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  • « Fonctionnaire moyen », par Bernard Letondu (2009)

    « Fonctionnaire moyen », par Bernard Letondu (2009)

    Temps de lecture : 11 minutes.

    Le premier livre (à ma connaissance) d’un attaché d’administration sur les attachés d’administration.

    Ce petit livre, assez peu connu, tient son intérêt dans la représentation du vécu d’un attaché d’administration dans les 1970 à 1980. L’auteur étant affecté à la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), rue Oudinot1.

    Si l’auteur décrit assez peu son travail, il s’attarde longuement sur l’injustice de sa situation : être attaché d’administration de l’État, faute d’avoir réussi le concours d’entrée à l’École nationale d’administration (ENA). Sa verve sur ce concours et cette école (et sur ses collègues et supérieurs, qu’il méprise) n’en est que plus grande. Un personnage se dessine : proche de celui de l’Araigne de Michel Troyat, les sœurs en moins.

    Bien que dispensable, cet ouvrage éclaire l’une des singularités des attachés d’administration, et plus particulièrement ceux d’administration centrale :

    L’attaché d’administration centrale est celui qui partage son espace de travail avec des individus particuliers : les énarques.

    Un Échec Fondateur au Concours de l’ENA

    Source : Pexels, Antoine Conotte
    Source : Pexels, Antoine Conotte

    Après quelques éléments biographiques, l’auteur en arrive au bouleversement fondamental de son existence professionnelle : son échec à l’École nationale d’administration (ENA).

    De cet échec, il en tire quelques jugements lapidaires :

    « Dans l’administration (…) tout parait joué d’avance. »

    Plusieurs récriminations s’ensuivent, alimentées par un sentiment d’injustice, induisant une forme de frustration agressive :

    « Il aurait été impensable de tutoyer les énarques, bien qu’ils aient le même âge que moi. J’avais un peu l’impression que doivent avoir les salariés d’une petite entreprise familiale, dans le secteur privé. Ceux qui ne font pas partie de la famille des dirigeants, quelles que soient leurs compétences et leurs qualifications, seront toujours bloqués dans leur carrière, et cantonnés dans les tâches subalternes. »

    Une Critique du Système de Concours et de Carrière

    Élément assez étonnant pour un fonctionnaire, qui plus est affecté à la Direction générale de la fonction publique (DGAFP), l’auteur se fait particulièrement critique sur le système de carrière, qu’il juge déconnecté des besoins de l’administration.

    « Dans l’administration comme dans l’armée, on ne cherche pas du tout à utiliser la formation qu’ont pu acquérir les agents avant leur recrutement. Seuls comptent le statut et le grade. »

    « On commence par vous recruter et après, on réfléchit à ce qu’on va faire de vous. »

    Puis, plus loin, dans une remarque, une fois encore, tout en sous-entendus et inspirée par un rejet du système de carrière2 :

    « Lorsqu’on a été conditionné par des années d’études, on a tendance à croire qu’il faut s’adapter au profil du poste offert, alors que ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui savent adapter le poste à leur propre profil. »

    Toutefois, le propos est tellement teinté de ressentiment qu’on peine à y discerner une structuration correctement argumentée3. L’auteur semble plutôt chercher, par l’ironie et le dédain, à marquer sa supériorité vis-à-vis du système.

    La Description de l’Administration « Par le Petit Trou de la Serrure »

    Une Révélation des Hiérarchies Ministérielles

    Arrivé dans une direction dépendant alors du Premier ministre (la DGAFP), pourtant jugée prestigieuse, l’auteur se voit reproché son affectation.

    Parmi ces nouveaux collègues, quelques-uns lui conseillent ainsi de partir au plus vite pour choisir la direction générale de l’aviation civile ou la Caisse des dépôts et des consignations, deux administrations qui, encore aujourd’hui, sont réputées pour leurs rémunérations généreuses.

    « Le fonctionnaire n’est jamais satisfait d’être là où il est. Il est toujours persuadé que sa situation serait plus enviable ailleurs. »

    Source : Pexels, Ann H
    Source : Pexels, Ann H

    Des Hiérarchies Toujours Marquées

    Encore aujourd’hui, et particulièrement pour les affectations interministérielles (administrateurs de l’État et attachés d’administration de l’État), cette hiérarchie demeure :

    • Les ministères économiques et financiers qui comptent plusieurs directions particulièrement prestigieuses :
      • la direction générale du Trésor,
      • la direction du Budget,
      • la direction des affaires juridiques et désormais4
      • la direction générale de l’administration et de la fonction publique ;
    • Le ministère de l’Intérieur, parce qu’il permet d’accéder à des fonctions préfectorales (très recherchées par certains fonctionnaires) et qu’il compte également des directions emblématiques :
      • la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, évidemment…
      • la direction générale des collectivités locales,
      • les directions « sécurité » :
        • la direction généralise de la sécurité intérieure,
        • les directions générales de la gendarmerie nationale et de la police nationale,
        • la direction générale de la sécurité civile et des crises ;
    • Le ministère des Affaires étrangères, sans qu’il soit besoin d’expliquer longtemps d’où vient cette passion chez certains candidats…
      • la direction générale de la mondialisation,
      • la direction générale des affaires politiques et de sécurité ;
    • Enfin, la Caisse des dépôts et des consignations : pour ses rémunérations, son organisation proche du secteur privé et son réseau territorial, particulièrement recherché (Angers, Bordeaux…) ;
    • La direction générale de l’aviation civile : pour ses rémunérations, par passion pour les politiques publiques poursuivies.

    Des Hiérarchies au Sein des Directions

    L’auteur évoque sur de nombreuses lignes l’un des instruments de clivage les plus évidents et marqués : le mobilier de bureau.

    Si les meubles en bois massifs ont aujourd’hui quasiment disparu des administrations, certains constats demeurent : sur la taille des bureaux (la pièce, comme le meuble lui-même), l’octroi de table de travail et de chaises.

    Le mobilier administratif est généralement uniforme, le besoin de distinction n’en est donc que plus important et il est très codifié suivant le niveau de responsabilité.

    « Les fonctionnaires civils se différencient les uns des autres, non par des galons, comme les militaires, mais par l’ameublement de leur bureau. »

    La Création de l’ENA est Indissociable du Statut de la Fonction Publique

    La Conjugaison du Gaullisme et du Communisme

    Le premier statut général, de 19465, comme le second, celui de 1981, furent conçus par des ministres communistes : Michel Thorez, pour le premier ; Anicet le Pors, pour le second.

    L’autre grand pilier du statut a été initié par Michel Debré dans une « étrange collusion »6 avec les communistes : il s’agit de la création de l’ENA7.

    L’auteur précise les objectifs assignés à la création de cette école :

    • Centraliser les recrutements pour éviter le favoritisme et la cooptation des différents concours organisés jusque-là et
    • Proposer une formation commune à même de favoriser l’interministerialité8.

    La création de cette école va de pair avec une promotion de la mobilité sociale :

    • Un concours externe (classique), pour les étudiants ;
    • Un concours interne, pour les fonctionnaires motivés et méritants, qui constitue la novation du dispositif.

    Une Touche de Christianisme

    L’auteur rajoute une dernière interprétation dans l’analyse des racines culturelles et politique du statut de la fonction publique : le christianisme.

    Chacun jugera.

    « Beaucoup de ceux qui veulent entrer dans l’Administration auraient peut-être cherché à embrasser une carrière ecclésiastique sous l’Ancien régime. Pas seulement par opportunisme et désir de bénéficier d’une rente de situation, mais aussi par désir de se dévouer au bien public et par goût d’un environnement hiérarchisé, aux règles strictes. »

    « Les fondements du statut général des fonctionnaires se situent donc au confluent de trois traditions : la tradition catholique, la tradition bonapartiste, dans laquelle s’inscrit Michel Debré, fondateur de l’ENA et dirigeant du parti gaulliste, et la tradition stalinienne, qui est celle de Maurice Thorez. Il faut rappeler aussi que Staline était un ancien séminariste… »

    Une Promotion Interne en « Trompe-l’Œil »

    Cette mobilité professionnelle des internes s’est révélée rapidement biaisée selon l’auteur9, principalement de deux façons :

    • Elle a été utilisée par les fonctionnaires les plus diplômés, en guise de rattrapage du concours raté et
    • Elle n’a pas permis aux (faux ?) internes de se distinguer au classement de l’ENA dans l’attribution des places ouvertes au titre des « grands corps ». Autrement dit, le caractère « professionnel » de l’École manque sa cible.

    Un Système Qui S’Apparente à une Rente Pour l’Auteur

    L’élitisme républicain connaît aujourd’hui de nombreuses critiques, françaises10 ou américaines11.

    Si, mécaniquement, chaque société organisée tend à créer et à se structurer autour d’un centre de commandement. La problématique de l’élitisme est de séparer et de hiérarchiser les individus, souvent très tôt dans leur vie. Ce faisant, ces sociétés présentent généralement un modèle rigide et laissent peu de place à l’appréciation de la valeur professionnelle en situation réelle, dans la vie des individus.

    Les sociétés élitistes sont donc inégalitaires et cloisonnées. Afin de justifier ces inégalités, plusieurs modèles existent, dont le modèle dit « méritocratique »12 qui vise à sélectionner « les meilleurs » par des épreuves censées être incontestables.

    « Le système de castes qui existe en France est peut-être encore plus pernicieux que celui qui existe en Inde, parce qu’il est invisible. (…) L’idée géniale, c’est d’avoir justifié des privilèges exorbitants non plus par la naissance, ce qui serait bien sûr injuste, mais par le mérite, en instaurant un concours réellement difficile, et en faisant croire qu’il était ouvert à tous. »

    En effet, cette justification (du concours méritocratique) appelle elle-même deux critiques :

    • D’abord, elle est réservée à un trop faible nombre de personnes, ce qui nuit à la concurrence au sein même de cette élite ;
    • Ensuite, elle est définitive. La réussite au concours de l’ENA garanti l’accès aux plus hautes fonctions de l’État de manière quasiment définitive13.

    « La société française distille ses élites au compte-gouttes, et ce qui fait toute la valeur des membres des grands corps, c’est leur rareté. Ce n’est d’ailleurs pas si absurde pour ceux qui bénéficient ainsi d’une rente de situation à vie, précisément grâce à cette rareté. Ils n’ont donc aucun intérêt à accepter une remise en cause de leurs privilèges. »

    « Le statut des hauts fonctionnaires français rappelle celui des « Forts des Halles14 » : autrefois, ceux qui parvenaient à soulever un poids très lourd obtenaient le titre envié de « fort des halles », moyennant quoi ils étaient définitivement dispensé de soulever quoi que ce soit, et pouvaient le faire soulever par d’autres. »

    Un Élitisme qu’il Considère Fermé, Endogame

    « L’un des inconvénients de ce prestige hypertrophié d’un très petit nombre de grandes écoles, c’est la dévalorisation des formations universitaires. »

    En dehors de l’École nationale supérieure citée ci-après, les énarques proviennent essentiellement de Sciences Po Paris. La diversité des parcours, des savoirs, des profils… semble secondaire15.

    Par ailleurs, l’université française n’est pas exempte de critique pour l’auteur :

    « L’université française fonctionne pour la plus grande gloire des professeurs, et se désintéresse complètement des étudiants. »

    Une Critique Appuyée Contre les « Normaliens »

    L’auteur appuie plus fortement encore ses critiques sur les anciens élèves de l’École normale supérieure (ENS).

    « L’anomalie la plus flagrante est le cas des normaliens : (…) Après deux ou trois ans de préparation, ils passent le concours de l’École normale supérieure, et ils sont payés pendant trois ans pour préparer l’agrégation des lycées. Leur salaire est celui d’un fonctionnaire de catégorie B (puisqu’ils ont le bac) (…). Certains se détournent de l’enseignement, et préfèrent passer, juste après l’agrégation, le concours étudiant de l’ENA. Leur grande culture générale, mais aussi le fait d’avoir déjà réussi deux concours prestigieux les fait bénéficier d’un préjugé favorable auprès des membres du jury, qui n’ont souvent pas un jugement très personnel. Il est déjà discutable que le contribuable ait payé la formation de futurs enseignants qui n’enseigneront jamais, et qu’il doive ensuite payer leur scolarité à l’ENA. »

    « Contrairement à la classe dirigeante des pays anglo-saxons, qui doit faire de gros sacrifices pour financer les études de ses enfants, la classe dirigeante française les fait donc financer par le contribuable. »

    La Création des Attachés d’Administration Comme Corps de Relégation

    Une Création du Corps des Attachés en 1955, Pour Seconder les Administrateurs Civils

    Le corps des attachés d’administration centrale est créé en 1955, dix ans après la création de l’ENA. Pour l’auteur, ce corps est d’abord créé pour rehausser l’image et les perspectives professionnelles des énarques.

    Ici encore, l’attaché d’administration, comme l’auteur, ne semblent exister qu’en contrepoint du haut-fonctionnaire, énarque :

     « Le corps des attachés d’administration centrale est créé (…) pour décharger les administrateurs civils de leurs tâches les plus ingrates. Ils seront désormais secondés par un corps de sous-fifres aux perspectives de carrière pratiquement inexistantes, qui doivent pourtant comme eux être titulaires d’un diplôme d’enseignement supérieur pour pouvoir passer le concours de recrutement. »

    « Ils appartiennent donc à la catégorie A, mais les énarques ne les considèrent pas comme des fonctionnaires de catégorie A à part entière, et emploient à leur sujet le terme dévalorisant de catégorie « A’ », bien que ce terme n’ait pas de valeur juridique. Une autre façon de présenter les choses consiste à dire que les attachés font bien partie de la catégorie A, mais alors les administrateurs civils deviennent des « A+ ». »

    Des Perspectives Professionnelles Jugées Trop Maigres

    Source : Pexels, Justin Nealey
    Source : Pexels, Justin Nealey

    Le ressentiment à l’égard du corps d’attaché d’administration est particulièrement prononcé chez l’auteur et n’est pas, à ma connaissance, observable dans d’autres corps de catégorie A équivalents.

    À titre d’exemple, nous avons pu constater dans un précédent article que les inspecteurs de la concurrence et de la répression des fraudes étaient très fidèles à leur corps et leurs métiers.

    La spécificité du travail des attachés en administration centrale, en proximité directeur avec les administrateurs, explique probablement ces difficultés.

    « Au niveau des catégories intermédiaires et subalternes (…) la frustration est la règle : frustration des administrateurs civils qui n’ont pu accéder aux grands corps, frustration encore plus grande des attachés d’administration centrale dont le sort est intimement lié à celui des administrateurs civils, puisqu’ils ont statutairement l’honneur d’être leurs “collaborateurs directs” (…), mais qui en sont cependant séparés par une ligne de démarcation infranchissable pour la plupart d’entre eux. »

    « En effet, les attachés peuvent théoriquement espérer (…) accéder au corps des administrateurs civils, mais la probabilité d’y parvenir est très faible et, de toute façon, rares sont ceux qui y arrivent avant quarante ans. Ils ont donc, même dans la meilleure hypothèse, quinze ans de retard sur les administrateurs civils issus de l’ENA, et ce retard ne se rattrape jamais. »

    Pour plus d’informations sur l’accès des attachés d’administration au corps des administrateurs, vous pouvez vous référer à cet article sur le tour extérieur des administrateurs de l’État.

