’un des inconvénients de ce prestige hypertrophié d’un très petit nombre de grandes écoles, c’est la dévalorisation des formations universitaires. »

    En dehors de l’École nationale supérieure citée ci-après, les énarques proviennent essentiellement de Sciences Po Paris. La diversité des parcours, des savoirs, des profils… semble secondaire15.

    Par ailleurs, l’université française n’est pas exempte de critique pour l’auteur :

    « L’université française fonctionne pour la plus grande gloire des professeurs, et se désintéresse complètement des étudiants. »

    Une Critique Appuyée Contre les « Normaliens »

    L’auteur appuie plus fortement encore ses critiques sur les anciens élèves de l’École normale supérieure (ENS).

    « L’anomalie la plus flagrante est le cas des normaliens : (…) Après deux ou trois ans de préparation, ils passent le concours de l’École normale supérieure, et ils sont payés pendant trois ans pour préparer l’agrégation des lycées. Leur salaire est celui d’un fonctionnaire de catégorie B (puisqu’ils ont le bac) (…). Certains se détournent de l’enseignement, et préfèrent passer, juste après l’agrégation, le concours étudiant de l’ENA. Leur grande culture générale, mais aussi le fait d’avoir déjà réussi deux concours prestigieux les fait bénéficier d’un préjugé favorable auprès des membres du jury, qui n’ont souvent pas un jugement très personnel. Il est déjà discutable que le contribuable ait payé la formation de futurs enseignants qui n’enseigneront jamais, et qu’il doive ensuite payer leur scolarité à l’ENA. »

    « Contrairement à la classe dirigeante des pays anglo-saxons, qui doit faire de gros sacrifices pour financer les études de ses enfants, la classe dirigeante française les fait donc financer par le contribuable. »

    La Création des Attachés d’Administration Comme Corps de Relégation

    Une Création du Corps des Attachés en 1955, Pour Seconder les Administrateurs Civils

    Le corps des attachés d’administration centrale est créé en 1955, dix ans après la création de l’ENA. Pour l’auteur, ce corps est d’abord créé pour rehausser l’image et les perspectives professionnelles des énarques.

    Ici encore, l’attaché d’administration, comme l’auteur, ne semblent exister qu’en contrepoint du haut-fonctionnaire, énarque :

     « Le corps des attachés d’administration centrale est créé (…) pour décharger les administrateurs civils de leurs tâches les plus ingrates. Ils seront désormais secondés par un corps de sous-fifres aux perspectives de carrière pratiquement inexistantes, qui doivent pourtant comme eux être titulaires d’un diplôme d’enseignement supérieur pour pouvoir passer le concours de recrutement. »

    « Ils appartiennent donc à la catégorie A, mais les énarques ne les considèrent pas comme des fonctionnaires de catégorie A à part entière, et emploient à leur sujet le terme dévalorisant de catégorie « A’ », bien que ce terme n’ait pas de valeur juridique. Une autre façon de présenter les choses consiste à dire que les attachés font bien partie de la catégorie A, mais alors les administrateurs civils deviennent des « A+ ». »

    Des Perspectives Professionnelles Jugées Trop Maigres

    Source : Pexels, Justin Nealey
    Source : Pexels, Justin Nealey

    Le ressentiment à l’égard du corps d’attaché d’administration est particulièrement prononcé chez l’auteur et n’est pas, à ma connaissance, observable dans d’autres corps de catégorie A équivalents.

    À titre d’exemple, nous avons pu constater dans un précédent article que les inspecteurs de la concurrence et de la répression des fraudes étaient très fidèles à leur corps et leurs métiers.

    La spécificité du travail des attachés en administration centrale, en proximité directeur avec les administrateurs, explique probablement ces difficultés.

    « Au niveau des catégories intermédiaires et subalternes (…) la frustration est la règle : frustration des administrateurs civils qui n’ont pu accéder aux grands corps, frustration encore plus grande des attachés d’administration centrale dont le sort est intimement lié à celui des administrateurs civils, puisqu’ils ont statutairement l’honneur d’être leurs “collaborateurs directs” (…), mais qui en sont cependant séparés par une ligne de démarcation infranchissable pour la plupart d’entre eux. »

    « En effet, les attachés peuvent théoriquement espérer (…) accéder au corps des administrateurs civils, mais la probabilité d’y parvenir est très faible et, de toute façon, rares sont ceux qui y arrivent avant quarante ans. Ils ont donc, même dans la meilleure hypothèse, quinze ans de retard sur les administrateurs civils issus de l’ENA, et ce retard ne se rattrape jamais. »

    Pour plus d’informations sur l’accès des attachés d’administration au corps des administrateurs, vous pouvez vous référer à cet article sur le tour extérieur des administrateurs de l’État.

    « Les fonctionnaires de catégorie B sont à la limite moins à plaindre que les attachés, puisqu’ils sont recrutés au niveau du bac et qu’ils n’ont donc pas eu la peine de préparer un diplôme d’études supérieures. Par la voie du concours interne, beaucoup arrivent à accéder au corps des attachés, mais leur promotion va rarement au-delà. On est donc dans un système assez scolaire, où les fonctionnaires, au lieu de s’impliquer dans leur travail, passent leur temps à préparer des concours pour essayer d’y échapper. Les cas de hauts fonctionnaires qui ont débuté tout en bas de l’échelle sont quand même assez rares. Pour y parvenir, il faut beaucoup de persévérance, car plus on avance en âge, plus il devient difficile de se replonger dans des études sans sacrifier sa vie personnelle. »

    1. Dans les locaux de l’actuelle direction générale des outre-mer (DGOM)
    2. Comme énoncé dans un précédent article (Le recrutement par concours dans la fonction publique est-il fini ?), le concours implique assez largement une forme corporatiste : une autonomie collective et technique. Ce qui peut favoriser certains profils que l’économiste libéral qualifierait de free rider ou passager clandestin. Il ne me semble toutefois pas que ces profils soient les plus nombreux.
    3. L’auteur est affecté au cœur du système statutaire, dans l’une des directions les plus prestigieuses de la République et il n’en tire… rien. Pas ou peu de textes, aucune interprétation ou argumentation juridique. Dommage.
    4. La direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) est désormais rattachée en gestion au secrétariat généraux des ministères économiques et financiers.
    5. Le statut de Vichy de 1941 étant évidemment mis à part.
    6. L’expression est de l’auteur.
    7. L’ordonnance n° 45-2283 du 9 octobre 1945 crée l’ENA et la DGAFP.
    8. En soulignant qu’il n’existait pas, évidemment, la formation des instituts régionaux d’administration (IRA) – elle-même interministérielle. L’auteur, et c’est dommage, ne parle pas de la création des IRA et de l’institutionnalisation progressive du corps des attachés d’administration de l’État.
    9. Mais ce constat n’est en rien original.
    10. Que l’on pense à Michel Crozier par exemple, ou à Pierre Bourdieu (mais sa pensée a vieilli, il me semble).
    11. Pour ne citer qu’un seul ouvrage récent : The Tyranny of Merit de Michael Sandel.
    12. La méritocratie comporte, paradoxalement, une part égalitaire en posant l’idée qu’un même savoir délivré à l’ensemble des enfants permet de distinguer « les meilleurs » des « moins bons » de manière juste. Les progrès des sciences sociales démontrent aujourd’hui le caractère léger du principe – sans pour autant enlever aux lauréats des concours leurs compétences, notamment intellectuelles, et aussi leur « mérite »… Contrairement à l’auteur, je ne crois pas au blanc et noir en la matière.
    13. Voir la partie relative aux sanctions disciplinaires, à partir des constats de Marcel Pochard dans l’intervention de Jean-Marc Sauvé devant les élèves de l’École nationale d’administration : https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/discours-et-contributions/quelle-deontologie-pour-les-hauts-fonctionnaires
    14. https://fr.wikipedia.org/wiki/Forts_des_Halles
    15. On pourrait ici tempérer le propos de l’auteur en faisant état des prépas talents, du concours pour les docteurs.
  • Comment Devenir Conseiller de Chambre Régionale des Comptes ? (Magistrat Financier)

