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  • Présentation de la direction du Budget en moins de dix minutes

    Présentation de la direction du Budget en moins de dix minutes

    Temps de lecture : 8 minutes.

    « Miroir, dis-moi qui est la plus belle » : La Cour des comptes parle de la direction du Budget.

    Lecture commentée du rapport de la Cour des comptes relatif à la préparation et au suivi du budget de l’État, ou comment : « redonner une place centrale à la maitrise de la dépense. »

    Les missions de la direction du Budget

    La Cour des comptes rappelle d’abord les principales missions de la direction du Budget :

    • Assurer la coordination interministérielle dans l’élaboration et l’exécution des projets de loi de finances (les fameux « PLF ») ;
    • Surveiller la soutenabilité de la programmation et de la gestion de chaque ministère par son réseau de CBCM et CBR1.

    La structuration de la direction du budget

    La direction du budget comptait 382 agents à fin 2021 :

    • 245 agents en administration centrale et
    • 137 agents dans son réseau de comptables et contrôleurs budgétaires.

    Celle-ci est composée quasi exclusivement de catégorie A (47 %) et A+ (43 %)2. Ce point est toutefois de plus en plus commun entre les directions d’administration centrale. Il s’explique par la technicité croissante des sujets traités.

    Particularités dans le champ administratif :

    • Un taux de féminisation bas (43,2 % pour l’administration centrale), encore davantage marqué pour les emplois de direction et d’encadrement (moins du tiers) ;
    • Comme évoqué plus haut, la quasi-parité s’agissant des catégories A entre les encadrants dits « supérieurs », ou : « A+ », et les autres catégories A, essentiellement des attachés d’administration de l’État.

    À noter :

    Sur la période récente, la direction du budget a légèrement évolué :

    • Par la création d’un secrétariat général3 et
    • Par l’ajout d’une fonction de « sous-directeur adjoint ». L’objectif étant de doter les sous-directeurs d’un adjoint afin de renforcer la fonction managériale et d’accroître les perspectives de promotion interne.

    Une chaîne hiérarchique courte et une surreprésentation de hauts fonctionnaires

    La Cour des comptes parle étrangement d’un « faible taux d’encadrement ». Ce qui semble être une erreur, ou alors le raisonnement est étrange, puisque dans les conclusions de la Cour, il est justement relevé que :

    « 1,06 agent de catégorie A est encadré par 1 agent A+ en administration centrale. »

    Une chefferie de bureau très exposée

    Concrètement, l’essentiel du travail technique est réalisé au niveau du bureau sectoriel : par le chef de bureau et ses quelques agents4.

    Le chef de bureau, comme pour les autres administrations centrales, se distingue par une expérience de plusieurs années. Autrement dit, de plusieurs cycles budgétaires. Cette expérience lui permet de disposer des réflexes à même de « sentir » les arbitrages sensibles et de prioriser les dossiers dans la conduite quotidienne du travail administratif.

    Les agents de la direction

    Commentaire :

    Malgré la parité des effectifs entre les catégories A et A+, la Cour des comptes présente des développements quasi exclusivement consacrés aux seconds. Cette appréciation partielle nuit à la compréhension globale de la direction.

    Une direction attractive, souvent considérée comme un « booster » de carrière pour les jeunes agents

    La Cour des comptes note plusieurs éléments pouvant porter atteinte à l’attractivité de la direction :

    • Des contraintes horaires et calendaires fortes ;
    • Des tâches complexes et répétitives, notamment dans l’harmonisation des tableaux budgétaires, suite aux arbitrages ;
    • Une moindre rémunération indemnitaire pour les administrateurs de l’État primo-affectés à la direction du budget : 29 400 euros de primes annuelles en 2021 contre une moyenne de 32 800 euros pour l’ensemble des administrateurs civils d’alors.

    Pour autant, en dépit des contraintes, la direction « demeure attractive » selon la Cour, car elle offre ainsi une importante visibilité aux agents. Visibilité qui permet aux agents de prétendre à des évolutions professionnelles rapides.

    Une direction particulièrement jeune

    « L’âge moyen des agents de la direction en administration centrale (39,2 ans) est inférieur de 8,5 années à celui de l’ensemble des agents d’administration centrale des ministères économiques et financiers en 2021 (47,7 ans). L’âge moyen des cadres A+ de l’administration centrale (34,0 ans) en 2022 est particulièrement jeune, de plus de dix ans inférieur à la moyenne de celui des cadres A+ des ministères économiques et financiers (44,7 ans) : 25 % des cadres A+ ont moins de 30 ans et 52 % ont moins de 35 ans, alors que 78 % des cadres A (moyenne d’âge de 44 ans) et 90 % des cadres B et C ont plus de 35 ans. »

    La Cour des comptes explique la jeunesse de cet encadrement supérieur par :

    • Les modalités de recrutement de la direction en sortie d’école (élément partagé pour partie par la direction de la Sécurité sociale, notamment) ;
    • Un moindre intérêt des agents expérimentés pour des fonctions exigeantes5 et sans responsabilités managériales importantes. Fonctions qui peuvent également présenter un caractère rébarbatif et théorique – éloigné des politiques publiques6.

