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Récit d’un auteur, anonyme, ancien professeur ayant réussi le concours interne de l’ex-École nationale d’administration (ENA), désormais Institut national du supérieur public (INSP).
L’auteur explique le déroulement de la scolarité, l’atmosphère, présente son ressenti, ainsi que quelques réflexions sur la formation. Si les constats et jugements ont désormais plus de dix ans, certains éléments demeurent et peuvent susciter l’intérêt du préparationnaire ou du curieux.
Le but de l’école est, pour l’auteur, clairement assumé : « faire endosser le costume ».
Vous voilà parti à droite et à gauche, parachuté dans des milieux les plus divers et en situation de stress et de commandement.
« On ne ressort pas inchangé de deux ans d’une scolarité menée à un rythme trépidant, qui vous envoie dans les lieux les plus divers vous accoutumer aux réalités les plus opposées. »
Le Concours de l’École Nationale d’Administration
L’auteur commence par une petite présentation du concours.
Le Nombre de Places
L’auteur note que depuis les années 80, l’étiage de recrutement est à peu près stable à 80 élèves :
- 40 externes,
- 38 internes et
- 8 troisième concours.
Répartition aujourd’hui largement remise en cause par la diversification des voies d’accès à l’INSP :
- Aux concours « classiques » : Externe, Interne, Troisième Concours ;
- Se sont ajoutés deux nouveaux concours : Externe « Talents » et Externe « Docteurs ».
Par ailleurs, le vivier du concours interne et les affectations étant plus larges, le nombre de places est en augmentation.
Plus largement, sur les concours (interne, externe, troisième concours…), vous pouvez retrouver les articles suivants sur ce blog : le recrutement par concours dans la fonction publique est-il fini ?
Les Épreuves
Les Écrits : l’Admissibilité
Traditionnellement, les écrits de l’ENA (puis de l’INSP) se tenaient en septembre. Ce qui impliquait concrètement le sacrifice des vacances d’estivales pour le candidat1.
Il était attendu pour les candidats externes des dissertations, tandis que les internes devaient rédiger des notes de synthèses à partir de dossier d’une cinquantaine de pages2.
Les matières abordées sont le droit public, l’économie, les questions européennes et les questions sociales.
Les Oraux : l’Admission
Les oraux de l’auteur eurent lieu, comme aujourd’hui, dans les locaux parisiens de l’institution, avenue de l’Observatoire, dans le VIe arrondissement de Paris.
Les épreuves débutaient alors par les oraux techniques, avant de se conclure par le fameux « grand oral ». La difficulté tenant au fait que les cinq épreuves orales s’enchaînaient en une seule semaine.
S’agissant des oraux techniques3, les candidats étaient attendus trente minutes avant l’épreuve pour se retrouver « coincé dans une salle ridicule au milieu d’appariteurs et d’auditeurs libres. » Une fois le sujet en main, le candidat disposait de dix minutes pour préparer son intervention et valoriser les mois de préparation au concours.
La prestation durait vingt minutes, dont dix pour l’exposé du candidat. Ensuite, les questions du jury portaient d’abord sur le sujet, puis s’ouvraient à de nouveaux champs de la discipline.
« La séance peut tourner à l’exécution publique à la première erreur. »
L’oral de « culture générale » (ou « Grand Oral »4) est différent. D’une durée de quarante-cinq minutes, il est évidemment moins rythmé.
L’idée est davantage de sonder la personnalité du candidat, sa motivation réelle et de débusquer les contradictions que peut soulever sa présentation. L’épreuve est redoutée par son coefficient et la faculté du jury d’utiliser tout le spectre de notation afin d’éliminer délibérément un candidat qui ne le satisfait pas.
Le jury est composé de cinq membres à l’épreuve de culture générale, contre seulement deux pour les épreuves techniques. Par ailleurs, l’auteur note que le public est plus nombreux au « grand oral », ce qui rajoute inévitablement au stress du candidat.
Les Trois Modules de Formation de l’École Nationale d’Administration

Une fois à l’école, après la réception de janvier, est présenté le cycle en trois modules :
- Le stage International qui débute en février et se termine par les premières épreuves du cycle en juillet ;
- Le stage Territoires, qui débute en septembre avec une épreuve de classement en avril de l’année suivante ;
- Enfin, le stage Entreprises à compter de mai, jusqu’aux épreuves d’octobre.
