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  • Comment devenir juge administratif ?

    Comment devenir juge administratif ?

    Temps de lecture : 6 minutes.

    101 magistrats de tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et de la Commission nationale du droit d’asile ont été recrutés sur 2024.

    Le rapport public du Conseil d’État sur l’activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2024 permet d’abord de se représenter l’activité de ces magistrats :

    • Environ 600 000 litiges enregistrés sur l’exercice 2024 (+ 8 %), dont 280 000 enregistrés par les seuls tribunaux administratifs1 ;
    • Une durée moyenne prévisionnelle de jugement de onze mois pour les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, cinq mois à la Commission nationale du droit d’asile (CNDA) et six mois au Conseil d’État ;
    • Près de 1 300 magistrats et plus de 2 000 agents de greffe et soutien dans les tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et de la CNDA. Environ 240 membres du Conseil d’État et 400 agents de soutien.
    • Des affaires constituées pour près de la moitié par le contentieux des étrangers, suivi du contentieux des agents publics, du logement, des aides sociales.
    Extrait du rapport annuel du Conseil d’État sur l’exercice 2024
    Extrait du rapport annuel du Conseil d’État sur l’exercice 2024

    Les modes d’accès à la fonction de magistrat des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel

    Les concours

    Deux concours permettent d’accéder à la fonction de conseiller (article L. 233-2 du code de justice administrative) :

    1. Le concours de l’Institut national du service public (ex-École nationale d’administration) pour les élèves formulant ce choix à la fin de leur scolarité. Relativement minoritaire : environ 10 % des entrées dans le corps ;
    2. Par un concours direct (externe ou interne), devenu la voie normale d’accès : environ 50 % des entrées dans le corps ;
      1. Le concours externe : ouvert aux titulaires de l’un des diplômes exigés pour se présenter au concours externe d’entrée à l’Institut national du service public (niveau licence) ;
      2. Le concours interne : pour les agents publics, civils ou militaires, ainsi que les magistrats de l’ordre judiciaire justifiants, au 31 décembre de l’année du concours, de quatre années de services publics effectifs.

    Si votre souhait est de devenir magistrat, vous n’avez pas d’intérêt à passer le concours de l’Institut national du service public (sauf à vouloir multiplier vos chances) :

    • La sélectivité est plus élevée au concours de l’Institut national du service public2 ;
    • La formation est nettement plus longue (deux ans, contre six mois pour le concours direct) et
    • La diversité des postes proposées à l’issue de la formation constitue un aléa.

    Le tour extérieur

    Il existe plusieurs procédures de recrutement au « tour extérieur »3 :

    1. Celle de l’article L. 233-3 du code de justice administrative, qui offre accès au grade de conseiller pour :
      1. Les fonctionnaires civils ou militaires justifiants d’au moins dix ans de services publics effectifs dans un corps ou un cadre d’emplois de catégorie A ;
      2. Les magistrats de l’ordre judiciaire.
    2. Celle de l’article L. 233-4 du même code, qui offre accès au grade de premier conseiller pour les cadres supérieurs des trois fonctions publiques justifiant d’au moins huit ans de services effectifs dans les corps listés4.

    Chaque année, le vice-président du Conseil d’État détermine le nombre d’emplois à pourvoir au titre du L. 233-3 et du L. 233-4 précités.

    Concrètement, l’essentiel des candidats et des nommés relève de la catégorie 1.1 : attachés d’administration (des trois versants), inspecteurs des finances publiques, etc.

    Le tour extérieur concerne environ 15 % des entrées annuelles dans le corps.

    Le détachement (qui peut être suivi d’une intégration)

    Pour les corps suivants, il est possible de solliciter un détachement en qualité de conseiller ou de premier conseiller :

    • Les fonctionnaires recrutés par la voie de l’Institut national du service public ;
    • Les professeurs et maîtres de conférences titulaires des universités ;
    • Les administrateurs des assemblées parlementaires et
    • Les fonctionnaires civils ou militaires de l’État, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière appartenant à des corps ou à des cadres d’emplois de niveau équivalent à celui des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel5.