    D’où viennent les agents de la direction du budget ?

    La moitié des cadres supérieurs sont des administrateurs de l’État formés à l’Institut national du service public (ex-ENA), un cinquième est issu de Polytechnique et plus du tiers est contractuels : recrutés en sortie de grandes écoles de commerce ou de Sciences Po Paris.

    À titre marginal, la direction compte également quelques profils atypiques : fonctionnaires des assemblées, militaires, administrateurs territoriaux, commissaires.

    S’agissant des cadres A, la direction recrute auprès :

    • Des instituts régionaux d’administration (IRA) formant les attachés d’administration de l’État ;
    • Des agents confirmés d’autres directions, et notamment de la direction générale des Finances publiques ou de la direction générale du Trésor, voire d’autres ministères, enfin
    • Des contractuels, ayant le plus souvent assuré des fonctions financières dans le privé.

    Où partent-ils ?

    La Cour des comptes n’a répertorié que les mobilités des A+.

    En 2018, à l’issue de leur passage dans la direction, ils rejoignaient dans 52 % des cas un ministère, dans 20 % un établissement public et dans 12 % le secteur privé.

    Un recrutement de contractuels en concurrence avec l’INSP

    Comme énoncé plus haut, le tiers de l’encadrement supérieur de la direction du budget est d’origine contractuelle.

    À cet égard, la Cour s’interroge sur l’attractivité du concours de l’INSP pour ces profils. Ceux-ci sont souvent bien formés et peu désireux de perdre plusieurs années à préparer, puis suivre, la formation de l’INSP.

    Par ailleurs, les contractuels peuvent désormais accéder aux emplois fonctionnels des directions d’administration centrale (autrement dit, aux postes de chefs de bureaux, et par la suite de sous-directeurs).

    Un recrutement de contractuels qui soulève aussi une question vis-à-vis des catégories A

    La Cour des comptes ne le note pas, mais cette situation crée aussi des inégalités avec les agents de catégorie A qui, pour certains, sont également sortis de grandes écoles (en particulier de Science Po Paris).

    Une dizaine d’attachés principaux exercent ainsi des fonctions de chefs de bureau à la direction du budget. Leurs sujétions sont identiques à celles des administrateurs et des contractuels. Toutefois, leur carrière, dans ce corps de catégorie A, s’arrêtera là. En effet, les attachés d’administration, comme les inspecteurs des finances publiques… ne peuvent pas, statutairement, exercer des fonctions d’encadrement supérieur7.

    Un fort turnover, facteur de risques pour la gestion des compétences

    La part importante de contractuels, qui n’ont pas vocation à « faire carrière » (même s’ils le peuvent), couplé à un taux de rotation également élevé des fonctionnaires, nécessitent une incessante lutte pour conserver un niveau d’expertise approprié.

    D’autant que les missions de la direction du budget impliquent des négociations budgétaires avec les ministères et un travail de représentation dans près de 250 conseils d’administration d’opérateurs et assimilés.

    « Le taux de rotation annuel des agents de l’administration centrale de la direction est de 43 % pour les cadres A+ fin 2021, ce qui signifie que la durée d’occupation des postes n’est que légèrement supérieure à deux ans, sous-directeurs compris. Près d’un quart des effectifs est renouvelé par recrutement extérieur chaque année. Ce taux de rotation a pour effet de raccourcir le déroulement des carrières et de limiter le retour sur investissement de l’administration centrale puisqu’en moyenne, plus de 70 % des effectifs de la direction y passe moins de cinq ans. »

    Une asymétrie dans les carrières proposées à l’encadrement supérieur

    « Compte tenu de la rapidité du début de carrière, la direction peut proposer un poste de sous-directeur à des cadres A+ parfois âgés de moins de 35 ans et de retour de mobilité, ce qui peut poser difficulté pour dérouler ensuite une carrière, au même rythme, dans les autres administrations. »

    La réflexion s’arrêtera là, encore une fois, et on ne s’interrogera pas sur les perspectives d’autres corps de la direction du budget.

    Une tension liée à la formation en interne

    Le taux de rotation élevé implique également une charge de travail plus importante pour les agents en poste, pour former les nouveaux arrivants.

