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  • « Fonctionnaire moyen », par Bernard Letondu (2009)

    « Fonctionnaire moyen », par Bernard Letondu (2009)

    Temps de lecture : 11 minutes.

    Le premier livre (à ma connaissance) d’un attaché d’administration sur les attachés d’administration.

    Ce petit livre, assez peu connu, tient son intérêt dans la représentation du vécu d’un attaché d’administration dans les 1970 à 1980. L’auteur étant affecté à la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), rue Oudinot1.

    Si l’auteur décrit assez peu son travail, il s’attarde longuement sur l’injustice de sa situation : être attaché d’administration de l’État, faute d’avoir réussi le concours d’entrée à l’École nationale d’administration (ENA). Sa verve sur ce concours et cette école (et sur ses collègues et supérieurs, qu’il méprise) n’en est que plus grande. Un personnage se dessine : proche de celui de l’Araigne de Michel Troyat, les sœurs en moins.

    Bien que dispensable, cet ouvrage éclaire l’une des singularités des attachés d’administration, et plus particulièrement ceux d’administration centrale :

    L’attaché d’administration centrale est celui qui partage son espace de travail avec des individus particuliers : les énarques.

    Un Échec Fondateur au Concours de l’ENA

    Source : Pexels, Antoine Conotte
    Source : Pexels, Antoine Conotte

    Après quelques éléments biographiques, l’auteur en arrive au bouleversement fondamental de son existence professionnelle : son échec à l’École nationale d’administration (ENA).

    De cet échec, il en tire quelques jugements lapidaires :

    « Dans l’administration (…) tout parait joué d’avance. »

    Plusieurs récriminations s’ensuivent, alimentées par un sentiment d’injustice, induisant une forme de frustration agressive :

    « Il aurait été impensable de tutoyer les énarques, bien qu’ils aient le même âge que moi. J’avais un peu l’impression que doivent avoir les salariés d’une petite entreprise familiale, dans le secteur privé. Ceux qui ne font pas partie de la famille des dirigeants, quelles que soient leurs compétences et leurs qualifications, seront toujours bloqués dans leur carrière, et cantonnés dans les tâches subalternes. »

    Une Critique du Système de Concours et de Carrière

    Élément assez étonnant pour un fonctionnaire, qui plus est affecté à la Direction générale de la fonction publique (DGAFP), l’auteur se fait particulièrement critique sur le système de carrière, qu’il juge déconnecté des besoins de l’administration.

    « Dans l’administration comme dans l’armée, on ne cherche pas du tout à utiliser la formation qu’ont pu acquérir les agents avant leur recrutement. Seuls comptent le statut et le grade. »

    « On commence par vous recruter et après, on réfléchit à ce qu’on va faire de vous. »

    Puis, plus loin, dans une remarque, une fois encore, tout en sous-entendus et inspirée par un rejet du système de carrière2 :

    « Lorsqu’on a été conditionné par des années d’études, on a tendance à croire qu’il faut s’adapter au profil du poste offert, alors que ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui savent adapter le poste à leur propre profil. »

    Toutefois, le propos est tellement teinté de ressentiment qu’on peine à y discerner une structuration correctement argumentée3. L’auteur semble plutôt chercher, par l’ironie et le dédain, à marquer sa supériorité vis-à-vis du système.

    La Description de l’Administration « Par le Petit Trou de la Serrure »

    Une Révélation des Hiérarchies Ministérielles

    Arrivé dans une direction dépendant alors du Premier ministre (la DGAFP), pourtant jugée prestigieuse, l’auteur se voit reproché son affectation.

    Parmi ces nouveaux collègues, quelques-uns lui conseillent ainsi de partir au plus vite pour choisir la direction générale de l’aviation civile ou la Caisse des dépôts et des consignations, deux administrations qui, encore aujourd’hui, sont réputées pour leurs rémunérations généreuses.

    « Le fonctionnaire n’est jamais satisfait d’être là où il est. Il est toujours persuadé que sa situation serait plus enviable ailleurs. »

    Source : Pexels, Ann H
    Source : Pexels, Ann H

    Des Hiérarchies Toujours Marquées

    Encore aujourd’hui, et particulièrement pour les affectations interministérielles (administrateurs de l’État et attachés d’administration de l’État), cette hiérarchie demeure :

    • Les ministères économiques et financiers qui comptent plusieurs directions particulièrement prestigieuses :
      • la direction générale du Trésor,
      • la direction du Budget,
      • la direction des affaires juridiques et désormais4
      • la direction générale de l’administration et de la fonction publique ;
    • Le ministère de l’Intérieur, parce qu’il permet d’accéder à des fonctions préfectorales (très recherchées par certains fonctionnaires) et qu’il compte également des directions emblématiques :
      • la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, évidemment…
      • la direction générale des collectivités locales,
      • les directions « sécurité » :
        • la direction généralise de la sécurité intérieure,
        • les directions générales de la gendarmerie nationale et de la police nationale,
        • la direction générale de la sécurité civile et des crises ;
    • Le ministère des Affaires étrangères, sans qu’il soit besoin d’expliquer longtemps d’où vient cette passion chez certains candidats…
      • la direction générale de la mondialisation,
      • la direction générale des affaires politiques et de sécurité ;
    • Enfin, la Caisse des dépôts et des consignations : pour ses rémunérations, son organisation proche du secteur privé et son réseau territorial, particulièrement recherché (Angers, Bordeaux…) ;
    • La direction générale de l’aviation civile : pour ses rémunérations, par passion pour les politiques publiques poursuivies.

    Des Hiérarchies au Sein des Directions

    L’auteur évoque sur de nombreuses lignes l’un des instruments de clivage les plus évidents et marqués : le mobilier de bureau.

    Si les meubles en bois massifs ont aujourd’hui quasiment disparu des administrations, certains constats demeurent : sur la taille des bureaux (la pièce, comme le meuble lui-même), l’octroi de table de travail et de chaises.

    Le mobilier administratif est généralement uniforme, le besoin de distinction n’en est donc que plus important et il est très codifié suivant le niveau de responsabilité.

    « Les fonctionnaires civils se différencient les uns des autres, non par des galons, comme les militaires, mais par l’ameublement de leur bureau. »

    La Création de l’ENA est Indissociable du Statut de la Fonction Publique

    La Conjugaison du Gaullisme et du Communisme

    Le premier statut général, de 19465, comme le second, celui de 1981, furent conçus par des ministres communistes : Michel Thorez, pour le premier ; Anicet le Pors, pour le second.

    L’autre grand pilier du statut a été initié par Michel Debré dans une « étrange collusion »6 avec les communistes : il s’agit de la création de l’ENA7.

    L’auteur précise les objectifs assignés à la création de cette école :

    • Centraliser les recrutements pour éviter le favoritisme et la cooptation des différents concours organisés jusque-là et
    • Proposer une formation commune à même de favoriser l’interministerialité8.

    La création de cette école va de pair avec une promotion de la mobilité sociale :

    • Un concours externe (classique), pour les étudiants ;
    • Un concours interne, pour les fonctionnaires motivés et méritants, qui constitue la novation du dispositif.

    Une Touche de Christianisme

    L’auteur rajoute une dernière interprétation dans l’analyse des racines culturelles et politique du statut de la fonction publique : le christianisme.

    Chacun jugera.

    « Beaucoup de ceux qui veulent entrer dans l’Administration auraient peut-être cherché à embrasser une carrière ecclésiastique sous l’Ancien régime. Pas seulement par opportunisme et désir de bénéficier d’une rente de situation, mais aussi par désir de se dévouer au bien public et par goût d’un environnement hiérarchisé, aux règles strictes. »

    « Les fondements du statut général des fonctionnaires se situent donc au confluent de trois traditions : la tradition catholique, la tradition bonapartiste, dans laquelle s’inscrit Michel Debré, fondateur de l’ENA et dirigeant du parti gaulliste, et la tradition stalinienne, qui est celle de Maurice Thorez. Il faut rappeler aussi que Staline était un ancien séminariste… »

    Une Promotion Interne en « Trompe-l’Œil »

    Cette mobilité professionnelle des internes s’est révélée rapidement biaisée selon l’auteur9, principalement de deux façons :

    • Elle a été utilisée par les fonctionnaires les plus diplômés, en guise de rattrapage du concours raté et
    • Elle n’a pas permis aux (faux ?) internes de se distinguer au classement de l’ENA dans l’attribution des places ouvertes au titre des « grands corps ». Autrement dit, le caractère « professionnel » de l’École manque sa cible.

    Un Système Qui S’Apparente à une Rente Pour l’Auteur

    L’élitisme républicain connaît aujourd’hui de nombreuses critiques, françaises10 ou américaines11.

    Si, mécaniquement, chaque société organisée tend à créer et à se structurer autour d’un centre de commandement. La problématique de l’élitisme est de séparer et de hiérarchiser les individus, souvent très tôt dans leur vie. Ce faisant, ces sociétés présentent généralement un modèle rigide et laissent peu de place à l’appréciation de la valeur professionnelle en situation réelle, dans la vie des individus.

    Les sociétés élitistes sont donc inégalitaires et cloisonnées. Afin de justifier ces inégalités, plusieurs modèles existent, dont le modèle dit « méritocratique »12 qui vise à sélectionner « les meilleurs » par des épreuves censées être incontestables.

    « Le système de castes qui existe en France est peut-être encore plus pernicieux que celui qui existe en Inde, parce qu’il est invisible. (…) L’idée géniale, c’est d’avoir justifié des privilèges exorbitants non plus par la naissance, ce qui serait bien sûr injuste, mais par le mérite, en instaurant un concours réellement difficile, et en faisant croire qu’il était ouvert à tous. »

    En effet, cette justification (du concours méritocratique) appelle elle-même deux critiques :

    • D’abord, elle est réservée à un trop faible nombre de personnes, ce qui nuit à la concurrence au sein même de cette élite ;
    • Ensuite, elle est définitive. La réussite au concours de l’ENA garanti l’accès aux plus hautes fonctions de l’État de manière quasiment définitive13.

    « La société française distille ses élites au compte-gouttes, et ce qui fait toute la valeur des membres des grands corps, c’est leur rareté. Ce n’est d’ailleurs pas si absurde pour ceux qui bénéficient ainsi d’une rente de situation à vie, précisément grâce à cette rareté. Ils n’ont donc aucun intérêt à accepter une remise en cause de leurs privilèges. »

    « Le statut des hauts fonctionnaires français rappelle celui des « Forts des Halles14 » : autrefois, ceux qui parvenaient à soulever un poids très lourd obtenaient le titre envié de « fort des halles », moyennant quoi ils étaient définitivement dispensé de soulever quoi que ce soit, et pouvaient le faire soulever par d’autres. »

    Un Élitisme qu’il Considère Fermé, Endogame

    « L’un des inconvénients de ce prestige hypertrophié d’un très petit nombre de grandes écoles, c’est la dévalorisation des formations universitaires. »

    En dehors de l’École nationale supérieure citée ci-après, les énarques proviennent essentiellement de Sciences Po Paris. La diversité des parcours, des savoirs, des profils… semble secondaire15.

    Par ailleurs, l’université française n’est pas exempte de critique pour l’auteur :

    « L’université française fonctionne pour la plus grande gloire des professeurs, et se désintéresse complètement des étudiants. »

    Une Critique Appuyée Contre les « Normaliens »

    L’auteur appuie plus fortement encore ses critiques sur les anciens élèves de l’École normale supérieure (ENS).