    « Les fonctionnaires de catégorie B sont à la limite moins à plaindre que les attachés, puisqu’ils sont recrutés au niveau du bac et qu’ils n’ont donc pas eu la peine de préparer un diplôme d’études supérieures. Par la voie du concours interne, beaucoup arrivent à accéder au corps des attachés, mais leur promotion va rarement au-delà. On est donc dans un système assez scolaire, où les fonctionnaires, au lieu de s’impliquer dans leur travail, passent leur temps à préparer des concours pour essayer d’y échapper. Les cas de hauts fonctionnaires qui ont débuté tout en bas de l’échelle sont quand même assez rares. Pour y parvenir, il faut beaucoup de persévérance, car plus on avance en âge, plus il devient difficile de se replonger dans des études sans sacrifier sa vie personnelle. »

    1. Dans les locaux de l’actuelle direction générale des outre-mer (DGOM)
    2. Comme énoncé dans un précédent article (Le recrutement par concours dans la fonction publique est-il fini ?), le concours implique assez largement une forme corporatiste : une autonomie collective et technique. Ce qui peut favoriser certains profils que l’économiste libéral qualifierait de free rider ou passager clandestin. Il ne me semble toutefois pas que ces profils soient les plus nombreux.
    3. L’auteur est affecté au cœur du système statutaire, dans l’une des directions les plus prestigieuses de la République et il n’en tire… rien. Pas ou peu de textes, aucune interprétation ou argumentation juridique. Dommage.
    4. La direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) est désormais rattachée en gestion au secrétariat généraux des ministères économiques et financiers.
    5. Le statut de Vichy de 1941 étant évidemment mis à part.
    6. L’expression est de l’auteur.
    7. L’ordonnance n° 45-2283 du 9 octobre 1945 crée l’ENA et la DGAFP.
    8. En soulignant qu’il n’existait pas, évidemment, la formation des instituts régionaux d’administration (IRA) – elle-même interministérielle. L’auteur, et c’est dommage, ne parle pas de la création des IRA et de l’institutionnalisation progressive du corps des attachés d’administration de l’État.
    9. Mais ce constat n’est en rien original.
    10. Que l’on pense à Michel Crozier par exemple, ou à Pierre Bourdieu (mais sa pensée a vieilli, il me semble).
    11. Pour ne citer qu’un seul ouvrage récent : The Tyranny of Merit de Michael Sandel.
    12. La méritocratie comporte, paradoxalement, une part égalitaire en posant l’idée qu’un même savoir délivré à l’ensemble des enfants permet de distinguer « les meilleurs » des « moins bons » de manière juste. Les progrès des sciences sociales démontrent aujourd’hui le caractère léger du principe – sans pour autant enlever aux lauréats des concours leurs compétences, notamment intellectuelles, et aussi leur « mérite »… Contrairement à l’auteur, je ne crois pas au blanc et noir en la matière.
    13. Voir la partie relative aux sanctions disciplinaires, à partir des constats de Marcel Pochard dans l’intervention de Jean-Marc Sauvé devant les élèves de l’École nationale d’administration : https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/discours-et-contributions/quelle-deontologie-pour-les-hauts-fonctionnaires
    14. https://fr.wikipedia.org/wiki/Forts_des_Halles
    15. On pourrait ici tempérer le propos de l’auteur en faisant état des prépas talents, du concours pour les docteurs.
  • Le Recrutement par Concours dans la Fonction Publique est-il Fini ?

    Le Recrutement par Concours dans la Fonction Publique est-il Fini ?

    Temps de lecture : 9 minutes.

    La Cour des comptes a publié début juin 2025 un rapport sur l’attractivité de la fonction publique d’État auprès des jeunes.

    On y apprend notamment que sur les 250 000 recrutements réalisés en 2022, seuls 20 % concernaient des fonctionnaires, sélectionnés par concours.

    Le Recrutement par Concours est Indissociable de la Fonction Publique de Carrière

    La France est, malgré le développement important du contractualisme, régulièrement citée comme le système de carrière par excellence.

    Les Caractéristiques du Système de Carrière

    Le système de carrière se définit comme :

    • Un recrutement par concours (article L. 320-1 du Code général de la fonction publique)1 ;
    • L’intégration dans un corps ;
    • La réalisation de toute sa carrière dans ce corps par le passage d’échelons et de grades.

    Les avantages :

    • Sélection initiale des meilleurs candidats ;
    • Profil généraliste ;
    • Évolution différenciée en fonction de la manière de servir ;
    • Facilité de gestion et relations hiérarchiques aisées ;
    • Esprit de corps, sentiment d’appartenance… permettant de développer la cohésion, l’expérience collective et une forme de détachement technique du pouvoir politique.

    Les Caractéristiques du Système d’Emploi

    Le système de l’emploi se définit comme le recrutement d’un agent en vue d’occuper un poste déterminé.

    La notion de vocation, ou d’attachement à un principe supérieur et collectif, n’est pas formalisée2.

    Les avantages ;

    • Plus grande fluidité et mobilité, y compris dans les allers-retours privés publics ;
    • Plus grande ouverture, le recrutement direct évite les phénomènes de « caste », le corporatisme précité ;
    • Plus grande spécialisation des agents.

    Ce système est explicitement privilégié depuis plusieurs années, y compris en France. Comme le révèle la Cour des comptes dans ses observations de juin 2025 :

    Plus de 70 % des recrutements dans la fonction publique sont désormais réalisés par la voie contractuelle.

    Toutefois, le recrutement sur un emploi engendre aussi des difficultés :

    • Ce système est généralement plus coûteux, en rémunérations comme en coûts de gestion ;
    • Il accentue le phénomène d’hyperspécialisation des administrations et une forme de « silotage » au sein et entre les ministères ;
    • Il implique une augmentation du turn-over, une fragilisation des compétences et du rôle de l’administration face au pouvoir politique.

    L’Histoire du Recrutement par Concours « à la Française »

    Le concours n’est pas une création révolutionnaire, il peinera d’ailleurs à s’imposer au cours du XIXe siècle3.

    Il s’agit d’un principe plus ancien qui est souvent associé à des écoles spécialisées et symbolise l’essor de la centralisation monarchique de la fin du XVIIIe siècle :

    • En 1747, est ainsi créé l’École des Ponts et Chaussées ;
    • En 1749, l’École du Génie de Mézières4 ;
    • en 1751, l’École royale militaire de Paris ;
    • En 1765, l’École des ingénieur-constructeurs des ingénieur-constructeurs des vaisseaux royaux5 ;
    • En 1783, l’École des mines.

    Ces recrutements dans des écoles d’ingénieurs visent à sélectionner des profils de compétences techniques spécifiques indispensables à l’administration moderne.

    Ils préfigurent l’abolition des privilèges (vénalité et hérédité des offices publics) portés par les révolutionnaires de 1789, dans une monarchie qui peine à trouver son équilibre entre les officiers héréditaires et les agents commissionnés, à la main du Roi.

    Le Second Empire poursuivra cette utilisation du concours, notamment dans les écoles techniques précitées.

    Mais, c’est véritablement par l’affermissement de la IIIe République que se généralise le recrutement par concours :

    • Chaque administration édicte ses règles d’accès par décret ;
    • Le Parlement fixe par la loi le nombre d’emplois d’encadrement.

    Les Spécificités du Recrutement par Concours

    Les Différences entre le Recrutement par Concours et par Examen

    L’examen professionnel est réservé aux agents publics et vise à vérifier une aptitude, permettant l’accès à une fonction supérieure.

    Le concours permet d’accéder à un corps ou un cadre d’emploi (fonction publique territoriale).

    Le nombre de postes ouverts est limité dans un concours, il ne l’est pas dans un examen.

    Un Recrutement par un Jury

    Le recrutement par concours présente pour première singularité d’être effectué par des non-professionnels, autrement dit des fonctionnaires en poste, futurs collègues ou supérieurs de l’agent.

    Tandis que dans les fonctions publiques d’emploi, le recrutement est plus souvent réalisé par des agents des ressources humaines6.

    Ce jury présente d’autres singularités :

    • Il est indépendant du recruteur (ministère ou autorité interministérielle7), auprès de qui il ne reçoit aucune instruction ;
      • En conséquence, le recrutement ne se fait pas sur des emplois déterminés, mais au regard des compétences pour exercer les fonctions dévolues au corps ou cadre d’emploi ;
      • Par ailleurs, le jury est libre de ne pas pourvoir l’intégralité des postes ouverts par l’administration s’il juge que les candidats ne répondent pas aux critères ;
    • Il est collégial : les décisions sont prises collectivement, sans hiérarchie entre les membres8 ;
    • Il est souverain, la décision du jury ne peut pas, en principe, être contestée devant le juge par le candidat évincé, comme par l’administration9. Toutefois, le jury n’est pas omnipotent :
      • Ainsi, il ne peut pas s’écarter des règles applicables au concours ;
      • Par ailleurs, il doit toujours être impartial, y compris en apparence10.

    Le président du jury est garant de l’impartialité et du respect de la procédure de recrutement.

    Un Recrutement Normé

    L’opération de concours est normée, avec le plus souvent des épreuves d’admissibilités, écrites ; puis des épreuves d’admissions, orales, dont le programme est fixé par arrêté.

    Toutefois, pour certains concours, des épreuves de présélection peuvent être organisées. À l’inverse, d’autres concours achèvent la sélection par des épreuves sportives et psychologiques.

    Cette procédure est aussi manifeste dans le calendrier du concours, ce qui implique une certaine forme de rigidité, souvent relevée par les employeurs.

    Pour disposer d’informations sur le calendrier, le programme, les épreuves… consulter le site : https://www.fonction-publique.gouv.fr/devenir-agent-public/calendrier-general-concours

    Ce processus normatif, à étapes, associé au recrutement par un jury indépendant, permettent, en théorie, de prévenir l’arbitraire et le favoritisme.

    Les Différents Types de Concours

    Il existe plusieurs types de concours, selon les caractéristiques du candidat et les modalités de sélection :

    Les concours sur épreuves :

    • Le concours externe : ouvert aux titulaires de diplômes11, sans condition d’expérience professionnelle (article L. 325-2 du code général de la fonction publique). Il s’agit de la principale source de recrutements ;
    • Le concours interne : réservé aux agents publics (fonctionnaires ou contractuels, militaires, magistrats) ayant une certaine ancienneté (article L. 325-3 du code général de la fonction publique) ;
    • Le troisième concours : inventé en 1983 par le gouvernement socialiste afin d’ouvrir la fonction publique à des profils plus variés, et formalisé dans sa version actuelle en 1990 : pour les salariés du privé, responsables d’une association et élus d’une collectivité territoriale (article L. 325-7 du code général de la fonction publique) ;
    • Le concours unique, généralement utilisé pour les « petits » corps comme les conseillers de chambre régionale des comptes ou les administrateurs des assemblées, il est ouvert aux étudiants et aux agents en poste indifféremment ;
    • Le concours « talents », expérimentation initiée par l’ordonnance du 3 mars 2021 et réservé à quelques écoles de hauts fonctionnaires12. Le principe consiste à réserver une proportion de places (de 10 à 15 %) aux boursiers de l’enseignement supérieur et demandeurs d’emplois devenus élèves des « Prépas Talents » et des classes préparatoires intégrées.

    Le concours sur titres13 : en fonction des titres et diplômes du candidat, avec généralement une ou deux épreuves de sélection (2 de l’article L. 325-9 du code général de la fonction publique).

    Par ailleurs, ces concours peuvent être organisés (article L. 325-23 du code général de la fonction publique) :

    • Au niveau national, pour une affectation nationale ;
    • Au niveau national, pour une affection dans une ou plusieurs circonscriptions administratives déterminées (« concours national à affectation locale ») ;
    • Au niveau local (déconcentré).

    Le Principe de l’Égal Accès à la Fonction Publique

    Le principe d’égal accès à la fonction publique est un principe général du droit depuis la décision du Conseil d’État Barel de 1954.

    Depuis, les garanties et les principes de lutte contre les discriminations se sont multipliés, en particulier sur le fondement de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen :

     « Tous les Citoyens étant égaux (aux) yeux (de la loi) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

    Le recrutement par contrat comme par concours se doit de respecter les principes d’égalité et de non-discrimination, son corollaire.

    Les Critiques Formulées à l’Encontre du Recrutement par Concours

    Un Système de Sélection Insuffisamment Professionnel et Trop Théorique

    La principale critique est le caractère trop théorique du recrutement par concours et le biais d’une sélection essentiellement construite sur des épreuves écrites.

    En conséquence, les individus recrutés sont le plus souvent généralistes et doivent ensuite être formés pour intégrer la fonction publique.

    Un Système Lourd et Coûteux

    L’organisation des concours est particulièrement coûteuse pour les finances publiques, d’autant que de nombreux inscrits ne se présentent pas aux épreuves écrites (en moyenne un sur deux).

    Un Système Très (Trop ?) Sélectif

    Le système de recrutement par concours, en particulier dans l’accès à des corps d’encadrement supérieur, est ouvert très tôt, mais est très sélectif.

    Ce qui induit une forme d’homogénéité dans les profils recrutés et des profondes désillusions pour les candidats évincés.

    Comme l’énonce la fameuse formule :

     « En France, on peut rater sa vie à 25 ans. »

    Inversement, le concours peut aussi être jugé trop sélectif pour certaines professions, voire franchement inadaptés face à des compétences rares où le secteur public est placé en concurrence directe avec des employeurs privés (cas de la fonction publique territoriale et des professions du numérique).

    Une Forme de Cloisonnement et de Rigidité Induit par la Logique de Corps

    Le concours peut alimenter une forme de « monde clos », caractérisé par une sorte d’inertie et de lenteur. Les ascensions professionnelles sont régulières, mais rarement rapides.

    Ce système va aussi de pair avec une très forte hiérarchie, les différences entre les agents tenant essentiellement à leur positionnement hiérarchique — non à leur expertise.

    En conséquence, l’agent souhaitant progresser professionnellement devra passer des concours, plutôt que d’exceller au travail.

    Un Système qui Demeure Pertinent Pour de Nombreuses Fonctions

    Malgré toutes ces critiques, il me semble toutefois que dans certains cas, les avantages surpassent les inconvénients.

    En particulier lorsque nous devons recruter du personnel qualifié et de le fidéliser. La logique de corps peut compenser une certaine faiblesse des rémunérations et des perspectives offertes. Le sentiment collectif peut compenser une carrière moins ascendante (pour des cadres) que dans le secteur privé.