    Comment Devenir Conseiller de Chambre Régionale des Comptes ? (Magistrat Financier)

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Tous concours confondus, douze magistrats des chambres régionales des comptes (CRC) ont été recrutés sur 2024.

    Les missions des magistrats de CRC sont essentiellement de quatre ordres :

    • Contrôle juridictionnel : la CRC est tenue de déférer au ministère public près de la Cour des comptes les faits susceptibles de constituer des infractions au code des juridictions financières (article L. 211-1 dudit code). Par ailleurs, les magistrats de CRC peuvent être affectés sur des fonctions juridictionnelles durant leur carrière ;
    • Contrôle des comptes et de la gestion : régularité des recettes et des dépenses, économie des moyens mis en œuvre, évaluation des résultats atteints (article L. 211-3) d’organismes particulièrement divers dépendant ou financés par des collectivités territoriales ;
    • Contrôle des actes budgétaires (article L. 211-11) et des conventions relatives à des délégations de service public (article L. 211-12) ;
    • Évaluation de politiques publiques du ressort territorial de la chambre régionale (article L. 211-15).

    Concrètement, le magistrat est en binôme avec un vérificateur (article R. 212-23)1 et est chargé de réaliser trois à quatre contrôles par an.

    Calculs personnels à partir des rapports d’activité des CRC. Les juridictions financières comptent au total 1 808 magistrats (source : Chiffres clés de la Cour des comptes)
    Calculs personnels à partir des rapports d’activité des CRC. Les juridictions financières comptent au total 1 808 magistrats (source : Chiffres clés de la Cour des comptes)

    Pour une présentation plus complète, vous pouvez consulter la plaquette de présentation du concours publié par la Cour des comptes au titre de 2024.

    Les Modes d’Accès à la Fonction de Magistrat de Chambre Régionale des Comptes

    Compte tenu du faible nombre de magistrats de chambres régionales des comptes (environ 400), les voies d’accès sont relativement étroites.

    Le concours d’accès est ainsi unique (étudiants et professionnels réunis) et se tient tous les deux ans, en alternance avec la procédure de recrutement au tour extérieur.

    Les Concours

    Deux concours permettent d’accéder à la fonction de conseiller (article L. 221-3 du code des juridictions financières) :

    1. Le concours de l’Institut national du service public (INSP, ex-École nationale d’administration) pour les élèves formulant ce choix à la fin de leur scolarité. Au titre de 2024 : deux postes ont été ainsi attribués à des élèves de l’INSP ;
    2. Le concours direct (et unique). Dix postes ouverts au titre de 2024.

    Contrairement au concours de magistrat administratif, la sélectivité est plus forte au concours unique d’accès direct qu’au concours de l’Institut national du service public2.

    Toutefois, le faible nombre d’emplois offerts à l’issue de la scolarité plaide pour le passage du concours de conseiller si le candidat souhaite exercer en juridiction financière.

    Comme pour les magistrats administratifs, une formation statutaire est prévue pour les lauréats des concours dans les douze mois suivent l’entrée en fonction (article R. 221-3 et R. 228-7). Cette formation est assurée par la Cour des comptes et peut être complétée par une formation organisée par l’INSP. Elle est généralement assurée durant le premier semestre de l’année suivant la nomination.

    Le Tour Extérieur

    Il existe également une procédure de recrutement au « tour extérieur »3.

    Ouvert aux Agents Publics Ayant Dix ans d’Expérience

    Celle-ci est fixée à l’article L. 221-4 du code des juridictions financières. Elle concerne :

    • Les agents publics des trois versants de la fonction publique appartenant à un corps de catégorie A ou assimilé4 et
    • Justifiant au 31 décembre de l’année considérée d’un minimum de dix ans de services publics dans un organisme relevant du contrôle de la Cour des comptes ou des chambres régionales des comptes.

    Le nombre de places est fixé par arrêté du président de la Cour des comptes et ne peut pas être supérieur au nombre de places offertes au concours direct (dix places pour 2023).

    L’Examen des Candidatures par une Commission de Haut Niveau

    Cette inscription est prononcée par une commission chargée d’examiner les titres des candidats et qui comprend onze membres :

    • Le premier président de la Cour des comptes, président de la commission ;
    • Le procureur général près la Cour des comptes ou son représentant ;
    • Le président de la mission permanente d’inspection des chambres régionales et territoriales des comptes ;
    • Trois membres désignés respectivement par :
      • Le ministre chargé des Finances ;
      • Le ministre chargé de l’Intérieur ;
      • Le ministre chargé de la Fonction publique ;
    • Le directeur de l’Institut national du service public ou son représentant ;
    • Un magistrat de la Cour des comptes désigné par le conseil supérieur de la Cour des comptes et
    • Trois magistrats de chambres régionales des comptes désignés par le Conseil supérieur des chambres régionales des comptes.

    Cet examen se fait en deux temps :

    1. Une analyse du dossier de chaque candidat, puis
    2. Une audition par la commission des candidats dont les dossiers sont jugés satisfaisants.

    L’Établissement d’une Liste d’Aptitude

    La commission établit ensuite une liste d’aptitude, par ordre de mérite.

    Il ressort de l’analyse des résultats au tour extérieur que la quasi-intégralité des candidats retenus au tour extérieur sont ou ont été vérificateurs en chambre régionale des comptes5.

    Comme pour les magistrats recrutés par la voie du concours, et dans des modalités identiques, une formation à compter de leur entrée en fonction est prévue par le code des juridictions financières (article R. 221-10).

    S’agissant des affectations géographiques, quelques CRC concentrent les recrutements :

    Calculs personnels, à partir des postes ouverts sur les trois derniers tours extérieurs.
    Calculs personnels, à partir des postes ouverts sur les trois derniers tours extérieurs.

    Le Détachement (Qui Peut Être Suivi d’une Intégration)

    L’article L. 221-10 établi la liste des corps pouvant être détachés dans le corps des magistrats de chambre régionale des comptes :

    • Les magistrats de l’ordre judiciaire ;
    • Les fonctionnaires appartenant à un corps recruté par la voie de l’Institut national du service public ;
    • Les professeurs titulaires des universités ;
    • Les maîtres de conférences ;
    • Les fonctionnaires civils et militaires issus de corps et cadres d’emplois appartenant à la même catégorie et de niveau comparable.