    S’ils satisfont aux critères des articles L. 233-3 et L. 233-4 précités, ils peuvent alors demander l’intégration dans ce corps ; aux grades de conseiller ou de premier conseiller.

    Le détachement est le mode d’accès le plus aisé pour les corps précités. La procédure formelle de sélection au tour extérieur étant nettement plus lourde et complexe.

    22 % des entrées dans le corps se font par la voie du détachement, qui est donc un instrument important de gestion.

    Ce haut niveau témoigne également de l’attractivité de ce corps.

    En synthèse

    Extrait (chapitre 2) du guide pratique du site www.lesja.fr consacré au recrutement
    Extrait (chapitre 2) du guide pratique du site www.lesja.fr consacré au recrutement

    Les épreuves du concours d’accès au grade de conseiller (concours direct)

    L’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État a abrogé l’article L. 233-6 consacré au « recrutement direct ».

    Pour autant, la partie règlementaire du code de justice administrative continue d’y faire référence et fixe plusieurs principes.

    Tout d’abord, deux règles importantes :

    L’impossibilité de se présenter plus de trois fois au concours (R. 233-9)6 et le caractère éliminatoire de toute note inférieure à 5 (R. 233-11)

    La composition du jury

    Celle-ci est prévue par l’article R. 233-8 du code de justice administrative :

    • Le chef de la mission permanente d’inspection des juridictions administrative (président du jury) ;
    • Un représentant du ministre de la justice ;
    • un représentant du ministre chargé de la fonction publique ;
    • Deux professeurs titulaires d’université et
    • Deux membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel7.

    La diversité des professionnels représentés témoigne du haut niveau de compétences attendu.

    Les épreuves d’admissibilité et d’admission

    Les trois épreuves d’admissibilité (1° du R. 233-11 du code de justice administrative) :

    • L’étude d’un dossier de contentieux administratif (quatre heures, coefficient 3). L’épreuve la plus déterminante ;
    • Une épreuve constituée de (en général, quatre) questions portant sur des sujets juridiques ou administratifs appelant une réponse courte (une heure et demie, coefficient 1) ;
    • Une dernière épreuve (quatre heures, coefficient 1), suivant l’origine des candidats :
      • Concours externe : dissertation portant sur un sujet de droit public ;
      • Concours interne : note administrative portant sur la résolution d’un cas pratique posant des questions juridiques.

    Deux épreuves d’admission :

    • Une épreuve orale portant sur un sujet de droit public suivie d’une conversation avec le jury sur des questions juridiques (trente minutes de préparation et trente minutes d’échanges, coefficient 2) ;
    • Un entretien avec le jury portant sur le parcours et la motivation du candidat (vingt minutes, coefficient 2).

    Le programme des épreuves

    L’étude d’un dossier de contentieux, la dissertation portant sur un sujet de droit public (concours externe) et le programme de sujets de droit public tirés au sort par les candidats lors de la première épreuve d’admission portent sur les sujets suivants :

    Quelques éléments fondamentaux de droit public :

    Le droit constitutionnel :

    Le droit administratif :

    Le contentieux administratif :

    Les sujets pouvant susciter des questions à réponses courtes ou à une discussion juridique avec le jury portent sur les sujets suivants :

    La gestion des administrations :

    Quelques éléments sur les grandes politiques publiques :

    Le droit de la fiscalité :

    Enfin, des notions fondamentales de :