    Pour favoriser le développement des compétences, la direction encourage les départs en formation. Mais, l’objectif de deux jours par an n’était, à la date du rapport, atteint que par 14 % des agents.

    Une autre initiative, plus installée, consiste à développer annuellement des travaux internes prospectifs et stratégiques destinés à réfléchir sur les thématiques budgétaires des bureaux sectoriels8.

    Les agents du réseau de la direction du budget

    Les onze départements du contrôle budgétaire (DCB) comptaient en 2021 131 agents, auxquels s’ajoutent 22 contrôleurs budgétaires en région (CBR) et en outre-mer.

    Une structuration hiérarchique très différente de l’administration centrale

    Les agents du DCB et du CBR appartiennent à une structure nettement plus classique, qui se rapprocherait de l’administration déconcentrée ou d’un service à compétence nationale.

    On y trouve ainsi « seulement » 17 cadres A+, 78 catégories A, 28 catégories B et 8 agents de catégorie C.

    L’âge moyen en DCB était de 51 ans en 2021 et seuls 40 % des agents y restaient moins de cinq années, pour une ancienneté moyenne de 8 ans.

    Des postes techniques, plus comptable que budgétaire

    Au total, près de 12 500 équivalents temps pleins (ETP) travailleraient sur une fonction de gestion budgétaire et financière au sein de l’État (hors fonctions comptables).

    Dans ce cadre, les postes en DCB et CBR constituent des étapes importantes, permettant d’assumer des responsabilités financières dans les ministères ou leurs opérateurs.

    Une attractivité moindre

     « Les candidatures sont peu nombreuses et émanent essentiellement de la direction centrale et des autres DCB, attestant de la faible attractivité de ces fonctions budgétaires à l’extérieur de ce vivier. »

    Les agents ressentent des charges de travail croissantes et moins valorisées dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique9. En dépit du reclassement de l’ensemble de ces emplois en experts de haut niveau de groupe II et des revalorisations indemnitaires associées.

    Alors que la diversité des compétences est promue par la DGAFP, les agents des CBCM s’inquiètent d’être pénalisés par leur spécialisation.

    1. Ces acronymes désignent les services du contrôle budgétaire et comptable ministériel (comptables et contrôleurs des dépenses placés au sein des secrétariats généraux des ministères) et les contrôleurs budgétaires régionaux, en régions.
    2. C’est-à-dire de cadres.
    3. Le secrétariat général, créé par arrêté du 15 novembre 2022, regroupe désormais les quatre entités chargées des fonctions supports de la direction (40 agents).
    4. Etant précisé que contrairement aux administrations centrales « classiques », ces agents sont statutairement qualifiés d’ « adjoints ». Cela leur ouvre droit à des indemnités supérieures.
    5. Les contraintes horaires et calendaires mentionnées plus haut.
    6. Il faut aimer Excel, les synthèses de « Jaunes » et les boucles de courriels.
    7. Et, plus spécifiquement, occuper un poste de sous-directeur, conformément au décret n° 2012-32 du 9 janvier 2012 relatif aux emplois de chef de service et de sous-directeur des administrations de l’Etat.
    8. Une réflexion annuelle similaire existe également dans l’autre grande direction financière de l’Etat : la direction de la sécurité sociale.
    9. Une nouvelle fois, bien que les cadres supérieurs ne représentent ici « que » 20 % des effectifs, la Cour sait leur prêter une oreille attentive.
    Un cadran et un tas de pièces : la DB en dix minutes
  • Un sociologue chez les fonctionnaires

    Un sociologue chez les fonctionnaires

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Jean-Michel Eymeri est l’auteur de nombreux ouvrages, en particulier sur la haute fonction publique et la scolarité à l’Ecole nationale d’administration (« ENA »), désormais remplacée par l’Institut national du service public (dit, « INSP »).

    Retour sur des éléments d’une conférence intitulée « Les gardiens de l’Etat. Une sociologie des énarques de ministère », tirée de l’ouvrage (pages 161-164) Science politique et interdisciplinarité sous la direction de Lucien Sfez et disponible à cet emplacement : https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.80412.