    Par ailleurs, l’alinéa 2 du même article L. 221-10 prévoit la possibilité pour certains contractuels justifiant d’une expérience professionnelle d’au moins six années d’activité « les qualifiant particulièrement » d’exercer des fonctions de magistrat des chambres régionales des comptes.

    Dans une communication de 20166, la Cour des comptes comptabilisait une centaine de personnels détachés dans des fonctions de magistrat en CRC (pour environ 350 magistrats en exercice). En majorité des administrateurs territoriaux.

    Autrement dit, près du quart des magistrats de CRC est constitué de fonctionnaires détachés7.

    Les Épreuves du Concours d’Accès au Grade de Conseiller (Concours Direct)

    Le concours direct est ouvert :

    • Aux agents publics appartenant à un corps de catégorie A ou assimilé justifiant au 31 décembre de l’année du concours de sept ans de services publics effectifs, dont trois ans en catégorie A ;
    • Aux magistrats de l’ordre judiciaire ;
    • Aux titulaires de l’un des diplômes exigés pour se présenter au concours externe d’entrée à l’Institut national du service public.

    La Composition du Jury

    Celle-ci est prévue par l’article R. 228-2 du code des juridictions financières8 et comprend dix membres :

    • La présidence du jury est assurée par le président de la mission permanente d’inspection des chambres régionales et territoriales des comptes assure la présidence du jury ;
    • Trois membres sont ensuite désignés par :
      • Le ministre chargé des Collectivités territoriales ;
      • Le ministre chargé du Budget ;
      • Le ministre chargé de la Fonction publique ;
    • Deux professeurs des universités (titulaires) ;
    • Un avocat général, un procureur financier ou un substitut général désigné par le procureur général près la Cour des comptes ;
    • Un président ou vice-président de chambre régionale des comptes ;
    • Deux membres du corps des magistrats de chambre régionale des comptes, proposés par le Conseil supérieur des chambres régionales des comptes.

    La diversité des professionnels représentés témoigne du haut niveau de compétences attendu.

    Les Épreuves d’Admissibilité et d’Admission

    Les épreuves du concours de conseiller de chambre régionale des comptes sont particulièrement ramassées (article R. 228-4).

    Deux épreuves d’admissibilité) :

    • L’étude d’un dossier de finances publiques (quatre heures, coefficient 2) ;
    • Une composition sur un sujet de droit constitutionnel ou administratif (quatre heures, coefficient 1).

    Une épreuve d’admission consistant en une interrogation portant sur un sujet tiré au sort se rapportant à la gestion publique locale suivie d’une conversation d’ordre général avec le jury sur des questions juridiques (trente minutes de préparation et quarante-cinq minutes d’échanges, coefficient 2)9.

    Toute note inférieure à 5 est éliminatoire (article R. 228-5). Cependant, et contrairement au concours de magistrat administratif, il n’existe aucune limite à la présentation du concours.

    Contrairement au tour extérieur, les postes ouverts sont nettement mieux répartis, y compris dans certaines régions plus attractives :

    Calculs personnels
    Calculs personnels

    Le Programme des Épreuves

    Le programme est fixé par l’arrêté du 8 mars 2018 fixant le programme des épreuves du concours organisé pour le recrutement direct de conseillers de chambre régionale des comptes. Bien que les épreuves soient peu nombreuses, le nombre de matières à maîtriser se révèle important.

    Le programme des écrits

    Le cadre général des finances publiques :

    Les prélèvements obligatoires et les autres ressources publiques :

    Déficits et dette publics :

    Les finances de l’État :

    Les finances locales :

    Les règles comptables et le contrôle des finances publiques :

    En compléments, des éléments de droit public sont également attendus.

    Ici, vous pouvez vous rapporter au programme de droit public pour le concours de magistrat administratif.

    Les sujets pouvant susciter des questions à réponses courtes ou à une discussion juridique avec le jury portent sur les sujets suivants :

    L’organisation et les compétences des collectivités territoriales :

    La politique budgétaire et financière des collectivités territoriales :

    La gestion du personnel dans les CT (statut de la FPT).

    Les services publics locaux :

    Les collectivités territoriales et les citoyens (information et communication locales, concertation et participation des citoyens).

    Le contrôle des comptes et la gestion des organismes publics locaux et de leurs satellites :

    1. Agent de catégorie A chargé de l’assister dans son contrôle.
    2. Environ 4 % de réussite au concours unique de CRC. Il s’agit de l’un des concours les plus difficiles de la République.
    3. Le recrutement au tour extérieur est un recrutement sur dossier, après audition des candidats. De solides références juridiques et un parcours professionnel de haut niveau sont évidemment requis.
    4. Sont également listés les magistrats de l’ordre judiciaire, mais ces derniers n’ont en réalité aucun intérêt à passer le concours ou le tour extérieur, puisqu’ils peuvent être détachés dans le corps.
    5. Et, dans une moindre mesure, à la Cour des comptes.
    6. « Devenir magistrat de chambre régionale des comptes », Cour des comptes, 10 octobre 2016.
    7. Inversement, une soixantaine de magistrats de CRC étaient, à la date de l’enquête, en dehors des CRC. Soit un peu moins du cinquième (dont certains à la Cour des comptes).
    8. Ici encore, la ressemblance avec le jury du concours de conseiller de juridiction administrative n’est pas fortuite. Les mêmes exigences techniques et intellectuelles sont requises.
    9. L’épreuve orale est en réalité double et se rapproche en cela de celle prévue au concours direct pour l’accès aux fonctions de conseiller de tribunal administration et cour administrative d’appel.
  • Comment devenir juge administratif ?

    Comment devenir juge administratif ?

    Temps de lecture : 6 minutes.

    101 magistrats de tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et de la Commission nationale du droit d’asile ont été recrutés sur 2024.

    Le rapport public du Conseil d’État sur l’activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2024 permet d’abord de se représenter l’activité de ces magistrats :

    • Environ 600 000 litiges enregistrés sur l’exercice 2024 (+ 8 %), dont 280 000 enregistrés par les seuls tribunaux administratifs1 ;
    • Une durée moyenne prévisionnelle de jugement de onze mois pour les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, cinq mois à la Commission nationale du droit d’asile (CNDA) et six mois au Conseil d’État ;
    • Près de 1 300 magistrats et plus de 2 000 agents de greffe et soutien dans les tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et de la CNDA. Environ 240 membres du Conseil d’État et 400 agents de soutien.
    • Des affaires constituées pour près de la moitié par le contentieux des étrangers, suivi du contentieux des agents publics, du logement, des aides sociales.
    Extrait du rapport annuel du Conseil d’État sur l’exercice 2024
    Extrait du rapport annuel du Conseil d’État sur l’exercice 2024

    Les modes d’accès à la fonction de magistrat des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel

    Les concours

    Deux concours permettent d’accéder à la fonction de conseiller (article L. 233-2 du code de justice administrative) :

    1. Le concours de l’Institut national du service public (ex-École nationale d’administration) pour les élèves formulant ce choix à la fin de leur scolarité. Relativement minoritaire : environ 10 % des entrées dans le corps ;
    2. Par un concours direct (externe ou interne), devenu la voie normale d’accès : environ 50 % des entrées dans le corps ;
      1. Le concours externe : ouvert aux titulaires de l’un des diplômes exigés pour se présenter au concours externe d’entrée à l’Institut national du service public (niveau licence) ;
      2. Le concours interne : pour les agents publics, civils ou militaires, ainsi que les magistrats de l’ordre judiciaire justifiants, au 31 décembre de l’année du concours, de quatre années de services publics effectifs.