    • Droit civil et de procédure civile ;
    • Droit pénal et de procédure pénale.
    1. 200 000 pour le tribunal du stationnement pays, 56 500 pour la Cour nationale du droit d’asile, 31 500 pour les cours administratives d’appel et 9 500 pour le Conseil d’État.
    2. Environ 6 % au titre du concours externe pour 2023, contre 10 % pour le concours externe direct. Pour le concours interne, le constat est plus nuancé, le taux de sélectivité étant d’environ 10 % à l’INSP, contre 12 à 13 % pour le concours interne direct.
    3. Le recrutement au tour extérieur est un recrutement sur dossier, après audition des candidats. De solides références juridiques et un parcours professionnel de haut niveau sont évidemment requis.
    4. Fonctionnaires de l’INSP, fonctionnaires de catégorie A ou cadre d’emplois de même niveau et titulaires de l’un des diplômes exigés pour se présenter au concours d’entrée de l’INSP, magistrats de l’ordre judiciaire, professeurs et maîtres de conférences titulaires des universités, administrateurs territoriaux, personnels de direction des établissements de santé et autres établissements (directeur d’hôpital et directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social).
    5. En pratique, cela recouvre les corps cités à l’article L. 233-4 de la note de bas de page précédente. Le Conseil d’État est chargé d’établir la liste.
    6. On peut s’interroger sur la portée de cette disposition attachée à un article abrogé. Ici, le concours de magistrat administratif se distingue de celui de juge judiciaire où le nombre de passage n’est pas limité. Régulièrement des élèves de l’Ecole nationale de la magistrature ont ainsi passés plus de trois fois le concours avant d’être admis.
    7. Nommés par arrêté du vice-président du Conseil d’État, sur proposition du Conseil supérieur des tribunaux administratives et des cours administratives d’appel.
  • L’ENA, l’école qui meurt deux fois

    L’ENA, l’école qui meurt deux fois

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Retour sur un article intitulé : « Les élèves de l’École nationale d’administration de 1848 à 1849 » des chercheurs Howard Machin et Vincent Wright (Oxford University). Lecture qui peut utilement être complétée par un autre article de Vincent Wright, également disponible sur Persée : « L’École nationale d’administration de 1849 : un échec révélateur ».

    Ces auteurs sont les spécialistes de la période. On peut également se reporter au livre de Guy Thuillier, L’ENA avant l’ENA.

     « Un des premiers actes du Gouvernement provisoire établi en février 1948 fut la fondation d’une école d’administration. »

    La création de l’École (nationale) d’administration par Hippolyte Carnot

    Cette école d’un nouveau genre1, envisagée sans succès depuis des décennies, connaîtra toutefois une histoire courte : elle est officiellement supprimée dès l’année suivante en août 1849.

    Elle reste encore aujourd’hui indissociable de la personnalité d’Hippolyte Carnot.

    Qui était Hippolyte Carnot ?

    Ancien élève de l’École polytechnique, Hippolyte Carnot entendait dupliquer le modèle de cette école aux savoirs administratifs. Ce faisant, M. Carnot poursuivait trois objectifs :

    • Un instrument de promotion sociale et de renouvèlement des élites ;
    • La mise à disposition pour le gouvernement d’une pépinière de talents disposant d’une formation de haut niveau. L’administration devant : « posséd(er) dans les rangs secondaires une pépinière de jeunes sous-officiers capables de remplacer immédiatement les supérieurs empêchés »2 ;
    • Enfin, la possibilité de mettre fin au népotisme et au favoritisme dans les recrutements.

    « La pensée qui présida à la fondation de l’École d’administration répondait au sentiment démocratique, je n’ai pas besoin de dire de quelle manière : en ouvrant aux capacités la porte des emplois publics, elle détrônait le plus absurde des privilèges, celui d’administrer par droit de naissance ou par droit de richesse… »

    La période d’études était fixée à trois ans et le nombre d’élèves à six cents (deux cents par année3). Un modèle, là encore, très proche de l’École polytechnique4.

    Il convient de souligner l’origine républicaine de cette école, alors même qu’une grande continuité a pu exister dans l’administration entre les différents régimes. S’agissant du fonctionnement comme des hommes. À cet égard, la bascule dans le Second Empire sonnera rapidement le glas de cette école.

    La deuxième République. Musée Ingres, Montauban. À consulter à cette adresse : https://histoire-image.org/etudes/figures-symboliques-iie-republique.

    Un concours pour les jeunes hommes de 18 à 22 ans

    Un processus de sélection en deux temps

    Deux catégories d’épreuves ont été mises en place pour assurer l’admissibilité, puis l’admission. Celles-ci étaient en tous points semblables aux épreuves de l’École normale supérieure :

    • Les épreuves d’admissibilité étaient purement orales et comportaient des questions de grec, de latin, d’histoire littéraire, d’arithmétique, de géométrie et d’algèbre ;
    • Les épreuves d’admissions étaient orales et écrites et comportaient des interrogations de version latine, d’histoire de France, de physique, de chimie et de sciences naturelles.