    Par ailleurs, plusieurs critiques énoncées ci-dessus peuvent être renversées par :

    • Les épreuves de sélection peuvent être plus techniques et moins généralistes — y compris par une logique de filière, déjà à l’œuvre dans des corps très techniques et qualifiés comme les magistrats administratifs ou les magistrats financiers ;
    • Une ouverture importante à d’autres corps et talents du privé est possible :
      • Par la pratique du détachement (pour citer ce même exemple, un quart des agents exerçant des fonctions de magistrats financiers sont détachés et issus d’autres corps ou cadres d’emploi) ;
      • Par une mobilité obligatoire (également prévu dans certains corps, comme les magistrats administratifs) ;
    • Enfin, une meilleure attention pour les agents en postes, dans une logique de viviers. Chemin déjà initié par la réforme des grands corps, mais qui pourrait être prolongé plus radicalement en conditionnant l’accès aux corps supérieurs par la justification d’une expérience professionnelle minimale en qualité de cadre.
    1. À l’exception des agents de catégorie C, où une exception générale est prévue au 3 de l’article L. 326-1 du code général de la fonction publique.
    2. Même si les intéressés peuvent, à titre personnel, éprouver des convictions et un attachement très fort envers leur employeur.
    3. Voir l’exemple emblématique de la première École nationale d’administration de 1848.
    4. Qui fusionnera en 1807 avec l’École d’artillerie de Châlons-sur-Marne pour devenir une école d’application de l’École polytechnique dans l’artillerie et le génie.
    5. Officiellement créée en 1741, elle sera fermée en 1758 avant d’être réouverte en 1765. L’École perdure depuis.
    6. Comme pour les administrateurs de l’État et les attachés d’administration de l’État.
    7. Sinon le président du jury, qui en cas de débats peut être amené à trancher.
    8. Toutefois, il convient de relever le développement du contentieux en la matière. À titre d’exemple, le jury doit désormais justifier, notamment par des grilles d’évaluation, la décision prise.
    9. Le juge administratif opère un contrôle relativement sévère du manque de respect de l’impartialité CE Section 18 juillet 2008, Madame B., Req. N° 291957.
    10. À compter d’un niveau Bac +2 pour les concours de catégories A (niveau licence pour l’INSP), d’un niveau Bac pour les concours de catégories B et du CAP, BEP ou brevet des collèges pour les concours de catégories C. Il existe toutefois deux grandes exceptions à la condition de diplôme : la première pour les parents d’au moins trois enfants et la seconde pour les sportifs de haut niveau.
    11. L’Institut national du service public, l’Institut national des études territoriales, l’École des hautes études en santé publique, l’École nationale supérieure de police et l’École nationale d’administration pénitentiaire.
    12. Qui se distingue du « concours sur épreuves ».
  • Tristesse, peur, colère de Stéphanie Hahusseau

    Tristesse, peur, colère de Stéphanie Hahusseau

    Temps de lecture : 9 minutes.

    Dans son ouvrage « Tristesse, peur, colère », Stéphanie Hahusseau explore la nature et la gestion des émotions, proposant des clés précieuses pour mieux comprendre et appréhender nos réactions émotionnelles.

    Bien que débordant des sujets de politiques publiques et des institutions administratives, il me semblait utile de partager cette lecture : dans un contexte professionnel, mais aussi personnel. L’agent public (en devenir ou non) est, en effet, de plus en plus appelé à mobiliser des compétences comportementales1.

    Leçon n° 1 : L’Émotion est un Indicateur

    Les émotions sont des signaux produits par notre corps. Ils nous renseignent sur notre état intérieur.

    « Une émotion est un indicateur, comme une sensation de soif ou de faim, elle ne signifie rien de notre valeur. »

    On n’a pas honte de sa faim. N’ayons pas honte d’une émotion.

    Leçon n° 2 : L’Émotion a un Impact Physique

    Les émotions ont des effets physiques, comme l’accélération du rythme cardiaque, la sécrétion d’hormones et la modification de la respiration.

    Pour certaines personnes, ces conséquences physiques peuvent elles-mêmes devenir source d’angoisse, jusqu’à déclencher des attaques de panique. Un cercle vicieux s’installe.

    Certains facteurs peuvent également amplifier les effets des émotions :

    • Fatigue : La fatigue accentue les émotions négatives et diminue les positives.
    • Hormones : Les hormones jouent un rôle crucial, avec des différences notables entre les sexes.
    • Pensées Envahissantes : Elles sont des déclinaisons émotionnelles, teintant notre perception du monde.

    Leçon n° 3 : La Façon dont nous Évaluons nos Émotions est Déterminante Pour Notre Bien-Être et Notre Autonomie de Jugement

    Il existe deux niveaux de traitement des émotions :

    • Niveau Rapide et Instinctif : Réaction immédiate à un stimulus. Un bruit fort et soudain nous fait sursauter.
    • Niveau Lent et Analytique : Production d’une analyse, engendrant des sentiments.

    Ces deux niveaux de traitement des émotions peuvent être affectés par des distorsions cognitives.

    Les Distorsions Cognitives

    Il existe sept distorsions cognitives qui déforment la réalité et aggravent notre perception des émotions négatives. Chacune de ces déformations peut se combiner à une ou plusieurs autres :

    1. Interférence Arbitraire : Tirer des conclusions sans preuve.
    2. Abstraction Sélective : Ne retenir qu’un détail négatif (une journée sur une plage paradisiaque, mais un ballon qui nous arrive sur la figure).
    3. Surgénéralisation : Utiliser des termes absolus comme « toujours » ou « jamais ».
    4. Minimalisation : Minimiser ses réussites ;
    5. Maximalisation : L’opposé, qui consiste à maximaliser ses échecs.
    6. Personnalisation : Interpréter les actions des autres comme dirigées contre soi.
    7. Pensée Dichotomique : Le blanc ou noir (« S’il ne me dit pas bonjour, c’est qu’il me méprise »).

    Chaque individu a un style d’interprétation, influencé par son tempérament, son éducation, ses expériences passées… C’est la personnalité émotionnelle qui sera détaillée plus loin.

    Toutefois, un style d’interprétation majoritairement négatif peut conduire à un phénomène « d’impuissance apprise ». L’enfermement du sujet, la dépression.

    Leçon n° 4 : L’Émotion est Aussi un Outil

    Les émotions peuvent nous inciter au changement, à l’écoute ou à la prudence. Elles sont des outils précieux pour adapter notre comportement.

     « Ce n’est qu’en affrontant nos peurs que nous pouvons les canaliser, c’est la théorie de l’habituation, l’exposition répétée à nos peurs. »

    Affronter régulièrement ses peurs est donc essentiel pour progresser et demeurer libre de choisir.

    Savoir Écouter son Stress

     « Le stress est inversement proportionnel à la capacité de contrôle. »

    Le stress est un « bébé émotion », il est l’état de latence avant que l’émotion n’apparaisse : la joie, la colère, la tristesse, la peur.

    S’écouter peut permettre de prévenir la survenue d’une émotion intense et potentiellement désagréable.

    Leçon n° 5 : Nous ne Sommes Pas Égaux Face aux Émotions

    Le vécu, le tempérament, l’éducation aux émotions… autant de facteurs qui nous différencient dans la gestion des émotions une fois adulte. Cependant, si le passé marque chacun d’entre nous, il ne nous empêche pas d’agir.

    Événements Gravissimes

    Lorsque notre intégrité physique est directement menacée, nous perdons notre sentiment d’invulnérabilité. Nous ne pouvons plus vivre sereinement.

    Une personne sur trois ayant subi un choc grave développera une forme de stress post-traumatique. La répétition intérieure et incontrôlée du traumatisme.

    Dans cette situation, l’émotion n’est plus contrôlée. Un accompagnement médical est nécéssaire.

    Émotions du Passé

    Les schémas émotionnels de l’enfance peuvent influencer nos réactions actuelles dans un contexte présentant des points communs avec une situation vécue et difficile.

     « Un adulte qui aura, enfant, souvent été délaissé pendant de longues heures se sentira très mal au moindre éloignement d’un de ses proches. Son schéma d’abandon va s’activer et déclencher des émotions violentes. »

    Ces circonstances « gâchettes » réactivent un souvenir difficile, mais non étiqueté comme tel et génèrent en nous une réaction automatique et incontrôlable, la même que nous avons eue enfant. On parle de « schéma égosyntonique ».

    Tempérament Génétique

    Chaque individu dispose d’un tempérament génétique, prédisposant à certaines émotions comme l’anxiété, l’optimisme ou l’agressivité.

    Personnalité Émotionnelle

    Des tests2 permettent d’évaluer la personnalité émotionnelle suivant :

    • Le degré d’extraversion ou d’introversion ;
    • Le degré de sensibilité.

    L’extraversion prédispose à des interprétations positives des émotions, et inversement. La stabilité émotionnelle protège également de certaines formes d’émotions négatives. L’hypersensibilité, à l’inverse, expose à des émotions plus fluctuantes et plus fortes.

    Alexithymie

    L’alexithymie est la difficulté à identifier, verbaliser et comprendre ses émotions3.

    L’alexithymie est fréquemment associée à des troubles psychosomatiques et des comportements d’addiction.

    Acceptation des Émotions

    L’acceptation de nos émotions est cruciale. Refuser ses émotions peut nous plonger dans un cercle vicieux, renforçant les difficultés à les appréhender.

    On parle de « couche émotionnelle secondaire » : ce que le ressenti d’une émotion provoque en nous4.

    Pour les candidats à un concours et confronté au trac et au stress, voilà un élément essentiel : ne pas se juger. Accepter cette peur, telle qu’elle est. Ne pas la fuir, mais simplement respirer, calmement. La maitrise du stress est aussi une compétence évaluée par le jury5.

    La Maladie de la Peur

    Il est important de légitimer ses émotions, au risque de développer la maladie de la peur : le trouble anxieux.

    Le trouble anxieux apparait lorsqu’une peur fait l’objet d’un évitement systématique, qui renforce la menace perçue et, ce faisant, le sentiment d’échec (émotion secondaire).

    Ces peurs peuvent provenir du sentiment d’être jugé négativement par autrui, de pensées récurrentes dont on a honte, d’endroits dont il pourrait être difficile de s’échapper, de stimuli rappelant un traumatisme grave.

    Dans les cas les plus handicapants, se développe une peur de la peur : l’attaque de panique. Ici encore, un accompagnement par des praticiens diplômés s’impose.

    Paradoxalement, ces crises de paniques peuvent survenir dans les moments de détente, lorsque l’individu est le plus à même d’écouter ses émotions… Et, d’avoir peur d’elles, faute de s’y confronter plus souvent.

    Apprendre à Mieux Vivre les Émotions Négatives

    Comprendre les Fonctions des Émotions Négatives

    Les émotions négatives poursuivent des fonctions distinctes :

    • Tristesse : Permet de prendre conscience de ce qui est mauvais pour nous et d’accepter une perte.
    • Peur : Nous signale un danger et nous incite à nous protéger.
    • Colère : Nous signale que nos droits sont bafoués et nous donne l’énergie nécessaire à leur rétablissement.

    L’intelligence émotionnelle consiste à étiqueter justement ses émotions, à les exprimer de manière adéquate et à utiliser les émotions pour penser et agir de façon constructive.

    Mettre à Distance ses / ces Émotions

    Être équilibré dans son approche. Traiter le problème, sans être obnubilé :

    • Accepter de vivre certaines émotions déplaisantes et prendre conscience qu’elles tiennent à des situations particulières.

        Commencer par identifier les facteurs déclenchants, sans ressasser. Une émotion n’est ni un signe de folie ni un passage à l’acte.

        • Ne pas sombrer dans l’expression émotionnelle déplacée (par exemple : une colère au travail) ou permanente, qui épuise les proches et plonge dans une forme d’égocentrisme et de solitude.

          N’offrez pas non plus trop de place aux émotions, il n’est ni sain ni pertinent d’exprimer sans arrêt son ressenti.

          • Ne pas se fixer sur ses émotions en permanence, mais être proactif.

            Tenez un « journal des solutions » avec, au cas par cas :

            Un traitement du problème, lorsque nous avons une prise sur le problème.

            Dans les autres cas, une action sur l’émotion elle-même. Par une activité artistique comme la musique ; des exercices de détente et de respiration…

            Ce qu’il Ne Faut Pas Faire : Faire Comme si ces Émotions n’Existaient Pas, les Éviter

            La fuite peut être utile à court terme, mais elle est particulièrement est néfaste à moyen et long terme.

            Il est préférable de s’exposer régulièrement à ses émotions pour les apprivoiser. 90 % des émotions ne durent pas plus d’une heure ou deux.

            Comprendre son Schéma Émotionnel

            Chaque individu à un schéma émotionnel :

            • Un niveau de contrôle émotionnel général, qui lui est propre ;
            • Une sensibilité particulière à la colère, aux émotions positives, à la tristesse et à la peur.

            Le Développement Émotionnel de l’Enfant

            À mesure que l’enfant grandit, sa palette d’émotions s’élargit :

            • Jusqu’aux six premiers mois de l’enfant, le système émotionnel est binaire : plaisir ou déplaisir ;
            • De six mois à deux ans : les émotions se complexifient avec l’apparition de la peur, de la colère et du dégoût ;
            • La deuxième année est un florilège émotionnel, qui accompagne le développement du langage : embarras, envie, plaisir, joie, affection ;
            • Entre trois et cinq ans, l’enfant commence à être capable d’empathie, de respect et de honte. Il intériorise graduellement les émotions d’autrui ;
            • Ce n’est qu’à sept ans que l’enfant est capable d’un raisonnement complet. La notion de temps est également acquise ;
            • L’adolescence est la dernière étape de développement cérébral : abstraction, symbolisation, conscience des émotions. Mais, les pics hormonaux, les changements corporels et dans les conditions de vie bouleversent fortement le jeune qui dispose, par ailleurs, d’une très jeune intelligence émotionnelle.

            L’éducation émotionnelle de l’enfant est donc cruciale. Les parents doivent autant que possible nommer les émotions, les respecter et les distinguer des actes.

            Parler de ses émotions, c’est comme parler anglais. On ne peut pas apprendre si personne ne parle la langue des émotions autour de nous.

            Les Traumatismes de l’Enfance et les Besoins Fondamentaux

            Un traumatisme est causé par une atteinte brutale ou répétée à un des besoins fondamentaux de l’enfant :

            • Un besoin physiologique : boire, manger, dormir, être propre ;
            • Un besoin de sécurité : parent protecteur et non-violent, au comportement prévisible et rassurant ;
            • Un besoin d’être aimé : l’absence d’affection entrave gravement le développement psychomoteur de l’enfant. C’est la théorie de l’attachement ;
            • Un besoin d’être estimé : être régulièrement valorisé, approuvé, encouragé, reconnu, respecté dans son indépendance et son autonomie.

            L’adulte ayant subi enfant un abandon, un manque de reconnaissance ou une insécurité est souvent terrorisé à l’idée de revivre ces émotions et peut choisir la contre-attaque6 ou à l’inverse la perpétuation7. Il existe également une autre voie, celle consistant à se défaire progressivement du passé, pour demeurer pleinement dans le temps présent.

            Les Différents Schémas Émotionnels

            Le schéma émotionnel repose en particulier sur des peurs (« je ne veux pas ») ou des impératifs (« je dois ») :

            • Injustice ;
            • Rejet ;
            • Imperfection ;
            • Échec ;
            • Sujétion ;
            • Vulnérabilité ;
            • Sacrifice ;
            • Phobie des émotions ;
            • Performance ;
            • Droits personnels exagérés ;
            • Absence de contrôle de soi.

            Méthode de Gestion des Émotions

            Première Étape : Écrire et Prendre du Temps pour Soi

            Écrire permet de prendre de la distance, de soulager sa charge mentale et émotionnelle et de consacrer du temps à soi-même.

            Listez les émotions de la journée et évaluez :

            • L’intensité (de 1 à 10),
            • Le caractère adapté ou non de l’émotion,
            • L’éventuelle pensée automatique8.

            Respirez doucement et calmement, en prenant conscience de votre corps et de vos ressentis pendant quelques instants.

            Évaluez ensuite votre niveau de compassion (de 1 à 10) vis-à-vis de vous-mêmes et de l’attention que vous vous êtes octroyé dans la journée.

            Plus largement, faites régulièrement des choses que vous aimez9.

            Deuxième Étape : Faites des Exercices de Méditation de Pleine Conscience

            Attention : cette technique suppose de la persistance et un entraînement régulier.

            Quantité de tutoriels vidéos ou écrits existent sur Internet.

