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  • La conduite des projets numériques de l’État

    La conduite des projets numériques de l’État

    Temps de lecture : 9 minutes.

    La Cour des comptes a publié en décembre 2024 un rapport consacré aux gains de productivité du numérique. Ses investigations portent en particulier sur un échantillon de projets informatiques « significatifs » réalisés au sein des ministères économiques et financiers.

    Pour rappel, un précédent article de ce blog est consacré aux informaticiens des ministères économiques et financiers.

    Le numérique est envisagé comme un levier de transformation de l’État

    Une succession de plans numériques

    Depuis le début des années 2000, plusieurs plans de transformation numérique se succèdent au niveau interministériel :

    • Administration électronique (ADELE) de 2004 à 2007,
    • France Numérique en 2012,
    • État plateforme en 2014,
    • Action publique 2022 en 2017.

    Des attentes fortes en termes de gains de productivité

    La dématérialisation des procédures est notamment envisagée comme permettant d’augmenter la productivité des services, tout en améliorant la qualité des services rendus.

    Les gains de productivité attendus sont de plusieurs natures :

    • La réduction du nombre d’emplois et des coûts de fonctionnement associés à production au moins constante ;
    • L’augmentation des recettes de l’État ;
    • L’amélioration du service rendu (accès, pertinence, délai) sans augmentation aussi forte des coûts de production.

    Une mise en œuvre généralement confiée au Premier ministre et au ministre chargé de la fonction publique

    À compter de 1981, le ministre de la fonction publique se voit, quasi systématiquement, adjoindre le portefeuille de la réforme de l’État et de la modernisation.

    Sous la présidence d’Emmanuel Macron, il est même question de « l’Action et des Comptes publiques », puis de la « Transformation et de la Fonction publiques ».

    Le pilotage de la transformation de l’État s’appuie donc sur deux leviers : les ressources humaines et le numérique.

    Deux directions interministérielles sont responsables de la conduite de ces projets

    • La direction interministérielle du numérique1, rattachée au Premier ministre et au ministre de la fonction publique, est responsable de la conception et de la mise en œuvre de la stratégique numérique de l’État ;
    • La direction interministérielle de la transformation publique, rattachée aux mêmes autorités, notamment responsable du Fonds de transformation de l’action publique2.

    À cet égard, et de manière plus générale, il convient de noter un renforcement depuis quinze ans des directions interministérielles3. Pour n’en citer que quelques-unes :

    • La direction des achats de l’État (DAE), en 2016 ;
    • La direction de l’immobilier de l’État (DIE), en 2016 ;
    • La délégation interministérielle à l’encadrement supérieure de l’État (DIESE), en 2022.

    Une mesure des gains de productivité difficile pour les projets informatiques de l’État

    En dépit d’ambitions importantes, la réalité des projets et de leur suivi fait peu de place à une véritable politique de productivité.

    La mesure des gains de productivité dans le secteur public est plus complexe que dans le secteur privé

    La Cour des comptes relève tout d’abord la spécificité des biens ou services produits par le secteur public. Ceux-ci sont le plus souvent non marchands et fournis gratuitement ou à un prix symbolique, en dessous du coût réel de production4.

    Les recettes sont celles des contributions publiques, généralement obligatoires, et non le produit des ventes. Par ailleurs, compte tenu de l’universalité budgétaire et de la complémentarité de certaines politiques publiques, il est également difficile de mesurer précisément le coût d’une politique5.

    Le calcul de la productivité du service public ne peut donc être réalisé que par une opération intellectuelle et comptable.

    Ce faisant, c’est aussi une critique de la LOLF6 qui est émise par la Cour. Les instruments budgétaires actuels (programmes et rapports annuels de performance) ne permettent pas de reconstituer les coûts des différentes politiques publiques.

    Les méthodes d’évaluation des coûts

    Deux méthodes principales existent :

    • La méthode comptable, qui s’appuie sur le coût de production du bien ou service. Cette méthode consiste à rattacher tous les différents coûts à une prestation afin d’en évaluer le coût. Une productivité supérieure revient donc à produire plus avec autant ou moins, et inversement ;
    • Une méthode qualitative, notamment développée par Anthony Atkinson. L’objectif est ici de considérer les bénéfices sociaux d’une politique publique7. L’approche n’est plus comptable, mais se révèle quasiment impossible à mettre en œuvre :
      • Même en établissant des mesures qualitatives des actions menées, comment s’assurer de l’imputabilité d’un bienfait à telle ou telle politique publique ?
      • Comment comparer les effets ?
      • Enfin, dans l’attente des évaluations, comment piloter les politiques publiques ?

    La distinction entre la performance et l’efficience

    Le guide méthodologique de la LOLF définit la performance comme :

    La capacité à atteindre des objectifs préalablement fixés, exprimés en termes d’efficacité socio-économique (résultat des politiques), de qualité de service (en se plaçant depuis les points de vue respectifs du citoyen, du contribuable et de l’usager) ou d’efficience de la gestion (optimisation des moyens).

    La notion d’efficience met en regard un résultat avec les moyens consacrés (par exemple : la réduction de la surface en m² par poste de travail dans la gestion du parc immobilier).

    Elle n’est toutefois pas équivalente à celle de productivité, qui se concentre sur les activités productives de l’État.

    Des objectifs de performance très peu définis

    Une quasi-absence de critères de productivité dans les indicateurs de performance publiés par l’État

    L’analyse par la Cour des comptes des 2 128 sous-indicateurs renseignés dans le volet performance des PAP annexés au projet de loi de finances pour 2023 montre que la productivité est très rarement mesurée :

    • Seule une quarantaine d’indicateurs (moins de 2 %) met en rapport les résultats d’une production administrative avec les moyens engagés ;
    • Un unique sous-indicateur (au sein de la mission « Gestion des finances publiques ») comporte explicitement le terme « productivité » dans son libellé.

    S’agissant des indicateurs budgétaires liés aux enjeux numériques

    Vingt-sept indicateurs du budget de l’État (sur les plus de 2 000 évoqués plus haut) évoquent des enjeux numériques. Aucun ne mentionne la question de performance ou de productivité. Lorsqu’ils le font, c’est essentiellement de manière indirecte, comme pour les médias publics et leurs audiences sur les plateformes numériques.

    Le portage des projets numériques de l’État n’est quasiment pas orienté vers la performance

    À l’image des objectifs et indicateurs de la LOLF, les fondamentaux des projets numériques au sein de l’État ne semblent pas prioritairement portés par des enjeux de productivité.

    Les projets d’évolution des systèmes d’information sont entrepris le plus souvent pour répondre à l’un des trois objectifs suivants :

    • L’amélioration du service rendu aux citoyens ou aux entreprises (sans préoccupation de productivité) ;
    • La lutte contre l’obsolescence technologique des outils déjà en place ;
    • L’adaptation aux respects d’engagements européens ou internationaux (cas de la DGDDI avec le Brexit, nécessitant d’adapter ses SI aux nouvelles règles douanières).

    De rares projets portent des objectifs explicites en termes de productivité

    L’analyse des grands projets numériques les plus récents suivis par la DINUM montre que seuls un quart d’entre eux ont intégré des enjeux de productivité :

    • TELEMAC, sur les conditions d’exercice des agents de terrain de la direction générale des douanes et des droits indirects, lancé en 2022 et
    • URF, sur l’unification du recouvrement fiscal, lancé en 2020 et
    • Deux projets issus du programme de chaîne pénale numérique par le ministère de la Justice.

    Pour la Cour, ces projets constituent des exceptions.

    Les raisons de ce défaut de pilotage de la productivité

    La Cour identifie plusieurs raisons à ce manque de pilotage.

    • La productivité est « souvent un non-dit des décisions publiques ». Les craintes (supposées ou non) sur l’emploi ou l’évolution des organisations impliquent une réserve des employeurs publics.
    • En termes budgétaires, l’annonce de gains potentiels constitue un risque pour le gestionnaire ministériel. En l’absence des gains escomptés, leur budget pourrait être amputé à mesure de la projection initialement communiquée8.