    L’auteur évoque d’abord ses « trouvailles »

    La très forte hiérarchie entre le concours « externe » et les concours « interne » et le « troisième concours »

    « Lorsque l’on travaille à l’ENA, on découvre qu’il n’existe nulle part dans cette maison une liste des élèves et anciens élèves ventilée par origine de concours. Tout le monde la connaît bien sûr pour les deux promotions en cours de scolarité, mais ensuite la mémoire en est comme par hasard perdue. Du coup, il est impossible d’établir le tableau statistique si simple consistant à mettre en rapport l’origine de concours d’entrée et le corps de sortie. Il m’a fallu un mois et demi de travail d’archives et d’inavouables complicités pour constituer cette liste des 5 106 élèves sortis de l’ENA depuis 1945 répartis par origine de concours. Et c’est alors que l’on peut construire la statistique que personne ne voulait voir un enquiquineur de jeune doctorant construire : sur cinquante ans, parmi les énarques sortis à l’IGF, on ne dénombre que 8,6 % d’internes ; à la Cour des comptes 14,9 % ; dans la diplomatie 24 % ; à l’IGAS 41 % ; dans le corps des administrateurs civils 44,3 % ; parmi les conseillers de tribunaux administratifs 62 %, et ceux des Chambres régionales des comptes 79 %. C’est précisément la hiérarchie de prestige des corps et l’ordre dans lequel ils sont choisis en fonction du rang de sortie. Le constat se passe de commentaire. »

    Le système du classement de sortie de l’ENA.

    L’auteur qualifie ce classement d’ « énorme mécanique », avec dix-sept épreuves aux notes et aux coefficients différents représentant (alors) un total théoriquement atteignable de 1 000 points.

    Or, l’auteur constate en premier lieu une forte homogénéité dans les notations des épreuves écrites sur la centaine d’élèves d’une promotion. Selon lui, soixante-dix élèves se tiennent au final à un ou deux points les uns des autres ; il dénombre même une quarantaine d’ex-aequo. « Ramené à une moyenne générale sur 20 cela représente 0,02 point d’écart entre les gens, ce qui n’a proprement aucun sens. »

    Deux notes vont finalement se révéler véritablement discriminantes :

    • D’une part la note de stages, qui représente 20 % du total de points et qui est évidemment tout sauf une épreuve anonyme : « Avoir 9/10 ou 8/10 en stages représente un différentiel de 20 points au classement final c’est-à-dire seize à vingt places, ce qui est décisif. » ;
    • L’autre note où l’éventail est très ouvert, parce que les niveaux sont très disparates, est l’oral de langues vivantes, où un point sur 10 en représente 7 au classement final. L’auteur y décèle l’une des sources les plus évidentes d’inégalités en raison de l’origine sociale.

    La spécificité du corps des administrateurs civils

    Pour l’auteur, les administrateurs civils (désormais « administrateurs de l’Etat ») sont un corps en termes juridiques mais ils ne constituent pas un ensemble qui fait corps au sens sociologique :

    • Ni sentiment subjectif d’appartenance (solidarité ou « esprit de corps ») ;
    • Ni homologie des conditions matérielles d’existence ;
    • Ni représentants ou chefs de corps qui le feraient exister en le représentant ;
    • Ni action collective.

    Voilà un corps qui ne fait pas corps.

    Sur le quotidien du travail en administration centrale

    L’auteur est tout d’abord frappé par le fait que l’expertise se trouve à la base et que l’échelon de chef de bureau est bien souvent le dernier où l’on travaille encore sur le fond des dossiers. Au-dessus, du sous-directeur jusqu’au cabinet, les acteurs se situent dans le « méta », la coordination, l’animation, le commentaire, la négociation, l’arbitrage, le marketing pour vendre telle idée aux partenaires extérieurs et au ministre, etc., en un mot dans l’intermédiation généraliste.

    Un autre point-clé, ignoré de l’extérieur, est le petit nombre de hauts fonctionnaires en charge de secteurs économiques ou juridiques aux enjeux pourtant considérables : « Bien souvent, une sous-direction, c’est-à-dire quatre à six énarques, plus le double ou le triple de cadre A, gèrent un secteur économique entier. Par exemple, l’interface au sein de l’État de tout l’univers des assurances est assumé par une sous-direction au Trésor. Quant au secteur autoroutier, c’est un bureau à la Direction des routes à l’Équipement. »

    Le phénomène est identique aux Affaires sociales, il suffit de se munir d’un organigramme et d’identifier qui est en charge de la Caisse nationale des allocations familiales, du financement de l’autonomie des personnes âgées, de l’indemnisation des chômeurs… « C’est là un phénomène saisissant quand on devient un familier de la machine étatique. »

    On est aussi frappé par les graves carences de la mémoire administrative : « L’État, cette institution en charge de la continuité historique, a très mauvaise mémoire. Le turn over trop rapide des énarques sur les postes (trois à quatre ans en moyenne) y est pour beaucoup, à la différence des hauts fonctionnaires allemands qui restent dix à quinze ans dans le même poste. Du coup, les énarques passent leur temps à refaire des notes rédigées par leurs prédécesseurs, à réinventer des solutions homologues à des problèmes similaires voire, ce qui n’est pas rare, des solutions identiques aux mêmes problèmes : cette dialectique du même et de l’autre est particulièrement intéressante. Ce que l’on appelle la « continuité de l’État » semble ainsi résider moins qu’on l’imagine dans une mémoire conservée que dans la continuité des enjeux à traiter et dans la continuité interpersonnelle des schèmes incorporés que les hommes de l’État appliquent à ces enjeux. »