            Pour les Crises de Panique et de Colère

            Des techniques de respiration relativement simples peuvent permettre de calmer à la fois les crises de panique ou de colère :

            • Inspirez sans bruits par le nez pendant deux secondes ;
            • Bloquez deux secondes ;
            • Expirez deux secondes par la bouche ;
            • Bloquez deux secondes.

            Pratiquez autant que possible. Faites-en un automatisme.

            Troisième Étape : L’Exposition aux Émotions

            Dans une pièce au calme et seul, s’exposer aux émotions difficiles. Évaluez au démarrage l’intention de celle-ci, puis à l’issue de votre séance.

            L’objectif est de se focaliser sur les sensations physiques, d’identifier les tensions et de déceler l’enfant intérieur.

            Laissez aller, avec compassion et sans jugement.

            L’Autoparentage

            Être enfant consiste à vivre sous une norme parentale, sans capacité de comparaison, donc de jugement.

            C’est généralement à l’âge adulte que les ressentis émotionnels émergent, car l’émotion est enfin « étiquetée ».

            L’auto-parentage est une technique permettant, lorsque vous traversez une émotion de votre enfance, de qualifier l’émotion vécue et d’accompagner cet enfant dans son ressenti. L’enjeu est de se décentrer et de faire preuve d’empathie vis-à-vis de soi-même.

            Il est souvent frappant de voir le décalage entre l’histoire personnelle des individus et le manque d’empathie à leur égard – la froideur, la dureté qu’elles s’infligent (et qu’elle n’infligerait à nulle autre personne).

            On ne change pas le passé, mais on peut changer les croyances sur soi que ces événements ont laissé.

            Quatrième Étape : S’Affirmer, l’Assertivité

            S’affirmer permet de faire valoir ses pensées, ses désirs et ses émotions sans léser les droits d’autrui. Dire son ressenti, et l’assumer, sans le besoin de blesser ou de faire l’autre.

            Savoir dire « non », ou pleinement « oui ».

            L’affirmation de soi représente un coût émotionnel immédiat, parfois important, ce qui provoque un malaise en soi (signe du dépassement de notre inhibition naturelle), mais cela permet de dépasser d’éventuelles rancœurs et ruminations stériles.

            Listez les éléments que vous aimeriez partager à vos proches : familles, amis, travail. Puis programmez-vous un temps dédié pour le faire.

            Ce n’est pas l’autre qui nous maintient dans un système qui nous fait souffrir, mais nous-mêmes :

            • Faites le point sur ce qui vous pese ;
            • Détaillez, dans les reproches que vous faites aux autres, ce qu’ils font trop et ce qu’ils ne font pas assez ;
            • Observez de quelle manière vous essayez de compenser ;
            • Décidez de ne plus compenser et faites-vous plaisir ;
            • Observez vos nouvelles émotions et
            • Chaque semaine, prenez un petit risque. Changez vos habitudes. Soyez-vous.
            1. Voir par exemple l’article consacré aux conditions de travail des agents publics, issu du rapport de France stratégie de décembre 2024.
            2. Notamment l’inventaire EPN31, proposé dans l’ouvrage.
            3. Le test BAVQ permet d’identifier l’alexithymie. En précisant toutefois qu’un diagnostic ne peut être établi que par un médecin.
            4. Par exemple : Une émotion de jalousie peut susciter ensuite de la honte.
            5. Un candidat surmontant son stress est même plus avantagé qu’un candidat désinvolte ou débonnaire. Il démontre à la fois son implication et ses ressources pour faire face aux imprévus et difficultés, le tout, en situation professionnelle.
            6. L’enfant battu devient un adulte violent.
            7. L’enfant battu demeure adulte dans des situations de sujétions et de violence subie.
            8. Le traitement « rapide et instinctif » évoqué plus haut dans l’article.
            9. Se prendre un café, regarder par la fenêtre, écouter de la musique, lire un livre, faites un jeu…

          1. Quel avenir pour le recrutement par concours et la fonction publique de carrière ?

            Quel avenir pour le recrutement par concours et la fonction publique de carrière ?

            Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 8)

            Temps de lecture : 10 minutes.

            Suite de l’analyse du rapport de France stratégie avec un chapitre long et dense qui s’interroge sur le parcours de carrière des agents publics. Il s’agira ici de revenir sur le principe statutaire et sa consécration dans le recrutement par concours.

            Dans deux prochains billets, nous nous attarderons plus longuement sur les contractuels eux-mêmes et sur les parcours professionnels des agents publics.

            Qu’est-ce que le « statut de la fonction publique » ?

            Un principe inscrit dans la loi

            Le droit à la carrière

            Les rapporteurs rappellent tout d’abord le principe statutaire de garantie de l’emploi et de la carrière1 :

            La garantie de l’emploi2 protège le fonctionnaire contre l’arbitraire en empêchant les mutations pour des raisons autres que l’intérêt du service et en limitant les licenciements à des circonstances particulièrement graves : faute grave, insuffisance professionnelle…

            La garantie de la carrière pose le principe que les fonctionnaires sont recrutés dans un corps de la fonction publique et qu’ils disposent, au sein de ce corps, d’une forme de « carrière automatique ou minimale » — indépendamment des missions exercées3. L’évolution des rémunérations évolue pour partie à l’ancienneté (progression dans une grille indiciaire par échelon), et, éventuellement, par le passage d’un grade supérieur (notamment par examens professionnels).

            Cette garantie de l’emploi et de la carrière vise à protéger les agents publics des ingérences, au nom des principes de neutralité et d’égalité des citoyens devant le service public.

            La séparation du grade et de l’emploi

            L’autre principe pivot du statut est celui de la séparation du grade et de l’emploi :

            Le fonctionnaire est titulaire de son grade et non de son emploi. Autrement dit, le fonctionnaire dispose du droit d’occuper des fonctions compatibles avec son grade4. En revanche, l’administration dispose des emplois qu’elle peut modifier à tout moment.

            La situation d’un fonctionnaire est qualifiée de statutaire et règlementaire :

            • Les modalités de recrutement et d’évolution de la carrière du fonctionnaire sont définies dans le décret règlementant son corps,
            • Tandis que les emplois correspondant à ce corps dépendent d’une organisation administrative règlementaire.

            Inversement, le salarié de droit privé et le contractuel de droit public5 sont recrutés sur un emploi considéré, pour une tâche et des fonctions précises. Tout changement substantiel du contrat du salarié ou du contractuel de droit public nécessite donc un avenant ou un nouveau contrat.

            En contrepartie : un recrutement par concours et des obligations

            Les fonctionnaires sont le plus souvent6 recrutés par concours avec un niveau de sélectivité relativement élevé.

            Il s’ensuit une période de stage, généralement longue (le plus souvent un an). Durant cette période, l’employeur public peut se séparer à tout moment du stagiaire.

            Enfin, le statut de fonctionnaire implique plusieurs obligations :

            • L’interdiction d’exercer d’autres fonctions (principe de non-cumul des rémunérations), avec quelques exceptions ;
            • L’obligation de réaliser les tâches confiées et d’informer le public, de veiller à la continuité du service ;
            • L’obligation de réserve (y compris en dehors du service) et de respecter le secret professionnel ;
            • L’obligation d’impartialité et de neutralité (y compris la laïcité) ;
            • L’obligation de probité et d’intégrité (des dispositions pénales s’appliquent spécifiquement aux agents publics) ;
            • L’obéissance hiérarchique7.

            Le foisonnement de statuts : l’émiettement de la fonction publique

            Le modèle français de fonction publique figure encore comme l’exemple topique d’une fonction publique de carrière. Toutefois, l’emploi public est de plus en plus protéiforme.

            En effet, à l’analyse, le premier constat est celui d’une profusion de cadres d’emploi pour les agents publics :

            • Les « classiques » : fonctionnaires (y compris les fonctionnaires stagiaires), militaires (régis par le Code de la défense) et magistrats ;
            • Les « contractuels de droit public » : agents en contrat à durée déterminée et indéterminée. On les retrouve de plus en plus dans les administrations, y compris dans les directions d’administration centrale (comme la Direction générale des entreprises ou la Direction du budget) ;
            • Les vacataires : rémunérés à la tâche (ils ne disposent pas de congés payés ni depuis droit à titularisation) ;
            • Les salariés de droit privé : comme les agents de France travail, mais également les agents des caisses de sécurité sociale ou des établissements publics industriels et commerciaux comme la SNCF ou la RATP ;
            • Les « autres statuts » : ouvriers d’État, contrats aidés, médecins hospitaliers, enseignants de l’enseignement privé sous contrat, apprentis, assistantes maternelles (dans les collectivités), individus en engagement ou volontariat de service civique.

            Un constat : « l’emploi à vie » n’est plus attractif pour les jeunes générations

             La promesse d’un « emploi à vie » n’est pas attrayante

            La promesse d’un emploi garanti a perdu de son importance pour une multitude de raisons :

            • Le déclin général des projections à long terme du fait des crises successives depuis le début des années 2000 (crise écologique, guerres, difficultés démocratiques). Ce qui induit une préférence pour le présent8 ;
            • La multiplication du nombre de métiers en tension9 qui fragilise l’argument d’une meilleure sécurité de l’emploi pour le secteur public10 ;
            • Plus généralement, le privé est vu comme offrant davantage de perspectives ;
            • Enfin, une conception plus répandue selon laquelle la stabilité de l’emploi est considérée comme un risque : celui de perdre en compétences. Une carrière stable est vue comme « statique ».

            La stabilité de l’emploi demeure un élément distinctif et un argument pour les salariés les plus fragiles

            Cependant, pour les salariés du privé, la stabilité de l’emploi public reste un élément fort et différenciant :

            84 % des salariés du privé citent la sécurité de l’emploi comme un attrait des carrières de fonctionnaire11.

            La sécurité de l’emploi demeure recherchée par les salariés les plus vulnérables sur le marché du travail : seniors, salariés peu qualifiés ou jeunes issus de milieux populaires.

            Les fluctuations du chômage ne jouent plus sur l’attractivité de la fonction publique : celle-ci ne constitue plus un « refuge »

             La hausse du niveau de chômage de 2008 à 2017 n’enraye pas la chute du taux de sélectivité des concours qui continue à décroître. Malgré la hausse du chômage et en présence d’une augmentation du nombre de postes offerts dans les fonctions publiques, le nombre de candidats n’augmente pas.

            En dehors de la sécurité de l’emploi, les « avantages » offerts par les employeurs publics semblent peu élevés pour les actifs

            Une protection sociale globalement moins favorable, en particulier s’agissant de la protection sociale complémentaire12

             « Lorsque l’on compare les dispositifs en vigueur (…) les différences avec le secteur privé (en matière de santé, de retraite, ou d’autres avantages sociaux indirects, CESU, garde d’enfants, etc.) ne sont globalement pas à l’avantage de la fonction publique. Ces avantages, souvent mis en avant comme des compensations à des rémunérations réputées moins attractives, ne constituent plus une réelle différenciation. »

            À cet égard, les rapporteurs notent une culture différente s’agissant, par exemple, de la protection sociale complémentaire. Celle-ci est quasiment inexistante dans les discussions et représentations des agents publics. À l’inverse, pour les salariés du privé, il s’agit d’un élément d’appréciation important de la qualité de l’emploi.

             « La culture de la protection sociale complémentaire n’a pas (encore) imprégné le secteur public. »

            Plus largement :

            S’agissant de l’action sociale (garde d’enfant, loisirs-vacances, restauration, accompagnement social) : « au regard des effectifs globaux, le nombre de personnes concernées et les montants financiers qui y sont consacrés restent anecdotiques. »

            Des droits à retraite similaires entre les agents publics et les salariés de droit privé

            Deux différences importantes subsistent s’agissant des retraites :

            • Une prise en compte de la pénibilité au titre des catégories actives (ensemble des corps de la police nationale, infirmiers et sages-femmes, sapeurs-pompier, contrôleurs aériens, égoutiers…) plus généreuse dans la fonction publique (que le compte personnel de prévention des salariés) et permettant des départs anticipés13 ;
            • Un mode de calcul de la pension assis sur le traitement indiciaire (donc, hors primes) des derniers mois d’activité contre un calcul sur les 25 meilleures années pour les salariés.

            Toutefois, ces différences de règles de calcul ne conduisent pas à des montants de retraite en moyenne plus avantageux pour les fonctionnaires14. Par ailleurs, les âges de départ en retraite sont aussi similaires entre la fonction publique et le secteur privé (article sur le vieillissement de la fonction publique).

            Un recrutement par concours très contesté

            Le constat général dressé par les rapporteurs est celui d’une relative inadaptation des concours. Ils seraient :

            • Mal connus ;
            • Adossés à des épreuves inadaptées et trop théoriques ;
            • Avec un déroulement complexe et trop formalisé ;
            • Pour des postes à pourvoir en trop faible nombre, ce qui présente un caractère décourageant.

            Les modalités de recrutement se sont diversifiées, mais le concours demeure la voie d’accès principale à la fonction publique

            Au-delà du concours classique, « externe » et dédié aux jeunes diplômés, les modes de recrutement se sont pourtant diversifiés :

            • Le « troisième concours » est né en 1990 et est dédié aux salariés bénéficiant d’une expérience professionnelle de même nature que celle exercée à l’issue du concours ;
            • Le Pacte (Parcours d’accès aux carrières de la fonction publique), créé en 2005, permet à un jeune peu ou pas diplômé ou à un chômeur de longue durée d’accéder à une qualification, puis à un emploi de catégorie C dans la fonction publique15 ;
            • Enfin, l’accès direct sans concours est commun pour les recrutements de catégorie C.

            Par ailleurs, depuis 2018, le dispositif Prépas talents permet, sous conditions de ressources, à des étudiants, jeunes diplômés et demandeurs d’emploi d’accéder à une aide à la préparation aux concours de la fonction publique (aide à la fois financière, au logement, mais aussi accès à des dispositifs du tutorat renforcé)16.

            Pour autant, le concours demeure la voie d’accès normale à l’ensemble des grands métiers publics : enseignants, forces de sécurité, infirmiers, personnels d’inspection et d’administration…

            Des concours qui ne garantissent pas contre les discriminations

            Les rapporteurs citent les travaux du rapport du professeur Yannick L’Horty de 201617 pour conclure au caractère pour partie discriminant du mode de recrutement par concours :

            « Les femmes, les personnes nées hors de France métropolitaine, ou encore celles qui résidant dans une ville avec une forte emprise de ZUS, [ont] moins de chances de réussir les écrits puis les oraux de nombreux concours, tandis qu’à l’inverse les chances de succès sont plus élevées toutes choses égales par ailleurs pour les personnes qui habitent Paris et celles qui vivent en couple. »

            Des concours qui accentuent les disparités territoriales

            L’autre difficulté inhérente au concours est l’affectation sur le premier poste. Or, les postes disponibles pour les primo-affectés sont en majorité difficiles et le plus souvent dans les territoires les moins attractifs :

            • Les grandes métropoles régionales (Rennes, Nantes, Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille, Toulouse et Bordeaux) et les façades maritimes18 reçoivent proportionnellement moins de primo-affectés ;
            • À l’inverse, les départements franciliens connaissent un fort turn-over et des besoins en recrutements croissants.

            Ce phénomène de turn-over élevé pour les territoires les moins attractifs et de départ des plus anciens vers les territoires les plus favorisés s’auto-entretient.

            Les jeunes ne restent pas sur leur poste et préfèrent partir assez vite :

            Pour pallier les difficultés de recrutements dans les territoires les plus difficiles, l’administration recrute localement des contractuels

            Le recrutement de contractuels se développe, tout particulièrement dans les territoires les moins attractifs19.