    Cette très grande diversité des épreuves et leur caractère très général contrastait avec les velléités opérationnelles du processus de sélection.

    Par ailleurs, les préparations n’étant pas proposées par les facultés, celles-ci demeuraient à la charge des candidats.

    Un premier concours organisé en 1848 et suscitant un certain enthousiasme, avant de s’essouffler dès l’année suivante

    Au premier concours, de mai à juin 1848, près de 865 candidats se présentèrent. À l’issue des épreuves : 152 candidats sur les 200 envisagés furent sélectionnés.

    Au second concours, organisé en novembre 1848 et uniquement à Paris, la chute des candidatures est drastique : 174 candidats se présentèrent aux épreuves, pour 106 places. Il s’agissait le plus souvent de ceux écartés du premier concours.

    Cette dégradation rapide de l’image de l’école tient à une multiplicité de raisons :

    • La qualité des enseignements5,
    • Les débats rapides sur l’opportunité de supprimer cet établissement,
    • L’absence de perspective professionnelle assurée (contrairement à l’École polytechnique, par exemple)
    • L’absence d’indemnités pour suivre le cursus.

    Les origines sociales des élèves : la bourgeoisie des grandes villes

    Une surreprésentation des classes urbaines

    Les individus de grandes villes sont surreprésentés :

    • 17 % des étudiants étant d’origine parisienne (alors que 2,9 % de la population habitait à Paris6) et trois candidats sur cinq avaient ou effectuaient au moment du concours leurs études à Paris ;
    • Deux sur cinq provenaient d’un chef-lieu de département.

    Ceci s’expliquait par les professions exercées par les pères :

    • Près de 30 % étaient agents publics,
    • Environ 25 % dans le commerce, l’industrie ou la banque,
    • 20 % étaient libéraux,
    • Le reste étant propriétaire, cultivateur, artisan.

    L’apparition d’une classe bourgeoise « moyenne »

    Même si quelques grandes familles sont présentes. Les auteurs soulignent toutefois l’extraction relativement faible des élèves. Beaucoup n’auraient probablement pas pu accéder à la haute fonction publique sans ce concours.

    Comme aujourd’hui, l’essentiel des candidats provient de la bourgeoisie et pour une infime minorité (moins d’un sur douze alors) de classes modestes. Cette origine relativement commune dénote fortement avec le recrutement aristocratique de l’époque s’agissant de la haute fonction publique7.

    Pour autant, et d’une manière semblable à l’École nationale d’administration de 1945, les auteurs notent une concentration particulièrement élevée d’élèves de grands lycées, le plus souvent parisiens : Henri IV, Louis-le-Grand, Charlemagne… et très souvent privés : Sainte-Barbe, Rollin et Vaugirard, notamment.

    « C’est ainsi qu’une des conséquences paradoxales de la création de l’École d’administration, si elle avait duré, autant été d’ouvrir la porte de l’administration aux enfants très doués des écoles privées, souvent issus de riches familles catholiques. »

    Quel bilan ?

    Une mort rapide

    Le destin de l’École est scellé avec l’accession à la présidence de la République de Louis-Napoléon Bonaparte.

    Alfred de Falloux remplace Hippolyte Carnot comme ministre de l’instruction publique et suspend presque immédiatement les cours, avant de faire supprimer l’École par l’Assemblée quelques mois plus tard, en août 1949.

    Du cycle initialement prévu sur trois ans, l’enseignement dura à peine cinq mois pour la première promotion et six semaines pour la seconde.

    Une majorité d’étudiants poursuivirent logiquement leurs études dans les facultés de droit8, traditionnelles voies d’accès à la fonction publique. D’autres dans des écoles d’ingénieurs (Saint-Cyr, École polytechnique, École des Mines, École centrale…).

    Certains encore choisirent une tout autre carrière (sciences, médecine, etc.) ou ne continuèrent pas leurs études.

    Des carrières difficiles pour les lauréats

    Un effet quasiment nul sur les carrières des élèves

    En l’absence de formations sérieuses et de droits d’accès spécifiques à l’administration, les élèves des deux promotions entamèrent des chemins tout à fait personnels.