    « L’anomalie la plus flagrante est le cas des normaliens : (…) Après deux ou trois ans de préparation, ils passent le concours de l’École normale supérieure, et ils sont payés pendant trois ans pour préparer l’agrégation des lycées. Leur salaire est celui d’un fonctionnaire de catégorie B (puisqu’ils ont le bac) (…). Certains se détournent de l’enseignement, et préfèrent passer, juste après l’agrégation, le concours étudiant de l’ENA. Leur grande culture générale, mais aussi le fait d’avoir déjà réussi deux concours prestigieux les fait bénéficier d’un préjugé favorable auprès des membres du jury, qui n’ont souvent pas un jugement très personnel. Il est déjà discutable que le contribuable ait payé la formation de futurs enseignants qui n’enseigneront jamais, et qu’il doive ensuite payer leur scolarité à l’ENA. »

    « Contrairement à la classe dirigeante des pays anglo-saxons, qui doit faire de gros sacrifices pour financer les études de ses enfants, la classe dirigeante française les fait donc financer par le contribuable. »

    La Création des Attachés d’Administration Comme Corps de Relégation

    Une Création du Corps des Attachés en 1955, Pour Seconder les Administrateurs Civils

    Le corps des attachés d’administration centrale est créé en 1955, dix ans après la création de l’ENA. Pour l’auteur, ce corps est d’abord créé pour rehausser l’image et les perspectives professionnelles des énarques.

    Ici encore, l’attaché d’administration, comme l’auteur, ne semblent exister qu’en contrepoint du haut-fonctionnaire, énarque :

     « Le corps des attachés d’administration centrale est créé (…) pour décharger les administrateurs civils de leurs tâches les plus ingrates. Ils seront désormais secondés par un corps de sous-fifres aux perspectives de carrière pratiquement inexistantes, qui doivent pourtant comme eux être titulaires d’un diplôme d’enseignement supérieur pour pouvoir passer le concours de recrutement. »

    « Ils appartiennent donc à la catégorie A, mais les énarques ne les considèrent pas comme des fonctionnaires de catégorie A à part entière, et emploient à leur sujet le terme dévalorisant de catégorie « A’ », bien que ce terme n’ait pas de valeur juridique. Une autre façon de présenter les choses consiste à dire que les attachés font bien partie de la catégorie A, mais alors les administrateurs civils deviennent des « A+ ». »

    Des Perspectives Professionnelles Jugées Trop Maigres

    Source : Pexels, Justin Nealey
    Source : Pexels, Justin Nealey

    Le ressentiment à l’égard du corps d’attaché d’administration est particulièrement prononcé chez l’auteur et n’est pas, à ma connaissance, observable dans d’autres corps de catégorie A équivalents.

    À titre d’exemple, nous avons pu constater dans un précédent article que les inspecteurs de la concurrence et de la répression des fraudes étaient très fidèles à leur corps et leurs métiers.

    La spécificité du travail des attachés en administration centrale, en proximité directeur avec les administrateurs, explique probablement ces difficultés.

    « Au niveau des catégories intermédiaires et subalternes (…) la frustration est la règle : frustration des administrateurs civils qui n’ont pu accéder aux grands corps, frustration encore plus grande des attachés d’administration centrale dont le sort est intimement lié à celui des administrateurs civils, puisqu’ils ont statutairement l’honneur d’être leurs “collaborateurs directs” (…), mais qui en sont cependant séparés par une ligne de démarcation infranchissable pour la plupart d’entre eux. »

    « En effet, les attachés peuvent théoriquement espérer (…) accéder au corps des administrateurs civils, mais la probabilité d’y parvenir est très faible et, de toute façon, rares sont ceux qui y arrivent avant quarante ans. Ils ont donc, même dans la meilleure hypothèse, quinze ans de retard sur les administrateurs civils issus de l’ENA, et ce retard ne se rattrape jamais. »

    Pour plus d’informations sur l’accès des attachés d’administration au corps des administrateurs, vous pouvez vous référer à cet article sur le tour extérieur des administrateurs de l’État.

    « Les fonctionnaires de catégorie B sont à la limite moins à plaindre que les attachés, puisqu’ils sont recrutés au niveau du bac et qu’ils n’ont donc pas eu la peine de préparer un diplôme d’études supérieures. Par la voie du concours interne, beaucoup arrivent à accéder au corps des attachés, mais leur promotion va rarement au-delà. On est donc dans un système assez scolaire, où les fonctionnaires, au lieu de s’impliquer dans leur travail, passent leur temps à préparer des concours pour essayer d’y échapper. Les cas de hauts fonctionnaires qui ont débuté tout en bas de l’échelle sont quand même assez rares. Pour y parvenir, il faut beaucoup de persévérance, car plus on avance en âge, plus il devient difficile de se replonger dans des études sans sacrifier sa vie personnelle. »

    1. Dans les locaux de l’actuelle direction générale des outre-mer (DGOM)
    2. Comme énoncé dans un précédent article (Le recrutement par concours dans la fonction publique est-il fini ?), le concours implique assez largement une forme corporatiste : une autonomie collective et technique. Ce qui peut favoriser certains profils que l’économiste libéral qualifierait de free rider ou passager clandestin. Il ne me semble toutefois pas que ces profils soient les plus nombreux.
    3. L’auteur est affecté au cœur du système statutaire, dans l’une des directions les plus prestigieuses de la République et il n’en tire… rien. Pas ou peu de textes, aucune interprétation ou argumentation juridique. Dommage.
    4. La direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) est désormais rattachée en gestion au secrétariat généraux des ministères économiques et financiers.
    5. Le statut de Vichy de 1941 étant évidemment mis à part.
    6. L’expression est de l’auteur.
    7. L’ordonnance n° 45-2283 du 9 octobre 1945 crée l’ENA et la DGAFP.
    8. En soulignant qu’il n’existait pas, évidemment, la formation des instituts régionaux d’administration (IRA) – elle-même interministérielle. L’auteur, et c’est dommage, ne parle pas de la création des IRA et de l’institutionnalisation progressive du corps des attachés d’administration de l’État.
    9. Mais ce constat n’est en rien original.
    10. Que l’on pense à Michel Crozier par exemple, ou à Pierre Bourdieu (mais sa pensée a vieilli, il me semble).
    11. Pour ne citer qu’un seul ouvrage récent : The Tyranny of Merit de Michael Sandel.
    12. La méritocratie comporte, paradoxalement, une part égalitaire en posant l’idée qu’un même savoir délivré à l’ensemble des enfants permet de distinguer « les meilleurs » des « moins bons » de manière juste. Les progrès des sciences sociales démontrent aujourd’hui le caractère léger du principe – sans pour autant enlever aux lauréats des concours leurs compétences, notamment intellectuelles, et aussi leur « mérite »… Contrairement à l’auteur, je ne crois pas au blanc et noir en la matière.
    13. Voir la partie relative aux sanctions disciplinaires, à partir des constats de Marcel Pochard dans l’intervention de Jean-Marc Sauvé devant les élèves de l’École nationale d’administration : https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/discours-et-contributions/quelle-deontologie-pour-les-hauts-fonctionnaires
    14. https://fr.wikipedia.org/wiki/Forts_des_Halles
    15. On pourrait ici tempérer le propos de l’auteur en faisant état des prépas talents, du concours pour les docteurs.
  • Le Recrutement par Concours dans la Fonction Publique est-il Fini ?

    Le Recrutement par Concours dans la Fonction Publique est-il Fini ?

    Temps de lecture : 9 minutes.

    La Cour des comptes a publié début juin 2025 un rapport sur l’attractivité de la fonction publique d’État auprès des jeunes.

    On y apprend notamment que sur les 250 000 recrutements réalisés en 2022, seuls 20 % concernaient des fonctionnaires, sélectionnés par concours.

    Le Recrutement par Concours est Indissociable de la Fonction Publique de Carrière

    La France est, malgré le développement important du contractualisme, régulièrement citée comme le système de carrière par excellence.

    Les Caractéristiques du Système de Carrière

    Le système de carrière se définit comme :

    • Un recrutement par concours (article L. 320-1 du Code général de la fonction publique)1 ;
    • L’intégration dans un corps ;
    • La réalisation de toute sa carrière dans ce corps par le passage d’échelons et de grades.

    Les avantages :

    • Sélection initiale des meilleurs candidats ;
    • Profil généraliste ;
    • Évolution différenciée en fonction de la manière de servir ;
    • Facilité de gestion et relations hiérarchiques aisées ;
    • Esprit de corps, sentiment d’appartenance… permettant de développer la cohésion, l’expérience collective et une forme de détachement technique du pouvoir politique.

    Les Caractéristiques du Système d’Emploi

    Le système de l’emploi se définit comme le recrutement d’un agent en vue d’occuper un poste déterminé.

    La notion de vocation, ou d’attachement à un principe supérieur et collectif, n’est pas formalisée2.

    Les avantages ;

    • Plus grande fluidité et mobilité, y compris dans les allers-retours privés publics ;
    • Plus grande ouverture, le recrutement direct évite les phénomènes de « caste », le corporatisme précité ;
    • Plus grande spécialisation des agents.

    Ce système est explicitement privilégié depuis plusieurs années, y compris en France. Comme le révèle la Cour des comptes dans ses observations de juin 2025 :

    Plus de 70 % des recrutements dans la fonction publique sont désormais réalisés par la voie contractuelle.

    Toutefois, le recrutement sur un emploi engendre aussi des difficultés :

    • Ce système est généralement plus coûteux, en rémunérations comme en coûts de gestion ;
    • Il accentue le phénomène d’hyperspécialisation des administrations et une forme de « silotage » au sein et entre les ministères ;
    • Il implique une augmentation du turn-over, une fragilisation des compétences et du rôle de l’administration face au pouvoir politique.

    L’Histoire du Recrutement par Concours « à la Française »

    Le concours n’est pas une création révolutionnaire, il peinera d’ailleurs à s’imposer au cours du XIXe siècle3.

    Il s’agit d’un principe plus ancien qui est souvent associé à des écoles spécialisées et symbolise l’essor de la centralisation monarchique de la fin du XVIIIe siècle :

    • En 1747, est ainsi créé l’École des Ponts et Chaussées ;
    • En 1749, l’École du Génie de Mézières4 ;
    • en 1751, l’École royale militaire de Paris ;
    • En 1765, l’École des ingénieur-constructeurs des ingénieur-constructeurs des vaisseaux royaux5 ;
    • En 1783, l’École des mines.

    Ces recrutements dans des écoles d’ingénieurs visent à sélectionner des profils de compétences techniques spécifiques indispensables à l’administration moderne.

    Ils préfigurent l’abolition des privilèges (vénalité et hérédité des offices publics) portés par les révolutionnaires de 1789, dans une monarchie qui peine à trouver son équilibre entre les officiers héréditaires et les agents commissionnés, à la main du Roi.

    Le Second Empire poursuivra cette utilisation du concours, notamment dans les écoles techniques précitées.

    Mais, c’est véritablement par l’affermissement de la IIIe République que se généralise le recrutement par concours :

    • Chaque administration édicte ses règles d’accès par décret ;
    • Le Parlement fixe par la loi le nombre d’emplois d’encadrement.

    Les Spécificités du Recrutement par Concours

    Les Différences entre le Recrutement par Concours et par Examen

    L’examen professionnel est réservé aux agents publics et vise à vérifier une aptitude, permettant l’accès à une fonction supérieure.

    Le concours permet d’accéder à un corps ou un cadre d’emploi (fonction publique territoriale).

    Le nombre de postes ouverts est limité dans un concours, il ne l’est pas dans un examen.

    Un Recrutement par un Jury

    Le recrutement par concours présente pour première singularité d’être effectué par des non-professionnels, autrement dit des fonctionnaires en poste, futurs collègues ou supérieurs de l’agent.

    Tandis que dans les fonctions publiques d’emploi, le recrutement est plus souvent réalisé par des agents des ressources humaines6.