    En conséquence, ce sont les gains qualitatifs qui sont le plus souvent mis en avant dans les projets numériques de l’État.

    L’absence de recommandations en termes de productivité de la direction interministérielle du numérique

    La direction interministérielle du numérique a rendu près d’une centaine d’avis sur les principaux projets de système d’information de l’État9.

    Cependant, elle ne se prononce presque jamais sur des considérations liées à la performance :

    « Contrairement aux questions techniques, budgétaires ou de pilotage, les gains attendus au cours ou à l’achèvement du projet ne font presque jamais l’objet de constats ou de recommandations et sont simplement évoqués, sous un angle qualitatif, dans la partie introductive qui présente le projet. »

    De grands projets numériques en difficulté

    Le panorama des grands projets numérique de l’État étudié par la Cour (19ᵉ édition, juin 2024) recense 45 projets, représentant un coût prévisionnel total de 3,8 milliards d’euros pour une durée moyenne de six ans.

    Il fait apparaître, en moyenne, des retards et des dérives budgétaires de respectivement 18,8 % et 17,5 %.

    À titre d’exemple, l’évolution du projet PILAT10 de la direction générale des Finances publiques, de son lancement à son achèvement :

    En revanche, le panorama et les documents qui l’accompagnent ne comportent aucune information sur les gains de productivité attendus.

    L’initiative du Fonds pour la transition de l’Action publique (FTAP)

    La Cour appelle ici à renouveler la démarche volontariste initiée à l’occasion du lancement du FTAP, tout en la consolidant par :

    • Un examen sérieux des gains de productivité au lancement du projet ;
    • Un suivi en cours de vie ;
    • Une évaluation des gains finalement obtenus une fois le projet achevé.

    Pour ce faire, la Cour recommande de :

    • Renforcer la procédure d’avis conforme de la DINUM (en association avec la direction du budget) et
    • Améliorer les outils de suivi des activités et des coûts, « dans une démarche de contrôle de gestion », pour mesurer l’atteinte des objectifs et les moyens associés.

    Pour les curieux :

    Depuis 2016, la DINUM rend public un tableau de bord semestriel des grands projets

    numériques de l’État11, c’est-à-dire ceux qui appartiennent à une ou plusieurs catégories suivantes :

    • Les projets qui ont un impact significatif sur les usagers, les ministères ou leurs agents ;
    • Ceux dont le contenu ou la gestion est complexe ou présente des risques majeurs ;
    • Ceux qui visent à réaliser des économies substantielles ou qui conduisent à engager des dépenses supérieures à 9 M€.

    Quelques mots de conclusion sur l’intelligence artificielle

    L’intelligence artificielle peut devenir un levier de productivité pour la Cour des comptes.

    Toutefois, les magistrats relèvent les discordances dans les évaluations des potentiels gains. À titre d’exemple :

    • Le cabinet de conseil Boston Consulting Group évaluait, en 2023, les gains potentiels de l’intelligence artificielle générative dans le secteur public à 1 750 milliards de dollars par an à horizon 2023 et 83 milliards de dollars pour la seule administration française12 ;
    • Le cabinet Mc Kinsey évaluait la même année les gains potentiels à 480 milliards de dollars par an, soit un niveau quatre fois inférieur13.

    1. La « Dinum » est un service du Premier ministre placé sous l’autorité du ministre de la transformation et de la fonction publiques. Parmi ses missions, prévues par le décret du 25 octobre 2019 modifié par le décret du 22 avril 2023, figurent le pilotage de la stratégie numérique de l’État, dont la mise en oeuvre est déléguée aux ministères, et la mobilisation des leviers numériques et technologiques nécessaires à l’accompagnement des services.
    2. Pour plus d’informations sur ce fonds créé en 2017 : https://www.modernisation.gouv.fr/accompagner-les-administrations/fonds-pour-la-transformation-de-laction-publique
    3. Celles-ci complètent ainsi « l’arsenal administratif » du Premier Ministre, qui dispose désormais d’une autorité sur près de 59 services, ou du ministre de l’Economie et des Finances, dans son volet de coordination des politiques supports.
    4. Une première difficulté est d’ailleurs le calcul de ce coût de production, rendu souvent compliqué par la multiplicité des missions réalisées et le travail en réseau du secteur public.
    5. À titre d’exemple, le ministère du travail et de l’emploi dispose de trois programmes budgétaires : le P102, pour l’accès et le retour à l’emploi ; le P103, pour l’amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail et le P155, qui recense les dépenses supports (conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail). Pour autant, comment considérer l’impact et les résultats de ces différents programmes sans mesurer les programmes portés par le ministère de l’Économie et des finances ? De l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur ? Des dépenses de solidarités et d’insertion, du financement des retraites… ?
    6. Loi organique relative aux lois de finances.
    7. Par exemple, une dépense de prévention en matière de santé publique présente des économies potentiellement très substantielles sur plusieurs années. En conséquence, pour Atkinson, il n’est pas souhaitable d’enregistrer uniquement le coût que présenterait une telle action.
    8. En précisant qu’en gestion, il n’existe pas davantage d’incitation à optimiser l’enveloppe accordée.
    9. Sur le fondement de l’article 3 du décret n° 2019-1088 du 25 octobre 2019 relatif au système d’information et de communication de l’Etat et à la direction interministérielle du numérique. Autrement dit, les projets de système d’information de l’État dont le montant prévisionnel global est égal ou supérieur à neuf millions d’euros.
    10. Projet visant à unifier dans une application le contrôle fiscal : de sa programmation, jusqu’au recouvrement et l’éventuel contentieux.
    11. Également disponible sur le site data.gouv : https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/panorama-des-grands-projets-numeriques-de-letat/
    12. BCG, Generative AI for the Public Sector: From Opportunities to Value, novembre 2023.
    13. McKinsey, Unlocking the potential of generative AI: Three key questions for government agencies, décembre 2023.
    Une main de robot devant un écran avec des points reliés
  • Les directions d’administration centrale

    Les directions d’administration centrale

    Temps de lecture : 15 minutes.

    L’organisation ministérielle

    Chaque ministère est organisé de manière hiérarchique avec :

    • Le cabinet du Ministre, composé d’une dizaine de collaborateurs directs, chargés de le conseiller et de préparer ses interventions, ainsi que du personnel administratif et technique (courriers, cuisine, résidence, transport…) ;
    • Les administrations centrales et les services à compétence nationale ;
    • Les services déconcentrés.

    L’ancien ministère de la Marine.

    Des prérogatives fixées dans le décret d’attribution du ministre

    Le décret d’attribution du ministre liste l’ensemble des directions d’administrations centrales placées sous son autorité, ainsi que celles dont il dispose, mais sans autorité1.

    Point important : disposer d’une administration centrale emporte également le contrôle et le pilotage des administrations déconcentrées correspondantes.

    Un indicateur de l’importance du ministre

    Dans le champ social, les ministres « forts » sont ainsi souvent dotés d’une autorité sur les directions :

    • De la sphère travail2 et de son réseau déconcentré (les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) et
    • Sur celles liées à la Sécurité sociale et aux solidarités3, ce qui permet d’avoir une autorité directe sur les caisses nationales de sécurité sociale et notamment : la Caisse nationale d’assurance maladie, la Caisse nationale des allocations familiales, la Caisse nationale de l’assurance vieillesse, le réseau des Urssaf.

    Pour le ministre de l’Intérieur, il est important d’avoir l’autorité directe sur la Direction générale des collectivités locales, etc.

    Pour les ministres de l’Économie et des Affaires étrangères, des conflits sont récurrents sur le pilotage de la politique économique internationale. À cet égard, Laurent Fabius avait, en avril 2014, pesé de tout son poids pour disposer d’une autorité sur la Direction générale du trésor4.

    Qu’est-ce qu’une administration centrale ?

    L’administration centrale désigne l’ensemble des services d’un ministère disposant de compétences nationales (hors gestion directe de dispositif) et directement rattachés au ministre.