            En retour, ce recrutement de contractuels accentue la désaffection des concours :

            Les fonctionnaires en première affectation doivent le plus souvent déménager pour rejoindre un lieu d’affectation inconnu à la réussite du concours.

            Les contractuels disposent du choix de leur lieu d’exercice et sont dispensés de la sélection par concours.

            Outre le recrutement de contractuels, les rapporteurs citent la possibilité ouverte par la loi de transformation de la fonction publique de 2019 de recruter des fonctionnaires par la voie de concours nationaux à affectation locale. Toutefois, ce dispositif est encore peu développé et n’a concerné, à la date de rédaction du rapport, qu’une cinquantaine de corps et près de 10 000 agents20.

            Une gestion des fonctionnaires également problématique sur le long terme

            Le cas de l’Éducation nationale est particulièrement symptomatique pour les rapporteurs :

             « La crainte est double : elle concerne l’affectation sur le premier poste, mais elle porte également sur la possibilité d’obtenir ultérieurement une mutation en vue de rejoindre l’académie ou l’établissement de son choix. Or, les étudiants ou futurs enseignants jugent le système ou l’algorithme utilisé pour les campagnes de postes particulièrement opaque, source d’inégalités de traitement et d’incohérences manifestes. Cette perception d’une procédure sans règles claires entretient un sentiment d’arbitraire et d’inefficacité dans la gestion des ressources humaines, appuyé par de nombreux exemples jugés aberrants de personnels dont l’affectation semble contraire à toute logique. »

            1. Principes attachés au modèle de la fonction publique dite « de carrière » qui implique l’existence de corps de la fonction publique. À l’inverse, la fonction publique dite « de l’emploi » repose sur un recrutement de gré à gré en fonction des besoins de l’employeur, sans droit à carrière spécifique.
            2. Ce que des journalistes et commentateurs désignent, paresseusement, par « emploi à vie ». Il conviendrait plutôt, en effet, de parler de « droit à carrière », puisque le fonctionnaire a justement vocation à occuper une succession d’emplois.
            3. On distingue ici la rémunération indiciaire, assise sur les fameuses grilles indiciaires des différents corps de fonctionnaires (professeur des écoles, gradés et gardiens de la paix, attaché d’administration, inspecteur des finances publiques…) et la rémunération en primes liées aux fonctions et sujétions. La seconde part de la rémunération, de loin la plus dynamique, est assise sur la réalité des fonctions exercées. Toutefois, pour certaines professions, comme les magistrats ou le corps enseignants, la part indemnitaire demeure essentielle.
            4. Un inspecteur des finances publiques ne peut pas être affecté dans une fonction d’agent d’accueil.
            5. Dans un format qui ressemble aux principes de la fonction publique d’emploi, à l’inverse d’une fonction publique de carrière.
            6. Hors catégorie C de la fonction publique territoriale, notamment.
            7. Sauf en cas d’un ordre manifestement illégal et de nature à troubler l’ordre public.
            8. Les sociologues Castel et Bergeron interrogés par les rapporteurs rapprochent cette préférence pour le présent d’une anxiété quant à l’avenir : « on ne se projette pas dans un monde incertain ».
            9. A titre d’exemple, plus de 40 % des entreprises rencontraient des difficultés de recrutements selon la DARES dans son point sur la situation du marché du travail au 3e trimestre 2024.
            10. Voire le renverse, puisqu’en raisonnant du point de vue de l’individu, l’employabilité et la désirabilité des recruteurs quant aux compétences rares est mieux rémunérée dans les secteurs privés que dans le secteur public.
            11. Enquête Opinion-Way- Indeed (2023), « L’attractivité du secteur public chez les salariés français : entre réalité et désillusion », juin. Enquête réalisée sur un panel de 1 594 salariés représentatifs des salariés du secteur public (4 %) et du secteur privé (60 %).
            12. Il convient cependant de relever les travaux récents du ministère de la fonction publique en la matière afin de prévoir une protection sociale complémentaire pour les agents publics de l’État, puis à terme, des autres fonctions publiques.
            13. Ces « avantages » existent en Belgique, mais pourraient être remis en cause par le nouveau Gouvernement. Une réflexion pourrait s’ouvrir sur la responsabilité de l’administration dans le reclassement des agents publics concernés sur des fonctions moins exposées.
            14. Voir à ce sujet Drees (2022), « Retraite : règles de la fonction publique et du privé. Comparaison du calcul des droits à la retraite à l’aide du modèle Trajectoire », Les dossiers de la Drees, n° 103, novembre.
            15. Mais cette voie d’accès reste marginale, en 2021 elle a permis de recruter 200 personnes pour 300 postes offerts selon le Rapport annuel sur l’état de la fonction publique de 2023.
            16. En 2021, environ 700 étudiants étaient inscrits aux préparations des concours de catégorie A, 400 aux concours de catégorie A+ et 350 pour les concours de catégorie B. Depuis 2018, le taux de réussite progresse régulièrement (9 % en 2018-2019 et 23 % en 2021-2022).
            17. L’Horty Y. (2016), Les discriminations dans l’accès à l’emploi public, Rapport au Premier ministre, juin.
            18. Et plus encore pour les façades maritimes du sud et de l’ouest de la France. Ce qui, par ailleurs, peut poser des difficultés de mobilités pour les agents en poste, les opportunités étant plus rares.
            19. L’exemple le plus évident est la pratique du job dating par le rectorat de Versailles.
            20. Une autre difficulté tient aussi aux lieux de formation des lauréats des concours. À cet égard, l’initiative récente visant à développer auprès de l’Institut régional de Lille un lieu de formation à Nanterre pour les attachés d’administration est probablement salutaire.

            Étudiant en examen
          2. L’ENA, l’école qui meurt deux fois

            L’ENA, l’école qui meurt deux fois

            Temps de lecture : 7 minutes.

            Retour sur un article intitulé : « Les élèves de l’École nationale d’administration de 1848 à 1849 » des chercheurs Howard Machin et Vincent Wright (Oxford University). Lecture qui peut utilement être complétée par un autre article de Vincent Wright, également disponible sur Persée : « L’École nationale d’administration de 1849 : un échec révélateur ».

            Ces auteurs sont les spécialistes de la période. On peut également se reporter au livre de Guy Thuillier, L’ENA avant l’ENA.

             « Un des premiers actes du Gouvernement provisoire établi en février 1948 fut la fondation d’une école d’administration. »

            La création de l’École (nationale) d’administration par Hippolyte Carnot

            Cette école d’un nouveau genre1, envisagée sans succès depuis des décennies, connaîtra toutefois une histoire courte : elle est officiellement supprimée dès l’année suivante en août 1849.

            Elle reste encore aujourd’hui indissociable de la personnalité d’Hippolyte Carnot.

            Qui était Hippolyte Carnot ?

            Ancien élève de l’École polytechnique, Hippolyte Carnot entendait dupliquer le modèle de cette école aux savoirs administratifs. Ce faisant, M. Carnot poursuivait trois objectifs :

            • Un instrument de promotion sociale et de renouvèlement des élites ;
            • La mise à disposition pour le gouvernement d’une pépinière de talents disposant d’une formation de haut niveau. L’administration devant : « posséd(er) dans les rangs secondaires une pépinière de jeunes sous-officiers capables de remplacer immédiatement les supérieurs empêchés »2 ;
            • Enfin, la possibilité de mettre fin au népotisme et au favoritisme dans les recrutements.

            « La pensée qui présida à la fondation de l’École d’administration répondait au sentiment démocratique, je n’ai pas besoin de dire de quelle manière : en ouvrant aux capacités la porte des emplois publics, elle détrônait le plus absurde des privilèges, celui d’administrer par droit de naissance ou par droit de richesse… »

            La période d’études était fixée à trois ans et le nombre d’élèves à six cents (deux cents par année3). Un modèle, là encore, très proche de l’École polytechnique4.

            Il convient de souligner l’origine républicaine de cette école, alors même qu’une grande continuité a pu exister dans l’administration entre les différents régimes. S’agissant du fonctionnement comme des hommes. À cet égard, la bascule dans le Second Empire sonnera rapidement le glas de cette école.

            La deuxième République. Musée Ingres, Montauban. À consulter à cette adresse : https://histoire-image.org/etudes/figures-symboliques-iie-republique.

            Un concours pour les jeunes hommes de 18 à 22 ans

            Un processus de sélection en deux temps

            Deux catégories d’épreuves ont été mises en place pour assurer l’admissibilité, puis l’admission. Celles-ci étaient en tous points semblables aux épreuves de l’École normale supérieure :

            • Les épreuves d’admissibilité étaient purement orales et comportaient des questions de grec, de latin, d’histoire littéraire, d’arithmétique, de géométrie et d’algèbre ;
            • Les épreuves d’admissions étaient orales et écrites et comportaient des interrogations de version latine, d’histoire de France, de physique, de chimie et de sciences naturelles.

            Cette très grande diversité des épreuves et leur caractère très général contrastait avec les velléités opérationnelles du processus de sélection.

            Par ailleurs, les préparations n’étant pas proposées par les facultés, celles-ci demeuraient à la charge des candidats.

            Un premier concours organisé en 1848 et suscitant un certain enthousiasme, avant de s’essouffler dès l’année suivante

            Au premier concours, de mai à juin 1848, près de 865 candidats se présentèrent. À l’issue des épreuves : 152 candidats sur les 200 envisagés furent sélectionnés.

            Au second concours, organisé en novembre 1848 et uniquement à Paris, la chute des candidatures est drastique : 174 candidats se présentèrent aux épreuves, pour 106 places. Il s’agissait le plus souvent de ceux écartés du premier concours.

            Cette dégradation rapide de l’image de l’école tient à une multiplicité de raisons :

            • La qualité des enseignements5,
            • Les débats rapides sur l’opportunité de supprimer cet établissement,
            • L’absence de perspective professionnelle assurée (contrairement à l’École polytechnique, par exemple)
            • L’absence d’indemnités pour suivre le cursus.

            Les origines sociales des élèves : la bourgeoisie des grandes villes

            Une surreprésentation des classes urbaines

            Les individus de grandes villes sont surreprésentés :

            • 17 % des étudiants étant d’origine parisienne (alors que 2,9 % de la population habitait à Paris6) et trois candidats sur cinq avaient ou effectuaient au moment du concours leurs études à Paris ;
            • Deux sur cinq provenaient d’un chef-lieu de département.

            Ceci s’expliquait par les professions exercées par les pères :

            • Près de 30 % étaient agents publics,
            • Environ 25 % dans le commerce, l’industrie ou la banque,
            • 20 % étaient libéraux,
            • Le reste étant propriétaire, cultivateur, artisan.

            L’apparition d’une classe bourgeoise « moyenne »

            Même si quelques grandes familles sont présentes. Les auteurs soulignent toutefois l’extraction relativement faible des élèves. Beaucoup n’auraient probablement pas pu accéder à la haute fonction publique sans ce concours.

            Comme aujourd’hui, l’essentiel des candidats provient de la bourgeoisie et pour une infime minorité (moins d’un sur douze alors) de classes modestes. Cette origine relativement commune dénote fortement avec le recrutement aristocratique de l’époque s’agissant de la haute fonction publique7.

            Pour autant, et d’une manière semblable à l’École nationale d’administration de 1945, les auteurs notent une concentration particulièrement élevée d’élèves de grands lycées, le plus souvent parisiens : Henri IV, Louis-le-Grand, Charlemagne… et très souvent privés : Sainte-Barbe, Rollin et Vaugirard, notamment.

            « C’est ainsi qu’une des conséquences paradoxales de la création de l’École d’administration, si elle avait duré, autant été d’ouvrir la porte de l’administration aux enfants très doués des écoles privées, souvent issus de riches familles catholiques. »

            Quel bilan ?

            Une mort rapide

            Le destin de l’École est scellé avec l’accession à la présidence de la République de Louis-Napoléon Bonaparte.

            Alfred de Falloux remplace Hippolyte Carnot comme ministre de l’instruction publique et suspend presque immédiatement les cours, avant de faire supprimer l’École par l’Assemblée quelques mois plus tard, en août 1949.

            Du cycle initialement prévu sur trois ans, l’enseignement dura à peine cinq mois pour la première promotion et six semaines pour la seconde.

            Une majorité d’étudiants poursuivirent logiquement leurs études dans les facultés de droit8, traditionnelles voies d’accès à la fonction publique. D’autres dans des écoles d’ingénieurs (Saint-Cyr, École polytechnique, École des Mines, École centrale…).

            Certains encore choisirent une tout autre carrière (sciences, médecine, etc.) ou ne continuèrent pas leurs études.

            Des carrières difficiles pour les lauréats

            Un effet quasiment nul sur les carrières des élèves

            En l’absence de formations sérieuses et de droits d’accès spécifiques à l’administration, les élèves des deux promotions entamèrent des chemins tout à fait personnels.

            Deux cinquièmes furent nommés à des postes dans l’administration, mais la plupart dans des emplois peu importants et encore moins prometteurs. Seule une minorité devint auditeur au Conseil d’État ou attaché aux Affaires étrangères.

            Sur les 258 anciens élèves, il n’y eut ainsi que deux conseillers d’État et huit préfets, aucun auditeur de la Cour des comptes, un seul directeur général d’administration (à la direction générale des Monnaies), deux ambassadeurs, deux consuls généraux et quatre ministres plénipotentiaires.

            Vingt-cinq devinrent simples professeurs, la majorité des étudiants en droit devinrent avocats.

            Un accès aux plus hautes fonctions publiques qui demeure réservé aux grandes familles

            Ainsi, M. Senès, premier au concours de la première promotion, finit sa carrière comme agent d’assurance tandis que M. Triaire, premier de la seconde promotion, demeura toute sa vie professeur de lycée.

            En définitive, la place au concours n’était d’aucune aide : les rares élèves qui finirent hauts fonctionnaires se trouvaient pour l’essentiel entre la 90ᵉ et la 130ᵉ place… Tous étaient issus de la haute bourgeoisie ou de l’aristocratie.

            Inversement, on peut légitimement penser que l’école aurait pu, comme l’a fait l’ENA un siècle plus tard, renverser les modalités habituelles de sélection en permettant à des jeunes gens9 intelligents d’accéder aux plus hautes fonctions. Peu importe leurs origines — même si celles-ci étaient, et demeurent aujourd’hui, généralement bourgeoises.

            Une école qui ne satisfaisait finalement personne

            Une contestation tous azimuts

            La première contestation vint du monde universitaire, jusque-là seule pourvoyeuse de fonctionnaires administratifs et jalouse de ses prérogatives.

            Cette mise en place d’une première École d’administration a été également très mal vécue par le sérail administratif, attaché à ses facultés de sélection et de promotion de son personnel. Crainte aussi partagée par les « petits fonctionnaires », soucieux de pouvoir conserver des marges d’avancement en dehors de ce que certains pouvaient considérer comme un « élitisme estudiantin ».

            Enfin et surtout, les politiques y ont vu une perte de pouvoir en empêchant le « patronage » alors très répandu et permettant de se constituer une clientèle, en dépit des quelques règles minimales de compétences (notamment l’exigence d’une licence de droit).

            Le rôle ambigu des forces conservatrices et bourgeoises

            Cette école sera par ailleurs très critiquée par une partie de la moyenne et haute bourgeoisie. Un tel mode de sélection pouvant porter le germe de la sédition par la promotion de classes laborieuses jugée plus instable.