    Ce jury présente d’autres singularités :

    • Il est indépendant du recruteur (ministère ou autorité interministérielle7), auprès de qui il ne reçoit aucune instruction ;
      • En conséquence, le recrutement ne se fait pas sur des emplois déterminés, mais au regard des compétences pour exercer les fonctions dévolues au corps ou cadre d’emploi ;
      • Par ailleurs, le jury est libre de ne pas pourvoir l’intégralité des postes ouverts par l’administration s’il juge que les candidats ne répondent pas aux critères ;
    • Il est collégial : les décisions sont prises collectivement, sans hiérarchie entre les membres8 ;
    • Il est souverain, la décision du jury ne peut pas, en principe, être contestée devant le juge par le candidat évincé, comme par l’administration9. Toutefois, le jury n’est pas omnipotent :
      • Ainsi, il ne peut pas s’écarter des règles applicables au concours ;
      • Par ailleurs, il doit toujours être impartial, y compris en apparence10.

    Le président du jury est garant de l’impartialité et du respect de la procédure de recrutement.

    Un Recrutement Normé

    L’opération de concours est normée, avec le plus souvent des épreuves d’admissibilités, écrites ; puis des épreuves d’admissions, orales, dont le programme est fixé par arrêté.

    Toutefois, pour certains concours, des épreuves de présélection peuvent être organisées. À l’inverse, d’autres concours achèvent la sélection par des épreuves sportives et psychologiques.

    Cette procédure est aussi manifeste dans le calendrier du concours, ce qui implique une certaine forme de rigidité, souvent relevée par les employeurs.

    Pour disposer d’informations sur le calendrier, le programme, les épreuves… consulter le site : https://www.fonction-publique.gouv.fr/devenir-agent-public/calendrier-general-concours

    Ce processus normatif, à étapes, associé au recrutement par un jury indépendant, permettent, en théorie, de prévenir l’arbitraire et le favoritisme.

    Les Différents Types de Concours

    Il existe plusieurs types de concours, selon les caractéristiques du candidat et les modalités de sélection :

    Les concours sur épreuves :

    • Le concours externe : ouvert aux titulaires de diplômes11, sans condition d’expérience professionnelle (article L. 325-2 du code général de la fonction publique). Il s’agit de la principale source de recrutements ;
    • Le concours interne : réservé aux agents publics (fonctionnaires ou contractuels, militaires, magistrats) ayant une certaine ancienneté (article L. 325-3 du code général de la fonction publique) ;
    • Le troisième concours : inventé en 1983 par le gouvernement socialiste afin d’ouvrir la fonction publique à des profils plus variés, et formalisé dans sa version actuelle en 1990 : pour les salariés du privé, responsables d’une association et élus d’une collectivité territoriale (article L. 325-7 du code général de la fonction publique) ;
    • Le concours unique, généralement utilisé pour les « petits » corps comme les conseillers de chambre régionale des comptes ou les administrateurs des assemblées, il est ouvert aux étudiants et aux agents en poste indifféremment ;
    • Le concours « talents », expérimentation initiée par l’ordonnance du 3 mars 2021 et réservé à quelques écoles de hauts fonctionnaires12. Le principe consiste à réserver une proportion de places (de 10 à 15 %) aux boursiers de l’enseignement supérieur et demandeurs d’emplois devenus élèves des « Prépas Talents » et des classes préparatoires intégrées.

    Le concours sur titres13 : en fonction des titres et diplômes du candidat, avec généralement une ou deux épreuves de sélection (2 de l’article L. 325-9 du code général de la fonction publique).

    Par ailleurs, ces concours peuvent être organisés (article L. 325-23 du code général de la fonction publique) :

    • Au niveau national, pour une affectation nationale ;
    • Au niveau national, pour une affection dans une ou plusieurs circonscriptions administratives déterminées (« concours national à affectation locale ») ;
    • Au niveau local (déconcentré).

    Le Principe de l’Égal Accès à la Fonction Publique

    Le principe d’égal accès à la fonction publique est un principe général du droit depuis la décision du Conseil d’État Barel de 1954.

    Depuis, les garanties et les principes de lutte contre les discriminations se sont multipliés, en particulier sur le fondement de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen :

     « Tous les Citoyens étant égaux (aux) yeux (de la loi) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

    Le recrutement par contrat comme par concours se doit de respecter les principes d’égalité et de non-discrimination, son corollaire.

    Les Critiques Formulées à l’Encontre du Recrutement par Concours

    Un Système de Sélection Insuffisamment Professionnel et Trop Théorique

    La principale critique est le caractère trop théorique du recrutement par concours et le biais d’une sélection essentiellement construite sur des épreuves écrites.

    En conséquence, les individus recrutés sont le plus souvent généralistes et doivent ensuite être formés pour intégrer la fonction publique.

    Un Système Lourd et Coûteux

    L’organisation des concours est particulièrement coûteuse pour les finances publiques, d’autant que de nombreux inscrits ne se présentent pas aux épreuves écrites (en moyenne un sur deux).

    Un Système Très (Trop ?) Sélectif

    Le système de recrutement par concours, en particulier dans l’accès à des corps d’encadrement supérieur, est ouvert très tôt, mais est très sélectif.

    Ce qui induit une forme d’homogénéité dans les profils recrutés et des profondes désillusions pour les candidats évincés.

    Comme l’énonce la fameuse formule :

     « En France, on peut rater sa vie à 25 ans. »

    Inversement, le concours peut aussi être jugé trop sélectif pour certaines professions, voire franchement inadaptés face à des compétences rares où le secteur public est placé en concurrence directe avec des employeurs privés (cas de la fonction publique territoriale et des professions du numérique).

    Une Forme de Cloisonnement et de Rigidité Induit par la Logique de Corps

    Le concours peut alimenter une forme de « monde clos », caractérisé par une sorte d’inertie et de lenteur. Les ascensions professionnelles sont régulières, mais rarement rapides.

    Ce système va aussi de pair avec une très forte hiérarchie, les différences entre les agents tenant essentiellement à leur positionnement hiérarchique — non à leur expertise.

    En conséquence, l’agent souhaitant progresser professionnellement devra passer des concours, plutôt que d’exceller au travail.

    Un Système qui Demeure Pertinent Pour de Nombreuses Fonctions

    Malgré toutes ces critiques, il me semble toutefois que dans certains cas, les avantages surpassent les inconvénients.

    En particulier lorsque nous devons recruter du personnel qualifié et de le fidéliser. La logique de corps peut compenser une certaine faiblesse des rémunérations et des perspectives offertes. Le sentiment collectif peut compenser une carrière moins ascendante (pour des cadres) que dans le secteur privé.

    Par ailleurs, plusieurs critiques énoncées ci-dessus peuvent être renversées par :

    • Les épreuves de sélection peuvent être plus techniques et moins généralistes — y compris par une logique de filière, déjà à l’œuvre dans des corps très techniques et qualifiés comme les magistrats administratifs ou les magistrats financiers ;
    • Une ouverture importante à d’autres corps et talents du privé est possible :
      • Par la pratique du détachement (pour citer ce même exemple, un quart des agents exerçant des fonctions de magistrats financiers sont détachés et issus d’autres corps ou cadres d’emploi) ;
      • Par une mobilité obligatoire (également prévu dans certains corps, comme les magistrats administratifs) ;
    • Enfin, une meilleure attention pour les agents en postes, dans une logique de viviers. Chemin déjà initié par la réforme des grands corps, mais qui pourrait être prolongé plus radicalement en conditionnant l’accès aux corps supérieurs par la justification d’une expérience professionnelle minimale en qualité de cadre.
    1. À l’exception des agents de catégorie C, où une exception générale est prévue au 3 de l’article L. 326-1 du code général de la fonction publique.
    2. Même si les intéressés peuvent, à titre personnel, éprouver des convictions et un attachement très fort envers leur employeur.
    3. Voir l’exemple emblématique de la première École nationale d’administration de 1848.
    4. Qui fusionnera en 1807 avec l’École d’artillerie de Châlons-sur-Marne pour devenir une école d’application de l’École polytechnique dans l’artillerie et le génie.
    5. Officiellement créée en 1741, elle sera fermée en 1758 avant d’être réouverte en 1765. L’École perdure depuis.
    6. Comme pour les administrateurs de l’État et les attachés d’administration de l’État.
    7. Sinon le président du jury, qui en cas de débats peut être amené à trancher.
    8. Toutefois, il convient de relever le développement du contentieux en la matière. À titre d’exemple, le jury doit désormais justifier, notamment par des grilles d’évaluation, la décision prise.
    9. Le juge administratif opère un contrôle relativement sévère du manque de respect de l’impartialité CE Section 18 juillet 2008, Madame B., Req. N° 291957.
    10. À compter d’un niveau Bac +2 pour les concours de catégories A (niveau licence pour l’INSP), d’un niveau Bac pour les concours de catégories B et du CAP, BEP ou brevet des collèges pour les concours de catégories C. Il existe toutefois deux grandes exceptions à la condition de diplôme : la première pour les parents d’au moins trois enfants et la seconde pour les sportifs de haut niveau.
    11. L’Institut national du service public, l’Institut national des études territoriales, l’École des hautes études en santé publique, l’École nationale supérieure de police et l’École nationale d’administration pénitentiaire.
    12. Qui se distingue du « concours sur épreuves ».
  • Comment Devenir Conseiller de Chambre Régionale des Comptes ? (Magistrat Financier)

    Comment Devenir Conseiller de Chambre Régionale des Comptes ? (Magistrat Financier)

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Tous concours confondus, douze magistrats des chambres régionales des comptes (CRC) ont été recrutés sur 2024.

    Les missions des magistrats de CRC sont essentiellement de quatre ordres :

    • Contrôle juridictionnel : la CRC est tenue de déférer au ministère public près de la Cour des comptes les faits susceptibles de constituer des infractions au code des juridictions financières (article L. 211-1 dudit code). Par ailleurs, les magistrats de CRC peuvent être affectés sur des fonctions juridictionnelles durant leur carrière ;
    • Contrôle des comptes et de la gestion : régularité des recettes et des dépenses, économie des moyens mis en œuvre, évaluation des résultats atteints (article L. 211-3) d’organismes particulièrement divers dépendant ou financés par des collectivités territoriales ;
    • Contrôle des actes budgétaires (article L. 211-11) et des conventions relatives à des délégations de service public (article L. 211-12) ;
    • Évaluation de politiques publiques du ressort territorial de la chambre régionale (article L. 211-15).

    Concrètement, le magistrat est en binôme avec un vérificateur (article R. 212-23)1 et est chargé de réaliser trois à quatre contrôles par an.

    Calculs personnels à partir des rapports d’activité des CRC. Les juridictions financières comptent au total 1 808 magistrats (source : Chiffres clés de la Cour des comptes)
    Calculs personnels à partir des rapports d’activité des CRC. Les juridictions financières comptent au total 1 808 magistrats (source : Chiffres clés de la Cour des comptes)

    Pour une présentation plus complète, vous pouvez consulter la plaquette de présentation du concours publié par la Cour des comptes au titre de 2024.

    Les Modes d’Accès à la Fonction de Magistrat de Chambre Régionale des Comptes

    Compte tenu du faible nombre de magistrats de chambres régionales des comptes (environ 400), les voies d’accès sont relativement étroites.

    Le concours d’accès est ainsi unique (étudiants et professionnels réunis) et se tient tous les deux ans, en alternance avec la procédure de recrutement au tour extérieur.

    Les Concours

    Deux concours permettent d’accéder à la fonction de conseiller (article L. 221-3 du code des juridictions financières) :

    1. Le concours de l’Institut national du service public (INSP, ex-École nationale d’administration) pour les élèves formulant ce choix à la fin de leur scolarité. Au titre de 2024 : deux postes ont été ainsi attribués à des élèves de l’INSP ;
    2. Le concours direct (et unique). Dix postes ouverts au titre de 2024.

    Contrairement au concours de magistrat administratif, la sélectivité est plus forte au concours unique d’accès direct qu’au concours de l’Institut national du service public2.

    Toutefois, le faible nombre d’emplois offerts à l’issue de la scolarité plaide pour le passage du concours de conseiller si le candidat souhaite exercer en juridiction financière.

    Comme pour les magistrats administratifs, une formation statutaire est prévue pour les lauréats des concours dans les douze mois suivent l’entrée en fonction (article R. 221-3 et R. 228-7). Cette formation est assurée par la Cour des comptes et peut être complétée par une formation organisée par l’INSP. Elle est généralement assurée durant le premier semestre de l’année suivant la nomination.