    Elles sont le plus souvent installées en Ile-de-France, puisqu’elles sont chargées de mettre en œuvre la politique souhaitée par le ministre.

    Des missions ayant un caractère « national »

    L’alinéa 3 de l’article 2 du décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration dispose que :

    « Sont confiées aux administrations centrales et aux services à compétence nationale les seules missions qui présentent un caractère national ou dont l’exécution, en vertu de la loi, ne peut être déléguée à un échelon territorial. »

    L’alinéa 4 précise ensuite que :

    « Les autres missions, notamment celles qui intéressent les relations entre l’État et les collectivités territoriales, sont confiées aux services déconcentrés. »

    Cette compétence nationale et ce rattachement au ministre (ou au Premier ministre) exclut donc :

    • Les établissements publics, comme France travail5, dont la tutelle est exercée par une direction d’administration centrale ;
    • Les « agences », ce qui recouvre le plus souvent des organisations nationales indépendantes, souvent des AAI (autorités administratives indépendantes), mais également des API (autorités publiques indépendantes) ;
    • Les services déconcentrés, dont le ressort territorial ne couvre pas l’intégralité du territoire national.

    Des missions portant sur la supervision générale des politiques publiques

    L’article 3 du même décret dispose ainsi que :

    « Les administrations centrales assurent, au niveau national, un rôle de conception, d’animation, d’appui des services déconcentrés, d’orientation, d’évaluation et de contrôle6. »

    Ce recentrage sur l’animation des politiques nationales participe de la politique de déconcentration.

    Ce faisant, sont ici exclues les « services à compétences nationales », chargés de la gestion d’un dispositif public (par exemple : les « Archives nationales7 »).

    Un lien étroit avec le cabinet du Ministre

    De tels services se trouvent en général à Paris, à l’exception de quelques-uns d’entre eux. Cet héritage est historique, il est l’expression de la centralisation du pouvoir, mais il facilite également les échanges réguliers entre le ministre et son administration.

    En effet, les administrations centrales doivent mettre en œuvre les politiques du gouvernement :

    • D’un point de vue juridique, par la préparation des projets de loi, de décrets et arrêtés, ainsi que les différents documents d’accompagnement juridique de ces textes (instructions, circulaires, « questions réponses »…) ;
    • Au niveau budgétaire, en proposant un calibrage et un mode d’exécution budgétaire, puis en assurant leur exécution et leur contrôle ;
    • Au titre de l’animation, en s’assurant de la compréhension des dispositifs et de l’engagement des services de l’État et des partenaires pour réaliser les objectifs du gouvernement.

    Les réunions de travail ont bien changé.

    Un éloignement progressif des administrations centrales

    Les déménagements de nombreuses administrations centrales n’ont pas entrainé de déménagements des cabinets ministériels.

    Cet éloignement, conjugué à une importance croissante prise par les cabinets, a pu conduire à une certaine dilution des responsabilités. Certains conseillers s’ingérant dans le travail d’administration centrale et faisant écran entre le directeur de l’administration concernée et le ministre8.

    À noter : Emmanuel Macron, nouvellement élu en 2017, a souhaité rationaliser les cabinets ministériels en limitant strictement le nombre de conseillers par ministre9. L’objectif étant d’éviter les ingérences des conseillers ministériels sur le travail administratif.

    L’organisation d’une administration centrale

    La distinction entre les directions « métiers » et les directions « supports »

    Les directions « métiers »

    Les directions « métiers », souvent plus prestigieuses et historiques, sont responsables de politiques publiques.

    On y trouve par exemple, pour les plus importantes (s’agissant des administrations civiles) :

    • La direction générale du Trésor, chargée de concevoir et d’animer les politiques économiques et financières de la France, de gérer la dette et de représenter l’administration dans les organisations internationales ;
    • La direction du Budget, chargée de préparer le budget de l’État et d’en suivre son exécution ;
    • La direction générale des Finances publiques, en matière d’imposition et de recouvrement ;
    • La direction générale de l’administration et de la fonction publique, chargée de piloter la politique interministérielle et inter-fonction publique de ressources humaines ;
    • La direction générale des collectivités locales, chargée de rédiger la règlementation applicable aux collectivités locales (financements, droit de la fonction publique et des politiques publiques) ;
    • La direction générale de la sécurité intérieure, chargée de lutter contre le terrorisme et l’ingérence ;
    • La direction générale de l’armement, chargée de gérer les programmes d’équipement militaires, d’innovation et de défense technologique ;
    • La direction des affaires civiles et du Sceau, chargée de l’élaboration des règles applicables au droit civil et commercial et de la régulation des professions judiciaires et juridiques ;
    • La direction générale de l’énergie et du climat, pour la politique énergétique et la transition écologique ;
    • La direction générale des affaires politiques et de sécurité des affaires étrangères ;
    • La direction générale de la santé et la direction générale de l’offre de soins, pour élaborer les politiques publiques en matière de santé et l’organisation du système de santé ;
    • La direction de la Sécurité sociale pour piloter les missions et politiques de financement des différentes branches : vieillesse, santé, famille, autonomie, recouvrement ;
    • La direction générale du travail, pour organiser les rapports individuels et collectifs du travail ;
    • Ou encore la direction générale de l’enseignement scolaire pour la politique éducative.

    Une très grande diversité de directions « métiers »

    Les directions d’administration centrales « historiques sont le plus souvent organisées autour d’une thématique. Celle-ci peut être très technique ou, à l’inverse, transversale et embrasser alors un périmètre large nécessitant de nombreuses interventions interministérielles.

    La direction du budget dispose évidemment d’un positionnement unique, étant en interface avec l’ensemble des directions.

    Toutefois, d’autres directions sont également très « extraverties ». C’est notamment le cas de la direction de la Sécurité sociale, de la direction générale des collectivités locales ou plus encore de la direction générale de l’administration et de la fonction publique.

    Des difficultés à concilier des identités parfois très marquées

    Selon Jacques Chevallier :

    « L’administration centrale tend à se présenter, dans le cadre de chaque ministère, sous la forme d’une mosaïque de structures diversifiées, dotées d’une grande permanence, isolées les unes des autres et disposant chacune d’une logique propre de fonctionnement et de développement : de nombreux ministères, tels que celui de l’économie et des finances, mais aussi ceux de l’agriculture ou de l’éducation nationale, ont ainsi été constitués d’un assemblage de grandes directions anciennes, prestigieuses et très autonomes10. »

    Pour l’auteur, cet enracinement des administrations centrales n’est pas sans poser de difficultés, alimentant une forme de sclérose et d’incohérence.

    La multiplication des structures à l’occasion d’événements, plus ou moins conjoncturels, n’étant jamais remise en cause, ce qui peut aboutir à une bureaucratie incohérente et une inflation normative.

    Les « secrétariats généraux »

    Les directions dites « supports » sont désormais réunies en un « secrétariat général », ministériel ou interministériel (cas des affaires sociales).

    Inauguré au ministère des Affaires étrangères (1920), généralisé sous Vichy, avant de disparaître dans les années 70.

    Les secrétariats généraux perdureront toutefois dans les ministères des Armées et des Affaires étrangères, pour faire de nouveau l’objet d’une généralisation en 201411.

    Ces secrétariats généraux comportent en général :

    • Une direction des affaires financières (DAF) ;
    • Une direction des affaires juridiques (DAJ) ;
    • Une direction des ressources humaines (DRH) ;
    • Une direction chargée de la communication ;
    • Une direction chargée du pilotage des systèmes d’informations (DSI).

    À noter : les directions d’animation interministérielles ne sont pas des directions « support », mais bien des directions « métiers ».

    On y retrouve, par exemple, la direction générale de l’administration et de la fonction publique précitée, mais aussi la direction de l’immobilier de l’État, la direction des achats de l’État, la direction interministérielle du numérique.

    Une structuration hiérarchique quasi immuable

    Le décret n° 87-389 du 15 juin 1987 relatif à l’organisation des services d’administration centrale fixe les quelques dispositions applicables.