    L’auteur observe également le rôle spécifique des hauts fonctionnaires dans le travail d’administration centrale, à savoir celui de traducteur :

    « Le rôle collectif des énarques des services consiste à mettre en forme les enjeux et les solutions techniques dans des catégories suffisamment générales, simples et politiques pour être compréhensibles par le ministre et son cabinet, et au-delà les journalistes et autres faiseurs d’opinion. En sens inverse, ils traduisent en mesures et en dispositifs concrets les discours et les orientations générales du politique. Montée en généralité et simplification dans un sens, redescente en technicité et en complexité de l’autre : ceux que l’on désigne à tort d’un mot piégé, « technocrates », sont en fait des techniciens généralistes de la mise en forme et de l’ajustement. Un directeur de ministère m’a dit une fois qu’il avait une « fonction de traducteur simultané ». En fait, la formule s’applique à l’ensemble de l’encadrement énarchique des administrations centrales : leur rôle collectif est d’assurer une permanente opération de traduction, d’intermédiation symbolique et pratique, de décodage-encodage du réel à double sens. Ils font passer des objets et des enjeux d’un code à l’autre, d’un registre à un autre. Ce sont des médiateurs entre le politique et le technique, qui ne sont eux-mêmes ni techniciens ni politiciens, mais participent assez des deux sphères pour en maîtriser les logiques et en parler les langages. Ce sont des traducteurs multi-registres, des généralistes médiateurs. »

    La posture du haut fonctionnaire en administration centrale : neutralité et loyauté au service d’une nouvelle forme d’engagement ?

    L’auteur constate également une redéfinition du caractère concret de la loyauté des administrateurs envers le politique. « En résumé, du modèle classiquement weberien de la loyauté comme neutralité, on est en pratique passé à une définition de la loyauté comme devoir d’engagement. »

    Cet engagement implique que le haut-fonctionnaire ne se limite pas à proposer des solutions au cabinet du ministre, il émet des préconisations et il essaie de démontrer en quoi celles-ci permettraient de concrétiser un souhait ou une ambition gouvernementale.

    A contrario, « dans une machine bureaucratique qui fonctionne au blocage et à la non-décision, si les intéressés ne s’investissent pas dans les dossiers dont ils ont la charge au point d’en faire une affaire personnelle, les dossiers « s’encarafent » et n’aboutissent pas. »

    L’existence d’une culture de l’Etat ?

    Pour l’auteur, il existe, malgré toutes les divergences ministérielles et les « cultures locales » (au sein même des ministères d’ailleurs), « certains ferments culturels d’une homogénéisation partielle (j’insiste sur « partielle ») de l’ensemble étatique. Il y a bien une culture de l’État avec un grand E dont les énarques de ministère, ces administrateurs de l’État, sont les porteurs privilégiés car elle épouse leur culture d’état : la culture de l’institution-État existe en eux sous la forme incorporée d’une culture professionnelle. »

  • La naissance de l’administration centrale moderne sous l’Ancien régime

    La naissance de l’administration centrale moderne sous l’Ancien régime

    Temps de lecture : 8 minutes.

    Éléments glânés à la lecture de l’ouvrage Histoire de l’administration de Yves Thomas.

    Pour retrouver l’image ci-dessus, rendez-vous sur Gallica : Le Roy dans son Conseil

    Au sommet : Les maîtres des requêtes

    L’administration va grossir par son sommet, avec l’apparition des « maîtres des requêtes ». On en compte environ quatre-vingt sous le règne de Louis XIV.

    Il s’agit de juristes chargés d’étudier les dossiers présentés au Roi et d’en faire rapport.

    Pour être maître des requêtes, il faut en principe être âgé de plus de trente ans et avoir été en fonction pendant au moins six ans dans une Cour supérieure. Le prix de la charge est évidemment très élevé, d’autant que cet office est anoblissant — toutefois, l’essentiel des maitres de requête sont déjà d’origine noble (le plus souvent d’extraction ancienne). Par ailleurs, la majorité d’entre eux sont parisiens, mais pas tous :

    M. De Lareyne. Source : bnl-bfm.limoges.fr Bibliothèque francophone multimédia de Limoges.

    Parmi ces maîtres des requêtes seront recrutés les plus hauts fonctionnaires du Royaume : les conseillers d’État (une trentaine environ), mais également les intendants de province.