    Le Tour Extérieur

    Il existe également une procédure de recrutement au « tour extérieur »3.

    Ouvert aux Agents Publics Ayant Dix ans d’Expérience

    Celle-ci est fixée à l’article L. 221-4 du code des juridictions financières. Elle concerne :

    • Les agents publics des trois versants de la fonction publique appartenant à un corps de catégorie A ou assimilé4 et
    • Justifiant au 31 décembre de l’année considérée d’un minimum de dix ans de services publics dans un organisme relevant du contrôle de la Cour des comptes ou des chambres régionales des comptes.

    Le nombre de places est fixé par arrêté du président de la Cour des comptes et ne peut pas être supérieur au nombre de places offertes au concours direct (dix places pour 2023).

    L’Examen des Candidatures par une Commission de Haut Niveau

    Cette inscription est prononcée par une commission chargée d’examiner les titres des candidats et qui comprend onze membres :

    • Le premier président de la Cour des comptes, président de la commission ;
    • Le procureur général près la Cour des comptes ou son représentant ;
    • Le président de la mission permanente d’inspection des chambres régionales et territoriales des comptes ;
    • Trois membres désignés respectivement par :
      • Le ministre chargé des Finances ;
      • Le ministre chargé de l’Intérieur ;
      • Le ministre chargé de la Fonction publique ;
    • Le directeur de l’Institut national du service public ou son représentant ;
    • Un magistrat de la Cour des comptes désigné par le conseil supérieur de la Cour des comptes et
    • Trois magistrats de chambres régionales des comptes désignés par le Conseil supérieur des chambres régionales des comptes.

    Cet examen se fait en deux temps :

    1. Une analyse du dossier de chaque candidat, puis
    2. Une audition par la commission des candidats dont les dossiers sont jugés satisfaisants.

    L’Établissement d’une Liste d’Aptitude

    La commission établit ensuite une liste d’aptitude, par ordre de mérite.

    Il ressort de l’analyse des résultats au tour extérieur que la quasi-intégralité des candidats retenus au tour extérieur sont ou ont été vérificateurs en chambre régionale des comptes5.

    Comme pour les magistrats recrutés par la voie du concours, et dans des modalités identiques, une formation à compter de leur entrée en fonction est prévue par le code des juridictions financières (article R. 221-10).

    S’agissant des affectations géographiques, quelques CRC concentrent les recrutements :

    Calculs personnels, à partir des postes ouverts sur les trois derniers tours extérieurs.
    Calculs personnels, à partir des postes ouverts sur les trois derniers tours extérieurs.

    Le Détachement (Qui Peut Être Suivi d’une Intégration)

    L’article L. 221-10 établi la liste des corps pouvant être détachés dans le corps des magistrats de chambre régionale des comptes :

    • Les magistrats de l’ordre judiciaire ;
    • Les fonctionnaires appartenant à un corps recruté par la voie de l’Institut national du service public ;
    • Les professeurs titulaires des universités ;
    • Les maîtres de conférences ;
    • Les fonctionnaires civils et militaires issus de corps et cadres d’emplois appartenant à la même catégorie et de niveau comparable.

    Par ailleurs, l’alinéa 2 du même article L. 221-10 prévoit la possibilité pour certains contractuels justifiant d’une expérience professionnelle d’au moins six années d’activité « les qualifiant particulièrement » d’exercer des fonctions de magistrat des chambres régionales des comptes.

    Dans une communication de 20166, la Cour des comptes comptabilisait une centaine de personnels détachés dans des fonctions de magistrat en CRC (pour environ 350 magistrats en exercice). En majorité des administrateurs territoriaux.

    Autrement dit, près du quart des magistrats de CRC est constitué de fonctionnaires détachés7.

    Les Épreuves du Concours d’Accès au Grade de Conseiller (Concours Direct)

    Le concours direct est ouvert :

    • Aux agents publics appartenant à un corps de catégorie A ou assimilé justifiant au 31 décembre de l’année du concours de sept ans de services publics effectifs, dont trois ans en catégorie A ;
    • Aux magistrats de l’ordre judiciaire ;
    • Aux titulaires de l’un des diplômes exigés pour se présenter au concours externe d’entrée à l’Institut national du service public.

    La Composition du Jury

    Celle-ci est prévue par l’article R. 228-2 du code des juridictions financières8 et comprend dix membres :

    • La présidence du jury est assurée par le président de la mission permanente d’inspection des chambres régionales et territoriales des comptes assure la présidence du jury ;
    • Trois membres sont ensuite désignés par :
      • Le ministre chargé des Collectivités territoriales ;
      • Le ministre chargé du Budget ;
      • Le ministre chargé de la Fonction publique ;
    • Deux professeurs des universités (titulaires) ;
    • Un avocat général, un procureur financier ou un substitut général désigné par le procureur général près la Cour des comptes ;
    • Un président ou vice-président de chambre régionale des comptes ;
    • Deux membres du corps des magistrats de chambre régionale des comptes, proposés par le Conseil supérieur des chambres régionales des comptes.

    La diversité des professionnels représentés témoigne du haut niveau de compétences attendu.

    Les Épreuves d’Admissibilité et d’Admission

    Les épreuves du concours de conseiller de chambre régionale des comptes sont particulièrement ramassées (article R. 228-4).

    Deux épreuves d’admissibilité) :

    • L’étude d’un dossier de finances publiques (quatre heures, coefficient 2) ;
    • Une composition sur un sujet de droit constitutionnel ou administratif (quatre heures, coefficient 1).

    Une épreuve d’admission consistant en une interrogation portant sur un sujet tiré au sort se rapportant à la gestion publique locale suivie d’une conversation d’ordre général avec le jury sur des questions juridiques (trente minutes de préparation et quarante-cinq minutes d’échanges, coefficient 2)9.

    Toute note inférieure à 5 est éliminatoire (article R. 228-5). Cependant, et contrairement au concours de magistrat administratif, il n’existe aucune limite à la présentation du concours.

    Contrairement au tour extérieur, les postes ouverts sont nettement mieux répartis, y compris dans certaines régions plus attractives :

    Calculs personnels
    Calculs personnels

    Le Programme des Épreuves

    Le programme est fixé par l’arrêté du 8 mars 2018 fixant le programme des épreuves du concours organisé pour le recrutement direct de conseillers de chambre régionale des comptes. Bien que les épreuves soient peu nombreuses, le nombre de matières à maîtriser se révèle important.

    Le programme des écrits

    Le cadre général des finances publiques :

    Les prélèvements obligatoires et les autres ressources publiques :

    Déficits et dette publics :

    Les finances de l’État :

    Les finances locales :

    Les règles comptables et le contrôle des finances publiques :

    En compléments, des éléments de droit public sont également attendus.

    Ici, vous pouvez vous rapporter au programme de droit public pour le concours de magistrat administratif.

    Les sujets pouvant susciter des questions à réponses courtes ou à une discussion juridique avec le jury portent sur les sujets suivants :

    L’organisation et les compétences des collectivités territoriales :

    La politique budgétaire et financière des collectivités territoriales :

    La gestion du personnel dans les CT (statut de la FPT).

    Les services publics locaux :

    Les collectivités territoriales et les citoyens (information et communication locales, concertation et participation des citoyens).

    Le contrôle des comptes et la gestion des organismes publics locaux et de leurs satellites :

    1. Agent de catégorie A chargé de l’assister dans son contrôle.
    2. Environ 4 % de réussite au concours unique de CRC. Il s’agit de l’un des concours les plus difficiles de la République.
    3. Le recrutement au tour extérieur est un recrutement sur dossier, après audition des candidats. De solides références juridiques et un parcours professionnel de haut niveau sont évidemment requis.
    4. Sont également listés les magistrats de l’ordre judiciaire, mais ces derniers n’ont en réalité aucun intérêt à passer le concours ou le tour extérieur, puisqu’ils peuvent être détachés dans le corps.
    5. Et, dans une moindre mesure, à la Cour des comptes.
    6. « Devenir magistrat de chambre régionale des comptes », Cour des comptes, 10 octobre 2016.
    7. Inversement, une soixantaine de magistrats de CRC étaient, à la date de l’enquête, en dehors des CRC. Soit un peu moins du cinquième (dont certains à la Cour des comptes).
    8. Ici encore, la ressemblance avec le jury du concours de conseiller de juridiction administrative n’est pas fortuite. Les mêmes exigences techniques et intellectuelles sont requises.
    9. L’épreuve orale est en réalité double et se rapproche en cela de celle prévue au concours direct pour l’accès aux fonctions de conseiller de tribunal administration et cour administrative d’appel.
  • Comment devenir juge administratif ?

    Comment devenir juge administratif ?

    Temps de lecture : 6 minutes.

    101 magistrats de tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et de la Commission nationale du droit d’asile ont été recrutés sur 2024.

    Le rapport public du Conseil d’État sur l’activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2024 permet d’abord de se représenter l’activité de ces magistrats :

    • Environ 600 000 litiges enregistrés sur l’exercice 2024 (+ 8 %), dont 280 000 enregistrés par les seuls tribunaux administratifs1 ;
    • Une durée moyenne prévisionnelle de jugement de onze mois pour les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, cinq mois à la Commission nationale du droit d’asile (CNDA) et six mois au Conseil d’État ;
    • Près de 1 300 magistrats et plus de 2 000 agents de greffe et soutien dans les tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et de la CNDA. Environ 240 membres du Conseil d’État et 400 agents de soutien.
    • Des affaires constituées pour près de la moitié par le contentieux des étrangers, suivi du contentieux des agents publics, du logement, des aides sociales.
    Extrait du rapport annuel du Conseil d’État sur l’exercice 2024
    Extrait du rapport annuel du Conseil d’État sur l’exercice 2024

    Les modes d’accès à la fonction de magistrat des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel

    Les concours

    Deux concours permettent d’accéder à la fonction de conseiller (article L. 233-2 du code de justice administrative) :

    1. Le concours de l’Institut national du service public (ex-École nationale d’administration) pour les élèves formulant ce choix à la fin de leur scolarité. Relativement minoritaire : environ 10 % des entrées dans le corps ;
    2. Par un concours direct (externe ou interne), devenu la voie normale d’accès : environ 50 % des entrées dans le corps ;
      1. Le concours externe : ouvert aux titulaires de l’un des diplômes exigés pour se présenter au concours externe d’entrée à l’Institut national du service public (niveau licence) ;
      2. Le concours interne : pour les agents publics, civils ou militaires, ainsi que les magistrats de l’ordre judiciaire justifiants, au 31 décembre de l’année du concours, de quatre années de services publics effectifs.

    Si votre souhait est de devenir magistrat, vous n’avez pas d’intérêt à passer le concours de l’Institut national du service public (sauf à vouloir multiplier vos chances) :

    • La sélectivité est plus élevée au concours de l’Institut national du service public2 ;
    • La formation est nettement plus longue (deux ans, contre six mois pour le concours direct) et
    • La diversité des postes proposées à l’issue de la formation constitue un aléa.

    Le tour extérieur

    Il existe plusieurs procédures de recrutement au « tour extérieur »3 :

    1. Celle de l’article L. 233-3 du code de justice administrative, qui offre accès au grade de conseiller pour :
      1. Les fonctionnaires civils ou militaires justifiants d’au moins dix ans de services publics effectifs dans un corps ou un cadre d’emplois de catégorie A ;
      2. Les magistrats de l’ordre judiciaire.
    2. Celle de l’article L. 233-4 du même code, qui offre accès au grade de premier conseiller pour les cadres supérieurs des trois fonctions publiques justifiant d’au moins huit ans de services effectifs dans les corps listés4.

    Chaque année, le vice-président du Conseil d’État détermine le nombre d’emplois à pourvoir au titre du L. 233-3 et du L. 233-4 précités.