    Une organisation des directions générales fixée par décret et arrêtés

    Les missions de la direction générale et son organisation globale sont fixées par décret12, le plus souvent pris en Conseil d’État et en conseil des ministres.

    S’agissant de l’organisation des pouvoirs publics, l’accord du Premier ministre est évidemment essentiel.

    Toutefois, l’organisation en sous-direction et bureau dépend d’un arrêté, à la main complète du ministre, au titre de l’organisation de ses services13.

    L’organigramme de la DGCL est bien structuré et permet d’identifier les sous-directions et bureaux. ll n’y a pas de chefs de service toutefois, mais un directeur adjoint.

    Le personnel d’administration centrale

    Le décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l’État précise les règles applicables à la sélection, aux nominations et aux évaluations de ces agents.

    Concrètement :

    • Le directeur général (ou délégué général) a autorité sur l’ensemble des agents de la direction (ou délégation) ;
    • Le chef de service a une autorité directe sur les sous-directeurs ;
    • Le sous-directeur a une autorité directe sur les chefs de bureau (il est parfois question de mission) ;
    • Les chefs de bureau (ou mission) sur leur(s) adjoint(s) et agents.

    La fonction de chef de service est ancienne. Voici par exemple : M. Lesueur. Chef de service au ministère de l’Intérieur dans les années 20.

    L’unité première de l’administration centrale est donc constituée du bureau (ou de la mission).

    Un contingentement du nombre de cadres dirigeants longtemps prévu par la loi

    Jusqu’au décret précité du 15 juin 1987, le nombre de cadres dirigeants étaient fixés dans la loi.

    En effet, l’alinéa 2 de l’article 35 de la loi de finances du 13 avril 190014 portant fixation du budget général des dépenses et recettes de l’exercice 1900 disposait que :

    « Le nombre des emplois de chefs de service de chaque catégorie, savoir : directeurs généraux ou secrétaires généraux, chefs de division ou chefs de service, sous-directeurs, chefs de bureau, ne pourra être augmenté que par une loi. »

    Désormais, les nominations ne sont plus encadrées par la loi, mais par le pouvoir règlementaire.

    Cette perte de contrôle du Parlement a impliqué une hausse assez importante du nombre d’encadrants supérieurs. C’est le cas notamment de la Direction générale de l’économie.

    Une nomination des directeurs par décret du président de la République délibéré en Conseil des ministres

    Les directions d’administrations centrales sont dirigées par des directeurs nommés en conseil des ministres par le président de la République.

    Cet emploi est donc particulièrement sensible politiquement et est l’un des plus élevés de l’administration15.

    Cependant, étant nommés par le président de la République, les directeurs bénéficient d’une certaine stabilité de l’emploi16.

    Une nomination des chefs de services et sous directeurs par arrêté ministériel

    La nomination des sous-directeurs et des chefs de services est réalisée par arrêté conjoint du Premier ministre et du ministre dont relève l’emploi, conformément à l’article 22 du décret n° 2019-1954 du 31 décembre 2019 précité.

    La nomination est prononcée pour une durée maximale de trois an. Cette nomination peut être renouvelée, pour une durée totale d’occupation de six ans maximum (article 12 du même décret).

    À la première nomination, une période probatoire qui ne peut excéder six mois est prévue (article 13 du même décret).

    Il peut être mis fin aux missions des sous-directeurs et des chefs de services à tout moment pour nécessité de service, mais cette décision doit alors être motivée (article 16 du même décret).

    Résumé des principales directions d’administration centrale et de leur rattachement ministériel17 :

    Premier ministre :

    Le secrétariat général du gouvernement (SGG) ;

    • Le secrétariat général du gouvernement (SGG) ;
    • Le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) ;
    • Le Secrétariat général des Affaires européennes (SGAE) ;
    • La Direction interministérielle de la transformation publique ;
    • Le Service d’information du Gouvernement (SIG) ;
    • La Direction de l’information légale et administrative (DILA) ;
    • Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (France stratégie).

    Ministre de l’Intérieur

    • La direction générale de la police nationale (DGPN) ;
    • La direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ;
    • La direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) ;
    • La direction générale des étrangers en France (DGEF) ;
    • La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) ;
    • La délégation à la sécurité routière.

    Ministère de l’Économie et des finances

    • La direction générale du Trésor (DGTrésor) ;
    • La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ;
    • La direction générale de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ;
    • Le service à compétence nationale dénommé « Agence des participations de l’État » (APE) ;
    • La direction générale des entreprises (DGE) ;
    • Le délégué interministériel aux restructurations d’entreprises ;
    • Le médiateur des entreprises ;
    • La direction générale des Finances publiques (DGFiP) ;
    • La direction du budget (DB) ;
    • La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) ;
    • La direction des achats de l’État (DAE) ;
    • Les services de contrôle budgétaire et comptable ministériel (SCBCM) ;
    • Les services à compétence nationale dénommés « TRACFIN », « Agence pour l’informatique financière de l’État » et « centre interministériel de services informatiques relatifs aux ressources humaines » (CISIRH) ;
    • La direction de l’immobilier de l’État (DIE) ;
    • La délégation nationale à la lutte contre la fraude (DLNF) ;
    • L’agence française anticorruption (AFC).

    ministre de la fonction publique

    • La direction interministérielle de la transformation publique (DITP) ;
    • La direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP).

    ministre de l’Agriculture et de l’alimentation

    • La direction générale de l’alimentation (DGAL) ;
    • La direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER)
    • La direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) ;
    • La direction des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPMA).

    ministre de la Culture

    • La direction générale des patrimoines (DGP) ;
    • La direction générale de la création artistique (DGCA) ;
    • La direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) ;
    • La délégation à la langue française et aux langues de France.

    ministre de la Transition écologique

    • La Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) ;
    • La Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) ;
    • La Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) ;
    • La Direction générale de la prévention des risques (DGPR) ;
    • La Direction générale de l’aviation civile (DGAC).

    ministre de l’Éducation nationale

    • La direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO).

    ministre de l’Enseignement supérieur

    • La direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESUP) ;
    • La direction générale de la recherche et de l’innovation.

    ministre de la Justice

    • La direction des services judiciaires ;
    • La direction des affaires civiles et du sceau (DACS) ;
    • La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) ;
    • La direction de l’administration pénitentiaire (DAP) ;
    • La direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ).

    ministre des Solidarités et de la santé

    • La direction générale de la santé (DGS) ;
    • La direction générale de l’offre de soins (DGOS) ;
    • La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) ;
    • La direction de la Sécurité sociale (DSS) ;
    • La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) ;
    • La mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives.

    ministre des Sports

    • La direction des sports ;
    • La délégation interministérielle aux grands événements sportifs.

    ministre du Travail

    • La direction générale du travail (DGT) ;
    • La délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) ;
    • La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES).

    ministre des Armées

    • De l’état-major des armées ;
    • Des organismes militaires et des services interarmées rattachés au chef d’état-major des armées ;
    • Des états-majors de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air ;
    • De la direction générale de l’armement (DGA) ;
    • La direction générale des relations internationales et de la stratégie ;
    • La direction générale du numérique et des systèmes d’information et de communication ;
    • La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ;
    • La délégation à l’information et à la communication de la défense ;
    • La direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) ;
    • La direction centrale du service de santé des armées ;
    • La direction de la protection des installations, moyens et activités de la défense ;
    • Le contrôle général des armées.

    ministre de l’Outre-mer

    • La direction générale des outre-mer.

    ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités (si ministère autonome)

    • La direction générale des collectivités locales.

    ministre des Affaires étrangères

    • La direction générale des affaires politiques et de sécurité (DGAPS) ;
    • La direction de l’Union européenne (DUE) ;
    • La direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international (DGMCEDI) ;
    • La direction générale de l’administration et de la modernisation (DGAM) ;
    • La direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire.