Dans son ensemble, chaque module est pris en compte dans la détermination du classement final par la combinaison d’une note de stage et par des notes d’épreuves. Ces derniers vont de la note de synthèse classique à l’épreuve collective de simulation d’une négociation ou de rédaction d’un texte normatif5.
Ce découpage en différents stages, longtemps inchangé, a fait régulièrement l’objet de critiques. En effet, 80 % des énarques rejoignaient ensuite les administrations centrales des ministères, mais ils n’y effectuaient aucun stage lors de leur formation.
Aparté : La Nouvelle Formation à l’INSP
La nouvelle formation à l’INSP prévoit désormais (s’agissant de la voie générale6) une durée globale de stages de onze mois, pour une formation totale de vingt-quatre mois7, avec :
- Un stage en environnement international d’une durée de quatorze semaines ;
- Une mission en administration centrale d’une durée de quatre semaines ;
- Un stage en territoire (généralement une préfecture) d’une durée de dix-neuf semaines ;
- Une mission « au contact du public » (en « guichet » d’une préfecture, d’une direction des finances publiques ou d’une caisse de Sécurité sociale) d’une durée de trois semaines ;
- Une mission « d’ouverture en territoire », après le stage préfectoral, pour « prolonger l’expérience territoriale » au sein d’un service déconcentré de l’État ou d’une collectivité publique, d’une association ou d’une entreprise.
Autre changement majeur, le classement de sortie ayant été supprimé, les évaluations n’ont plus d’impact sur le débouché de la formation, comme en 2013 à la publication de l’ouvrage de l’auteur.
Une Affectation en Stage Largement à la Main de la Direction
Avant le premier départ en stage, l’auteur dépeint une ambiance détendue et sereine, avec une certaine forme de convivialité entre les élèves.
Toutefois, le premier tableau d’affectation des stages est : « l’une des premières vraies épreuves de l’ENA », elle entraine le stagiaire à gérer joies et déconvenues avec le même entrain et la même soumission.
« La direction des stages est toute-puissante et conduit les affectations comme elle l’entend ; les vœux que nous avons faits ne sont qu’indicatifs. »
L’auteur évoque ainsi des situations où les vœux présentés par les élèves sont ouvertement ignorés.
« Assez vite, certains diront que la meilleure manière d’obtenir un stage conforme à ses vœux est encore de ne rien révéler de ceux-ci… »
Le Stage International à la Commission Européenne

Le premier stage de l’auteur est à la Commission européenne. Il y découvre une nouvelle institution, mais également une « paperasserie » abondante.
Professionnellement, le choc culturel est total. Le jargon, la lourdeur des textes et des processus d’élaboration, le décalage entre sa perception de la réalité et la bureaucratie européenne heurtent ce professeur devenu administrateur :
« Les journées passent devant l’écran d’ordinateur. Je fais des notes : je synthétise les textes que d’autres fonctionnaires avant moi se sont plu à délayer. Nous imprimons par ramettes entières des textes de directives, des rapports, des études. »
« La Commission est une formidable usine à produire des textes qui ressemblent à du sirop de sucre et qui se répètent tous les uns les autres. »
Outre cette artificialité bureaucratique, l’auteur découvre son nouveau positionnement de « haut fonctionnaire » français. Ainsi, il rencontre José Manuel Barroso8, qui l’invite à dîner la semaine suivante.
« Je commence à réaliser ce qui m’arrive. Il y a quatre mois, je donnais des cours à des élèves de terminale, dans une ambiance assez ronronnante. (…) Maintenant, j’ai eu l’ENA : les problèmes que je découvrais en lisant Le Monde, je me mets à en parler directement avec ceux qui les traitent. »
Enfin, Bruxelles est un lieu de travail anglophone. Mais, l’auteur y découvre un anglais particulier. Outre le jargon européen, la langue commune n’est quasiment jamais la langue maternelle de ses interlocuteurs :
L’atmosphère est étrange avec un anglais parlé par des dizaines de nationalités. L’impression d’être en Erasmus.
Le Profond Malaise de l’Auteur dans les Arcanes Bruxelloises
La marche était peut-être trop haute pour cet ancien professeur.