    Concrètement, l’essentiel des candidats et des nommés relève de la catégorie 1.1 : attachés d’administration (des trois versants), inspecteurs des finances publiques, etc.

    Le tour extérieur concerne environ 15 % des entrées annuelles dans le corps.

    Le détachement (qui peut être suivi d’une intégration)

    Pour les corps suivants, il est possible de solliciter un détachement en qualité de conseiller ou de premier conseiller :

    • Les fonctionnaires recrutés par la voie de l’Institut national du service public ;
    • Les professeurs et maîtres de conférences titulaires des universités ;
    • Les administrateurs des assemblées parlementaires et
    • Les fonctionnaires civils ou militaires de l’État, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière appartenant à des corps ou à des cadres d’emplois de niveau équivalent à celui des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel5.

    S’ils satisfont aux critères des articles L. 233-3 et L. 233-4 précités, ils peuvent alors demander l’intégration dans ce corps ; aux grades de conseiller ou de premier conseiller.

    Le détachement est le mode d’accès le plus aisé pour les corps précités. La procédure formelle de sélection au tour extérieur étant nettement plus lourde et complexe.

    22 % des entrées dans le corps se font par la voie du détachement, qui est donc un instrument important de gestion.

    Ce haut niveau témoigne également de l’attractivité de ce corps.

    En synthèse

    Extrait (chapitre 2) du guide pratique du site www.lesja.fr consacré au recrutement
    Extrait (chapitre 2) du guide pratique du site www.lesja.fr consacré au recrutement

    Les épreuves du concours d’accès au grade de conseiller (concours direct)

    L’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État a abrogé l’article L. 233-6 consacré au « recrutement direct ».

    Pour autant, la partie règlementaire du code de justice administrative continue d’y faire référence et fixe plusieurs principes.

    Tout d’abord, deux règles importantes :

    L’impossibilité de se présenter plus de trois fois au concours (R. 233-9)6 et le caractère éliminatoire de toute note inférieure à 5 (R. 233-11)

    La composition du jury

    Celle-ci est prévue par l’article R. 233-8 du code de justice administrative :

    • Le chef de la mission permanente d’inspection des juridictions administrative (président du jury) ;
    • Un représentant du ministre de la justice ;
    • un représentant du ministre chargé de la fonction publique ;
    • Deux professeurs titulaires d’université et
    • Deux membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel7.

    La diversité des professionnels représentés témoigne du haut niveau de compétences attendu.

    Les épreuves d’admissibilité et d’admission

    Les trois épreuves d’admissibilité (1° du R. 233-11 du code de justice administrative) :

    • L’étude d’un dossier de contentieux administratif (quatre heures, coefficient 3). L’épreuve la plus déterminante ;
    • Une épreuve constituée de (en général, quatre) questions portant sur des sujets juridiques ou administratifs appelant une réponse courte (une heure et demie, coefficient 1) ;
    • Une dernière épreuve (quatre heures, coefficient 1), suivant l’origine des candidats :
      • Concours externe : dissertation portant sur un sujet de droit public ;
      • Concours interne : note administrative portant sur la résolution d’un cas pratique posant des questions juridiques.

    Deux épreuves d’admission :

    • Une épreuve orale portant sur un sujet de droit public suivie d’une conversation avec le jury sur des questions juridiques (trente minutes de préparation et trente minutes d’échanges, coefficient 2) ;
    • Un entretien avec le jury portant sur le parcours et la motivation du candidat (vingt minutes, coefficient 2).

    Le programme des épreuves

    L’étude d’un dossier de contentieux, la dissertation portant sur un sujet de droit public (concours externe) et le programme de sujets de droit public tirés au sort par les candidats lors de la première épreuve d’admission portent sur les sujets suivants :

    Quelques éléments fondamentaux de droit public :

    Le droit constitutionnel :

    Le droit administratif :

    Le contentieux administratif :

    Les sujets pouvant susciter des questions à réponses courtes ou à une discussion juridique avec le jury portent sur les sujets suivants :

    La gestion des administrations :

    Quelques éléments sur les grandes politiques publiques :

    Le droit de la fiscalité :

    Enfin, des notions fondamentales de :

    • Droit civil et de procédure civile ;
    • Droit pénal et de procédure pénale.
    1. 200 000 pour le tribunal du stationnement pays, 56 500 pour la Cour nationale du droit d’asile, 31 500 pour les cours administratives d’appel et 9 500 pour le Conseil d’État.
    2. Environ 6 % au titre du concours externe pour 2023, contre 10 % pour le concours externe direct. Pour le concours interne, le constat est plus nuancé, le taux de sélectivité étant d’environ 10 % à l’INSP, contre 12 à 13 % pour le concours interne direct.
    3. Le recrutement au tour extérieur est un recrutement sur dossier, après audition des candidats. De solides références juridiques et un parcours professionnel de haut niveau sont évidemment requis.
    4. Fonctionnaires de l’INSP, fonctionnaires de catégorie A ou cadre d’emplois de même niveau et titulaires de l’un des diplômes exigés pour se présenter au concours d’entrée de l’INSP, magistrats de l’ordre judiciaire, professeurs et maîtres de conférences titulaires des universités, administrateurs territoriaux, personnels de direction des établissements de santé et autres établissements (directeur d’hôpital et directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social).
    5. En pratique, cela recouvre les corps cités à l’article L. 233-4 de la note de bas de page précédente. Le Conseil d’État est chargé d’établir la liste.
    6. On peut s’interroger sur la portée de cette disposition attachée à un article abrogé. Ici, le concours de magistrat administratif se distingue de celui de juge judiciaire où le nombre de passage n’est pas limité. Régulièrement des élèves de l’Ecole nationale de la magistrature ont ainsi passés plus de trois fois le concours avant d’être admis.
    7. Nommés par arrêté du vice-président du Conseil d’État, sur proposition du Conseil supérieur des tribunaux administratives et des cours administratives d’appel.
  • Tristesse, peur, colère de Stéphanie Hahusseau

    Tristesse, peur, colère de Stéphanie Hahusseau

    Temps de lecture : 9 minutes.

    Dans son ouvrage « Tristesse, peur, colère », Stéphanie Hahusseau explore la nature et la gestion des émotions, proposant des clés précieuses pour mieux comprendre et appréhender nos réactions émotionnelles.

    Bien que débordant des sujets de politiques publiques et des institutions administratives, il me semblait utile de partager cette lecture : dans un contexte professionnel, mais aussi personnel. L’agent public (en devenir ou non) est, en effet, de plus en plus appelé à mobiliser des compétences comportementales1.

    Leçon n° 1 : L’Émotion est un Indicateur

    Les émotions sont des signaux produits par notre corps. Ils nous renseignent sur notre état intérieur.

    « Une émotion est un indicateur, comme une sensation de soif ou de faim, elle ne signifie rien de notre valeur. »

    On n’a pas honte de sa faim. N’ayons pas honte d’une émotion.

    Leçon n° 2 : L’Émotion a un Impact Physique

    Les émotions ont des effets physiques, comme l’accélération du rythme cardiaque, la sécrétion d’hormones et la modification de la respiration.

    Pour certaines personnes, ces conséquences physiques peuvent elles-mêmes devenir source d’angoisse, jusqu’à déclencher des attaques de panique. Un cercle vicieux s’installe.

    Certains facteurs peuvent également amplifier les effets des émotions :

    • Fatigue : La fatigue accentue les émotions négatives et diminue les positives.
    • Hormones : Les hormones jouent un rôle crucial, avec des différences notables entre les sexes.
    • Pensées Envahissantes : Elles sont des déclinaisons émotionnelles, teintant notre perception du monde.

    Leçon n° 3 : La Façon dont nous Évaluons nos Émotions est Déterminante Pour Notre Bien-Être et Notre Autonomie de Jugement

    Il existe deux niveaux de traitement des émotions :

    • Niveau Rapide et Instinctif : Réaction immédiate à un stimulus. Un bruit fort et soudain nous fait sursauter.
    • Niveau Lent et Analytique : Production d’une analyse, engendrant des sentiments.

    Ces deux niveaux de traitement des émotions peuvent être affectés par des distorsions cognitives.

    Les Distorsions Cognitives

    Il existe sept distorsions cognitives qui déforment la réalité et aggravent notre perception des émotions négatives. Chacune de ces déformations peut se combiner à une ou plusieurs autres :

    1. Interférence Arbitraire : Tirer des conclusions sans preuve.
    2. Abstraction Sélective : Ne retenir qu’un détail négatif (une journée sur une plage paradisiaque, mais un ballon qui nous arrive sur la figure).
    3. Surgénéralisation : Utiliser des termes absolus comme « toujours » ou « jamais ».
    4. Minimalisation : Minimiser ses réussites ;
    5. Maximalisation : L’opposé, qui consiste à maximaliser ses échecs.
    6. Personnalisation : Interpréter les actions des autres comme dirigées contre soi.
    7. Pensée Dichotomique : Le blanc ou noir (« S’il ne me dit pas bonjour, c’est qu’il me méprise »).

    Chaque individu a un style d’interprétation, influencé par son tempérament, son éducation, ses expériences passées… C’est la personnalité émotionnelle qui sera détaillée plus loin.

    Toutefois, un style d’interprétation majoritairement négatif peut conduire à un phénomène « d’impuissance apprise ». L’enfermement du sujet, la dépression.

    Leçon n° 4 : L’Émotion est Aussi un Outil

    Les émotions peuvent nous inciter au changement, à l’écoute ou à la prudence. Elles sont des outils précieux pour adapter notre comportement.

     « Ce n’est qu’en affrontant nos peurs que nous pouvons les canaliser, c’est la théorie de l’habituation, l’exposition répétée à nos peurs. »

    Affronter régulièrement ses peurs est donc essentiel pour progresser et demeurer libre de choisir.

    Savoir Écouter son Stress

     « Le stress est inversement proportionnel à la capacité de contrôle. »

    Le stress est un « bébé émotion », il est l’état de latence avant que l’émotion n’apparaisse : la joie, la colère, la tristesse, la peur.

    S’écouter peut permettre de prévenir la survenue d’une émotion intense et potentiellement désagréable.

    Leçon n° 5 : Nous ne Sommes Pas Égaux Face aux Émotions

    Le vécu, le tempérament, l’éducation aux émotions… autant de facteurs qui nous différencient dans la gestion des émotions une fois adulte. Cependant, si le passé marque chacun d’entre nous, il ne nous empêche pas d’agir.

    Événements Gravissimes

    Lorsque notre intégrité physique est directement menacée, nous perdons notre sentiment d’invulnérabilité. Nous ne pouvons plus vivre sereinement.

    Une personne sur trois ayant subi un choc grave développera une forme de stress post-traumatique. La répétition intérieure et incontrôlée du traumatisme.

    Dans cette situation, l’émotion n’est plus contrôlée. Un accompagnement médical est nécéssaire.

    Émotions du Passé

    Les schémas émotionnels de l’enfance peuvent influencer nos réactions actuelles dans un contexte présentant des points communs avec une situation vécue et difficile.

     « Un adulte qui aura, enfant, souvent été délaissé pendant de longues heures se sentira très mal au moindre éloignement d’un de ses proches. Son schéma d’abandon va s’activer et déclencher des émotions violentes. »

    Ces circonstances « gâchettes » réactivent un souvenir difficile, mais non étiqueté comme tel et génèrent en nous une réaction automatique et incontrôlable, la même que nous avons eue enfant. On parle de « schéma égosyntonique ».

    Tempérament Génétique

    Chaque individu dispose d’un tempérament génétique, prédisposant à certaines émotions comme l’anxiété, l’optimisme ou l’agressivité.

    Personnalité Émotionnelle

    Des tests2 permettent d’évaluer la personnalité émotionnelle suivant :

    • Le degré d’extraversion ou d’introversion ;
    • Le degré de sensibilité.