    Deux cinquièmes furent nommés à des postes dans l’administration, mais la plupart dans des emplois peu importants et encore moins prometteurs. Seule une minorité devint auditeur au Conseil d’État ou attaché aux Affaires étrangères.

    Sur les 258 anciens élèves, il n’y eut ainsi que deux conseillers d’État et huit préfets, aucun auditeur de la Cour des comptes, un seul directeur général d’administration (à la direction générale des Monnaies), deux ambassadeurs, deux consuls généraux et quatre ministres plénipotentiaires.

    Vingt-cinq devinrent simples professeurs, la majorité des étudiants en droit devinrent avocats.

    Un accès aux plus hautes fonctions publiques qui demeure réservé aux grandes familles

    Ainsi, M. Senès, premier au concours de la première promotion, finit sa carrière comme agent d’assurance tandis que M. Triaire, premier de la seconde promotion, demeura toute sa vie professeur de lycée.

    En définitive, la place au concours n’était d’aucune aide : les rares élèves qui finirent hauts fonctionnaires se trouvaient pour l’essentiel entre la 90ᵉ et la 130ᵉ place… Tous étaient issus de la haute bourgeoisie ou de l’aristocratie.

    Inversement, on peut légitimement penser que l’école aurait pu, comme l’a fait l’ENA un siècle plus tard, renverser les modalités habituelles de sélection en permettant à des jeunes gens9 intelligents d’accéder aux plus hautes fonctions. Peu importe leurs origines — même si celles-ci étaient, et demeurent aujourd’hui, généralement bourgeoises.

    Une école qui ne satisfaisait finalement personne

    Une contestation tous azimuts

    La première contestation vint du monde universitaire, jusque-là seule pourvoyeuse de fonctionnaires administratifs et jalouse de ses prérogatives.

    Cette mise en place d’une première École d’administration a été également très mal vécue par le sérail administratif, attaché à ses facultés de sélection et de promotion de son personnel. Crainte aussi partagée par les « petits fonctionnaires », soucieux de pouvoir conserver des marges d’avancement en dehors de ce que certains pouvaient considérer comme un « élitisme estudiantin ».

    Enfin et surtout, les politiques y ont vu une perte de pouvoir en empêchant le « patronage » alors très répandu et permettant de se constituer une clientèle, en dépit des quelques règles minimales de compétences (notamment l’exigence d’une licence de droit).

    Le rôle ambigu des forces conservatrices et bourgeoises

    Cette école sera par ailleurs très critiquée par une partie de la moyenne et haute bourgeoisie. Un tel mode de sélection pouvant porter le germe de la sédition par la promotion de classes laborieuses jugée plus instable.

    Pour autant, force est de constater que la droite conservatrice ne portera aucunement atteinte aux autres « Grandes Écoles », toutes publiques et assises sur un concours. L’École normale supérieure, l’École des chartes, l’École des mines, l’École des ponts et chaussées et, plus encore, l’École polytechnique seront même particulièrement soutenues par les monarchistes et bonapartistes.

    Une interrogation plus profonde sur la finalité de l’enseignement

    Pour beaucoup, ce qui détonnait était surtout l’incompréhension devant la création d’une école consacrée à des matières aussi peu scientifiques.

    À cet égard, le mode de recrutement et le contenu des enseignements ensuite délivrés détonnaient avec cette prétention à l’opérationnalité. Nous ne pouvons que penser à La Princesse de Clèves et aux débats permanents sur le rôle des écoles professionnelles.