    1. Le ministre chargé de l’Industrie peut par exemple avoir autorité sur la direction générale de l’Economie, et peut disposer de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle s’agissant des dispositifs de formation dans le champ de l’Industrie.
    2. Autrement dit, essentiellement : la direction générale du travail et la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.
    3. La direction de la sécurité sociale et la direction générale de la cohésion sociale, essentiellement.
    4. Voir l’article 2 du décret d’attribution. Et pour une analyse, sur ce sujet et plus largement la politique étrangère de François Hollande, l’article de Christian Lequesne. La politique extérieure de François Hollande : entre interventionnisme libéral etnécessité européenne. 2014. hal-03460278
    5. On peut toutefois imaginer l’importance de ces établissements publics dans la conduite des politiques ministérielles, certains d’entre eux représentant même la quasi-intégralité des crédits budgétaires d’un programme budgétaire.
    6. Ces dispositions ont donc ajouté la notion « d’appui aux services déconcentrés » qui n’existait pas dans la rédaction originelle de l’article 2 du décret n°92-604 du 1 juillet 1992 portant charte de la déconcentration.
    7. Les Archives nationales ont pour mission de « collecter, classer, inventorier, conserver, restaurer, communiquer et mettre en valeur les archives publiques ».
    8. Pour une affaire récente, voir la démission du directeur de l’administration pénitentiaire en 2017 :
      https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/04/02/le-directeur-de-l-administration-penitentiaire-claque-la-porte_5104724_1653578.html
    9. Un premier décret n° 2017-1063 du 18 mai 2017 relatif aux cabinets ministériels a été publié, moins de deux semaines après la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle. L’actuel décret n° 2024-892 du 23 septembre 2024 reprend ce principe en limitant les cabinets d’un ministre à quinze membres, dix membres pour un ministre délégué et sept membres pour un secrétaire d’Etat.
    10. Jacques Chevallier, « La reconfiguration de l’administration centrale », Revue française d’administration publique 2005/4 (no116), p. 715-725.
    11. Décret n° 2014-834 du 24 juillet 2014 relatif aux secrétaires généraux des ministères
    12. Article 2 du décret du 5 juin 1987 précité.
    13. CE, Jamart, 7 février 1936.
    14. Rétablies par la loi n°45-01 du 24 novembre 1945 relative aux attributions des ministres du Gouvernement provisoire de la République et à l’organisation des ministères
    15. Assez logiquement classé au premier niveau de l’arrêté du 23 novembre 2022 relatif à la répartition par niveaux des emplois relevant du décret n2022-1453 du 23 novembre 2022 relatif aux conditions de classement, d’avancement et de rémunération applicables à certains emplois supérieurs de la fonction publique de l’Etat.
    16. Jean-Denis Combrexelle a ainsi été directeur général du travail pendant treize ans de 2001 à 2014.
    17. Hors secrétariats généraux et inspections générales. Les périmètres proposés sont évidemment changeants et dépendent, comme énoncé plus haut, des décrets d’attribution des ministres.
  • Les lieux d’implantation des administrations centrales

    Les lieux d’implantation des administrations centrales

    Temps de lecture : 3 minutes.

    Une implantation le plus souvent en Ile-de-France

    Une raison historique

    Au début de la IIIe République, comme on l’a vu avec le ministère du Travail, les services centraux des ministères étaient situés directement auprès du ministre, dans les « Palais de la République »1.

    Certains demeurent encore dans cette situation :

    • C’est le cas pour de nombreuses administrations centrales du ministère de l’Intérieur, place Beauvau ;
    • C’est aussi le cas pour d’importantes directions des ministères économiques et financiers (à « Bercy ») ;
    • Ou pour le ministère de la Santé et des solidarités (avenue Duquesne).

    Place Beauvau. Carte postale mise à disposition en ligne par la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris.

    Toutefois, la majorité des administrations centrales sont aujourd’hui à l’écart de leurs cabinets ministériels de tutelle et un mouvement de délocalisations a été engagé depuis le début des années 2000.

    Une tendance à la délocalisation des administrations centrales

    Dans une dynamique assez régulière (la plus récente étant celle de CAP 2022), des déménagements d’administrations centrales en dehors de Paris sont organisés.

    Ces déménagements poursuivent trois objectifs :

    • Rapprocher ces grandes administrations des français,
    • Permettre davantage de mobilités aux agents publics en dehors de Paris,
    • Rationaliser les implantations immobilières (et économiser des deniers publics).

    Des délocalisations qui demeurent souvent aux bordures de Paris…

    Ce mouvement implique également des déménagements réguliers… en bordure de Paris2.

    Les cas les plus emblématiques concernent évidemment le ministère des Armées, à Balard (Paris XV). C’est aussi le cas pour le ministère de la Justice (Paris XIX). Deux implantations situées au bord du périphérique.

    De grands opérateurs comme Pôle emploi (désormais France travail) ou la Caisse nationale d’assurance maladie ont pris ce même chemin : le premier près des Lilas, la seconde, près de Montreuil. Dans les deux cas, au bord du périphérique et en conservant une adresse parisienne.

    Lorsque des déménagements de directions d’administration centrale importantes sont effectués en dehors de Paris, le choix d’implantation est souvent la petite couronne francilienne.

    Tel est le cas, par exemple, de la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) à Montreuil ou encore de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), à Levallois-Perret.

    Le cas des administrations centrales en province

    Lorsque les administrations centrales sont en dehors de l’Ile-de-France, il s’agit le plus souvent de démembrements d’administration :

    • Le service central d’état civil du ministère des Affaires étrangères est à Nantes ;
    • Des services de la direction générale des Finances publiques sont à Béthune et à Lens, d’autres déménagements sont encore prévus, notamment à Lille ;
    • De même pour l’État-major des armées avec plusieurs lieux d’implantation en France.

    En 2022, 3 907 emplois en administration centrale étaient ainsi exercés en dehors de Paris, selon la Direction interministérielle de la transformation publique. L’objectif étant de quasiment doubler ce nombre d’ici à 2027.

    1. Ce qui rejoint le point précédent sur la concentration de ces administrations en Ile-de-France.
    2. On se retrouve ici, typiquement, dans des programmes de rationalisation budgétaire et organisationnelle.
  • Présentation de la direction du Budget en moins de dix minutes

    Présentation de la direction du Budget en moins de dix minutes

    Temps de lecture : 8 minutes.

    « Miroir, dis-moi qui est la plus belle » : La Cour des comptes parle de la direction du Budget.

    Lecture commentée du rapport de la Cour des comptes relatif à la préparation et au suivi du budget de l’État, ou comment : « redonner une place centrale à la maitrise de la dépense. »

    Les missions de la direction du Budget

    La Cour des comptes rappelle d’abord les principales missions de la direction du Budget :

    • Assurer la coordination interministérielle dans l’élaboration et l’exécution des projets de loi de finances (les fameux « PLF ») ;
    • Surveiller la soutenabilité de la programmation et de la gestion de chaque ministère par son réseau de CBCM et CBR1.

    La structuration de la direction du budget

    La direction du budget comptait 382 agents à fin 2021 :

    • 245 agents en administration centrale et
    • 137 agents dans son réseau de comptables et contrôleurs budgétaires.

    Celle-ci est composée quasi exclusivement de catégorie A (47 %) et A+ (43 %)2. Ce point est toutefois de plus en plus commun entre les directions d’administration centrale. Il s’explique par la technicité croissante des sujets traités.

    Particularités dans le champ administratif :

    • Un taux de féminisation bas (43,2 % pour l’administration centrale), encore davantage marqué pour les emplois de direction et d’encadrement (moins du tiers) ;
    • Comme évoqué plus haut, la quasi-parité s’agissant des catégories A entre les encadrants dits « supérieurs », ou : « A+ », et les autres catégories A, essentiellement des attachés d’administration de l’État.

    À noter :

    Sur la période récente, la direction du budget a légèrement évolué :

    • Par la création d’un secrétariat général3 et
    • Par l’ajout d’une fonction de « sous-directeur adjoint ». L’objectif étant de doter les sous-directeurs d’un adjoint afin de renforcer la fonction managériale et d’accroître les perspectives de promotion interne.