La passion d’agir et l’envie de servir se retrouvent empêtrés dans une complexité peu amène pour celui qui se destinait plus probablement à des fonctions d’administrateur civil ou de sous-préfet :
« Le plus ennuyeux, c’est que Bruxelles m’aura offert, durant ce stage, un visage opposé à ce qui avait fondé ma démarche d’entrée à l’ENA. Si je suis entré dans cette école, c’est parce que je crois à l’utilité de l’action publique, parce que je crois à la possibilité de me rendre utile moi-même en aidant à conduire des actions qui soient réellement bénéfiques socialement. Le quartier européen de Bruxelles m’a présenté une image inverse. (…) Le mastodonte bruxellois est un animal monstrueux, dépourvu de raison, qui avance imperturbablement sur une route tracée d’avance. Le divorce démocratique avec les aspirations réelles des peuples est consommé depuis longtemps. N’obéissant qu’à sa propre logique bureaucratique, à son idéologie molle, consensuelle et sans attaches, souvent instrumentalisé dans le jeu peu clair d’États-nations qui n’ont jamais vraiment renoncé à une politique de puissance propre, il s’impose avec une nécessité froide. »
« Vingt ans après la chute du Mur, la Commission a entrepris de ressusciter l’Union soviétique. »
Une Scolarité à l’ENA Critiquée par l’Auteur pour son Conformisme
Les journées à Strasbourg commencent par les cours de langue, suivi des cours magistraux ou grandes conférences, des travaux pratiques et des études de cas.
Un Programme Ambitieux Mais dont la Teneur est Inégale
La liste des thèmes abordés est des plus vastes :
- Économie,
- Négociation,
- Droit constitutionnel,
- Management,
- Légisitique9…
Toutefois, les enseignements sont intégralement dispensés par des intervenants extérieurs. L’École nationale d’administration est une École sans enseignants10…
« Les seuls enseignants plus ou moins permanents sont les professeurs de langues : encore sont-ils payés à l’heure, et révocables du jour au lendemain. (…) La conséquence logique est que l’enseignement est très inégal, du plus technique au plus fumeux. Du conférencier qui sera trop heureux de pouvoir afficher sur son CV qu’il a donné des cours à l’ENA, au préfet en préretraite qui se fait plaisir en venant parler de lui, de l’ancien ministre dont l’École est trop heureuse de pouvoir capter quelques heures, au jeune énarque sorti il y a moins de cinq ans dans les grands corps ou à Bercy. »
« Si bien que chaque stagiaire se présente à l’amphithéâtre avec un ordinateur et un espoir tout entier placé sur le réseau Wifi de l’école. »
Une Absence de Réflexion dans les Enseignements Présentés
Plus dramatique, mais probablement rencontré dans d’autres écoles du service public, l’auteur identifie une autocensure profonde de la direction de l’École dans le traitement des sujets.
L’administration de l’ENA veille à ne présenter aucun sujet politiquement sensible ou sujet à division, donc débats, devant les stagiaires. Rien sur la crise financière, les vicissitudes de la construction européenne ou les ressorts de l’immigration.
« Point besoin d’être pourvu d’un sens hypercritique pour prendre conscience de la vérité souterraine qui traverse cet enseignement : un énarque n’a pas à penser ; il est d’abord un gestionnaire. Les dossiers qu’il nous est demandé d’étudier, les épreuves d’entraînement, laissent ainsi une impression assez nette de formatage. Notre attention est sans cesse rappelée sur la sacro-sainte “commande”. »
Une Critique Plus Aiguë de l’Auteur sur le Conformisme
« L’ENA nous forme moins qu’elle ne nous formate. L’essentiel de nos connaissances, d’ailleurs, était censé être acquis avant notre entrée. Ce que l’École veut, c’est donc moins nous enrichir de nouveaux savoirs que de nous donner la conscience exacte des formes dans lesquelles tout savoir doit s’inscrire ; nous ramener au même moule de savoir-être et de savoir-faire, s’assurer de la standardisation de ce que nous produirons. Les deux ans que nous passons à faire des notes en tous genres n’ont que ce seul but : inscrire en nous, comme un fait acquis, la conscience exacte des limites à ne jamais dépasser, des solutions à ne jamais inventer. »
L’auteur déplore le fait que l’évaluation valorise, non pas l’originalité des solutions ou la créativité des idées, mais la clarté et le caractère direct et opérationnel des solutions proposées.