    L’extraversion prédispose à des interprétations positives des émotions, et inversement. La stabilité émotionnelle protège également de certaines formes d’émotions négatives. L’hypersensibilité, à l’inverse, expose à des émotions plus fluctuantes et plus fortes.

    Alexithymie

    L’alexithymie est la difficulté à identifier, verbaliser et comprendre ses émotions3.

    L’alexithymie est fréquemment associée à des troubles psychosomatiques et des comportements d’addiction.

    Acceptation des Émotions

    L’acceptation de nos émotions est cruciale. Refuser ses émotions peut nous plonger dans un cercle vicieux, renforçant les difficultés à les appréhender.

    On parle de « couche émotionnelle secondaire » : ce que le ressenti d’une émotion provoque en nous4.

    Pour les candidats à un concours et confronté au trac et au stress, voilà un élément essentiel : ne pas se juger. Accepter cette peur, telle qu’elle est. Ne pas la fuir, mais simplement respirer, calmement. La maitrise du stress est aussi une compétence évaluée par le jury5.

    La Maladie de la Peur

    Il est important de légitimer ses émotions, au risque de développer la maladie de la peur : le trouble anxieux.

    Le trouble anxieux apparait lorsqu’une peur fait l’objet d’un évitement systématique, qui renforce la menace perçue et, ce faisant, le sentiment d’échec (émotion secondaire).

    Ces peurs peuvent provenir du sentiment d’être jugé négativement par autrui, de pensées récurrentes dont on a honte, d’endroits dont il pourrait être difficile de s’échapper, de stimuli rappelant un traumatisme grave.

    Dans les cas les plus handicapants, se développe une peur de la peur : l’attaque de panique. Ici encore, un accompagnement par des praticiens diplômés s’impose.

    Paradoxalement, ces crises de paniques peuvent survenir dans les moments de détente, lorsque l’individu est le plus à même d’écouter ses émotions… Et, d’avoir peur d’elles, faute de s’y confronter plus souvent.

    Apprendre à Mieux Vivre les Émotions Négatives

    Comprendre les Fonctions des Émotions Négatives

    Les émotions négatives poursuivent des fonctions distinctes :

    • Tristesse : Permet de prendre conscience de ce qui est mauvais pour nous et d’accepter une perte.
    • Peur : Nous signale un danger et nous incite à nous protéger.
    • Colère : Nous signale que nos droits sont bafoués et nous donne l’énergie nécessaire à leur rétablissement.

    L’intelligence émotionnelle consiste à étiqueter justement ses émotions, à les exprimer de manière adéquate et à utiliser les émotions pour penser et agir de façon constructive.

    Mettre à Distance ses / ces Émotions

    Être équilibré dans son approche. Traiter le problème, sans être obnubilé :

    • Accepter de vivre certaines émotions déplaisantes et prendre conscience qu’elles tiennent à des situations particulières.

        Commencer par identifier les facteurs déclenchants, sans ressasser. Une émotion n’est ni un signe de folie ni un passage à l’acte.

        • Ne pas sombrer dans l’expression émotionnelle déplacée (par exemple : une colère au travail) ou permanente, qui épuise les proches et plonge dans une forme d’égocentrisme et de solitude.

          N’offrez pas non plus trop de place aux émotions, il n’est ni sain ni pertinent d’exprimer sans arrêt son ressenti.

          • Ne pas se fixer sur ses émotions en permanence, mais être proactif.

            Tenez un « journal des solutions » avec, au cas par cas :

            Un traitement du problème, lorsque nous avons une prise sur le problème.

            Dans les autres cas, une action sur l’émotion elle-même. Par une activité artistique comme la musique ; des exercices de détente et de respiration…

            Ce qu’il Ne Faut Pas Faire : Faire Comme si ces Émotions n’Existaient Pas, les Éviter

            La fuite peut être utile à court terme, mais elle est particulièrement est néfaste à moyen et long terme.

            Il est préférable de s’exposer régulièrement à ses émotions pour les apprivoiser. 90 % des émotions ne durent pas plus d’une heure ou deux.

            Comprendre son Schéma Émotionnel

            Chaque individu à un schéma émotionnel :

            • Un niveau de contrôle émotionnel général, qui lui est propre ;
            • Une sensibilité particulière à la colère, aux émotions positives, à la tristesse et à la peur.

            Le Développement Émotionnel de l’Enfant

            À mesure que l’enfant grandit, sa palette d’émotions s’élargit :

            • Jusqu’aux six premiers mois de l’enfant, le système émotionnel est binaire : plaisir ou déplaisir ;
            • De six mois à deux ans : les émotions se complexifient avec l’apparition de la peur, de la colère et du dégoût ;
            • La deuxième année est un florilège émotionnel, qui accompagne le développement du langage : embarras, envie, plaisir, joie, affection ;
            • Entre trois et cinq ans, l’enfant commence à être capable d’empathie, de respect et de honte. Il intériorise graduellement les émotions d’autrui ;
            • Ce n’est qu’à sept ans que l’enfant est capable d’un raisonnement complet. La notion de temps est également acquise ;
            • L’adolescence est la dernière étape de développement cérébral : abstraction, symbolisation, conscience des émotions. Mais, les pics hormonaux, les changements corporels et dans les conditions de vie bouleversent fortement le jeune qui dispose, par ailleurs, d’une très jeune intelligence émotionnelle.

            L’éducation émotionnelle de l’enfant est donc cruciale. Les parents doivent autant que possible nommer les émotions, les respecter et les distinguer des actes.

            Parler de ses émotions, c’est comme parler anglais. On ne peut pas apprendre si personne ne parle la langue des émotions autour de nous.

            Les Traumatismes de l’Enfance et les Besoins Fondamentaux

            Un traumatisme est causé par une atteinte brutale ou répétée à un des besoins fondamentaux de l’enfant :

            • Un besoin physiologique : boire, manger, dormir, être propre ;
            • Un besoin de sécurité : parent protecteur et non-violent, au comportement prévisible et rassurant ;
            • Un besoin d’être aimé : l’absence d’affection entrave gravement le développement psychomoteur de l’enfant. C’est la théorie de l’attachement ;
            • Un besoin d’être estimé : être régulièrement valorisé, approuvé, encouragé, reconnu, respecté dans son indépendance et son autonomie.

            L’adulte ayant subi enfant un abandon, un manque de reconnaissance ou une insécurité est souvent terrorisé à l’idée de revivre ces émotions et peut choisir la contre-attaque6 ou à l’inverse la perpétuation7. Il existe également une autre voie, celle consistant à se défaire progressivement du passé, pour demeurer pleinement dans le temps présent.

            Les Différents Schémas Émotionnels

            Le schéma émotionnel repose en particulier sur des peurs (« je ne veux pas ») ou des impératifs (« je dois ») :

            • Injustice ;
            • Rejet ;
            • Imperfection ;
            • Échec ;
            • Sujétion ;
            • Vulnérabilité ;
            • Sacrifice ;
            • Phobie des émotions ;
            • Performance ;
            • Droits personnels exagérés ;
            • Absence de contrôle de soi.

            Méthode de Gestion des Émotions

            Première Étape : Écrire et Prendre du Temps pour Soi

            Écrire permet de prendre de la distance, de soulager sa charge mentale et émotionnelle et de consacrer du temps à soi-même.

            Listez les émotions de la journée et évaluez :

            • L’intensité (de 1 à 10),
            • Le caractère adapté ou non de l’émotion,
            • L’éventuelle pensée automatique8.

            Respirez doucement et calmement, en prenant conscience de votre corps et de vos ressentis pendant quelques instants.

            Évaluez ensuite votre niveau de compassion (de 1 à 10) vis-à-vis de vous-mêmes et de l’attention que vous vous êtes octroyé dans la journée.

            Plus largement, faites régulièrement des choses que vous aimez9.

            Deuxième Étape : Faites des Exercices de Méditation de Pleine Conscience

            Attention : cette technique suppose de la persistance et un entraînement régulier.

            Quantité de tutoriels vidéos ou écrits existent sur Internet.

            Pour les Crises de Panique et de Colère

            Des techniques de respiration relativement simples peuvent permettre de calmer à la fois les crises de panique ou de colère :

            • Inspirez sans bruits par le nez pendant deux secondes ;
            • Bloquez deux secondes ;
            • Expirez deux secondes par la bouche ;
            • Bloquez deux secondes.

            Pratiquez autant que possible. Faites-en un automatisme.

            Troisième Étape : L’Exposition aux Émotions

            Dans une pièce au calme et seul, s’exposer aux émotions difficiles. Évaluez au démarrage l’intention de celle-ci, puis à l’issue de votre séance.

            L’objectif est de se focaliser sur les sensations physiques, d’identifier les tensions et de déceler l’enfant intérieur.

            Laissez aller, avec compassion et sans jugement.

            L’Autoparentage

            Être enfant consiste à vivre sous une norme parentale, sans capacité de comparaison, donc de jugement.

            C’est généralement à l’âge adulte que les ressentis émotionnels émergent, car l’émotion est enfin « étiquetée ».

            L’auto-parentage est une technique permettant, lorsque vous traversez une émotion de votre enfance, de qualifier l’émotion vécue et d’accompagner cet enfant dans son ressenti. L’enjeu est de se décentrer et de faire preuve d’empathie vis-à-vis de soi-même.

            Il est souvent frappant de voir le décalage entre l’histoire personnelle des individus et le manque d’empathie à leur égard – la froideur, la dureté qu’elles s’infligent (et qu’elle n’infligerait à nulle autre personne).

            On ne change pas le passé, mais on peut changer les croyances sur soi que ces événements ont laissé.

            Quatrième Étape : S’Affirmer, l’Assertivité

            S’affirmer permet de faire valoir ses pensées, ses désirs et ses émotions sans léser les droits d’autrui. Dire son ressenti, et l’assumer, sans le besoin de blesser ou de faire l’autre.

            Savoir dire « non », ou pleinement « oui ».

            L’affirmation de soi représente un coût émotionnel immédiat, parfois important, ce qui provoque un malaise en soi (signe du dépassement de notre inhibition naturelle), mais cela permet de dépasser d’éventuelles rancœurs et ruminations stériles.

            Listez les éléments que vous aimeriez partager à vos proches : familles, amis, travail. Puis programmez-vous un temps dédié pour le faire.

            Ce n’est pas l’autre qui nous maintient dans un système qui nous fait souffrir, mais nous-mêmes :

            • Faites le point sur ce qui vous pese ;
            • Détaillez, dans les reproches que vous faites aux autres, ce qu’ils font trop et ce qu’ils ne font pas assez ;
            • Observez de quelle manière vous essayez de compenser ;
            • Décidez de ne plus compenser et faites-vous plaisir ;
            • Observez vos nouvelles émotions et
            • Chaque semaine, prenez un petit risque. Changez vos habitudes. Soyez-vous.
            1. Voir par exemple l’article consacré aux conditions de travail des agents publics, issu du rapport de France stratégie de décembre 2024.
            2. Notamment l’inventaire EPN31, proposé dans l’ouvrage.
            3. Le test BAVQ permet d’identifier l’alexithymie. En précisant toutefois qu’un diagnostic ne peut être établi que par un médecin.
            4. Par exemple : Une émotion de jalousie peut susciter ensuite de la honte.
            5. Un candidat surmontant son stress est même plus avantagé qu’un candidat désinvolte ou débonnaire. Il démontre à la fois son implication et ses ressources pour faire face aux imprévus et difficultés, le tout, en situation professionnelle.
            6. L’enfant battu devient un adulte violent.
            7. L’enfant battu demeure adulte dans des situations de sujétions et de violence subie.
            8. Le traitement « rapide et instinctif » évoqué plus haut dans l’article.
            9. Se prendre un café, regarder par la fenêtre, écouter de la musique, lire un livre, faites un jeu…

          1. Quel avenir pour le recrutement par concours et la fonction publique de carrière ?

            Quel avenir pour le recrutement par concours et la fonction publique de carrière ?

            Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 8)

            Temps de lecture : 10 minutes.