    Une chaîne hiérarchique courte et une surreprésentation de hauts fonctionnaires

    La Cour des comptes parle étrangement d’un « faible taux d’encadrement ». Ce qui semble être une erreur, ou alors le raisonnement est étrange, puisque dans les conclusions de la Cour, il est justement relevé que :

    « 1,06 agent de catégorie A est encadré par 1 agent A+ en administration centrale. »

    Une chefferie de bureau très exposée

    Concrètement, l’essentiel du travail technique est réalisé au niveau du bureau sectoriel : par le chef de bureau et ses quelques agents4.

    Le chef de bureau, comme pour les autres administrations centrales, se distingue par une expérience de plusieurs années. Autrement dit, de plusieurs cycles budgétaires. Cette expérience lui permet de disposer des réflexes à même de « sentir » les arbitrages sensibles et de prioriser les dossiers dans la conduite quotidienne du travail administratif.

    Les agents de la direction

    Commentaire :

    Malgré la parité des effectifs entre les catégories A et A+, la Cour des comptes présente des développements quasi exclusivement consacrés aux seconds. Cette appréciation partielle nuit à la compréhension globale de la direction.

    Une direction attractive, souvent considérée comme un « booster » de carrière pour les jeunes agents

    La Cour des comptes note plusieurs éléments pouvant porter atteinte à l’attractivité de la direction :

    • Des contraintes horaires et calendaires fortes ;
    • Des tâches complexes et répétitives, notamment dans l’harmonisation des tableaux budgétaires, suite aux arbitrages ;
    • Une moindre rémunération indemnitaire pour les administrateurs de l’État primo-affectés à la direction du budget : 29 400 euros de primes annuelles en 2021 contre une moyenne de 32 800 euros pour l’ensemble des administrateurs civils d’alors.

    Pour autant, en dépit des contraintes, la direction « demeure attractive » selon la Cour, car elle offre ainsi une importante visibilité aux agents. Visibilité qui permet aux agents de prétendre à des évolutions professionnelles rapides.

    Une direction particulièrement jeune

    « L’âge moyen des agents de la direction en administration centrale (39,2 ans) est inférieur de 8,5 années à celui de l’ensemble des agents d’administration centrale des ministères économiques et financiers en 2021 (47,7 ans). L’âge moyen des cadres A+ de l’administration centrale (34,0 ans) en 2022 est particulièrement jeune, de plus de dix ans inférieur à la moyenne de celui des cadres A+ des ministères économiques et financiers (44,7 ans) : 25 % des cadres A+ ont moins de 30 ans et 52 % ont moins de 35 ans, alors que 78 % des cadres A (moyenne d’âge de 44 ans) et 90 % des cadres B et C ont plus de 35 ans. »

    La Cour des comptes explique la jeunesse de cet encadrement supérieur par :

    • Les modalités de recrutement de la direction en sortie d’école (élément partagé pour partie par la direction de la Sécurité sociale, notamment) ;
    • Un moindre intérêt des agents expérimentés pour des fonctions exigeantes5 et sans responsabilités managériales importantes. Fonctions qui peuvent également présenter un caractère rébarbatif et théorique – éloigné des politiques publiques6.

    D’où viennent les agents de la direction du budget ?

    La moitié des cadres supérieurs sont des administrateurs de l’État formés à l’Institut national du service public (ex-ENA), un cinquième est issu de Polytechnique et plus du tiers est contractuels : recrutés en sortie de grandes écoles de commerce ou de Sciences Po Paris.

    À titre marginal, la direction compte également quelques profils atypiques : fonctionnaires des assemblées, militaires, administrateurs territoriaux, commissaires.

    S’agissant des cadres A, la direction recrute auprès :

    • Des instituts régionaux d’administration (IRA) formant les attachés d’administration de l’État ;
    • Des agents confirmés d’autres directions, et notamment de la direction générale des Finances publiques ou de la direction générale du Trésor, voire d’autres ministères, enfin
    • Des contractuels, ayant le plus souvent assuré des fonctions financières dans le privé.

    Où partent-ils ?

    La Cour des comptes n’a répertorié que les mobilités des A+.

    En 2018, à l’issue de leur passage dans la direction, ils rejoignaient dans 52 % des cas un ministère, dans 20 % un établissement public et dans 12 % le secteur privé.

    Un recrutement de contractuels en concurrence avec l’INSP

    Comme énoncé plus haut, le tiers de l’encadrement supérieur de la direction du budget est d’origine contractuelle.

    À cet égard, la Cour s’interroge sur l’attractivité du concours de l’INSP pour ces profils. Ceux-ci sont souvent bien formés et peu désireux de perdre plusieurs années à préparer, puis suivre, la formation de l’INSP.

    Par ailleurs, les contractuels peuvent désormais accéder aux emplois fonctionnels des directions d’administration centrale (autrement dit, aux postes de chefs de bureaux, et par la suite de sous-directeurs).

    Un recrutement de contractuels qui soulève aussi une question vis-à-vis des catégories A

    La Cour des comptes ne le note pas, mais cette situation crée aussi des inégalités avec les agents de catégorie A qui, pour certains, sont également sortis de grandes écoles (en particulier de Science Po Paris).

    Une dizaine d’attachés principaux exercent ainsi des fonctions de chefs de bureau à la direction du budget. Leurs sujétions sont identiques à celles des administrateurs et des contractuels. Toutefois, leur carrière, dans ce corps de catégorie A, s’arrêtera là. En effet, les attachés d’administration, comme les inspecteurs des finances publiques… ne peuvent pas, statutairement, exercer des fonctions d’encadrement supérieur7.

    Un fort turnover, facteur de risques pour la gestion des compétences

    La part importante de contractuels, qui n’ont pas vocation à « faire carrière » (même s’ils le peuvent), couplé à un taux de rotation également élevé des fonctionnaires, nécessitent une incessante lutte pour conserver un niveau d’expertise approprié.

    D’autant que les missions de la direction du budget impliquent des négociations budgétaires avec les ministères et un travail de représentation dans près de 250 conseils d’administration d’opérateurs et assimilés.

    « Le taux de rotation annuel des agents de l’administration centrale de la direction est de 43 % pour les cadres A+ fin 2021, ce qui signifie que la durée d’occupation des postes n’est que légèrement supérieure à deux ans, sous-directeurs compris. Près d’un quart des effectifs est renouvelé par recrutement extérieur chaque année. Ce taux de rotation a pour effet de raccourcir le déroulement des carrières et de limiter le retour sur investissement de l’administration centrale puisqu’en moyenne, plus de 70 % des effectifs de la direction y passe moins de cinq ans. »

    Une asymétrie dans les carrières proposées à l’encadrement supérieur

    « Compte tenu de la rapidité du début de carrière, la direction peut proposer un poste de sous-directeur à des cadres A+ parfois âgés de moins de 35 ans et de retour de mobilité, ce qui peut poser difficulté pour dérouler ensuite une carrière, au même rythme, dans les autres administrations. »

    La réflexion s’arrêtera là, encore une fois, et on ne s’interrogera pas sur les perspectives d’autres corps de la direction du budget.

    Une tension liée à la formation en interne

    Le taux de rotation élevé implique également une charge de travail plus importante pour les agents en poste, pour former les nouveaux arrivants.

    Pour favoriser le développement des compétences, la direction encourage les départs en formation. Mais, l’objectif de deux jours par an n’était, à la date du rapport, atteint que par 14 % des agents.

    Une autre initiative, plus installée, consiste à développer annuellement des travaux internes prospectifs et stratégiques destinés à réfléchir sur les thématiques budgétaires des bureaux sectoriels8.

    Les agents du réseau de la direction du budget

    Les onze départements du contrôle budgétaire (DCB) comptaient en 2021 131 agents, auxquels s’ajoutent 22 contrôleurs budgétaires en région (CBR) et en outre-mer.