Il est attendu des candidats d’épouser strictement le point de vue du ministère qu’il représente et de négliger les éléments, éventuellement pertinents, qui contrediraient la « commande ». En conséquence, les élèves identifient des trames et des mots-clés (externalités, défaillances de marché, signal-prix, élasticité, distorsion…) à même de venir justifier n’importe quel raisonnement.
Tout amène à un conformisme de bon aloi. Dans la promotion, chacun sent cette absence de réflexion personnelle, cette docilité dans la justification et la traduction opérationnelle :
« Les résultats (sont) édifiants : la fidélité absolue aux instructions données aboutit à une homogénéité surprenante des copies. De façon stupéfiante, les élèves les plus différents de caractère, aux opinions politiques les plus diverses, se retrouvent à rédiger des copies qui semblent se cloner les unes les autres : mêmes plans, mêmes analyses, mêmes conclusions. »
Le conformisme s’exprime jusque dans la tenue où, en stage, le « maitre de stage11 » est ainsi amené à se prononcer sur la « présentation » du stagiaire.
Je suis ici partagé. Certes, la réflexion, y compris critique, et une certaine indépendance intellectuelle sont importantes pour le fonctionnaire (ce recul est d’ailleurs valorisé à l’oral de culture général précédemment évoqué). Toutefois, il ne revient pas au fonctionnaire de discuter du bien fondé de la « commande » d’un supérieur, à plus forte raison, s’il s’agit d’un élu. Ce « conformisme » est aussi la réponse au principe d’obéissance hiérarchique.
L’article L. 121-10 du code général de la fonction publique12 est d’ailleurs suffisamment explicite en la matière :
« L’agent public doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. »
Une Évaluation Continue Valorisant la « Docilité » des Candidats Selon l’Auteur
« C’est comme un jeu dont le meilleur serait celui qui respecte le mieux les règles : ce que l’École attend de nous, il faut le faire sans état d’âme. »
L’auteur partage alors quelques bons conseils mâtinés d’ironie, notamment sur la pratique de la « lettre d’installation » adressée à la direction des études et des stages de l’ENA peu après le démarrage du stage :
« On insistera évidemment — mais faut-il le rappeler ? — sur l’enthousiasme et l’appétit avec lesquels on s’est jeté sur ces missions, l’idée étant que le lecteur doit être convaincu que notre stage est parti sur un rythme trépidant et sera rempli de tâches plus formatrices les unes que les autres. La lettre se clôt sur de nouvelles salutations respectueuses et doit laisser un sentiment d’impatience et de réelle envie de se voir confier encore plus de travail. »
Le Stage « Territoires » en Préfecture
« Le stage Préfecture est un hommage d’une institution prestigieuse, mais jeune, l’ENA, à une veille dame qui représente la tradition plus que séculaire de l’administration française. »

Parmi tous ces stages et évaluations, le stage « territoires » est le plus important :
- Il s’agit d’un stage long (cinq mois « complets »13, avec en général la permanence à assurer pendant les fêtes de fin d’année) ;
- Il s’agit du plus gros coefficient ;
- Il s’agit du seul vrai stage « administratif » et en lien avec les futures fonctions de l’énarque14 ;
- Enfin, et surtout, il s’agit d’un stage en contact permanent avec le préfet. Occasion unique d’apprendre pour le stagiaire et de tester les potentialités d’une potentielle future recrue pour le préfet15.
« Des journées qui commencent à 7 heures pour finir à 22, après la traditionnelle réunion du soir entre le préfet, le secrétaire général et le directeur de cabinet. »
Les préfets ont au moins une chose en commun : leur personnalité forte16 et leur capacité de travail immense.
Le stage territorial est aussi connu pour proposer la plus grande diversité de sujets : le préfet devant, en permanence, passer du sujet le plus grave au plus mineur, d’une réunion ministérielle à un échange avec un élu municipal, de la délinquance à l’urbanisme.
Le Stage en Entreprise

Troisième et ultime stage, l’Entreprise, où le stagiaire est censé produire :
« Un effort de réflexion sur la possibilité d’appliquer à l’administration publique les modes de gestion et de management observés sur les lieux de stage. »
« La stratégie consistant à envoyer toute une promotion de l’ENA, six mois avant sa sortie, dans ces lieux où l’argent semble couler à flots échappe à beaucoup d’entre nous. »
Pour l’auteur, le stage en entreprise constitue un vrai choc de culture, semble-t-il largement partagé par ses condisciples.