    1. Il s’agit de la première école dédiée à la « science administrative ».
    2. Le Conseil d’Etat devait initialement constituer cette pépinière, mais finalement sans grand succès.
    3. Avec une administration toutefois largement plus légère en effectifs qu’aujourd’hui, voir par exemple l’article sur ce blog consacré à l’administration centrale dès l’Ancien régime. Un tel périmètre recouvre donc les actuels attachés d’administration et administrateurs de l’Etat.
    4. En précisant que cette nouvelle école, s’agissant des enseignements, étaient adossée au Collège de France.
    5. Les enseignements étaient dispensés dans les locaux du Collège de France et portaient sur des sujets très divers et parfois très éloignés de la matière administrative. Les cours de minéralogie ont notamment longtemps constitué un sujet de plaisanterie. Ce qui permettait aux contempteurs de souligner l’hérésie de vouloir constituer un enseignement se prétendant scientifique et administratif sans trop d’effort.
    6. Soit une sur-représentation de près de 6 fois le poids de Paris sans la démographie française. Pour autant, ce concours n’en constitue pas moins une avancée. MM. Machin et Wright rapportent ainsi que sur les 234 auditeurs du Conseil d’Etat sous le Second Empire, 102 étaient originaires de Paris.
    7. Durant le Second Empire, un cinquième des conseillers d’Etat seront originaires de l’aristocratie et les quatre cinquième restant de la haute bourgeoisie.
    8. 113 obtinrent une licence en droit.
    9. Allusion évidemment à l’ouvrage de Mathieu Larnaudie : https://www.amazon.fr/jeunes-gens-Enqu%C3%AAte-promotion-Senghor/dp/2246815096
  • Le pouvoir règlementaire

    Le pouvoir règlementaire

    Temps de lecture : 8 minutes.

    Cet article est en partie construit sur une lecture du Guide de légistique (le guide du « Légiste »1) dans sa version de 2017, disponible sur le site de Légifrance.

    Pour rappel, le « domaine de la loi » est borné par l’article 34 de la Constitution qui fixe strictement l’ensemble des règles devant être édictées par la loi. Autrement dit, le Législateur (Assemblée nationale et Sénat) ne peut édicter des règles en dehors de ce champ.

    Inversement, le champ du pouvoir règlementaire est défini de manière négative par l’article 37 de la Constitution : « Les matières autre que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère règlementaire. »

    Définition du décret

    Le décret est un acte règlementaire (qui édicte une règle générale2) ou a une portée individuelle (le plus souvent, un décret de nomination).

    Un décret peut être signé par le Président de la République3 ou par le Premier ministre4 et il peut être cosigné par un ou plusieurs ministres et secrétaires d’Etat.

    Les différents types de décrets

    On peut, comme on l’a vu plus haut, classer les décrets selon leur portée règlementaire ou individuelle, mais on peut aussi classer les décrets selon leur source juridique :

    • Certains décrets sont dits « autonomes », ils peuvent alors être pris par le Premier ministre sans texte, notamment pour l’organisation des services administratifs sous leur responsabilité5 ;
    • D’autres, les plus nombreux, sont des décrets d’application de dispositions juridiques supérieures, le plus souvent une loi ou une ordonnance.

    Un décret comporte toujours :

    • Le nom du ministre rapporteur du texte,
    • Les visas : l’ensemble des textes en rapport avec l’objet du décret et
    • Le dispositif proprement dit, composé d’articles, eux-mêmes subdivisés en alinéas.

    C’est le dispositif qui comporte les règles applicables et qui emporte des conséquences juridiques.

    Le classement des décrets par ordre hiérarchique

    Le décret de droit commun est pris par le Premier ministre (et l’éventuel ministre concerné) sans formalité particulière.

    Toutefois, certains décrets présentent des spécificités, soient qu’ils sont signés par le Président de la République, délibérés en Conseil des ministres ou pris après avis du Conseil d’Etat.

    1. Les décrets pris par le Président de la République seul : ses pouvoirs propres

    Les pouvoirs propres du Président de la République lui permettent de prendre des décrets de manière autonome, donc sans délibération en Conseil des ministres6 :

    • Le décret de nomination du Premier ministre ;
    • Le décret relatif à la composition du Gouvernement ;
    • Le décret de dissolution de l’Assemblée nationale7.

    Ces décrets sont évidemment emblématiques et symbolisent la conception constitutionnelle française tenant à positionner le chef d’Etat dans un rôle d’arbitre et de gardien des institutions : il tient dans sa main le Gouvernement et peut à tout moment dissoudre l’Assemblée nationale8.

    2. Les décrets du Président de la République pris en Conseil des ministres

    Les décrets pris après délibération du Conseil des ministres sont signés par le Président de la République et contresignés par le Premier ministre (et, le cas échéant, par les ministres responsables)9.

    Ces décrets peuvent également être pris après consultation du Conseil d’Etat.