    Il existe aussi des administrateurs plus spécialisés comme les intendants des Finances au Conseil royal des finances, mais leur rôle est plus circonscrit (tout en demeurant évidemment important).

    Les officiers du Royaume

    Sous l’Ancien Régime, la plupart des agents de la monarchie sont des officiers royaux. On distingue ici deux grands groupes :

    1. Les officiers de justice, qui assurent une fonction juridictionnelle, mais qui peuvent également remplir à titre accessoire des fonctions administratives ;
    2. Les officiers des finances (bientôt supplantés par les intendants des finances) qui ont la charge de la gestion des impôts directs — les impôts indirects étant perçus par une institution spécifique, la « Ferme générale ».

    L’officier est nommé par le Roi par des lettres de provision renvoyant au statut de l’office, celui-ci étant établi par la loi royale ou la coutume. Cet office donne droit à rémunération, gages et souvent privilèges (exemption fiscale).

    L’office est une charge patrimoniale, à la fois vénale et héréditaire.

    L’hérédité de l’office a été institutée sous Henri IV et est acquise par le versement d’une taxe annuelle, dénommée « Paulette » du nom du financier Paulet qui l’inventa.

    Les officiers sont censés avoir une reçu une formation juridique en faculté de droit. Ils semblent avoir en pratique et en moyenne une certaine compétence technique.

    Le problème majeur de l’officier est son indépendance du Roi, qui empêche la prise de mesure disciplinaire et implique un très faible suivi des missions par le Roi.

    Édit de 1705, portant création d’offices. Source : gallica.bnf.fr / BnF.

    L’apparition des commissaires

    Pour s’assurer du contrôle des fonctions jugées les plus importantes, la pratique du commissionnement se développe. Cette pratique, née au XIVe siècle, va bientôt concerner tous les grands postes de l’Etat : contrôleur général des finances, secrétaires d’Etat, conseillers d’Etat, premiers présidents des cours souveraines, ambassadeurs, lieutenant général de police de Paris et intendants de province.

    Le commissaire est nommé par le Roi pour une mission en principe temporaire, spécifiée dans la lettre de commission. Cette charge est toujours révocable.

    Le commissaire, qui exerce des fonctions supérieures, est le plus souvent choisi parmi les officiers royaux.

    Le Conseil d’En-Haut

    Ce Conseil comprend les plus hauts dignitaires du régime :

    • Le chancelier, qui demeure un officier inamovible et dont l’origine de la fonction est la plus ancienne, chargé d’assurer la Justice. En cas de conflit, le Roi peut lui adjoindre un Garde des sceaux, évidemment commissionné, pour exercer les fonctions législatives ;
    • Les secrétaires d’Etat, au nombre de quatre, qui acquièrent sous Louis XIV une véritable stature de « ministre ». Initialement responsables d’affaires « départies » par division géographique : chacun étant responsables des affaires relevant de certaines provinces et pays étrangers (d’où l’expression de « département ministériel »), auxquelles se sont surajoutées ensuite une répartition par matières : affaires étrangères, Maison du Roi, Guerre et Marine. Ce double portefeuille (matériel et géographique) explique l’absence de ministre de l’Intérieur jusqu’à la Révolution ;
    • Le contrôleur général, créé en 1665 et attribué à Colbert, marque l’avènement de ce que certains ont qualifié de « monarchie administrative ».

    Pour traiter leurs dossiers, les ministres se sont adjoints peu à peu des « bureaux », dans lesquels apparait une nouvelle catégorie d’agents de l’Etat : les « commis ». Nous avons là les ancêtres directs des agents publics contemporains des administrations centrales.

    En 1775, le Contrôleur général compte plus de 150 commis dans les services ministériels. Ceux-ci sont recruté et révoqué par le ministre, ils dépendent entièrement de lui qui les rémunère comme il l’entend, au moyen d’une dotation que lui alloue le Roi.

    Ces employés sont répartis dans des bâtiments parisiens et dans une aile de Versailles.

    Peu à peu, les fonctions s’affinent et se spécialisent : est ainsi créé en 1716 le corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées chargé de la construction du grand réseau de routes royales. Ces derniers sont recrutés à partir de 1747 par l’Ecole des Ponts et Chaussées, sur concours, puis commissionnés par le Roi.

    Cette école servira de prototypes aux corps d’ingénieurs suivants et constitue certainement l’élément le plus novateur dans la création d’une fonction publique professionnelle sous l’Ancien Régime.

    Les intendants des province

    La fonction d’intendant nait plus tardivement, au XVIe siècle. Il s’agit alors d’envoyer en « tournées » dans les provinces les maitres des requêtes afin de surveiller les autorités locales et en particulier les officiers.