            Suite de l’analyse du rapport de France stratégie avec un chapitre long et dense qui s’interroge sur le parcours de carrière des agents publics. Il s’agira ici de revenir sur le principe statutaire et sa consécration dans le recrutement par concours.

            Dans deux prochains billets, nous nous attarderons plus longuement sur les contractuels eux-mêmes et sur les parcours professionnels des agents publics.

            Qu’est-ce que le « statut de la fonction publique » ?

            Un principe inscrit dans la loi

            Le droit à la carrière

            Les rapporteurs rappellent tout d’abord le principe statutaire de garantie de l’emploi et de la carrière1 :

            La garantie de l’emploi2 protège le fonctionnaire contre l’arbitraire en empêchant les mutations pour des raisons autres que l’intérêt du service et en limitant les licenciements à des circonstances particulièrement graves : faute grave, insuffisance professionnelle…

            La garantie de la carrière pose le principe que les fonctionnaires sont recrutés dans un corps de la fonction publique et qu’ils disposent, au sein de ce corps, d’une forme de « carrière automatique ou minimale » — indépendamment des missions exercées3. L’évolution des rémunérations évolue pour partie à l’ancienneté (progression dans une grille indiciaire par échelon), et, éventuellement, par le passage d’un grade supérieur (notamment par examens professionnels).

            Cette garantie de l’emploi et de la carrière vise à protéger les agents publics des ingérences, au nom des principes de neutralité et d’égalité des citoyens devant le service public.

            La séparation du grade et de l’emploi

            L’autre principe pivot du statut est celui de la séparation du grade et de l’emploi :

            Le fonctionnaire est titulaire de son grade et non de son emploi. Autrement dit, le fonctionnaire dispose du droit d’occuper des fonctions compatibles avec son grade4. En revanche, l’administration dispose des emplois qu’elle peut modifier à tout moment.

            La situation d’un fonctionnaire est qualifiée de statutaire et règlementaire :

            • Les modalités de recrutement et d’évolution de la carrière du fonctionnaire sont définies dans le décret règlementant son corps,
            • Tandis que les emplois correspondant à ce corps dépendent d’une organisation administrative règlementaire.

            Inversement, le salarié de droit privé et le contractuel de droit public5 sont recrutés sur un emploi considéré, pour une tâche et des fonctions précises. Tout changement substantiel du contrat du salarié ou du contractuel de droit public nécessite donc un avenant ou un nouveau contrat.

            En contrepartie : un recrutement par concours et des obligations

            Les fonctionnaires sont le plus souvent6 recrutés par concours avec un niveau de sélectivité relativement élevé.

            Il s’ensuit une période de stage, généralement longue (le plus souvent un an). Durant cette période, l’employeur public peut se séparer à tout moment du stagiaire.

            Enfin, le statut de fonctionnaire implique plusieurs obligations :

            • L’interdiction d’exercer d’autres fonctions (principe de non-cumul des rémunérations), avec quelques exceptions ;
            • L’obligation de réaliser les tâches confiées et d’informer le public, de veiller à la continuité du service ;
            • L’obligation de réserve (y compris en dehors du service) et de respecter le secret professionnel ;
            • L’obligation d’impartialité et de neutralité (y compris la laïcité) ;
            • L’obligation de probité et d’intégrité (des dispositions pénales s’appliquent spécifiquement aux agents publics) ;
            • L’obéissance hiérarchique7.

            Le foisonnement de statuts : l’émiettement de la fonction publique

            Le modèle français de fonction publique figure encore comme l’exemple topique d’une fonction publique de carrière. Toutefois, l’emploi public est de plus en plus protéiforme.

            En effet, à l’analyse, le premier constat est celui d’une profusion de cadres d’emploi pour les agents publics :

            • Les « classiques » : fonctionnaires (y compris les fonctionnaires stagiaires), militaires (régis par le Code de la défense) et magistrats ;
            • Les « contractuels de droit public » : agents en contrat à durée déterminée et indéterminée. On les retrouve de plus en plus dans les administrations, y compris dans les directions d’administration centrale (comme la Direction générale des entreprises ou la Direction du budget) ;
            • Les vacataires : rémunérés à la tâche (ils ne disposent pas de congés payés ni depuis droit à titularisation) ;
            • Les salariés de droit privé : comme les agents de France travail, mais également les agents des caisses de sécurité sociale ou des établissements publics industriels et commerciaux comme la SNCF ou la RATP ;
            • Les « autres statuts » : ouvriers d’État, contrats aidés, médecins hospitaliers, enseignants de l’enseignement privé sous contrat, apprentis, assistantes maternelles (dans les collectivités), individus en engagement ou volontariat de service civique.

            Un constat : « l’emploi à vie » n’est plus attractif pour les jeunes générations

             La promesse d’un « emploi à vie » n’est pas attrayante

            La promesse d’un emploi garanti a perdu de son importance pour une multitude de raisons :

            • Le déclin général des projections à long terme du fait des crises successives depuis le début des années 2000 (crise écologique, guerres, difficultés démocratiques). Ce qui induit une préférence pour le présent8 ;
            • La multiplication du nombre de métiers en tension9 qui fragilise l’argument d’une meilleure sécurité de l’emploi pour le secteur public10 ;
            • Plus généralement, le privé est vu comme offrant davantage de perspectives ;
            • Enfin, une conception plus répandue selon laquelle la stabilité de l’emploi est considérée comme un risque : celui de perdre en compétences. Une carrière stable est vue comme « statique ».

            La stabilité de l’emploi demeure un élément distinctif et un argument pour les salariés les plus fragiles

            Cependant, pour les salariés du privé, la stabilité de l’emploi public reste un élément fort et différenciant :

            84 % des salariés du privé citent la sécurité de l’emploi comme un attrait des carrières de fonctionnaire11.

            La sécurité de l’emploi demeure recherchée par les salariés les plus vulnérables sur le marché du travail : seniors, salariés peu qualifiés ou jeunes issus de milieux populaires.

            Les fluctuations du chômage ne jouent plus sur l’attractivité de la fonction publique : celle-ci ne constitue plus un « refuge »

             La hausse du niveau de chômage de 2008 à 2017 n’enraye pas la chute du taux de sélectivité des concours qui continue à décroître. Malgré la hausse du chômage et en présence d’une augmentation du nombre de postes offerts dans les fonctions publiques, le nombre de candidats n’augmente pas.

            En dehors de la sécurité de l’emploi, les « avantages » offerts par les employeurs publics semblent peu élevés pour les actifs

            Une protection sociale globalement moins favorable, en particulier s’agissant de la protection sociale complémentaire12

             « Lorsque l’on compare les dispositifs en vigueur (…) les différences avec le secteur privé (en matière de santé, de retraite, ou d’autres avantages sociaux indirects, CESU, garde d’enfants, etc.) ne sont globalement pas à l’avantage de la fonction publique. Ces avantages, souvent mis en avant comme des compensations à des rémunérations réputées moins attractives, ne constituent plus une réelle différenciation. »

            À cet égard, les rapporteurs notent une culture différente s’agissant, par exemple, de la protection sociale complémentaire. Celle-ci est quasiment inexistante dans les discussions et représentations des agents publics. À l’inverse, pour les salariés du privé, il s’agit d’un élément d’appréciation important de la qualité de l’emploi.

             « La culture de la protection sociale complémentaire n’a pas (encore) imprégné le secteur public. »

            Plus largement :

            S’agissant de l’action sociale (garde d’enfant, loisirs-vacances, restauration, accompagnement social) : « au regard des effectifs globaux, le nombre de personnes concernées et les montants financiers qui y sont consacrés restent anecdotiques. »

            Des droits à retraite similaires entre les agents publics et les salariés de droit privé

            Deux différences importantes subsistent s’agissant des retraites :

            • Une prise en compte de la pénibilité au titre des catégories actives (ensemble des corps de la police nationale, infirmiers et sages-femmes, sapeurs-pompier, contrôleurs aériens, égoutiers…) plus généreuse dans la fonction publique (que le compte personnel de prévention des salariés) et permettant des départs anticipés13 ;
            • Un mode de calcul de la pension assis sur le traitement indiciaire (donc, hors primes) des derniers mois d’activité contre un calcul sur les 25 meilleures années pour les salariés.

            Toutefois, ces différences de règles de calcul ne conduisent pas à des montants de retraite en moyenne plus avantageux pour les fonctionnaires14. Par ailleurs, les âges de départ en retraite sont aussi similaires entre la fonction publique et le secteur privé (article sur le vieillissement de la fonction publique).

            Un recrutement par concours très contesté

            Le constat général dressé par les rapporteurs est celui d’une relative inadaptation des concours. Ils seraient :

            • Mal connus ;
            • Adossés à des épreuves inadaptées et trop théoriques ;
            • Avec un déroulement complexe et trop formalisé ;
            • Pour des postes à pourvoir en trop faible nombre, ce qui présente un caractère décourageant.

            Les modalités de recrutement se sont diversifiées, mais le concours demeure la voie d’accès principale à la fonction publique

            Au-delà du concours classique, « externe » et dédié aux jeunes diplômés, les modes de recrutement se sont pourtant diversifiés :

            • Le « troisième concours » est né en 1990 et est dédié aux salariés bénéficiant d’une expérience professionnelle de même nature que celle exercée à l’issue du concours ;
            • Le Pacte (Parcours d’accès aux carrières de la fonction publique), créé en 2005, permet à un jeune peu ou pas diplômé ou à un chômeur de longue durée d’accéder à une qualification, puis à un emploi de catégorie C dans la fonction publique15 ;
            • Enfin, l’accès direct sans concours est commun pour les recrutements de catégorie C.

            Par ailleurs, depuis 2018, le dispositif Prépas talents permet, sous conditions de ressources, à des étudiants, jeunes diplômés et demandeurs d’emploi d’accéder à une aide à la préparation aux concours de la fonction publique (aide à la fois financière, au logement, mais aussi accès à des dispositifs du tutorat renforcé)16.

            Pour autant, le concours demeure la voie d’accès normale à l’ensemble des grands métiers publics : enseignants, forces de sécurité, infirmiers, personnels d’inspection et d’administration…

            Des concours qui ne garantissent pas contre les discriminations

            Les rapporteurs citent les travaux du rapport du professeur Yannick L’Horty de 201617 pour conclure au caractère pour partie discriminant du mode de recrutement par concours :

            « Les femmes, les personnes nées hors de France métropolitaine, ou encore celles qui résidant dans une ville avec une forte emprise de ZUS, [ont] moins de chances de réussir les écrits puis les oraux de nombreux concours, tandis qu’à l’inverse les chances de succès sont plus élevées toutes choses égales par ailleurs pour les personnes qui habitent Paris et celles qui vivent en couple. »

            Des concours qui accentuent les disparités territoriales

            L’autre difficulté inhérente au concours est l’affectation sur le premier poste. Or, les postes disponibles pour les primo-affectés sont en majorité difficiles et le plus souvent dans les territoires les moins attractifs :

            • Les grandes métropoles régionales (Rennes, Nantes, Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille, Toulouse et Bordeaux) et les façades maritimes18 reçoivent proportionnellement moins de primo-affectés ;
            • À l’inverse, les départements franciliens connaissent un fort turn-over et des besoins en recrutements croissants.

            Ce phénomène de turn-over élevé pour les territoires les moins attractifs et de départ des plus anciens vers les territoires les plus favorisés s’auto-entretient.

            Les jeunes ne restent pas sur leur poste et préfèrent partir assez vite :

            Pour pallier les difficultés de recrutements dans les territoires les plus difficiles, l’administration recrute localement des contractuels

            Le recrutement de contractuels se développe, tout particulièrement dans les territoires les moins attractifs19.

            En retour, ce recrutement de contractuels accentue la désaffection des concours :

            Les fonctionnaires en première affectation doivent le plus souvent déménager pour rejoindre un lieu d’affectation inconnu à la réussite du concours.