    A l’évidence, ce sont les décrets les plus importants.

    Spécificités :

    Ces décrets sont délibérés en Conseil des ministres lorsqu’un texte le prévoit ou lorsque des considérations liées à la nature ou à l’importance du sujet traité le justifient.

    Cela peut être une loi ordinaire10 ou organique11, un texte constitutionnel (pour des nominations importantes12, l’état de siège13).

    Toutefois, s’agissant des attributions des ministres, c’est un simple décret qui prévoit l’obligation pour le Premier ministre de recueillir la signature du Président de la République14.

    Une jurisprudence importante du Conseil d’Etat (Meyet, 10 septembre 1992) impose que tout décret délibéré en conseil des ministres ne peut plus être modifié ou abrogé que par un autre texte délibéré en conseil des ministres15, sauf à ce qu’une loi ou un autre décret en conseil des ministres en donne explicitement la compétence à une autre autorité que le président de la République.

    Pour éviter cet « effet cliquet » (si tel est le souhait du Gouvernement), il est donc recommandé d’introduire une disposition finale dans le décret délibéré en conseil des ministres précisant que : « Le présent décret peut être modifié par décret (simple) / décret en Conseil d’Etat ».

    3. Les décrets en Conseil d’Etat

    Les décrets simples et décrets en Conseil d’Etat relèvent de la compétence de droit commun du Premier ministre en application de l’article 21 de la Constitution.

    Les décrets en Conseil d’Etat nécessitent l’avis de la haute juridiction administrative en vertu d’une obligation constitutionnelle, législative ou réglementaire. Ils portent la mention « Le Conseil d’État entendu ».

    Cette obligation procédurale est essentielle, puisqu’en cas de non-respect de cette consultation, le décret est considéré comme illégal. Cette irrégularité est soulevée d’office par le juge16.

    Spécificités :

    Les décrets en Conseil d’Etat sont pris en application d’une norme supérieure, qu’il s’agisse de la Constitution et notamment de son article 37 (s’agissant des textes législatifs antérieurs à la Constitution17), d’un texte législatif ou d’un texte règlementaire.

    L’appréciation du besoin de consulter ou non le Conseil d’Etat en l’absence de texte supérieur

    La nécessité de consulter le Conseil d’Etat s’apprécie au regard des matières traitées, soient qu’elles appellent par nature des garanties comme les libertés individuelles, le droit de propriété, le régime des obligations… ou alors par le fait que les textes en question définissent les grandes lignes d’une règlementation majeure et se caractérisent par la présence, notamment, de dispositions fixant des critères d’assujettissement à un régime d’autorisation, énonçant des conditions d’agrément ou organisations les modalités de contrôle de l’administration sur les activités de personnes privées.

    Inversement, le recours au décret en Conseil d’Etat doit être écarté lorsque la valeur ajoutée du Conseil est jugée faible, notamment du fait de la matière particulièrement technique de la règlementation en cause.

    Comme pour les décrets en conseil des ministres, seul un décret en Conseil d’Etat ou une loi peut déroger à ce parallélisme des formes. Ici encore, le Secrétariat général du gouvernement incite à prévoir (le cas échéant) dans le décret pris après consultation du Conseil d’Etat, une disposition spécifique pour restreindre l’avis du Conseil d’Etat aux articles les plus pertinents.

    4. Les décrets simples

    Enfin,les décrets simples pris par le Premier ministre et les éventuels ministres concernés constituent donc le mode ordinaire d’exercice du pouvoir réglementaire.

    Il s’agit des décrets qui ne sont ni des décrets en Conseil d’Etat ni des décrets en conseil des ministres.

    Ces décrets peuvent toutefois être soumis à l’examen du Conseil d’Etat lorsque le pouvoir règlementaire en ressent le besoin. Le décret comportera alors la mention « Après avis du Conseil d’Etat » (et non pas « Le Conseil d’Etat entendu »).

    Même après avoir sollicité l’avis du Conseil d’Etat, un tel décret simple demeure modifiable par un autre décret simple, sans que le Conseil d’Etat ne soit de nouveau obligatoirement consulté.

    L’ensemble de ces décrets sont publiés au Journal Officiel de la République française.