    Si votre souhait est de devenir magistrat, vous n’avez pas d’intérêt à passer le concours de l’Institut national du service public (sauf à vouloir multiplier vos chances) :

    • La sélectivité est plus élevée au concours de l’Institut national du service public2 ;
    • La formation est nettement plus longue (deux ans, contre six mois pour le concours direct) et
    • La diversité des postes proposées à l’issue de la formation constitue un aléa.

    Le tour extérieur

    Il existe plusieurs procédures de recrutement au « tour extérieur »3 :

    1. Celle de l’article L. 233-3 du code de justice administrative, qui offre accès au grade de conseiller pour :
      1. Les fonctionnaires civils ou militaires justifiants d’au moins dix ans de services publics effectifs dans un corps ou un cadre d’emplois de catégorie A ;
      2. Les magistrats de l’ordre judiciaire.
    2. Celle de l’article L. 233-4 du même code, qui offre accès au grade de premier conseiller pour les cadres supérieurs des trois fonctions publiques justifiant d’au moins huit ans de services effectifs dans les corps listés4.

    Chaque année, le vice-président du Conseil d’État détermine le nombre d’emplois à pourvoir au titre du L. 233-3 et du L. 233-4 précités.

    Concrètement, l’essentiel des candidats et des nommés relève de la catégorie 1.1 : attachés d’administration (des trois versants), inspecteurs des finances publiques, etc.

    Le tour extérieur concerne environ 15 % des entrées annuelles dans le corps.

    Le détachement (qui peut être suivi d’une intégration)

    Pour les corps suivants, il est possible de solliciter un détachement en qualité de conseiller ou de premier conseiller :

    • Les fonctionnaires recrutés par la voie de l’Institut national du service public ;
    • Les professeurs et maîtres de conférences titulaires des universités ;
    • Les administrateurs des assemblées parlementaires et
    • Les fonctionnaires civils ou militaires de l’État, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière appartenant à des corps ou à des cadres d’emplois de niveau équivalent à celui des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel5.

    S’ils satisfont aux critères des articles L. 233-3 et L. 233-4 précités, ils peuvent alors demander l’intégration dans ce corps ; aux grades de conseiller ou de premier conseiller.

    Le détachement est le mode d’accès le plus aisé pour les corps précités. La procédure formelle de sélection au tour extérieur étant nettement plus lourde et complexe.

    22 % des entrées dans le corps se font par la voie du détachement, qui est donc un instrument important de gestion.

    Ce haut niveau témoigne également de l’attractivité de ce corps.

    En synthèse

    Extrait (chapitre 2) du guide pratique du site www.lesja.fr consacré au recrutement
    Extrait (chapitre 2) du guide pratique du site www.lesja.fr consacré au recrutement

    Les épreuves du concours d’accès au grade de conseiller (concours direct)

    L’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État a abrogé l’article L. 233-6 consacré au « recrutement direct ».

    Pour autant, la partie règlementaire du code de justice administrative continue d’y faire référence et fixe plusieurs principes.

    Tout d’abord, deux règles importantes :

    L’impossibilité de se présenter plus de trois fois au concours (R. 233-9)6 et le caractère éliminatoire de toute note inférieure à 5 (R. 233-11)

    La composition du jury

    Celle-ci est prévue par l’article R. 233-8 du code de justice administrative :

    • Le chef de la mission permanente d’inspection des juridictions administrative (président du jury) ;
    • Un représentant du ministre de la justice ;
    • un représentant du ministre chargé de la fonction publique ;
    • Deux professeurs titulaires d’université et
    • Deux membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel7.

    La diversité des professionnels représentés témoigne du haut niveau de compétences attendu.

    Les épreuves d’admissibilité et d’admission

    Les trois épreuves d’admissibilité (1° du R. 233-11 du code de justice administrative) :

    • L’étude d’un dossier de contentieux administratif (quatre heures, coefficient 3). L’épreuve la plus déterminante ;
    • Une épreuve constituée de (en général, quatre) questions portant sur des sujets juridiques ou administratifs appelant une réponse courte (une heure et demie, coefficient 1) ;
    • Une dernière épreuve (quatre heures, coefficient 1), suivant l’origine des candidats :
      • Concours externe : dissertation portant sur un sujet de droit public ;
      • Concours interne : note administrative portant sur la résolution d’un cas pratique posant des questions juridiques.

    Deux épreuves d’admission :

    • Une épreuve orale portant sur un sujet de droit public suivie d’une conversation avec le jury sur des questions juridiques (trente minutes de préparation et trente minutes d’échanges, coefficient 2) ;
    • Un entretien avec le jury portant sur le parcours et la motivation du candidat (vingt minutes, coefficient 2).

    Le programme des épreuves

    L’étude d’un dossier de contentieux, la dissertation portant sur un sujet de droit public (concours externe) et le programme de sujets de droit public tirés au sort par les candidats lors de la première épreuve d’admission portent sur les sujets suivants :

    Quelques éléments fondamentaux de droit public :

    Le droit constitutionnel :

    Le droit administratif :

    Le contentieux administratif :

    Les sujets pouvant susciter des questions à réponses courtes ou à une discussion juridique avec le jury portent sur les sujets suivants :

    La gestion des administrations :

    Quelques éléments sur les grandes politiques publiques :

    Le droit de la fiscalité :

    Enfin, des notions fondamentales de :

    • Droit civil et de procédure civile ;
    • Droit pénal et de procédure pénale.
    1. 200 000 pour le tribunal du stationnement pays, 56 500 pour la Cour nationale du droit d’asile, 31 500 pour les cours administratives d’appel et 9 500 pour le Conseil d’État.
    2. Environ 6 % au titre du concours externe pour 2023, contre 10 % pour le concours externe direct. Pour le concours interne, le constat est plus nuancé, le taux de sélectivité étant d’environ 10 % à l’INSP, contre 12 à 13 % pour le concours interne direct.
    3. Le recrutement au tour extérieur est un recrutement sur dossier, après audition des candidats. De solides références juridiques et un parcours professionnel de haut niveau sont évidemment requis.
    4. Fonctionnaires de l’INSP, fonctionnaires de catégorie A ou cadre d’emplois de même niveau et titulaires de l’un des diplômes exigés pour se présenter au concours d’entrée de l’INSP, magistrats de l’ordre judiciaire, professeurs et maîtres de conférences titulaires des universités, administrateurs territoriaux, personnels de direction des établissements de santé et autres établissements (directeur d’hôpital et directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social).
    5. En pratique, cela recouvre les corps cités à l’article L. 233-4 de la note de bas de page précédente. Le Conseil d’État est chargé d’établir la liste.
    6. On peut s’interroger sur la portée de cette disposition attachée à un article abrogé. Ici, le concours de magistrat administratif se distingue de celui de juge judiciaire où le nombre de passage n’est pas limité. Régulièrement des élèves de l’Ecole nationale de la magistrature ont ainsi passés plus de trois fois le concours avant d’être admis.
    7. Nommés par arrêté du vice-président du Conseil d’État, sur proposition du Conseil supérieur des tribunaux administratives et des cours administratives d’appel.
  • Attractivité de la fonction publique : l’émergence d’un problème public

    Attractivité de la fonction publique : l’émergence d’un problème public

    Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 2)

    Temps de lecture : 5 minutes.