L’enjeu est de paraître pressé, occupé et heureux. Tout est d’abord dans la communication, à destination des middle managers, du top management, du consumer…
« À l’opposé de l’administration, qui peut donner l’image de l’immobilisme ou de l’inertie, l’entreprise est comme un chien fou qui fonce sans trop savoir où il va, ne suivant que son flair, l’attirant vers les meilleures sources supposées de profit. »
L’auteur est ainsi étonné par la valeur purement indicative des organigrammes, le degré d’initiative laissé aux salariés, la concurrence au sein même des équipes. L’entreprise paraît en tous points contraire à l’administration, que l’auteur qualifie de « jardin à la française ».
Enfin, l’auteur retient de son stage en entreprise une certaine forme de violence et de cynisme dans les rapports interpersonnels. En témoigne les propos du manager de l’entreprise d’affectation de l’auteur :
« Si on veut que les gens se bougent, il suffit de leur fixer des objectifs impossibles. »
Les Dernières Épreuves et le Bilan de la Scolarité

Une fois le stage terminé, la fatigue s’installe, d’autant que la durée complète de la formation (deux ans), souvent précédée d’une année de préparation, se révèle de plus en plus pesante.
« Cela fait un an et demi que l’École nous promène à droite et à gauche, que nos semaines sont ponctuées de conférences de méthode et de simulations de réunions, de rencontres en tout genre et de voyages en train ; nous approchons du dixième déménagement-réenmménagement dans un nouveau lieu : nous en sommes arrivés à un point où même l’effet de surprise n’agit plus ; la lassitude est générale. »
L’auteur en profite pour réaliser un bilan, aussi lucide que froid, sur ce que l’École appelle avec un euphémisme : « l’implication ». Autrement dit, un dévouement total, voire un « sacrifice »17.
Chacun doit mettre en parenthèse sa vie privée et familiale, peu importe les contraintes ou les événements personnels :
« Des camarades devenus pères en cours de scolarité me confieront l’absence complète de compréhension de l’École quant à de possibles absences autour de la date d’accouchement. En stage, poser un jour de congé est très mal vu. »
« Les tensions nées du rythme imposé sont réelles, même si elles sont délibérément ignorées de l’École. Des camarades voient leur couple exploser. D’autres doivent gérer les perturbations que leurs absences prolongées induisent désormais chez leurs enfants. Pour ces chargés de famille, les week-ends finissent par devenir aussi épuisants que le travail de la semaine. »
L’auteur s’interroge alors franchement sur le décalage entre les exigences de l’École et les perspectives en sortie d’école qui : « frisent parfois l’absurde ».
La Question du Classement de Sortie et d’une Forme de Discrimination Institutionnelle à l’Égard des Internes
Les élèves de la promotion Rousseau de plus de 33 ans représentent près de la moitié des élèves, mais moins du quart des meilleures notes. Et, le préjudice lié à l’ancienneté s’accroît : les élèves de 36 ans et plus représentent le quart de l’effectif et la moitié des notes les plus basses.
Pour autant, pour l’auteur, la suppression du classement de sortie est « une fausse bonne idée ». Paradoxalement, le classement homogénéise la promotion et permet d’éviter les discriminations.
« Supprimer le classement, c’est supprimer l’égalité a priori qui existe entre tous les élèves d’une promotion : chacun redevient non plus seulement un élève de l’ENA, mais d’abord un ancien de Sciences Po, un littéraire ou un juriste, un ingénieur, un ancien d’une école de commerce…18 »
En Conclusion : Faut-il Passer le Concours de l’ENA ?
Pour l’auteur, si on considère froidement les postes à la sortie de l’école, en général un poste d’adjoint à chef de bureau en administration centrale, la réponse est clairement : non.
« On peut même pousser plus loin en ajoutant qu’au vu des niveaux de responsabilité ou de rémunération offerts dans beaucoup de cas, engager deux ans de sa vie dans une scolarité aussi exigeante que celle de l’ENA est presque contre-productif. »
Toutefois, l’auteur considère une autre option, plus résignée, consistant à suivre la scolarité « en bon père de famille », sans se préoccuper du classement. Travailler ces deux années, même doucement, garantit de réelles possibilités de carrière, sans les « trajectoires de fusée d’un capitaine d’industrie ».
Le problème est que la majorité des élèves veulent et tentent d’obtenir les meilleures places du classement.