    Leur installation défintive dans les provinces est réalisée par Louis XIV. La Bretagne est la dernière pourvue, en 1689.

    Censé impulser une forme de centralisation, leur action demeure toutefois un exercice enraciné dans les territoires. Certains intendants restent par exemple en fonction vingt ou trente ans dans leur province, avec l’obtention dans certains cas d’une transmission au fils par lettre de survivance royale.

    A la fin de l’Ancien régime, on compte environ trente-trois intendances, aux frontières très irrégulières. Ces derniers peuvent par ailleurs disposer de subdélégués, appelés à devenir les futurs sous-préfets du régime républicain.

    Peu à peu, les intendants gagnent en prérogative suivant le principe selon lequel il a seul compétence pour mettre en œuvre les nouvelles politiques royales en matière de travaux publics, d’urbanisme ou encore d’assistance qualifiées d’ « extraordinaires ».

    M. De Meilhan, intendant du Hainault. Source : gallica.bnf.fr / BnF.

    En 1641, un édit établit une distinction fondamentale entre le contentieux des affaires privées et celui des affaires publiques, interdisant au Parlement de Paris de prendre connaissance de toutes affaires : « qui peut concerner l’Etat, administration et gouvernement d’icelui que nous réservons à notre personne seule. »

    L’intendant se voit ainsi dévolu des fonctions juridictionnelles en matière administrative, l’appel étant porté devant le Conseil du Roi.

    Peu à peu, les officiers locaux perdent également des prérogatives historiques. En 1683, Louis XIV impose un système de tutelle financière des intendants sur les décisions prises par les villes. En 1704, les magistratures urbaines perdent leur caractère héréditaire.

    Seuls la Bretagne et le Languedoc demeurent administrativement autonomes, avec notamment le privilège de lever l’impôt provincial.

    A la veille de la Révolution, la monarchie a finalement jeté les bases de l’administration moderne :

    • Une structure ministérielle,
    • Une bureaucratie professionnelle et hiérarchisée,
    • Un traitement juridique ad hoc des contentieux administratifs (le dualisme juridictionnel),
    • Mais aussi selon l’auteur, Yves Thomas, une : « attitude de distance hautaine à l’égard des administrés. »

    Un mouvement de recul est toutefois à l’œuvre à la fin de l’Ancien Régime, marqué par une volonté de renouer avec les Etats provinciaux autonomes, en opposition à l’absolutisme centralisateur monarchique. Sont ainsi évoqués en 1788 la constitution d’assemblées municipales, de district et provinciales, afin de renouer avec une forme de décentralisation du pouvoir. Il est évidemment trop tard.

    La Révolution

    L’abolition des privilèges dans la nuit du 4 août condamne la structure administrative monarchique.

    Les offices sont supprimés et leurs titulaires indemnisés (en assignats…), le Conseil du Roi est remplacé par le Conseil d’Etat, la Chancellerie devient le ministère de la Justice, les secrétariats d’Etat voient leurs portefeuilles préservés et sont requalifiés en ministres des affaires étrangères, de la guerre et de la marine.

    Seul le Contrôleur général est véritablement démantelé, symbolisant le « despotisme ministériel » d’un système monarchique défaillant. Une partie de ses attributions est confiée à un ministère des Contributions publiques, tandis que ses compétences de police sont rapprochées de celles dévolues à la Maison du Roi pour former le nouveau ministère de l’Intérieur. Enfin, est créé un service administratif, la Trésorerie nationale, chargée de procéder au paiement des dépenses de l’Etat.

    Par ailleurs, les administrations centrales et les corps techniques demeurent.

    Le nouveau régime souffre toutefois d’un déséquilibre : l’Assemblée ayant un pouvoir législatif sans borne, elle prive l’Exécutif de toute capacité d’instruction générale, bornant les ministres à la prise de décisions individuelles. Bientôt, par la création de comités, l’Assemblée elle-même interviendra dans le fonctionnement quotidien des ministères jusqu’à régenter directement l’administration à compter de 1792, et plus encore en 1793 avec le Comité de Salut public dirigé par Robespierre.

    Comité central du salut public. Source : gallica.bnf.fr / BnF.

    Du point de vue local, dès 1789 sont instituées les communes (loi d’organisation municipale du 14 décembre 1789), qui regroupent 44 000 collectivités, avec l’imposition d’un modèle unique d’organisation. A ces communes se superposent des départements, créés par la loi du 22 décembre 1789.