    Deuxième volet d’une série d’articles consacrés au rapport remis par France stratégie en décembre 2024 sur l’attractivité de la fonction publique.

    Dans ce chapitre introductif, les chercheurs tendent à démontrer que la question de l’attractivité s’impose désormais dans le débat public. Pour autant, ce problème n’est pas nouveau, ses ressorts sont complexes et nécessitent une remise en cause probablement profonde des administrations et de leurs chefs de service.

    Une dénonciation ancienne du « trop grand nombre de fonctionnaires »

    Les rapporteurs précisent d’abord que le néologisme « bureaucratie » a été créé par l’économiste physiocrate Vincent de Gournay (1712-1758). L’objet de ce concept était déjà de dénoncer l’influence, jugée trop importante, des fonctionnaires sur la vie sociale et économique du pays. En spécifiant qu’alors, l’administration de l’État monarchique était très (très) modeste.

    Ces premiers éléments rappellent à l’évidence les travaux d’Émilien Ruiz, notamment rassemblés dans son ouvrage Trop de fonctionnaires dont est tiré le graphique suivant :

    Le souci de bien recruter et bien former

    La sélection par concours et la création d’écoles spécialisées dès le début du XIXe siècle

    La compétence et la formation des agents deviennent progressivement un critère de recrutement avec l’affermissement de l’État.

    Les ministères chargés de l’Équipement et des Armées sont les premiers à développer une logique de concours, puis de formation préalable au recrutement :

    • L’École des ponts et chaussées est fondée en 1747 ;
    • L’École polytechnique en 17941 ;
    • L’École spéciale militaire de Saint-Cyr en 1803 et
    • L’école Navale en 1830.

    La logique de sélection et de formation des agents publics compétents est ensuite graduellement adoptée dans les administrations civiles. Dès 1835, un concours est ainsi mis en place pour l’accès à la magistrature2.

    Un long chemin vers la généralisation du concours

    Une montée en puissance progressive du milieu du XVIIIe jusqu’à la fin de la IIIe République

    Dès 1844, un rapport propose de sélectionner au mérite, par concours, examen ou diplôme les agents publics.

    Cette effervescence intellectuelle et libérale permettra la création quatre ans plus tard, en 1848, de la première École nationale d’administration pour sélectionner les agents administratifs de l’État.

    Toutefois, cette école survivra à peine quelques mois et il faudra attendre la Troisième République pour voir le système de concours émerger de nouveau.

    Une consécration juridique à compter de la moitié du XXe siècle

    Le souci de sélection et de formation se renforce sous Vichy dans une approche punitive et culpabilisante. Les fonctionnaires étant tenus pour partie responsable de la débâcle.

    Le concours devient alors un fondement du recrutement des fonctionnaires3 :

    L’article 27 de la « loi » du 14 septembre 1941 dispose ainsi que :

    « Nul ne peut être admis à un emploi de début s’il n’a satisfait aux épreuves d’un concours ou aux examens de sortie d’une école lorsque le recrutement est assuré par cette voie. »

    Pour autant, ici comme ailleurs, les « valeurs » portés par Vichy se révèlent à l’usage très peu suivi d’effets.

    Le régime a besoins de bras pour réaliser ses « missions » et, pour ce faire, non seulement il recrute des agents publics, mais il le fait davantage encore que sous la IIIe République, en dehors des modes de recrutements traditionnels :

    • En 936, l fonction publique comptait 106 000 agents non titulaires (19,7 % de l’emploi public) ;
    • En 1946, ils étaient 356 000 (40 %).

    Le principe de sélection par concours sera réaffirmé dans le statut de 1946 (premier statut républicain de la fonction publique), puis par le statut général de 1983. Toutefois, il ne présente pas de caractère constitutionnel4.

    Un problème d’attractivité ancré dans l’histoire de la fonction publique

    Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des difficultés recrutements pour la quasi-totalité des ministères

    De 1952 à 1964, la population française augmente de près de cinq millions et demi de personnes. Nous sommes alors en plein « baby boom ». Assez logiquement, d’importantes administrations voient leurs effectifs augmenter fortement :

    • Le ministère de l’Éducation nationale double ainsi ses effectifs, dans un contexte d’augmentation du nombre de jeunes suite aux naissances d’après-guerre et de l’essor d’une scolarisation de masse de ces derniers ;
    • Le ministère des Postes et des télécommunications recrute près de 57 000 postiers.

    Cependant, le nombre total d’agents publics dans les autres ministères (Armées, Intérieur, Santé et Travaux publics notamment) connaît une croissance particulièrement faible, de l’ordre de 1 000 recrutements par an. Cette très faible croissance s’explique par les difficultés de recrutement de l’administration.

    Ces difficultés de recrutements sont dues au trop faible nombre de candidats

    Le nombre de candidats aux concours de la fonction publique de catégorie A (cadre) et B (cadre intermédiaire) est particulièrement bas sur la période.

    Jean-Luc Bodiguel et Luc Rouban recensent ainsi :

    « 162 candidats inspecteurs élèves des impôts pour 360 postes en 1960, 16 candidats inspecteurs de la Sécurité sociale pour 32 postes en 1958. »

    Il en va de même pour les écoles de service public comme l’ENA (1945) et l’ENM (1958) :

    « En 1964, la Magistrature était bien heureuse d’avoir deux candidats pour un poste [5 pour 1 en 1953] .(…) Situation identique à l’ENA où, entre 1957 et 1960, on ne put, au concours étudiant, pourvoir qu’à 155 postes pour 162 offerts, malgré la faiblesse du taux de sélection : 1 reçu pour 3,5 candidats. »

    La situation actuelle en terme d’attractivité

    Une tension généralisée dans les recrutements (secteur privé et public)

    Il convient de relever tout d’abord l’augmentation du taux d’emploi et la baisse du chômage.

    Huit métiers sur dix (représentant 87 % de l’emploi) sont en tension forte ou très forte selon la DARES5.

    Mécaniquement, la concurrence est donc plus forte entre les entreprises, associations et administrations dans le recrutement de salariés qualifiés. Plus encore, lorsque les métiers ou compétences sont comparables

    Un phénomène qui demeure toujours difficile à qualifier

    Les rapporteurs soulignent ainsi qu’avant 2009, il n’existe aucune base de données fiable sur le nombre d’agents des services publics.

    Par ailleurs, le sujet souffre également d’une difficulté dans le choix des indicateurs :

    • Les emplois vacants ?
    • La durée de vacance desdits emplois ?
    • Le nombre de candidats au concours ?
    • Le turn-over dans les structures ?