    Une structuration hiérarchique très différente de l’administration centrale

    Les agents du DCB et du CBR appartiennent à une structure nettement plus classique, qui se rapprocherait de l’administration déconcentrée ou d’un service à compétence nationale.

    On y trouve ainsi « seulement » 17 cadres A+, 78 catégories A, 28 catégories B et 8 agents de catégorie C.

    L’âge moyen en DCB était de 51 ans en 2021 et seuls 40 % des agents y restaient moins de cinq années, pour une ancienneté moyenne de 8 ans.

    Des postes techniques, plus comptable que budgétaire

    Au total, près de 12 500 équivalents temps pleins (ETP) travailleraient sur une fonction de gestion budgétaire et financière au sein de l’État (hors fonctions comptables).

    Dans ce cadre, les postes en DCB et CBR constituent des étapes importantes, permettant d’assumer des responsabilités financières dans les ministères ou leurs opérateurs.

    Une attractivité moindre

     « Les candidatures sont peu nombreuses et émanent essentiellement de la direction centrale et des autres DCB, attestant de la faible attractivité de ces fonctions budgétaires à l’extérieur de ce vivier. »

    Les agents ressentent des charges de travail croissantes et moins valorisées dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique9. En dépit du reclassement de l’ensemble de ces emplois en experts de haut niveau de groupe II et des revalorisations indemnitaires associées.

    Alors que la diversité des compétences est promue par la DGAFP, les agents des CBCM s’inquiètent d’être pénalisés par leur spécialisation.

    1. Ces acronymes désignent les services du contrôle budgétaire et comptable ministériel (comptables et contrôleurs des dépenses placés au sein des secrétariats généraux des ministères) et les contrôleurs budgétaires régionaux, en régions.
    2. C’est-à-dire de cadres.
    3. Le secrétariat général, créé par arrêté du 15 novembre 2022, regroupe désormais les quatre entités chargées des fonctions supports de la direction (40 agents).
    4. Etant précisé que contrairement aux administrations centrales « classiques », ces agents sont statutairement qualifiés d’ « adjoints ». Cela leur ouvre droit à des indemnités supérieures.
    5. Les contraintes horaires et calendaires mentionnées plus haut.
    6. Il faut aimer Excel, les synthèses de « Jaunes » et les boucles de courriels.
    7. Et, plus spécifiquement, occuper un poste de sous-directeur, conformément au décret n° 2012-32 du 9 janvier 2012 relatif aux emplois de chef de service et de sous-directeur des administrations de l’Etat.
    8. Une réflexion annuelle similaire existe également dans l’autre grande direction financière de l’Etat : la direction de la sécurité sociale.
    9. Une nouvelle fois, bien que les cadres supérieurs ne représentent ici « que » 20 % des effectifs, la Cour sait leur prêter une oreille attentive.
    Un cadran et un tas de pièces : la DB en dix minutes
  • La création de la direction du Budget

    La création de la direction du Budget

    Temps de lecture : 9 minutes.

    La IIIe République est née des circonstances, dans un régime où le parlementarisme dispose de l’essentiel des prérogatives, mais demeure très fragmenté pour faire face à des enjeux considérables :

    • Deux guerres mondiales et
    • La plus grande crise économique de l’histoire contemporaine.

    Événements induisant, à intervalles réguliers, une forte instabilité gouvernementale.

    Dans cette période particulièrement troublée, la maitrise des enjeux budgétaires présente un caractère stratégique. Pour autant, en dépit de projets de réformes administratives esquissés avant la Grande Guerre, il faut attendre 1919 pour assister à la naissance de la direction du Budget.

    Celle-ci est donc pleinement la « fille de la Grande Guerre » selon l’expression de Florence Descamps.

    La création de la direction du Budget en 1919 : les objectifs et la méthode

    Le travail de deux hommes : Georges Clemenceau et Louis-Lucien Klotz

    Comme pour le ministère du Travail, le personnage clé est une nouvelle fois le président du Conseil Clemenceau. La mise en œuvre étant réalisée sous la supervision d’un ministre des Finances particulièrement important et connaisseur : Louis-Lucien Klotz.

    M. Lucien Klotz.

    Celui-ci a, en effet, été :

    • Deux fois ministre des Finances avant la guerre,
    • Rapporteur général du budget auprès de la chambre des députés,
    • Président la commission du budget et des dommages de guerre à compter de 1915,
    • Enfin, ministre des Finances en septembre 1917.

    Comme ministre des Finances, il est également entré dans l’histoire comme l’un des cinq signataires français du traité de Versailles, avec :

    • Clemenceau, président du Conseil et ministre de la Guerre ;
    • Stephen Pichon, ministre des Affaires étrangères ;
    • André Tardieu, ministre des Régions libérées et
    • Jules Cambon, ambassadeur de France1.

    Un travail mené en commissions parlementaires de 1917 à 1918

    La première commission parlementaire, à l’initiative de Louis-Lucien Klotz, est présidée par le sénateur Justin de Selves. Celle-ci travaille au contrôle de l’exécution budgétaire avec des experts en finances publiques comme le professeur de droit Gaston Jèze.

    La seconde est présidée par Louis Courtin2 et est consacrée à la réorganisation de l’administration centrale des finances. 

    Ces deux commissions proposent la création d’une direction du Budget indépendante et spécialisée afin de pouvoir piloter plus efficacement3 la dépense.

    Un pilotage déjà mis en œuvre au Royaume-Uni et une prise de conscience internationale de la nécessité d’un pilotage budgétaire

    Le Treasury britannique dispose déjà d’une ancienneté remarquable avec une centralisation des dépenses et un fort pouvoir budgétaire.

    Le système français entend donc réaliser une forme de rattrapage sur le modèle britannique.

    Ce rattrapage est toutefois relatif :

    • L’Allemagne présente une trajectoire semblable à la France avec la création en 1919 d’un ministère des Finances centralisé, le : Reichsministerium der Finanzen ;
    • De même, les États-Unis créent leur Bureau of the Budget via le Budget and account Act en 1921.

    De discussions relativement rapides4 aboutissant à la loi du 21 octobre 1919

    Le ministre Klotz dépose donc un projet de loi avec un article portant création d’un emploi supplémentaire de directeur (d’une manière similaire, encore une fois, à la création du ministère du Travail)5, mais la commission du budget repousse quatre fois le projet. En effet, le rapporteur à la chambre des députés, Albert Grodet, plaide pour des économies budgétaires et la suppression de postes de cadres6

    L’article du projet de loi est finalement voté le 17 octobre 1919 après un amendement du député Paul Laffont. Celui-ci propose un compromis par la création de deux directions « simples » en lieu et place de directions générales :

    « L’inspecteur général des finances, contrôleur des dépenses engagées au ministère des Finances, aura le grade de directeur à l’administration centrale de ce ministère. »

    La loi du 21 octobre 1919 portant ouverture et annulation de crédits sur l’exercice 1919 constitue l’une des dernières lois du gouvernement d’Union nationale de Clemenceau. Elle est publiée au Journal officiel le lendemain.

    Les élections législatives se tiennent moins d’un mois après la publication, le 16 novembre.

    L’organisation du nouveau ministère des Finances après la loi d’octobre 1919

    La publication rapide de deux décrets en novembre 1919

    Dans les jours qui suivirent le vote et la publication de la loi, le Gouvernement fait paraître deux décrets matérialisant cette transformation du ministère des Finances :

    • Le décret du 7 novembre 1919 modifiant le décret du 1ᵉʳ décembre 1900 concernant l’organisation centrale du ministère des Finances (publié au Journal officiel du 16 novembre 1919)7 et
    • Le décret du 15 novembre 1919 modifiant le nombre et les attributions des bureaux de l’administration centrale du ministère (également publié au journal officiel du 16 novembre).

    L’administration centrale est alors composée selon une structuration rappelant l’organisation actuelle, à l’exception des commis et expéditionnaires8 :

    • Directeurs,
    • Chefs de service,
    • Sous-directeurs,
    • Chefs de bureau,
    • Adjoint aux chefs de bureau,
    • Rédacteurs principaux9,
    • Rédacteurs ordinaires,
    • Commis principaux ou commis d’ordre et de comptabilité,
    • Expéditionnaires principaux et expéditionnaires.