            Pour autant, force est de constater que la droite conservatrice ne portera aucunement atteinte aux autres « Grandes Écoles », toutes publiques et assises sur un concours. L’École normale supérieure, l’École des chartes, l’École des mines, l’École des ponts et chaussées et, plus encore, l’École polytechnique seront même particulièrement soutenues par les monarchistes et bonapartistes.

            Une interrogation plus profonde sur la finalité de l’enseignement

            Pour beaucoup, ce qui détonnait était surtout l’incompréhension devant la création d’une école consacrée à des matières aussi peu scientifiques.

            À cet égard, le mode de recrutement et le contenu des enseignements ensuite délivrés détonnaient avec cette prétention à l’opérationnalité. Nous ne pouvons que penser à La Princesse de Clèves et aux débats permanents sur le rôle des écoles professionnelles.

            1. Il s’agit de la première école dédiée à la « science administrative ».
            2. Le Conseil d’Etat devait initialement constituer cette pépinière, mais finalement sans grand succès.
            3. Avec une administration toutefois largement plus légère en effectifs qu’aujourd’hui, voir par exemple l’article sur ce blog consacré à l’administration centrale dès l’Ancien régime. Un tel périmètre recouvre donc les actuels attachés d’administration et administrateurs de l’Etat.
            4. En précisant que cette nouvelle école, s’agissant des enseignements, étaient adossée au Collège de France.
            5. Les enseignements étaient dispensés dans les locaux du Collège de France et portaient sur des sujets très divers et parfois très éloignés de la matière administrative. Les cours de minéralogie ont notamment longtemps constitué un sujet de plaisanterie. Ce qui permettait aux contempteurs de souligner l’hérésie de vouloir constituer un enseignement se prétendant scientifique et administratif sans trop d’effort.
            6. Soit une sur-représentation de près de 6 fois le poids de Paris sans la démographie française. Pour autant, ce concours n’en constitue pas moins une avancée. MM. Machin et Wright rapportent ainsi que sur les 234 auditeurs du Conseil d’Etat sous le Second Empire, 102 étaient originaires de Paris.
            7. Durant le Second Empire, un cinquième des conseillers d’Etat seront originaires de l’aristocratie et les quatre cinquième restant de la haute bourgeoisie.
            8. 113 obtinrent une licence en droit.
            9. Allusion évidemment à l’ouvrage de Mathieu Larnaudie : https://www.amazon.fr/jeunes-gens-Enqu%C3%AAte-promotion-Senghor/dp/2246815096
          3. Les attachés d’administration de l’État : un corps interministériel

            Les attachés d’administration de l’État : un corps interministériel

            Temps de lecture : 6 minutes.

            Un bilan de gestion du corps interministériel des attachés d’administration de l’État a été présenté au Conseil supérieur de la fonction publique de l’État le 13 juillet 2016. Il est disponible sur le site internet d’Acteurs publics1.

            Le décret n° 2011-1317 du 17 octobre 2011 portant statut particulier du corps interministériel des attachés d’administration de l’État est l’acte fondateur de ce nouveau corps.

            Voilà les principaux éléments du bilan ici synthétisés.

            Des vagues d’intégration de 2013 à 2019

            L’intégration en 2013 de treize corps ministériels

            L’article 20 du décret n° 2013-876 du 30 septembre 2013 a eu pour objet principal de procéder à l’intégration, dans le corps interministériel des attachés d’administration de l’État, des membres des treize corps ministériels suivants : 

            • les attachés d’administration des services du Premier ministre,
            • les attachés des Affaires sociales,
            • les attachés de l’Agriculture et de la pêche,
            • les attachés de la Culture et de la communication,
            • les attachés de l’Économie, des Finances et de l’Industrie,
            • les attachés de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur,
            • les attachés de l’Équipement (écologie),
            • les attachés de l’Intérieur et de l’Outre-mer,
            • les attachés des juridictions financières,
            • les attachés de la Justice,
            • les attachés du Conseil d’État et de la Cour nationale du droit d’asile,
            • les attachés de la Caisse des dépôts et consignations,
            • les attachés de l’Office national des forêts.

            Le texte a également fixé les modalités d’adhésion des membres des trois corps en extinction suivants :

            • les conseillers d’administration scolaire et universitaire (CASU),
            • les directeurs de préfecture et
            • les chefs des services administratifs du Conseil d’État.

            L’intégration en 2014 des personnels civils administratifs relevant du ministère des Armées

            Le mouvement s’est poursuivi par l’article 8 du décret n° 2014-1553 du 19 décembre 2014 portant diverses dispositions relatives au corps interministériel des attachés d’administration de l’État, avec l’intégration des membres de deux corps suivants : 

            • les attachés d’administration de la Défense (désormais, les Armées) et
            • les directeurs des services déconcentrés de la Défense.

            L’intégration en 2015 des personnels civils administratifs relevant de l’aviation civile

            En 2015, ont été intégrés dans le corps interministériel, en vertu de l’article 4 du décret n° 2015-1784 du 28 décembre 2015 :

            • les attachés d’administration de l’Aviation civile.

            L’intégration en 2016 des personnels civils administratifs de l’OFPRA.

            Enfin, le décret n° 2016-907 du 1ᵉʳ juillet 2016 portant diverses dispositions relatives au corps interministériel des attachés d’administration de l’État fixe les modalités d’adhésion au corps :

            • des officiers de protection des réfugiés et apatrides de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

            L’intégration, enfin, des secrétaires des affaires étrangères du cadre d’administration

            Cette intégration, postérieure au bilan ici présenté, est intervenue par l’article 51 du décret n° 2019-86 du 8 février 2019 relatif aux instituts régionaux d’administration.

            Un corps interministériel à gestion ministérielle

            Le corps des attachés d’administration de l’État relève du Premier ministre. Toutefois, sa gestion est ministérielle. D’où l’expression « CIGEM » : pour corps interministériel à gestion ministérielle.

            À titre de comparaison :

            • Les administrateurs de l’État (catégorie A, dite A+) appartiennent à un corps interministériel à gestion interministérielle2 ;
            • Les secrétaires administratifs à un corps ministériel (mais commun à l’ensemble des ministères), à gestion ministérielle3.

            La répartition des attachés d’administration par grade

            Compte tenu des rattachements évoqués plus haut, le corps des attachés relève aujourd’hui de seize autorités de rattachement, soit près de 31 500 agents à la date du bilan (2016), répartis dans les trois grades suivants :

            • 18 500 attachés d’administration (11 500 femmes et 7 000 hommes) — environ 60 % du corps ;
            • 11 000 attachés principaux (6 000 femmes et 5 000 hommes) — soit près de 35 % du corps ;
            • Enfin, près de 2 000 attachés hors classe (dont 500 directeurs de services), à parité entre femmes et hommes — soit 5 % du corps.

            Au titre de 2015, l’âge moyen des agents promus attaché principal (examen professionnel et liste d’aptitude) est de 48,1 ans. Âge relativement stable comparativement aux exercices 2013 et 2014, avec respectivement 46,8 et 48,5 ans.

            L’âge moyen des agents promus au grade d’attaché hors classe est lui de 50 ans au titre de 2015. L’échelon spécial est quant à lui accordé en moyenne à 59 ans.

            La répartition des attachés d’administration par ministère

            Deux ministères concentrent plus de la moitié des effectifs

            Le principal recruteur est sans surprise l’Education nationale avec près de 12 000 attachés d’administration, pour un plafond d’emploi (projet de loi de finances pour 2015) de 984 000 équivalents temps pleins (ETP).

            Le second grand vivier d’attachés d’administration est constitué par le ministère de l’Intérieur4 avec près de 5 500 attachés d’administration, pour 284 000 ETP.

            Les 45 % restants se répartissent dans les différents ministères, juridictions et à la Caisse des dépôts et consignations

            Répartition des attachés d’administration dans les autres ministères5 :

            • 2 800 au ministère de l’Ecologie (ex-équipement)6, pour près de 44 400 ETP ;
            • 2 300 au sein des ministères sociaux (travail et santé), pour 20 000 ETP7 ;
            • 2 000 à l’intérieur des ministères économiques et financiers (à mettre en rapport avec les effectifs des douanes ou de l’inspection des finances publiques) pour 146 000 ETP ;
            • 1 600 au ministère des Armées, pour 267 000 ETP ;
            • 1 400 au ministère de l’Agriculture, pour 31 000 ETP ;
            • 1 000 au ministère de la Justice, pour 79 000 ETP ;
            • 800 à la Caisse des dépôts et consignations ;
            • 600 au ministère de la Culture, pour 11 000 ETP ;
            • 500 dans les services du Premier ministre (dont les effectifs des secrétariats généraux affaires régionales) pour près de 10 000 ETP ;
            • 400 dans les juridictions financières (dont les vérificateurs placés auprès des magistrats) ;
            • 160 au Conseil d’État ;
            • 150 à l’Office national des forêts.

            Ce qui saute aux yeux est évidemment la petitesse de leur nombre, au regard de l’ensemble des effectifs desdits ministères.

            Les avantages d’un corps interministériel

            La création d’un corps interministériel visait à faciliter la mobilité et l’attractivité du corps des attachés d’administration.

            En termes opérationnels, la création de ce corps a permis les avancées suivantes :

            • La fin de la pratique du détachement et de la double carrière. Les attachés d’administration peuvent désormais librement passer d’une administration à une autre8 ;
            • L’application d’un taux de promotion pour l’accès au grade d’attaché principal identique pour toutes les autorités de gestion du corps depuis 2015. Ce taux de référence est de 7 % ;
            • Une convergence indemnitaire entre les autorités de gestion (encore imparfaite) ;
            • La création d’un troisième grade d’attaché hors classe et d’un échelon spécial dans le corps interministériel des attachés d’administration de l’État. L’objectif étant de revaloriser la carrière du corps des attachés, de mener une réflexion sur la cartographie des fonctions de catégorie A et d’ouvrir de nouvelles perspectives fonctionnelles pour les attachés principaux les plus confirmés.

            La composition du corps

            Des entrées dans le corps très hétérogènes

            Au titre de 2015, près de 2 000 recrutements ont été réalisés :

            • 600 par la voie des Instituts régionaux d’administration (IRA) ;
            • 100 par la voie de concours directs organisés par les ministères ;
            • 300 par la voie du concours réservé dit « Sauvadet » (pour les contractuels) ;
            • 500 par liste d’aptitude au titre de la promotion interne ;
            • 160 par examen professionnel ;
            • 285 par intégration directe ou détachement.

            Les recrutements réalisés par les IRA sont donc particulièrement faibles, constituant à peine le tiers des entrées.

            Des sorties moins élevées, signe d’un corps en expansion

            En effet, seules 1 200 sorties sont relevées sur l’exercice 2015. Parmi celles-ci, près de 1 000 départs en retraite.

            Le reliquat est constitué de promotions de corps (administrateurs civils, magistrats…), une intégration dans un autre corps (inspecteur des finances publiques…) ou par une sortie de la fonction publique.

            Un corps faisant l’objet d’une mobilité ministérielle et interministérielle

            Près de 2 000 mobilités annuelles au sein de l’autorité de gestion sont enregistrées chaque année (changement de service ou d’établissement), pour environ 500 mobilités en dehors de l’autorité de gestion (mobilité interministérielle). Soit un taux de mobilité d’environ 8 %.

            1. A ma connaissance, les autres bilans de gestion n’ont pas été rendus publics, ce qui interroge sur la transparence dans la gestion des effectifs. Ces bilans sont prévus à l’article 7 du décret n° 2011-1317 du 17 octobre 2011.
            2. Article 1 du décret n° 2021-1550 du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrateurs de l’Etat.
            3. Article 4 du décret n° 2010-302 du 19 mars 2010 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux corps des secrétaires administratifs des administrations de l’Etat et à certains corps analogues relevant du décret n° 2009-1388 du 11 novembre 2009 portant dispositions statutaires communes à divers corps de fonctionnaires de la catégorie B de la fonction publique de l’Etat.
            4. Dont l’Outre-mer.
            5. Nous ne disposons pas du nombre d’attachés pour les affaires étrangères, près de 17 000 ETP au titre de 2006, mais les effectifs d’attachés y sont également très modestes.
            6. Dont l’aménagement du territoire.
            7. Comparativement aux autres ministères, il s’agit donc du périmètre le plus « intensif » en attachés d’administration.
            8. Les attachés étant en « position normale d’activité ». Ce qui n’est donc toujours pas le cas des secrétaires administratifs évoqués plus haut.
          4. Promotion « haut-fonctionnaire » : les attentes du jury

            Promotion « haut-fonctionnaire » : les attentes du jury

            Temps de lecture : 8 minutes.

            On ne conseillera jamais assez aux candidats de lire les rapports du jury, peu importe le concours visé.

            Vous y découvrirez des informations précieuses, sur les attentes du jury, les profils des autres candidats, mais également des perspectives sur les métiers de débouchés des différents concours et examens, ce qui vous permet à la fois de démontrer votre curiosité et de vous projeter sur ces fonctions.

            A cet égard, le rapport du comité de sélection interministériel du corps des administrateurs de l’Etat pour 2022 est riche d’enseignements.

            Le document est disponible ici : Rapport du comité de sélection pour la procédure dite du tour extérieur des administrateurs civils au titre de 2022 (fonction-publique.gouv.fr)

            Le tour extérieur des administrateurs de l’Etat

            Le tour extérieur des administrateurs de l’Etat peut-être considéré comme le véritable concours interne des agents de catégorie A souhaitant exercer des fonctions d’administrateurs de l’Etat.

            Au titre de 2022, 38 places étaient à pourvoir, contre 32 places pour le concours interne de l’Institut national du service public (INSP) au titre du même exercice1.

            A la différence du concours interne, il n’y a pas une multitude d’épreuves écrites et orales, et surtout, il n’est pas question de deux ans de scolarité à l’INSP, accompagné de trois stages : en affaires internationales, entreprise et préfecture (et autant de déménagements successifs).

            Les candidats sont présélectionnés par leurs administrations afin de ne présenter que les agents ayant le potentiel pour exercer des fonctions supérieures et l’épreuve est axée sur un entretien avec le jury autour de la revue des réalisations professionnelles du candidat et de sa capacité à se projeter dans son univers professionnel.

            Par ailleurs, la formation est allégée, réduite à six mois, afin de tenir compte de la spécificité des candidats : à savoir des fonctionnaires de catégorie A exerçant déjà des fonctions supérieures et souhaitant changer de corps afin de poursuivre leur ascension professionnelle2.

            A l’inverse, et comme le rappelle le dernier rapport du jury relatif au concours interne de l’INSP, le concours interne demeure un concours de début de carrière, permettant en particulier à ceux ayant échoué quelques années plus tôt au concours externe de l’INSP de retenter leurs chances.

            Les candidats et lauréats du concours interne sont en grande majorité des hommes (alors même que les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans la filière administrative) , ils sont très jeunes3, autour de la trentaine, ne sont évidemment pas sélectionnés par leur administration et doivent préparer des épreuves essentiellement théoriques.

            D’abord quelques chiffres

            Au titre de 2022, 297 dossiers ont été déposés pour le tour extérieur (contre 241 en 2021) pour un nombre d’emploi à pourvoir de 38. Des chiffres assez similaires au concours interne de l’INSP, avec 302 candidats présents aux épreuves écrites pour 32 places.