    Enfin, les comparaisons internationales sont encore plus complexes. La Commission européenne6 éprouve également des difficultés :

    « Les offices statistiques nationaux et les institutions internationales n’utilisent pas les mêmes définitions et méthodologies, ce qui entraîne des incohérences entre les pays et confirme la nécessité d’améliorer la validité et la cohérence des données dans ce domaine. »

    1. Les écoles d’ingénieurs créées sous la monarchie (dont celles des ponts et chaussées) sont conservées, en étant intégrées au parcours des polytechniciens.
    2. Toutefois, la création d’une école, l’École nationale de la magistrature, n’est réalisée qu’en 1958. En précisant également que les magistrats financiers de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, ainsi que les magistrats administratifs ne disposent pas d’école de formation dédiées.
    3. Le premier statut de la fonction publique est créé par le régime de Vichy, toutefois, l’idée statutaire traverse toute la IIIe République.
    4. C’est le principe d’égal accès en fonction des « capacités » du citoyen qui revêt un caractère constitutionnel, conformément à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (voir notamment la décision du juge constitutionnel du 28 janvier 2011, n° 2010-94).
    5. DARES Résultats, n° 59, novembre 2023.
    6. Commission européenne (2017), « A comparative overview of public administration characteristics and performance in EU28 ».

    Étagères de livres
  • La Direction générale des entreprises (en 5 minutes)

    La Direction générale des entreprises (en 5 minutes)

    Temps de lecture : 5 minutes.

    La Cour des comptes a publié ses observations définitives le 5 décembre 2024 consacrées à la Direction générale des entreprises.

    La direction générale des entreprises est née en 2014 de la fusion de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services. Elle constitue l’administration centrale de référence pour la conception et la mise en œuvre des politiques de soutien aux entreprises et des politiques économiques sectorielles. 

    Malgré son rôle d’impulsion fondamental dans l’accompagnement des entreprises, cette direction des ministères économiques et financiers demeure peu connue. Ces quelques éléments de synthèse permettront, je l’espère, de disposer d’une première image de son activité, de son histoire récente et des agents qui la compose.

    Une direction au service des entreprises

    Selon les termes du décret n° 2009-37 du 12 janvier 2009 modifié, elle :

    « propose, met en œuvre et évalue les actions et les mesures, notamment financières, juridiques et scientifiques, propres à créer, sur le territoire national, un environnement favorable à la création et au développement des entreprises, notamment les petites ou moyennes entreprises et les entreprises de croissance, ainsi qu’au développement de l’industrie, du tourisme, du commerce, de l’artisanat, des services aux entreprises et aux personnes, de l’économie numérique, des communications électroniques et des professions libérales. Elle propose des mesures fiscales dans ces domaines. Elle concourt à la définition, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques de compétitivité, d’innovation, d’accompagnement des mutations économiques, de développement de la compétitivité internationale des entreprises et d’attractivité du territoire français. »

    Les moyens budgétaires à la disposition de la DGE

    Les dépenses de la DGE sont importantes et principalement portés par trois programmes budgétaires :

    • Le programme 134 (P134), « Développement des entreprises et régulations » ;
    • Le programme 192 (P192), « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle » ;
    • Le programme 343 (P343), « Plan France Très haut débit ».

    Au titre du plan de relance, la DGE a également géré de nouveaux programmes :

    • Le programme 362 (P362), « Écologie » (en soutien aux stratégies de transformation énergétique) ;
    • Le programme 363 (P363), « Compétivité » (consacré au secteur spatial, au numérique et à la souveraineté industrielle) ;
    • Le programme 364 (P364), « Cohésion » (petites entreprises, zones rurales…).

    Ces crédits sont désormais en extinction progressive.

    Des crédits budgétaires en recul jusqu’à la pandémie de la COVID 19

    Avant la crise sanitaire, ces programmes étaient en baisse et majoritairement orientés vers le financement des écoles et aides à l’innovation (P192), qui constituait 65 à 75 % des enveloppes gérées.

    Le mouvement de concentration de ces aides à l’innovation vers la mission budgétaire d’investissements d’avenir amplifiait cette tendance baissière.

    Une rupture avec le « quoiqu’il en coûte »

    À la suite de la crise sanitaire de la COVID-19, les crédits gérés par la DGE sont multipliés par six :

    De 1,13 milliard d’euros en 2017 (dont 0,76 milliard sur le P192) à 6,66 milliards d’euros en 2023.

    Outre les effets de la relance budgétaire initiée par le Gouvernement, il convient de noter également un effet de périmètre avec le transfert à la DGE des crédits du programme 193 dédiés à la recherche spatiale à compter de 2021 (en jaune dans le graphique à suivre).

    Une réorganisation profonde à compter de 2018

    En 2018 et 2019, à la prise de fonctions du nouveau directeur général et quelques mois à peine avant la crise sanitaire, la DGE et son réseau régional ont connu une restructuration en profondeur.

    Ces transformations visaient à répondre aux ambitions gouvernementales portées dans la démarche « Action publique 2022 » et aux circulaires du Premier ministre relatives à :

    • La transformation et la réorganisation des administrations centrales (5 juin 2019) et
    • L’organisation territoriale des services publics (24 juillet 2018 et 12 juin 2019).

    Elles ont conduit à diviser par près de deux le nombre d’agents dans le réseau territorial1 et à concentrer les effectifs à l’échelon central.

    Les effets de la réorganisation sur le déploiement des agents

    Les effectifs relevant de la DGE ont baissé d’un tiers de 2018 à 2023. Soit une baisse de 187 équivalents temps pleins travaillés.

    Toutefois, cette baisse n’a pas été uniforme :

    • Les effectifs en administration centrale ont augmenté de 6,1 % (+43,3 ETP),
    • Tandis que les effectifs du réseau territorial diminuaient de 40 %.

    La nouvelle composition de la DGE suite à la réforme

    Les données pour l’année 2019 détaillées par service révèlent l’ampleur de la réorganisation opérée :

    Près des deux tiers des effectifs du SISSE et du service de l’économie numérique ont été renouvelés, un tiers de ceux du service de l’industrie, du SCIDE et du secrétariat général.

    Le remplacement des fonctionnaires de catégories A et B, par des contractuels recrutés au niveau A+

    La moyenne d’âge est passée de 47,9 ans à 40,6 ans ; la part des plus de 50 ans de 52 % à 29 % et celle des contractuels de 22 % à 50 %.

    En parallèle, un repyramidage des postes a été opéré :

    • La part des agents titulaires et contractuels de catégorie A + représente désormais 38,7 % des effectifs, contre 23,5 % en 2018 ;
    • Celle des agents de catégorie A est toutefois en régression à : 49,4 %, contre 52 % en 2018.

    Les catégories A et A + regroupent ainsi 88 % des agents en 2023 contre 76 % en 2018.

    « La forte hausse du nombre d’agents A+ résulte des modalités de recrutement des agents contractuels, dont la majorité sont recrutés sous ce statut qui leur garantit l’accès à un indice majoré plus élevé, à même de rendre leur rémunération plus attractive. »

    Pour aller plus loin : Les hauts fonctionnaires des ministères économiques et financiers.