    Ces derniers, au nom du principe d’unité nationale, ne sont pas des collectivités territoriales autonomes dotées de la personnalité morale, mais de simples circonscriptions administratives avec une fonction purement exécutives. Le découpage est effectué en tenant compte des provinces, les plus grandes étant divisées en plusieurs département (la Bretagne en cinq, par exemple), tandis que certains départements correspondent à une province, comme la Dordogne. En revanche, toute référence au passé est exclu dans la dénomination des départements qui emprunte exclusivement à la géographie.

    Les trois niveaux d’administration : département, district et commune sont liés entre eux par une tutelle hiérarchique, qui se révèle rapidement assez formelle et peu opérationnelle.

    Enfin, le nouveau régime républicain innove également dans sa sémantique. En 1790, apparait ainsi le terme « fonctionnaire » comme désignant l’agent de l’Etat détenteur d’une portion de la puissance. A celui-ci s’adjoint un « employé », simple exécutant, surtout présent en administration centrale et successeur direct des « commis ».

    Toutefois, la différence fondamentale tient au statut de l’« employé ». Celui-ci dispose en effet, de par la loi, d’un système de rémunération et d’un régime de retraite tenant à matérialiser le lien entre l’Etat et ses agents. L’employé est transformé en véritable « agent public » dans son acception moderne, il n’appartient plus au ministre, mais à l’Etat.

    Pour autant, l’essentiel des commis de l’Ancien Régime vont rester en place, à l’exception des nobles exerçant les fonctions dirigeantes. Le nombre d’agents publics se stabilise bientôt autour de six cents.

  • Quelles évolutions des rémunérations pour la haute fonction publique ?

    Quelles évolutions des rémunérations pour la haute fonction publique ?

    Temps de lecture : 2 minutes.

    Avec la lecture des observations définitives (délibérées le 2 octobre 2023) de la Cour des comptes sur la réforme de l’encadrement supérieur de l’Etat dans les ministères économiques et financiers (autrement dit, « Bercy ») : https://www.ccomptes.fr/fr/documents/67857.

    Le périmètre : les ministères économiques et financiers (MEF) emploient plus d’un tiers des administrateurs de l’Etat (soit 1 866) et sont concernés par l’extinction d’importants corps de fonctionnaires qui leur sont rattachés.

    Le nouveau corps des administrateurs de l’Etat doit réunir environ 5 500 fonctionnaires en « un corps unique, attractif et véritablement interministériel. »

    Auparavant, seize différents corps de hauts fonctionnaires cohabitaient dans lesdites ministères, quatorze d’entre eux permettent à ceux qui le souhaitent de se maintenir, tandis que deux corps sont simplement supprimés et les agents reclassés dans le nouveau corps.

    Parmi ces corps et pour les MEF, on retrouve les administrateurs des finances publiques (651), de l’inspection générale des finances (184) et du contrôle général économique et financier (87).

    Par ailleurs, le chantier de l’encadrement supérieur technique reste ouvert : les administrateurs (675) et inspecteurs généraux (112) de l’Insee, les ingénieurs des mines (929) et les corps de direction de la DGDDI et de la DGCCRF ne sont pas concernés par la réforme. La Cour ne donne pas les effectifs des deux derniers corps.

    La nouvelle grille indiciaire du corps des AE est fondée sur une attractivité continue, avec un réhaussement moyen de 4,7% de la rémunération brute mensuelle au moment du reclassement des cadres supérieurs du MEF et des perspectives de carrière globalement améliorées.

    Le nombre d’échelons est multiplié, tandis que leur durée est réduite, avec pour effet de réduire légèrement les progressions de rémunérations en milieu de carrière afin de favoriser l’occupation d’un emploi fonctionnel supérieur, permettant d’accélérer le gain d’échelon.

    Comme on peut le constater dans le graphique ci-après de la Cour de comptes, on peut difficilement faire mieux en termes d’attractivité :

    Nouvelle grille indiciaire des administrateurs de l’Etat
    Nouvelle grille indiciaire des administrateurs de l’Etat

    Toutefois, le niveau indemnitaire continuera de jouer un rôle essentiel dans l’attractivité du MINEFI avec un équilibre subtil entre la convergence interministérielle et la valorisation des postes d’encadrement jugés stratégiques.

    A titre de comparaison et pour mémoire, voici les rémunérations moyennes (plus basses et plus hautes) proposées par les ministères avant la création du corps des administrateurs de l’Etat :

    Le mieux pour commencer semble donc être l’Intérieur. Pour terminer votre carrière, choisissez les solidarités…
    Le mieux pour commencer semble donc être l’Intérieur. Pour terminer votre carrière, choisissez les solidarités…

    La Cour évalue le coût, pour les seuls MEF et en septembre 2023, à 4,6 M€.