            Le comité, d’un commun accord, a décidé de ne pas tenir compte des listes préférentielles présentées par les ministères, notamment parce que tous les ministères n’avaient pas établi de telles listes, afin de se doter d’une capacité d’appréciation la plus libre possible, en se fondant exclusivement sur les dossiers de candidature et les prestations orales des candidats.

            Pour autant, il convient de préciser que si les évaluations des administrations n’ont pas été retenues par le jury, les candidats présentés sont tout de même ceux sélectionnés par ces dernières. Comme énoncé plus haut, un agent de catégorie A ne peut de sa propre volonté, parce qu’il réunit les critères d’éligibilité, solliciter un entretien devant le comité de sélection.

            A l’issue de l’examen, seuls 34 candidats ont finalement été retenus – 4 emplois n’ont donc pas été pourvus. Le fait de ne pas saturer la liste des emplois disponibles témoigne, à l’évidence, de la sélectivité du jury.

            Malgré un léger rebond des candidatures, une sélectivité qui demeure tendanciellement en baisse

            Premier constat : un rebond des candidatures sur 2022 par rapport à 2021 :

            Une sélectivité qui demeure tendanciellement en baisse :

            A titre de comparaison, par rapport aux candidats présents aux épreuves d’admissibilité aux écrits, le taux de sélection du concours interne de l’INSP pour 2023 est nettement plus défavorable, à 1 pour 9,4.

            Des candidats le plus souvent masculins, d’environ 43 ans, en administration centrale aux ministères de l’Intérieur ou de l’Economie et des finances

            En effet, le comité de sélection rappelle la concentration des candidatures au sein de deux ministères : l’Intérieur et l’Economie et les finances (41% des candidats).

            Ces candidats sont plus souvent masculins (y compris chez les admis).

            L’âge moyen est de 43 ans (contre 42 ans en 2021), avec un plus bas à 36 ans et un plus haut à 51 ans. Près de la moitié des candidats ont entre 40 et 44 ans.

            Les attachés demeurent le corps le plus représenté avec près de 80% des candidats et plus de 90% des admis. Parmi les admis : 70% sont attachés principaux d’administration et 20% attachés hors classe.

            L’appréciation qualitative des dossiers présentés par les candidats

            S’agissant des CV:

            Le comité de sélection regrette des présentations médiocres et peu claires. Des éléments inutilement bavards et des présentations complexes rendant la lecture absconde.

            Enfin, quelques candidats ont survalorisés des fonctions ou des engagements, ce qui est évidemment peu approprié et se révèle rapidement contreproductif à l’oral.

            S’agissant des évaluations des supérieurs hiérarchiques :

            Le comité rappelle l’enjeu d’une présentation claire, non ambiguë et si possible harmonisée, a minima au sein d’un même périmètre ministériel. Les candidats devant, de leur côté, être capable d’expliciter les observations.

            S’agissant du relevé des acquis de l’expérience professionnelle (RAEP) :

            Le RAEP est considéré par le comité de sélection comme « manifestement pas bien compris et (…) très en-deçà des attentes. »

            « La présentation doit donc être claire, porter sur une expérience récente, comporter une part descriptive mais dynamique et aussi critique, à la condition qu’elle soit sincère et surtout bien argumentée. Les candidats doivent faire l’effort d’une expression et d’une orthographe correctes, d’une rédaction agréable à lire et, de façon essentielle, s’attacher à capter l’intérêt du lecteur. En synthèse, la RAEP doit permettre au candidat de faire la démonstration qu’il détient une hauteur de vue, des capacités d’analyse et des aptitudes opérationnelles au niveau de ce qui peut être attendu d’un administrateur de l’Etat. »

            Or, pour les membres du comité de sélection, le RAEP s’apparente trop souvent à une simple description de fiche de poste sans présentation d’une quelconque problématique ou, à l’inverse, « à une succession de prises de position tranchées et péremptoires ».

            S’agissant du parcours professionnel, plusieurs critères permettent de démontrer les capacités d’adaptation des candidats selon les membres du comité, notamment :

            • L’existence d’une ou plusieurs mobilités entre ministères ou fonctions publiques, ou encore entre différentes structures administratives (centrale, déconcentré, opérateurs) ;
            • L’occupation de poste dans des domaines fonctionnels différents (juridique, RH, budget) ou de nature différente (fonctions support, mise en œuvre d’une politique publique, tutelle d’opérateur) ;
            • L’occupation de fonctions d’encadrement ;
            • Une prise de responsabilité croissante ayant permis d’atteindre : « un niveau hiérarchique suffisant et pouvant se caractériser, sans que cela ne soit une condition exclusive, par l’occupation d’un emploi fonctionnel. »

            Evidémment, le comité tient également compte des spécificités propres à chaque ministère s’agissant de la nature et du niveau hiérarchique des postes ouverts aux catégories A.

            S’agissant des auditions des candidats

            Le comité de sélection note que la première partie de l’entretien (5 minutes), consacré au parcours du candidat, est généralement réussi tant en termes de gestion du temps que de contenu, malgré quelques exposés décousus et peu lisibles (en dépit de l’annonce du plan).

            Toutefois, le constat unanime est celui d’un discours trop convenu sur le fond, uniforme et finalement assez ennuyeux.

            En revanche, pour la partie relative aux questions, le comité a constaté de véritables lacunes alors même que le comité de sélection s’est, pour l’essentiel, appesanti sur le parcours du candidat : curriculum vitae, évaluations, RAEP.

            Le jury est particulièrement sévère sur la capacité des candidats à formaliser un point de vue présentant de la hauteur : « Les candidats ont souvent montré une incapacité à décrire et surtout à situer leur poste ou leurs missions dans leur environnement professionnel ou dans des problématiques de politiques publiques un peu élargis. »

            Le comité de sélection note ainsi son incompréhension devant la réaction des candidats à des questions relatives à leurs points forts supposés, tels que mis en avant dans leur dossier d’évaluation (lorsqu’ils en ont un).

            Plus encore, le comité de sélection note que : « beaucoup de candidats ont semblé « désemparés » devant des questions portant pourtant sur leur dossier, le choix de postes, le parcours, la mobilité géographique et l’éventuelle prise ou non prise de risque dans leurs sélections de fonctions. »

            Enfin, s’agissant de l’échange élargi avec le comité de sélection, les membres dudit comité notent : « un véritable échec. » Ce qui interroge sur les préparations disponibles pour les candidats et sur la capacité de ces derniers à dégager du temps et de l’espace critique pour s’assurer de leur capacité à engager une discussion de haut niveau.

             « Le socle minimum de culture administrative, juridique, économique et politique normalement détenu par un administrateur de l’Etat souffre d’une insuffisante préparation de la part des candidats. »

            « Pour le comité, ce qui est en cause, c’est l’impréparation, le manque de réflexion et de curiosité mais aussi des imprécisions voire des lacunes importantes sur des connaissances minimales empêchant de bien articuler sa pensée, y compris sur les grands sujets d’actualité du moment, pourtant très largement analysés dans les médias. »

            Pour le comité de sélection, il est essentiel que les candidats se renseignent également sur le profil des membres du comité, sur leurs centres d’intérêt naturels ou leurs spécialités. 

            En bonus, la liste des thématiques pouvant être abordées lors du comité de sélection au tour extérieur des administrateurs de l’Etat :

            Je ne peux que vous inciter à reproduire cette liste de questions et à l’adapter au concours ou à l’examen visé. Répondez à chacune d’entre elles, étoffer la liste et vous serez probablement davantage préparé que 90% des candidats, y compris en catégorie A.

            Culture administrative :

            Qu’est-ce que la souveraineté nationale et comment s’exerce-t-elle ?

            Quelles sont les missions du Conseil Constitutionnel ?

            Qu’est-ce que le bloc de constitutionnalité ? A quoi sert-il ?

            Quelles différences entre un décret en conseil d’Etat et un décret en conseil des ministres ?

            Qui exerce le pouvoir réglementaire ?

            Qu’est-ce que l’article 49-3 de la Constitution ?

            Qu’est-ce que la hiérarchie des normes ?

            Quelles sont les missions régaliennes de l’Etat ?

            Comment sont organisées les juridictions en France ? Deux ordres sont-ils utiles ?

            Qu’est-ce que le Conseil d’Etat ? La Cour de cassation ?

            Connaissez-vous des juridictions spécialisées et dans quels domaines ?

            Quelles sont les juridictions compétentes en droit du travail ?

            Quelles sont les juridictions financières en France ?

            Connaissez-vous des juridictions qui emploient des juges non professionnels ? Des citoyens ?

            Faut-il juger les ministres ? Qui les juge ? Existe-t-il des procédures en cours ?

            Quelles sont les juridictions compétentes en matière pénale ? A quoi sert la cour d’assises ?

            Quel est le rôle du parquet ? Parquet siège quelles différences ?

            Fallait-il créer un parquet financier ?

            Qui juge les terroristes ? Quelle est l’utilité d’un parquet antiterroriste ?

            Quelle est la différence entre éthique et déontologie ? Qu’est-ce que la déontologie ? Quelles instances interviennent dans ce domaine ?

            Qu’est-ce que l’article 40 du Code de procédure pénale ?

            Qu’est-ce qu’une autorité administrative indépendante ? Pouvez-vous en citer ? Leur utilité ?

            Les grands principes du droit des collectivités locales ?

            L’organisation des collectivités territoriales de l’Île-de-France est-elle efficace ?

            Quel est le cadre juridique encadrant les compétences des collectivités locales ?

            Les régions ont-elles une clause de compétence générale ?

            Quel transfert de compétence est demandé par les régions ?

            Fallait-il départementaliser Mayotte ?

            La France a-t-elle vraiment sa place outre-mer ? Que lui apporte cette présence ?

            Qu’est-ce que la diagonale du vide ?

            Quelles sont les conditions de la réussite de la dématérialisation des procédures ?

            Qu’est-ce que la fracture numérique ?

            Faut-il garder deux forces de sécurité en France, police et gendarmerie ?

            Le lien armée Nation ?

            Compte tenu de l’actualité géopolitique, pensez-vous qu’il fallait supprimer le service militaire ?

            Faut-il continuer à dialoguer avec la Russie ?

            Votre avis sur la conception française de la laïcité ? Avez-vous des exemples de politiques françaises de discrimination positive ? Votre avis ?

            La politique française de lutte contre le séparatisme est-elle efficace ?

            Quelles sont les mesures prises dans l’éducation pour lutter contre la radicalisation ?

            Faut-il accueillir les mineurs de retour des zones de terrorisme en Syrie ?

            Quels ont été les derniers éléments de modernisation de la formation professionnelle en France ?

            A quoi sert la formation continue ?

            Qu’est-ce qu’un dialogue social réussi ?

            La réquisition est-elle la marque de l’échec du dialogue social ? Quels sont les fondements juridiques de la réquisition ?

            Le droit à la paresse

            Faut-il supprimer les droits de succession ?

            Le prix unique du livre

            La loi Toubon : un combat vain ?

            Questions économiques, budgétaires et financières :

            Quels sont les grands principes qui régissent la commande publique ?

            Quels sont les grands principes budgétaires ?

            Qu’est-ce qu’une loi financière ? Quelle différence avec la loi ordinaire ?

            Quelle différence entre une loi de financement de la sécurité sociale et une loi de finances ?

            Quel est le 1er poste de la dépense publique en France ?

            Quels sont les principales dépenses du budget de l’Etat ?

            Pourquoi faut-il maitriser la dépense publique ?

            Le montant de la dette française est-il un problème ?

            Quel est le montant de l’excédent budgétaire français ? (question-piège !)

            Quelles sont les principales mesures du projet de loi de finances 2023 ?

            Quelles sont les principales mesures du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2023 ?

            Quel sont les atouts de l’économie française ?

            Quels sont les maux de l’économie française ?

            Comment est gérée l’assurance chômage ?

            La fermeture de Fessenheim était-elle opportune ?

            Question sur l’Europe :

            Pouvez-vous citer quelques institutions de l’Union européenne et leurs missions ?

            Quelle différence y a-t-il entre le Conseil européen, le Conseil de l’Union européenne et le Conseil de l’Europe ?

            Qu’est-ce que l’espace Schengen ?

            Tous les Etats membres de l’UE participent-ils à la zone euro ? Lesquels n’y participent pas ?

            Quels sont les principaux actes juridiques contraignants de l’Union européenne ?

            Dans quelle mesure le droit de l’Union européenne s’applique-t-il en France ?

            Quelles sont les principales caractéristiques du budget de l’Union européenne ?

            Faut-il retirer l’anglais de la liste des langues de travail de l’UE ?

            L’usage de la langue française dans l’administration française et dans les relations avec l’Union européenne ?

            Faut-il réformer le marché européen de l’électricité ?

            Questions sur la Fonction publique :

            Le statut général de la Fonction publique : sa première qualité et son plus grand défaut ?

            La loi de transformation de la Fonction Publique du 6 août 2019 ? Quels en sont les 5 axes ou les grands principes ?

            Est-ce que l’ouverture facilitée au recrutement des agents contractuels pour les emplois de direction est de nature à diminuer l’attractivité du corps des administrateurs de l’Etat ?

            Quels sont les freins au recrutement des agents contractuels pour les emplois de direction ?

            Le statut de fonctionnaire a-t-il encore du sens pour les missions non régaliennes et pourquoi ?

            le statut est-il un élément d’attraction ou un frein au recrutement ?

            Comment rendre plus attractive la fonction publique ?

            Fallait-il supprimer l’ENA ?

            Le temps réel de travail des hauts fonctionnaires français est-il un signe d’efficacité ?

            La transformation de certains corps du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères pourrait-il avoir des conséquences pour la diplomatie française ?

            Dans quelle mesure la crise sanitaire récente a-t-elle été une opportunité de modernisation de la fonction publique française ?

            Quelles sont les instances représentatives des personnels dans la fonction publique ?

            Qu’est-ce que le devoir de réserve du fonctionnaire ? L’obligation de discrétion ? Le secret professionnel ?

            Quel est le rôle actuel des CAP ? Est-ce que les compétences revues des CAP seront de nature à diminuer le rôle des organisations syndicales et d’avoir une incidence sur le taux de participation des élections de décembre ?

            Est-ce que le syndicalisme a du sens pour l’encadrement supérieur ?

            Existe-t-il un dispositif alternatif pour prendre en compte les aspirations de l’encadrement supérieur en dehors du champ syndical ?

            Télétravail et encadrement ?

            Un plan égalité a-t-il été mis en place dans votre structure/établissement ?

            Comment revaloriser le métier d’enseignant ?

            Quels sont les enjeux de la revalorisation des salaires des enseignants ?

            Les concours sont-ils toujours la meilleure façon de recruter des enseignants ? A l’image des autres pays européens, faut-il supprimer le statut des enseignants pour créer une profession réglementée ?

            Qu’est-ce que Parcoursup ?

            Questions diverses :

            Comment réagir face à un chef harceleur ?

            Comment définir un mauvais chef ? Comment travailler avec lui ?

            Qu’est-ce qui vous fait rire ?

            Le dernier livre que vous avez lu ? Le dernier film vu ?

            1. Arrêté du 4 août 2022 fixant le nombre de places offertes en 2022 aux concours d’entrée à l’Institut national du service public.
            2. Outre l’aspect professionnel, on peut aussi imaginer que les quarantenaires présentent une structure familiale différente rendant peu opérationnel le concours interne proposé par l’INSP.
            3. Le dernier âge moyen communiqué pour les admis au concours interne de l’Ecole nationale d’administration date de 2020, il était de 32 ans. Malheureusement, à ma connaissance, l’INSP ne communique plus sur cette statistique.
          5. La fonction publique est-elle encore attractive ?