    Du point de vue structurel : une bascule des effectifs vers le soutien au numérique

    Certaines missions ont été abandonnées ou transférées :

    • L’Agence du numérique a ainsi été transférée à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT),
    • La sous-direction de l’animation territoriale, de l’Europe et de l’International a été supprimée, ces missions étant redistribuées (et le cas échéant ajustées) ou arrêtées.

    L’objectif de ces reconfigurations étant de renforcer les effectifs des services jugés prioritaires :

    • L’économie numérique, avec un quasi-doublement des ETP ;
    • L’industrie (+ 70,6 % des effectifs) et, dans une moindre mesure), le SISSE (Service de l’information stratégique et de la sécurité économique)é.

    Lorsqu’on regarde en région, les bouleversements sont majeurs :

    Des éléments qui demeurent encore à parfaire, malgré la réorganisation

    Le taux de renouvellement du personnel est élevé, à 25 %. Si, comme le souligne la Cour, cela n’est pas inhabituel pour une direction d’administration centrale, il s’agit d’une critique récurrente de la part des partenaires2.

    Par ailleurs, l’articulation avec les autres directions d’administration centrale demeure perfectible. Notamment avec :

    • La DGEFP sur les politiques de l’emploi et de la formation ;
    • La DG Trésor, pour la publication de travaux de référence en matière économique ;
    • Avec les directions métiers des ministères chargés de l’Environnement (pour les sujets liés à l’énergie, la construction…), l’Agriculture (pour le soutien aux entreprises agroalimentaires) ou encore l’Aviation civile…

    1. Étant considéré, notamment, qu’il ressort des missions des conseils régionaux d’animer les politiques économiques locales.
    2. La mobilité en administration centrale est généralement favorisée après deux ou trois ans en poste. Si bien que les turn-over sont le plus souvent élevés, ce qui contraste en effet avec les longévités rencontrées parmi les dirigeants et salariés d’opérateurs de l’Etat, d’entreprises ou d’associations partenaires, les représentants de branches professionnelles ou de fédérations…
    Vue sur la Seine
  • L’ENA, l’école qui meurt deux fois

    L’ENA, l’école qui meurt deux fois

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Retour sur un article intitulé : « Les élèves de l’École nationale d’administration de 1848 à 1849 » des chercheurs Howard Machin et Vincent Wright (Oxford University). Lecture qui peut utilement être complétée par un autre article de Vincent Wright, également disponible sur Persée : « L’École nationale d’administration de 1849 : un échec révélateur ».

    Ces auteurs sont les spécialistes de la période. On peut également se reporter au livre de Guy Thuillier, L’ENA avant l’ENA.

     « Un des premiers actes du Gouvernement provisoire établi en février 1948 fut la fondation d’une école d’administration. »

    La création de l’École (nationale) d’administration par Hippolyte Carnot

    Cette école d’un nouveau genre1, envisagée sans succès depuis des décennies, connaîtra toutefois une histoire courte : elle est officiellement supprimée dès l’année suivante en août 1849.

    Elle reste encore aujourd’hui indissociable de la personnalité d’Hippolyte Carnot.

    Qui était Hippolyte Carnot ?

    Ancien élève de l’École polytechnique, Hippolyte Carnot entendait dupliquer le modèle de cette école aux savoirs administratifs. Ce faisant, M. Carnot poursuivait trois objectifs :

    • Un instrument de promotion sociale et de renouvèlement des élites ;
    • La mise à disposition pour le gouvernement d’une pépinière de talents disposant d’une formation de haut niveau. L’administration devant : « posséd(er) dans les rangs secondaires une pépinière de jeunes sous-officiers capables de remplacer immédiatement les supérieurs empêchés »2 ;
    • Enfin, la possibilité de mettre fin au népotisme et au favoritisme dans les recrutements.

    « La pensée qui présida à la fondation de l’École d’administration répondait au sentiment démocratique, je n’ai pas besoin de dire de quelle manière : en ouvrant aux capacités la porte des emplois publics, elle détrônait le plus absurde des privilèges, celui d’administrer par droit de naissance ou par droit de richesse… »

    La période d’études était fixée à trois ans et le nombre d’élèves à six cents (deux cents par année3). Un modèle, là encore, très proche de l’École polytechnique4.

    Il convient de souligner l’origine républicaine de cette école, alors même qu’une grande continuité a pu exister dans l’administration entre les différents régimes. S’agissant du fonctionnement comme des hommes. À cet égard, la bascule dans le Second Empire sonnera rapidement le glas de cette école.

    La deuxième République. Musée Ingres, Montauban. À consulter à cette adresse : https://histoire-image.org/etudes/figures-symboliques-iie-republique.

    Un concours pour les jeunes hommes de 18 à 22 ans

    Un processus de sélection en deux temps

    Deux catégories d’épreuves ont été mises en place pour assurer l’admissibilité, puis l’admission. Celles-ci étaient en tous points semblables aux épreuves de l’École normale supérieure :

    • Les épreuves d’admissibilité étaient purement orales et comportaient des questions de grec, de latin, d’histoire littéraire, d’arithmétique, de géométrie et d’algèbre ;
    • Les épreuves d’admissions étaient orales et écrites et comportaient des interrogations de version latine, d’histoire de France, de physique, de chimie et de sciences naturelles.

    Cette très grande diversité des épreuves et leur caractère très général contrastait avec les velléités opérationnelles du processus de sélection.

    Par ailleurs, les préparations n’étant pas proposées par les facultés, celles-ci demeuraient à la charge des candidats.

    Un premier concours organisé en 1848 et suscitant un certain enthousiasme, avant de s’essouffler dès l’année suivante

    Au premier concours, de mai à juin 1848, près de 865 candidats se présentèrent. À l’issue des épreuves : 152 candidats sur les 200 envisagés furent sélectionnés.

    Au second concours, organisé en novembre 1848 et uniquement à Paris, la chute des candidatures est drastique : 174 candidats se présentèrent aux épreuves, pour 106 places. Il s’agissait le plus souvent de ceux écartés du premier concours.

    Cette dégradation rapide de l’image de l’école tient à une multiplicité de raisons :

    • La qualité des enseignements5,
    • Les débats rapides sur l’opportunité de supprimer cet établissement,
    • L’absence de perspective professionnelle assurée (contrairement à l’École polytechnique, par exemple)
    • L’absence d’indemnités pour suivre le cursus.

    Les origines sociales des élèves : la bourgeoisie des grandes villes

    Une surreprésentation des classes urbaines

    Les individus de grandes villes sont surreprésentés :

    • 17 % des étudiants étant d’origine parisienne (alors que 2,9 % de la population habitait à Paris6) et trois candidats sur cinq avaient ou effectuaient au moment du concours leurs études à Paris ;
    • Deux sur cinq provenaient d’un chef-lieu de département.

    Ceci s’expliquait par les professions exercées par les pères :

    • Près de 30 % étaient agents publics,
    • Environ 25 % dans le commerce, l’industrie ou la banque,
    • 20 % étaient libéraux,
    • Le reste étant propriétaire, cultivateur, artisan.

    L’apparition d’une classe bourgeoise « moyenne »

    Même si quelques grandes familles sont présentes. Les auteurs soulignent toutefois l’extraction relativement faible des élèves. Beaucoup n’auraient probablement pas pu accéder à la haute fonction publique sans ce concours.