« Aimantés vers ce pôle d’attraction que constituent le Conseil d’État, la Cour des comptes ou l’IGF, une majorité d’élèves sont prêts à sacrifier deux ans de vie personnelle pour décrocher le Graal. À la clef, trop de désillusions. »
Pour autant, et en dépit des déconvenues de certains élèves, l’auteur note que ces hiérarchies sont inhérentes au fonctionnement administratif selon l’auteur :
« L’administration est une chaîne de commandement et une organisation que se pense de façon verticale, en pyramide ; l’horizontalité, le fonctionnement en réseau, lui sont contre-nature, puisqu’elles supposent une prise d’autonomie qui est contraire à son souci du contrôle et de l’égalité de traitement des administrés. »
Compte tenu du nouveau mode d’appariement en fin de scolarité, reposant sur des entretiens avec les futurs recruteurs, il serait très utile que de nouveaux témoignages et études renouvèlent les points de vue sur cette scolarité.
- À compter de l’édition 2026, les épreuves devraient (enfin !) se dérouler au cours du premier semestre, pour une rentrée en formation en septembre. ↩
- Pour connaître les épreuves du concours de l’INSP, vous devez vous référer à l’arrêté modifié du 21 mars 2023 fixant les modalités d’organisation, la nature, la durée, les coefficients et le programme des épreuves des concours d’entrée à l’Institut national du service public. On remarquera le caractère plus « professionnel » des épreuves avec la nécessité, pour les externes comme les internes, de rédiger des notes « opérationnelles ». ↩
- Le nouveau concours interne de l’INSP ne comporte simplement plus d’épreuves académiques. Outre l’entretien de motivation (qui remplace le « grand oral »), seuls subsistent une épreuve d’anglais, qui peut-être éliminatoire et une épreuve de mise en situation collective avec un coefficient important. Cette dernière épreuve vise à identifier les compétences relationnelles des candidats et leurs capacités de coopération. ↩
- Il n’existe plus d’oral de « culture générale » ou de « grand oral », mais un « entretien » destiné à apprécier les qualités et aptitudes du candidat, son savoir-être et sa motivation. ↩
- La sacro-sainte légistique. ↩
- La « voie générale » est la voie administrative « classique », tandis que la « voie d’orient » vise à former les futurs diplomates. ↩
- Les durées de formation de 24 mois semblent désormais la norme pour les formations de cadres supérieurs : administrateur territorial, directeur d’hôpital, directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social… ↩
- Alors président de la Commission européenne. ↩
- La légistique est l’art du… légiste. Cet enseignement consiste, selon le Guide de légistique, a : « présenter l’ensemble des règles, principes et méthodes qui doivent être observés dans la préparation des textes normatifs : lois, ordonnances, décrets, arrêtés… » ↩
- C’est le cas de l’ensemble des écoles professionnelles de la fonction publique. Ce caractère se retrouve également dans certaines professions règlementées comme pour les avocats (avec les mêmes critiques sur l’inégalité des enseignements). ↩
- Le haut-fonctionnaire (diplomate ou préfet) ou chef d’entreprise qui accueille le stagiaire. ↩
- Ancien article 28 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. ↩
- « Un ou deux jours de congés, voire pas du tout, des astreintes de weekends à répétition. (…) Nous en sortirons rincés. » ↩
- Les énarques sont plus souvent affectés en administration préfectorale qu’en ambassade. ↩
- Les énarques sont plutôt rares en administration territoriale, cantonnés jusqu’il y a peu aux postes de sous-préfets, directeurs de cabinet d’un préfet ou secrétaire général de préfecture et quasiment absents des postes en directions départementales ou en opérateurs. ↩
- « Parce qu’ils sont soumis à une forte pression et assument de lourdes responsabilités, les préfets ont des personnalités fortes. » ↩
- Est évoqué également le coût prohibitif des différents déménagements et coûts de logement au regard de la faiblesse du traitement en formation. Ce point est normalement corrigé désormais, en particulier pour les internes. ↩
- L’argument est réversible au regard de la très forte endogamie des élèves issus du concours externe et quasiment tous passés par Sciences Po Paris. ↩















































