            La fonction publique est-elle encore attractive ?

            Temps de lecture : 10 minutes.

            J’ai lu avec beaucoup d’intérêt un rapport du Sénat relatif à la mission « Transformation et fonction publique »1 du projet de loi de finances pour 2024.

            Vous pouvez le retrouver ci-après : Avis n°1778 – Tome IX – 16e législature – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)

            Une augmentation inquiétante du ratio d’emplois non pourvus

            Le rapport sénatorial cite en premier lieu une note de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) datée de mai 2023.

            Celle-ci relevait qu’en 2021, comme en 2019 et en 2020, environ 8 % des postes de fonctionnaires de l’État n’avaient pas été pourvus : sur les 39 900 postes ouverts aux recrutements externes (concours et contractuels), seuls 36 700 agents avaient été recrutés.

            Si on s’intéresse aux emplois non pourvus à la suite d’un concours externe, le ratio augmente encore fortement, à près de 15%2. Ce qui peut expliquer, par ailleurs, la hausse du recours aux contractuels dans les différentes fonctions publiques.

            A titre de comparaison, et selon la DARES, au deuxième trimestre 2024, le taux d’emplois vacants s’élève à 2,8% dans les entreprises du secteur privé (hors agriculture, intérim, particuliers employeurs et activités extraterritoriales).

            Ce ratio global recouvre évidemment une diversité de situations avec des métiers plus ou moins tendus. On peut toutefois relever que la quasi-intégralité (99%) des employeurs de la fonction publique hospitalière font état de difficultés de recrutements3.

            Or l’attractivité d’un secteur est essentiel, pour a minima disposer du personnel en nombre suffisant pour exercer les missions confiées (le point de vue « quantitatif »), mais également pour disposer d’un personnel qualifié et ayant les compétences adaptées au besoin du recruteur (le point de vue « qualitatif »).

            Une problématique commune à plusieurs pays

            La moyenne d’âge dans les pays développés augmente progressivement, accentuant à la fois le vieillissement de la population et les besoins associés, notamment en termes de santé. Mécaniquement, les agents publics eux-mêmes vieillissent, d’autant que les fonctions publiques sont en moyenne plus âgées que le secteur privé.

            Parallèlement, si la part de jeunes intégrant la fonction publique demeure stable sur la période 1991-2015, entre 9 et 11%. Il convient de noter en termes relatifs une dégradation de l’attractivité de la fonction publique, évaluée en termes de rapports entre le nombre de candidats et de postes à pourvoir.

            Une problématique commune à toutes les fonctions publiques

            Concernant la fonction publique de l’État, la sélectivité aux concours externes a varié du simple au triple depuis le milieu des années 1980, mais elle baisse tendanciellement depuis la fin des années 2000. La sélectivité des recrutements externes est ainsi passée de 17 candidats pour 1 admis en 1997 pour s’établir en 2020 à 5,8 candidats pour 1 admis.

            Rapport annuel sur la fonction publique de 2022, « Les recrutements externes dans la fonction publique de l’Etat en 2020 »

            « La baisse tendancielle de la sélectivité n’est pas imputable à l’évolution du volume des recrutements mais est bien plus liée à une fuite des candidats : le nombre d’inscrits et de présents aux concours externes diminue depuis le milieu des années 1990, alors même que le vivier de jeunes diplômés, potentiels candidats, a crû presque continûment. Ainsi, à comportement inchangé des jeunes diplômés, la sélectivité des concours de catégorie A et B, hors enseignants, aurait dû croître. »

            Concernant la fonction publique hospitalière, les emplois les plus qualifiés et dans certains secteurs sont particulièrement en tension : 25% des postes de pédiatre et 46% des postes de radiologue sont vacants. 

            Concernant la fonction publique territoriale, 39% des recruteurs faisaient état de difficultés pour recruter en 2021. En particulier dans des métiers comme la police municipale, la petite enfance et le périscolaire, la propreté et l’administratif. La concurrence avec le secteur privé, notamment s’agissant des rémunérations est régulièrement soulevée4.

            Par ailleurs, les recrutements en milieu rural surajoute une difficulté rendant les recrutements particulièrement difficiles.

            Enfin, et de manière transversale, la filière du numérique représente également un sujet de difficulté pour les employeurs. Le secteur privé étant réputé répondre davantage aux attentes des candidats tant en terme de rémunérations, malgré les vélléités de l’Etat notamment5, de parcours de carrière, que de « culture managériale » selon un rapport de l’OCDE citée par la sénatrice6.

            Une contagion jusque dans la haute fonction publique

            La baisse de l’attractivité ne semble pas épargner la haute fonction publique, même si les grandes tendances cachent encore des situations contrastées selon les écoles et les types de concours.

            Le rapport Thiriez7 relevait ainsi en 2020 que « tous concours confondus (École nationale d’administration, École nationale de la magistrature, Institut national des études territoriales, École des hautes études en santé publique), le nombre de candidats a baissé d’un millier entre 2010 et 2018 pour s’établir à 5 900, alors même que le nombre de postes offerts augmentait de 50 % ».

            Il faut cependant nuancer l’analyse : à l’Institut national du service public (INSP), qui a succédé à l’École nationale d’administration (ÉNA), le nombre total d’inscrits et le taux de sélectivité se sont globalement maintenus sur cette période, et ont même légèrement augmenté depuis 2018, principalement sous l’effet de la multiplication des voies d’accès (création des concours externes « Docteurs » et « Talents »).

            L’ENM, l’INET et l’EHESP sont donc, plus spécialement, confrontés à de plus grandes difficultés de recrutements.

            Une attractivité de la fonction publique qui semble corrélée à la situation du marché du travail

            Cette faiblesse de l’attractivité de la fonction publique semble par ailleurs s’accentuer en période de faible chômage, avec une concurrence accrue entre employeurs.

            L’enquête « Besoins en main-d’œuvre » réalisée par Pôle Emploi en 2023 souligne ainsi que 61 % des recrutements sont jugés « difficiles », contre 57,9 % en 2022. De même, les études de la DARES sur les métiers en tension témoignent de la grande diffusion des difficultés de recrutements dans les différentes filières, en particulier dans les métiers qualifiés.

            Les atouts des métiers de la fonction publique et les difficultés à surmonter

            L’auteure du rapport tente ensuite de rappeler les atouts des métiers de la fonction publique.

            Le principal atout : les « valeurs du service public »

            Il est d’abord rappelé que la principale raison de l’engagement dans la fonction publique tient aux missions et aux valeurs, qui se distinguent le plus souvent du secteur privé notamment lucratif. L’intérêt pour le service public est mis en avant par trois candidats à la fonction publique sur quatre, et chez neuf candidats sur dix c’est le métier qui est la principale source de motivation selon le Rapport de restitution des travaux de la conférence sur les perspectives salariales de la fonction de mars 20228.

            Pour autant, la fonction publique ne dispose pas d’un monopole sur l’intérêt général. De nombreuses associations, ONG, voire entreprises à mission peuvent également remplir cette quête de sens.

            Première difficulté : une gestion jugée trop rigide et hiérarchique

            A l’inverse, l’« emploi à vie » n’est plus un élément fort d’attractivité. La sénatrice cite ainsi une enquête réalisée par la CFDT : « seuls 29 % des jeunes ayant répondu, exerçant dans les trois versants de la fonction publique, se disent prêts à y passer toute leur carrière. »

            A titre personnel, il me semble également qu’il existe désormais unhiatus entre la rigidité statutaire (corps ou cadres d’emploi, catégories hiérarchiques relativement étanches, recrutement sur concours et affectation nationale pour les métiers de la fonction publique d’Etat) et les velléités de mobilité et d’ouverture des agents.

            Le rapport relève aussi une gestion souvent jugée lourde et très hiérarchique.

            Le recrutement par concours est aussi en lui-même particulièrement long et coûteux et parfois en décalage avec les besoins immédiats des recruteurs et les viviers de candidats9.

            La Cour des comptes relevait ainsi dans un rapport consacré au recrutement des compétences numériques au sein des ministères économiques et financiers10, que le faible intérêt pour les postes offerts était : « accentué par le délai de recrutement dans l’administration comparé à celui des entreprises : 14 mois minimum pour les titulaires et 11 mois pour les contractuels. Ces délais ne sont pas adaptés à un marché en tension. Ils laissent peu de chance face à la concurrence du secteur privé qui peut recruter les jeunes 15 jours après leur diplôme. »

            Deuxième difficulté : les rémunérations, jugées trop basses

            Les faibles rémunérations sont régulièrement évoquées, dans la population générale, mais également par les fonctionnaires eux-mêmes, en particulier dans la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale.

            En valeur absolue, les rémunérations étaient en 2020 légèrement supérieures dans le secteur privé (2 518 euros) par rapport au secteur public (2 378 euros), mais avec d’importantes disparités :

            • Si le salaire de la fonction publique d’Etat est relativement élevé, à 2 639 euros, cela tient à un effet de composition, du fait de l’importance des catégories A (cadres), dont les enseignants ;
            • À l’inverse, la fonction publique territoriale, par un effet de composition inverse, présente un salaire net mensuel moyen plus bas : à 2 019 euros ;
            • Enfin, la fonction publique hospitalière présente un niveau médian, à 2 464 euros, mais avec là-encore, d’importantes disparités (notamment entre les personnels médicaux et les fonctionnaires11).

            Surtout, la dynamique des salaires est radicalement différente entre les secteurs public et privé.

            Selon l’INSEE 12, entre 2009 et 2020, le salaire des employés du secteur privé a augmenté de 7,8 %, soit une hausse de 0,7 % par an. Cette évolution est largement supérieure à celle constatée dans la fonction publique, où le salaire a augmenté de 1 % seulement sur la période, soit + 0,1 % par an.

            Concernant certains métiers, les évolutions sont encore plus éloquentes.

            Ainsi, le salaire d’entrée des enseignants en collège et lycée titulaires du CAPES, hors primes, était équivalent à 2,17 fois le SMIC en 1980, contre seulement 1,14 fois actuellement 13.

            La « smicardisation » de la fonction publique est également en marche : près d’un agent public sur cinq est aujourd’hui rémunéré autour du SMIC.

            Dans un contexte de hausse de l’inflation et de renchérissement du logement, cette situation devient problématique pour de nombreux agents publics, notamment dans les zones urbaines les plus denses, comme en Île-de-France et dans les grandes métropoles régionales.

            Le gel ou la sous-revalorisation du point d’indice a ainsi impliqué des efforts sur les rémunérations des agents publics essentiellement concentrés sur des mesures conjoncturelles, ciblées et dispersées (notamment à destination des hauts-fonctionnaires, mais également des agents de la santé14 ou de la police nationale), nuisant à la cohérence globale et, peut-être, aux besoins du service public.

            Données de l’INSEE, présentées dans le rapport sénatorial.

            La rapporteure souligne également la grande complexité de la rémunération des agents publics, qui est jugée « illisible » pour les observateurs extérieurs.

            Des conditions de travail considérées par les agents comme « en dégradation »

            Quatre agents publics sur dix déclarent effectuer une quantité de travail excessive et 55 % des agents de l’État continuent de penser à leur travail même quand ils n’y sont pas (soit 19 points de plus que pour les salariés du privé)15.

            Dans la fonction publique territoriale, plus des deux-tiers des agents exerçant des missions de catégorie C sont par ailleurs fortement exposés aux risques professionnels, et notamment à des relations difficiles avec les usagers, à des risques physiques et psycho-sociaux, à des horaires atypiques, ainsi qu’à une mobilisation fréquente dans le cadre d’astreintes16.

            Les recommandations de la sénatrice

            La sénatrice énonce plusieurs propositions, mais le contexte des finances publiques interroge sur les facultés à la main du gouvernement pour y répondre.

            La sénatrice propose en premier lieu de rendre les rémunérations plus attractives avec :

            • Une nouvelle augmentation du point d’indice ;
            • Une réforme des modalités de calcul de l’indemnité de résidence afin d’en faire un véritable levier d’attractivité 17.

            Mais il s’agit également de promouvoir des initiatives managériales accordant une plus grande flexibilité dans l’organisation du travail afin d’améliorer les conditions de travail comme le droit à la déconnexion (en particulier pour les fonctionnaires d’Etat) et le développement du télétravail.

            La sénatrice propose aussi de poursuivre le développement de la marque employeur récemment créée, pour mieux faire connaître les métiers de la fonction publique et mettre en œuvre des campagnes de communication ciblées sur les métiers en tension, auprès des jeunes, comme des travailleurs âgés.

            Enfin, la sénatrice propose de rendre les processus de recrutement plus efficaces :

            • En publiant des offres d’emploi plus pédagogiques et notamment plus précises s’agissant de la rémunération offerte ;
            • En adaptant le format de certains concours, notamment pour les apprentis ;
            • en améliorant la coordination entre les acteurs au niveau local pour proposer de véritables parcours de carrière au sein des différentes collectivités publiques.
            1. Le programme 148 en nomenclature LOLF (loi organique relative aux lois de finances), géré par le ministère chargé de la fonction publique.
            2. Pour la source, voir l’article publié sur le site vie-publique.fr sur les difficultés de recrutement par concours.
            3. Article précité publié sur le site vie-publique.fr.
            4. Une autre difficulté est celle du recrutement par concours, en particulier dans des métiers en tension où cette étape se révèle parfois incongrue lorsque la condition de diplôme est par ailleurs déterminante pour exercer la profession. C’est notamment le cas des éducatrices de jeunes enfants et auxiliaires de puériculture pour les crèches municipales.
            5. Confer la circulaire n° 6434-SG du 3 janvier 2024 relative à la politique salariale interministérielle des métier de la filière numérique signée par la Première ministre.
            6. OCDE, « Renforcer l’attractivité de la fonction publique en France. Vers une approche territoriale », 2023.
            7. Pour consulter ce rapport, suivre ce lien.
            8. Autrement connu comme le rapport Peny, Simonpoli. Disponible en suivant ce lien.
            9. Le procédé de recrutement par concours vise à évaluer l’« aptitude » générale du candidat à exercer les fonctions prévues dans son corps ou son cadre d’emploi, pas à mesurer les compétences en vue d’un emploi spécifique.
            10. Cour des comptes, « Disposer des personnels qualifiés pour réussir la transformation numérique : l’exemple des ministères économiques et financiers », Rapport public annuel de 2020. Pour consulter ce rapport, voici le lien.
            11. Les personnels médicaux avaient ainsi un salaire net moyen de 5 870 euros en 2020, contre 2 319 euros pour les fonctionnaires selon une étude de l’INSEE.
            12. Insee, « Chiffres-clés : L’essentiel sur… les salaires », 12 juin 2023. Et voici le lien.
            13. Lucas Chancel, La chute du salaire des enseignants (1980-2022) », document de travail, avril 2023.
            14. Au titre du « Ségur de la santé » à destination du personnel hospitalier, mais aussi des EHPAD et établissements médico-sociaux.
            15. Rapport précité de mars 2022 sur les perspectives salariales de la fonction publique de MM. Peny et Simonpoli.
            16. Rapport sur l’attractivité de la fonction publique territoriale, par Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, Corinne Desforges, inspectrice générale de l’administration, et Mathilde Icard, présidente de l’association des DRH des grandes collectivités, janvier 2022.
            17. Le rapport pointe ainsi montant brut moyen versé par mois de seulement 46 euros pour les agents publics d’Ile-de-France, ce qui ne compense évidemment pas le surcoût lié notamment au logement.