    Comme aujourd’hui, l’essentiel des candidats provient de la bourgeoisie et pour une infime minorité (moins d’un sur douze alors) de classes modestes. Cette origine relativement commune dénote fortement avec le recrutement aristocratique de l’époque s’agissant de la haute fonction publique7.

    Pour autant, et d’une manière semblable à l’École nationale d’administration de 1945, les auteurs notent une concentration particulièrement élevée d’élèves de grands lycées, le plus souvent parisiens : Henri IV, Louis-le-Grand, Charlemagne… et très souvent privés : Sainte-Barbe, Rollin et Vaugirard, notamment.

    « C’est ainsi qu’une des conséquences paradoxales de la création de l’École d’administration, si elle avait duré, autant été d’ouvrir la porte de l’administration aux enfants très doués des écoles privées, souvent issus de riches familles catholiques. »

    Quel bilan ?

    Une mort rapide

    Le destin de l’École est scellé avec l’accession à la présidence de la République de Louis-Napoléon Bonaparte.

    Alfred de Falloux remplace Hippolyte Carnot comme ministre de l’instruction publique et suspend presque immédiatement les cours, avant de faire supprimer l’École par l’Assemblée quelques mois plus tard, en août 1949.

    Du cycle initialement prévu sur trois ans, l’enseignement dura à peine cinq mois pour la première promotion et six semaines pour la seconde.

    Une majorité d’étudiants poursuivirent logiquement leurs études dans les facultés de droit8, traditionnelles voies d’accès à la fonction publique. D’autres dans des écoles d’ingénieurs (Saint-Cyr, École polytechnique, École des Mines, École centrale…).

    Certains encore choisirent une tout autre carrière (sciences, médecine, etc.) ou ne continuèrent pas leurs études.

    Des carrières difficiles pour les lauréats

    Un effet quasiment nul sur les carrières des élèves

    En l’absence de formations sérieuses et de droits d’accès spécifiques à l’administration, les élèves des deux promotions entamèrent des chemins tout à fait personnels.

    Deux cinquièmes furent nommés à des postes dans l’administration, mais la plupart dans des emplois peu importants et encore moins prometteurs. Seule une minorité devint auditeur au Conseil d’État ou attaché aux Affaires étrangères.

    Sur les 258 anciens élèves, il n’y eut ainsi que deux conseillers d’État et huit préfets, aucun auditeur de la Cour des comptes, un seul directeur général d’administration (à la direction générale des Monnaies), deux ambassadeurs, deux consuls généraux et quatre ministres plénipotentiaires.

    Vingt-cinq devinrent simples professeurs, la majorité des étudiants en droit devinrent avocats.

    Un accès aux plus hautes fonctions publiques qui demeure réservé aux grandes familles

    Ainsi, M. Senès, premier au concours de la première promotion, finit sa carrière comme agent d’assurance tandis que M. Triaire, premier de la seconde promotion, demeura toute sa vie professeur de lycée.

    En définitive, la place au concours n’était d’aucune aide : les rares élèves qui finirent hauts fonctionnaires se trouvaient pour l’essentiel entre la 90ᵉ et la 130ᵉ place… Tous étaient issus de la haute bourgeoisie ou de l’aristocratie.

    Inversement, on peut légitimement penser que l’école aurait pu, comme l’a fait l’ENA un siècle plus tard, renverser les modalités habituelles de sélection en permettant à des jeunes gens9 intelligents d’accéder aux plus hautes fonctions. Peu importe leurs origines — même si celles-ci étaient, et demeurent aujourd’hui, généralement bourgeoises.

    Une école qui ne satisfaisait finalement personne

    Une contestation tous azimuts

    La première contestation vint du monde universitaire, jusque-là seule pourvoyeuse de fonctionnaires administratifs et jalouse de ses prérogatives.

    Cette mise en place d’une première École d’administration a été également très mal vécue par le sérail administratif, attaché à ses facultés de sélection et de promotion de son personnel. Crainte aussi partagée par les « petits fonctionnaires », soucieux de pouvoir conserver des marges d’avancement en dehors de ce que certains pouvaient considérer comme un « élitisme estudiantin ».

    Enfin et surtout, les politiques y ont vu une perte de pouvoir en empêchant le « patronage » alors très répandu et permettant de se constituer une clientèle, en dépit des quelques règles minimales de compétences (notamment l’exigence d’une licence de droit).

    Le rôle ambigu des forces conservatrices et bourgeoises

    Cette école sera par ailleurs très critiquée par une partie de la moyenne et haute bourgeoisie. Un tel mode de sélection pouvant porter le germe de la sédition par la promotion de classes laborieuses jugée plus instable.

    Pour autant, force est de constater que la droite conservatrice ne portera aucunement atteinte aux autres « Grandes Écoles », toutes publiques et assises sur un concours. L’École normale supérieure, l’École des chartes, l’École des mines, l’École des ponts et chaussées et, plus encore, l’École polytechnique seront même particulièrement soutenues par les monarchistes et bonapartistes.

    Une interrogation plus profonde sur la finalité de l’enseignement

    Pour beaucoup, ce qui détonnait était surtout l’incompréhension devant la création d’une école consacrée à des matières aussi peu scientifiques.

    À cet égard, le mode de recrutement et le contenu des enseignements ensuite délivrés détonnaient avec cette prétention à l’opérationnalité. Nous ne pouvons que penser à La Princesse de Clèves et aux débats permanents sur le rôle des écoles professionnelles.

    1. Il s’agit de la première école dédiée à la « science administrative ».
    2. Le Conseil d’Etat devait initialement constituer cette pépinière, mais finalement sans grand succès.
    3. Avec une administration toutefois largement plus légère en effectifs qu’aujourd’hui, voir par exemple l’article sur ce blog consacré à l’administration centrale dès l’Ancien régime. Un tel périmètre recouvre donc les actuels attachés d’administration et administrateurs de l’Etat.
    4. En précisant que cette nouvelle école, s’agissant des enseignements, étaient adossée au Collège de France.
    5. Les enseignements étaient dispensés dans les locaux du Collège de France et portaient sur des sujets très divers et parfois très éloignés de la matière administrative. Les cours de minéralogie ont notamment longtemps constitué un sujet de plaisanterie. Ce qui permettait aux contempteurs de souligner l’hérésie de vouloir constituer un enseignement se prétendant scientifique et administratif sans trop d’effort.
    6. Soit une sur-représentation de près de 6 fois le poids de Paris sans la démographie française. Pour autant, ce concours n’en constitue pas moins une avancée. MM. Machin et Wright rapportent ainsi que sur les 234 auditeurs du Conseil d’Etat sous le Second Empire, 102 étaient originaires de Paris.
    7. Durant le Second Empire, un cinquième des conseillers d’Etat seront originaires de l’aristocratie et les quatre cinquième restant de la haute bourgeoisie.
    8. 113 obtinrent une licence en droit.
    9. Allusion évidemment à l’ouvrage de Mathieu Larnaudie : https://www.amazon.fr/jeunes-gens-Enqu%C3%AAte-promotion-Senghor/dp/2246815096