    À ces agents administratifs s’ajoutent quelques traducteurs, des agents d’entretien, deux douzaines d’agents de service et de sécurité et près de 260 huissiers, gardiens de bureau, concierges, ordonnances ou assimilés.

    L’insertion de la direction du budget dans le ministère des Finances

    La création de la direction du Budget est réalisée à moyens constants, comme pour le ministère du Travail en 1907.

    Deux bureaux de la direction générale de la Comptabilité publique, déjà chargés avant 1914 d’établir le budget, sont désormais érigés en direction indépendante : soit une vingtaine d’agents.

    Le nouveau directeur est Georges Denoix10. Il restera en poste jusqu’à sa mort en 1925.

    Les missions de cette nouvelle direction du budget :

    Les missions de la nouvelle direction sont les suivantes : 

    1. La réalisation de tous les : « travaux liés à la présentation aux Chambres du Budget de l’État » ;
    2. « Le contrôle général de la marche des dépenses publiques de l’État »,
    3. « L’étude de tous les projets ayant une répercussion sur les finances de l’État », notamment les rémunérations, traitements et retraites des personnels civils et militaires11 ;
    4. Le contrôle des règles d’engagement des dépenses et de l’emploi des crédits.

    Une direction du budget qui demeure encore peu outillée et qui ne dispose pas de l’autorité suffisante pour faire voter le budget

    Les premières années sont difficiles pour la direction du Budget, car elle ne dispose d’aucun moyen de coercitions sur les ministères.

    Ce faisant, ses missions sont encore très teintées « comptabilités publiques ».

    Il faut encore attendre quelques années avant de permettre à la direction du budget de verrouiller les dépenses publiques, par la loi du 10 août 1922 relative à l’organisation du contrôle des dépenses engagées, dite « Marin ».

    Le vote de la loi « Marin »

    Le ministre des Finances Joseph Caillaux12, lui-même inspecteur général des finances, avait proposé plusieurs mesures en 1914, sans succès :

    • Le contrôle a priori de la direction chargée du Budget ;
    • Le visa sur toutes dépenses ministérielles ;
    • La création d’un corps de contrôleurs dédiés.

    C’est finalement à Charles de Lasteyrie, nouveau ministre des Finances (1922-1924) et également inspecteur général des finances, qu’il revient de réussir cette réforme avec le rapporteur général du budget de la Chambre… Louis Marin.

    M. Louis Marin.

    La loi du 14 août 192213 constitue une petite révolution dont les éléments perdureront jusque dans les années 2000 :

    • L’article 1er crée d’abord un corps de contrôleurs placé auprès de chaque ministère ;
    • L’article 3 précise que la comptabilité élaborée par ces contrôleurs est transmise mensuellement au ministre de l’Économie et des finances, et une fois par an aux chambres ;
    • L’article 4 formalise la procédure d’avis sur tous les projets de loi, décrets, arrêtés, contrats, mesures ou décisions ayant un effet budgétaire ;
    • Enfin, l’article 5. L’arme juridique tant attendue par les budgétaires français d’alors : le « verrou budgétaire ». Toute dépense est soumise au visa de ces contrôleurs :

    « Si les mesures proposées lui paraissent entachées d’irrégularité, le contrôleur refuse son visa. En cas de désaccord persistant, il en réfère au ministre de l’Économie et des Finances.

    « Il ne peut être passé outre au refus du visa du contrôleur que sur avis conforme du ministre de l’Économie et des Finances. Les ministres et administrateurs seront personnellement et civilement responsables des décisions prises sciemment à l’encontre de cette disposition. »

    Pour matérialiser cette reprise en main budgétaire, le gouvernement Painlevé nomme, en 1925, un ministre exclusivement chargé des questions budgétaires : Georges Bonnet14.

    Parallèlement, un nouveau directeur du Budget est nommé, Pierre Fournier (1925-1929). Il s’agit (évidemment) d’un inspecteur général des finances, mais également de l’ancien directeur adjoint de Georges Denoix. Il devient le plus jeune directeur du Budget du XXe siècle (33 ans)15.

    La crise de 1929 et ses suites : la politique de déflation budgétaire

    Le début des années 30 est marqué par les difficultés financières, budgétaires, politiques et institutionnelles.

    Alors que la crise financière et budgétaire s’installe, la direction du budget se constitue en véritable outil de gestion et de pilotage des dépenses publiques.

    La politique du « rabot » fait ainsi son apparition avec les décrets-lois de 1934, rapidement suivis des décrets-lois de 1935 – dits « Laval-Régnier ». Par ailleurs, la direction du budget accentue son contrôle en matière de gestion des personnels civils et militaires16.

    Les directeurs à se suivre : Erik Haguenin, de 1932 à 1935 et Yves Bouthillier, de 1935 à 1936 incarnent cette politique de rigueur budgétaire jusqu’à l’arrivée de Léon Blum et du Front Populaire. 

    Mais, c’est une autre histoire…

    Pour aller plus loin :

    Voici trois articles de Florence Descamps dont on retrouvera ici des sources d’inspiration :

    1. Secrétaire général des affaires étrangères et frère de l’influent Paul Cambon, alors ambassadeur de la France au Royaume-Uni. Personnages que l’on peut notamment retrouver dans l’ouvrage Les somnambules de Christopher Clark.
    2. Polytechnicien, inspecteur des finances, puis président de chambre à la Cour des comptes de 1903 à 1924.
    3. Et parfois, plus simplement, connaître la dépense publique. Le manque de suivi budgétaire fut en effet l’une des grandes difficultés comptables de la Première guerre mondiale.
    4. Au regard des standards de la IIIe République.
    5. Les créations de postes sont aujourd’hui à la main de l’Exécutif et ne donnent plus lieu à discussion au Parlement. Il n’en était rien sous la IIIe République avec un Parlement empiétant très largement sur les prérogatives du Gouvernement s’agissant de l’organisation et de la gestion de la fonction publique.
    6. Sur les débats parlementaires et le « fonctionnariat », je ne peux que vous conseiller de suivre et lire les travaux d’Emilien Ruiz.
    7. Les dispositions du décret couvrent l’organisation de l’administration des finances, fixe les emplois, mais également les rémunérations. Un tel détail est symptomatique de la gestion parcellaire et protéiforme de l’administration sous la IIIe République. Le décret allant jusqu’à lister le nombre de sous-chef de bureau (88).
    8. Sauf à faire figurer ici les actuels secrétaires administratifs et adjoints administratifs.
    9. Le terme de « rédacteur » peut encore être utilisé dans quelques administrations centrales, mais il demeure rare. Il est désormais plus souvent question de « chargé de mission ».
    10. Il était auparavant directeur adjoint, chargé de la supervision des bureaux budgétaires.
    11. La direction du budget précède de quelques décennies la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) dans le pilotage de la politique salariale et, ce faisant, la politique de ressources humaines interministérielles de l’Etat – encore balbutiante.
    12. Évidemment connu comme le créateur de l’impôt sur le revenu français, mais également pour l’assassinat de Gaston Calmette, directeur du Figaro par sa femme, Henriette.
    13. Comme les très grandes lois de la IIIe République, elle est directement disponible sur Légifrance. Alléluia ! Mais pour ceux qui ne savent lire un texte de la IIIe que sur Gallica, voici le lien : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64423339/f2.item
    14. Appelé à se compromettre ultérieurement avec le régime de Vichy.
    15. Celui-ci deviendra par la suite sous-gouverneur (1929), puis Gouverneur de la Banque de France (1937-1940), avant de devenir président de la SNCF à compter de 1940. C’est notamment lui qui sera chargé d’évacuer les 2 500 tonnes de la Banque de France du port de Brest en 1939. Rappelons que la France n’a pas fait défaut en 1940 et qu’elle disposera de ce stock à la Libération.
    16. Comme précisé plus haut, la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) n’existe pas encore…