    Codification des différentes catégories de décrets

    Dans les codes récents, les articles sont marqués pour identifier le niveau de chaque décret :

    Le R correspond au décret en Conseil d’Etat et le D au décret simple ou au décret en conseil des ministres pris sans avis du Conseil d’Etat.

    Pour les décrets délibérés en conseil des ministres, un astérisque est joint au R, lorsque ledit décret a été pris après avis du Conseil d’Etat et au D lorsqu’il a été pris sans avis du Conseil d’Etat.

    Les arrêtés

    Enfin, au-delà des décrets, les ministres peuvent également signer des arrêtés.

    Ces derniers peuvent être interministériels, lorsque les signatures de plusieurs ministres sont nécessaires, ou ministériels.

    Ces arrêtés sont pris le plus souvent en application d’une norme supérieure habilitant les ministres concernés à préciser par des dispositions de rang inférieur la norme applicable (on parle de « délégation »ou « d’habilitation »). Sauf exception, la norme supérieure en question est un décret.

    Toutefois, pour l’organisation du service, le ministre peut également prendre un arrêté de manière « autonome ».

    1. La légistique se définit comme la technique permettant d’aboutir à la meilleure rédaction des normes : en termes de fluidité, de lisibilité et de précision.
    2. Le principe est le caractère non nominatif de la règle. Un décret règlementaire peut prévoir les conditions d’emploi d’une seule personne, tant qu’il demeure impersonnel.
    3. Alinéas 1 et 2 de l’article 8 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Le Président de la République nomme le Premier ministre.
      « Sur proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions. »
      Alinéa 2 de l’article 13 : « Il nomme aux emplois civils et militaires de l’Etat. »
    4. Premier alinéa de l’article 21 de la Constitution : « (…) Sous réserve des dispositions de l’article 13, il exerce le pouvoir règlementaire et nomme aux emplois civils et militaires. »
    5. Confer la décision « Jamart » du Conseil d’Etat du 7 février 1936.
    6. L’article 8 précité de la Constitution.
    7. Pour un exemple récent, le décret du 9 juin 2024, sur le fondement de l’article 12 de la Constitution.
    8. Toutefois, conformément au quatrième alinéa de l’article 12 de notre Constitution : « Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections. »
    9. Article 13 de la Constitution : « Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres. »
    10. Ce qui ne revient normalement pas au pouvoir législatif, au nom du principe de séparation des pouvoirs. Toutefois, l’article L. 231-5 du code des relations entre le public et l’administration prévoit que les dérogations à la « règle du silence de l’administration vaut acceptation » nécessitent un décret en Conseil d’Etat délibéré en conseil des ministres.
    11. L’article 42 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature dispose que les traitements des magistrats sont fixés par décret en conseil des ministres. Il en est de même, selon l’article 13 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances pour les décrets d’avance pris en cas d’urgence et de nécessité impérieuse d’intérêt national.
    12. Le troisième alinéa de l’article 13 de la Constitution prévoit ainsi que les nominations aux fonctions les plus importantes sont réalisées en Conseil des ministres : «  Les conseillers d’Etat, le grand chancelier de la Légion d’honneur, les ambassadeurs et envoyés extraordinaires, les conseillers maîtres à la Cour des comptes, les préfets, les représentants de l’Etat dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 et en Nouvelle-Calédonie, les officiers généraux, les recteurs des académies, les directeurs des administrations centrales, sont nommés en Conseil des ministres. »
    13. L’article 36 de la Constitution dispose que l’état de siège est décrété en conseil des ministres.
    14. Cette procédure existe depuis le décret n° 59-178 du 22 janvier 1959 relatif aux attributions des ministres. Ce décret, signé par le Premier ministre Michel Debré marque la pratique présidentielle du régime. Depuis, il n’est plus possible pour le Premier ministre de répartir seul les portefeuilles ministériels.
    15. C’est le principe du parallélisme des formes.
    16. Il s’agit d’un moyen d’ordre public. Pour une illustration récente : CE, 17 juillet 2013, Syndicat national des professionnels de santé au travail et autres
    17. Pris sur des matières désormais en dehors du champ de la loi au regard de l’article 34 de la Constitution.