            Les contractuels disposent du choix de leur lieu d’exercice et sont dispensés de la sélection par concours.

            Outre le recrutement de contractuels, les rapporteurs citent la possibilité ouverte par la loi de transformation de la fonction publique de 2019 de recruter des fonctionnaires par la voie de concours nationaux à affectation locale. Toutefois, ce dispositif est encore peu développé et n’a concerné, à la date de rédaction du rapport, qu’une cinquantaine de corps et près de 10 000 agents20.

            Une gestion des fonctionnaires également problématique sur le long terme

            Le cas de l’Éducation nationale est particulièrement symptomatique pour les rapporteurs :

             « La crainte est double : elle concerne l’affectation sur le premier poste, mais elle porte également sur la possibilité d’obtenir ultérieurement une mutation en vue de rejoindre l’académie ou l’établissement de son choix. Or, les étudiants ou futurs enseignants jugent le système ou l’algorithme utilisé pour les campagnes de postes particulièrement opaque, source d’inégalités de traitement et d’incohérences manifestes. Cette perception d’une procédure sans règles claires entretient un sentiment d’arbitraire et d’inefficacité dans la gestion des ressources humaines, appuyé par de nombreux exemples jugés aberrants de personnels dont l’affectation semble contraire à toute logique. »

            1. Principes attachés au modèle de la fonction publique dite « de carrière » qui implique l’existence de corps de la fonction publique. À l’inverse, la fonction publique dite « de l’emploi » repose sur un recrutement de gré à gré en fonction des besoins de l’employeur, sans droit à carrière spécifique.
            2. Ce que des journalistes et commentateurs désignent, paresseusement, par « emploi à vie ». Il conviendrait plutôt, en effet, de parler de « droit à carrière », puisque le fonctionnaire a justement vocation à occuper une succession d’emplois.
            3. On distingue ici la rémunération indiciaire, assise sur les fameuses grilles indiciaires des différents corps de fonctionnaires (professeur des écoles, gradés et gardiens de la paix, attaché d’administration, inspecteur des finances publiques…) et la rémunération en primes liées aux fonctions et sujétions. La seconde part de la rémunération, de loin la plus dynamique, est assise sur la réalité des fonctions exercées. Toutefois, pour certaines professions, comme les magistrats ou le corps enseignants, la part indemnitaire demeure essentielle.
            4. Un inspecteur des finances publiques ne peut pas être affecté dans une fonction d’agent d’accueil.
            5. Dans un format qui ressemble aux principes de la fonction publique d’emploi, à l’inverse d’une fonction publique de carrière.
            6. Hors catégorie C de la fonction publique territoriale, notamment.
            7. Sauf en cas d’un ordre manifestement illégal et de nature à troubler l’ordre public.
            8. Les sociologues Castel et Bergeron interrogés par les rapporteurs rapprochent cette préférence pour le présent d’une anxiété quant à l’avenir : « on ne se projette pas dans un monde incertain ».
            9. A titre d’exemple, plus de 40 % des entreprises rencontraient des difficultés de recrutements selon la DARES dans son point sur la situation du marché du travail au 3e trimestre 2024.
            10. Voire le renverse, puisqu’en raisonnant du point de vue de l’individu, l’employabilité et la désirabilité des recruteurs quant aux compétences rares est mieux rémunérée dans les secteurs privés que dans le secteur public.
            11. Enquête Opinion-Way- Indeed (2023), « L’attractivité du secteur public chez les salariés français : entre réalité et désillusion », juin. Enquête réalisée sur un panel de 1 594 salariés représentatifs des salariés du secteur public (4 %) et du secteur privé (60 %).
            12. Il convient cependant de relever les travaux récents du ministère de la fonction publique en la matière afin de prévoir une protection sociale complémentaire pour les agents publics de l’État, puis à terme, des autres fonctions publiques.
            13. Ces « avantages » existent en Belgique, mais pourraient être remis en cause par le nouveau Gouvernement. Une réflexion pourrait s’ouvrir sur la responsabilité de l’administration dans le reclassement des agents publics concernés sur des fonctions moins exposées.
            14. Voir à ce sujet Drees (2022), « Retraite : règles de la fonction publique et du privé. Comparaison du calcul des droits à la retraite à l’aide du modèle Trajectoire », Les dossiers de la Drees, n° 103, novembre.
            15. Mais cette voie d’accès reste marginale, en 2021 elle a permis de recruter 200 personnes pour 300 postes offerts selon le Rapport annuel sur l’état de la fonction publique de 2023.
            16. En 2021, environ 700 étudiants étaient inscrits aux préparations des concours de catégorie A, 400 aux concours de catégorie A+ et 350 pour les concours de catégorie B. Depuis 2018, le taux de réussite progresse régulièrement (9 % en 2018-2019 et 23 % en 2021-2022).
            17. L’Horty Y. (2016), Les discriminations dans l’accès à l’emploi public, Rapport au Premier ministre, juin.
            18. Et plus encore pour les façades maritimes du sud et de l’ouest de la France. Ce qui, par ailleurs, peut poser des difficultés de mobilités pour les agents en poste, les opportunités étant plus rares.
            19. L’exemple le plus évident est la pratique du job dating par le rectorat de Versailles.
            20. Une autre difficulté tient aussi aux lieux de formation des lauréats des concours. À cet égard, l’initiative récente visant à développer auprès de l’Institut régional de Lille un lieu de formation à Nanterre pour les attachés d’administration est probablement salutaire.

            Étudiant en examen
          2. Attractivité de la fonction publique : l’émergence d’un problème public

            Attractivité de la fonction publique : l’émergence d’un problème public

            Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 2)

            Temps de lecture : 5 minutes.

            Deuxième volet d’une série d’articles consacrés au rapport remis par France stratégie en décembre 2024 sur l’attractivité de la fonction publique.

            Dans ce chapitre introductif, les chercheurs tendent à démontrer que la question de l’attractivité s’impose désormais dans le débat public. Pour autant, ce problème n’est pas nouveau, ses ressorts sont complexes et nécessitent une remise en cause probablement profonde des administrations et de leurs chefs de service.

            Une dénonciation ancienne du « trop grand nombre de fonctionnaires »

            Les rapporteurs précisent d’abord que le néologisme « bureaucratie » a été créé par l’économiste physiocrate Vincent de Gournay (1712-1758). L’objet de ce concept était déjà de dénoncer l’influence, jugée trop importante, des fonctionnaires sur la vie sociale et économique du pays. En spécifiant qu’alors, l’administration de l’État monarchique était très (très) modeste.

            Ces premiers éléments rappellent à l’évidence les travaux d’Émilien Ruiz, notamment rassemblés dans son ouvrage Trop de fonctionnaires dont est tiré le graphique suivant :

            Le souci de bien recruter et bien former

            La sélection par concours et la création d’écoles spécialisées dès le début du XIXe siècle

            La compétence et la formation des agents deviennent progressivement un critère de recrutement avec l’affermissement de l’État.

            Les ministères chargés de l’Équipement et des Armées sont les premiers à développer une logique de concours, puis de formation préalable au recrutement :

            • L’École des ponts et chaussées est fondée en 1747 ;
            • L’École polytechnique en 17941 ;
            • L’École spéciale militaire de Saint-Cyr en 1803 et
            • L’école Navale en 1830.

            La logique de sélection et de formation des agents publics compétents est ensuite graduellement adoptée dans les administrations civiles. Dès 1835, un concours est ainsi mis en place pour l’accès à la magistrature2.

            Un long chemin vers la généralisation du concours

            Une montée en puissance progressive du milieu du XVIIIe jusqu’à la fin de la IIIe République

            Dès 1844, un rapport propose de sélectionner au mérite, par concours, examen ou diplôme les agents publics.

            Cette effervescence intellectuelle et libérale permettra la création quatre ans plus tard, en 1848, de la première École nationale d’administration pour sélectionner les agents administratifs de l’État.

            Toutefois, cette école survivra à peine quelques mois et il faudra attendre la Troisième République pour voir le système de concours émerger de nouveau.

            Une consécration juridique à compter de la moitié du XXe siècle

            Le souci de sélection et de formation se renforce sous Vichy dans une approche punitive et culpabilisante. Les fonctionnaires étant tenus pour partie responsable de la débâcle.

            Le concours devient alors un fondement du recrutement des fonctionnaires3 :

            L’article 27 de la « loi » du 14 septembre 1941 dispose ainsi que :

            « Nul ne peut être admis à un emploi de début s’il n’a satisfait aux épreuves d’un concours ou aux examens de sortie d’une école lorsque le recrutement est assuré par cette voie. »

            Pour autant, ici comme ailleurs, les « valeurs » portés par Vichy se révèlent à l’usage très peu suivi d’effets.

            Le régime a besoins de bras pour réaliser ses « missions » et, pour ce faire, non seulement il recrute des agents publics, mais il le fait davantage encore que sous la IIIe République, en dehors des modes de recrutements traditionnels :

            • En 936, l fonction publique comptait 106 000 agents non titulaires (19,7 % de l’emploi public) ;
            • En 1946, ils étaient 356 000 (40 %).

            Le principe de sélection par concours sera réaffirmé dans le statut de 1946 (premier statut républicain de la fonction publique), puis par le statut général de 1983. Toutefois, il ne présente pas de caractère constitutionnel4.

            Un problème d’attractivité ancré dans l’histoire de la fonction publique

            Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des difficultés recrutements pour la quasi-totalité des ministères

            De 1952 à 1964, la population française augmente de près de cinq millions et demi de personnes. Nous sommes alors en plein « baby boom ». Assez logiquement, d’importantes administrations voient leurs effectifs augmenter fortement :

            • Le ministère de l’Éducation nationale double ainsi ses effectifs, dans un contexte d’augmentation du nombre de jeunes suite aux naissances d’après-guerre et de l’essor d’une scolarisation de masse de ces derniers ;
            • Le ministère des Postes et des télécommunications recrute près de 57 000 postiers.

            Cependant, le nombre total d’agents publics dans les autres ministères (Armées, Intérieur, Santé et Travaux publics notamment) connaît une croissance particulièrement faible, de l’ordre de 1 000 recrutements par an. Cette très faible croissance s’explique par les difficultés de recrutement de l’administration.

            Ces difficultés de recrutements sont dues au trop faible nombre de candidats

            Le nombre de candidats aux concours de la fonction publique de catégorie A (cadre) et B (cadre intermédiaire) est particulièrement bas sur la période.

            Jean-Luc Bodiguel et Luc Rouban recensent ainsi :

            « 162 candidats inspecteurs élèves des impôts pour 360 postes en 1960, 16 candidats inspecteurs de la Sécurité sociale pour 32 postes en 1958. »

            Il en va de même pour les écoles de service public comme l’ENA (1945) et l’ENM (1958) :

            « En 1964, la Magistrature était bien heureuse d’avoir deux candidats pour un poste [5 pour 1 en 1953] .(…) Situation identique à l’ENA où, entre 1957 et 1960, on ne put, au concours étudiant, pourvoir qu’à 155 postes pour 162 offerts, malgré la faiblesse du taux de sélection : 1 reçu pour 3,5 candidats. »

            La situation actuelle en terme d’attractivité

            Une tension généralisée dans les recrutements (secteur privé et public)

            Il convient de relever tout d’abord l’augmentation du taux d’emploi et la baisse du chômage.

            Huit métiers sur dix (représentant 87 % de l’emploi) sont en tension forte ou très forte selon la DARES5.

            Mécaniquement, la concurrence est donc plus forte entre les entreprises, associations et administrations dans le recrutement de salariés qualifiés. Plus encore, lorsque les métiers ou compétences sont comparables

            Un phénomène qui demeure toujours difficile à qualifier

            Les rapporteurs soulignent ainsi qu’avant 2009, il n’existe aucune base de données fiable sur le nombre d’agents des services publics.

            Par ailleurs, le sujet souffre également d’une difficulté dans le choix des indicateurs :

            • Les emplois vacants ?
            • La durée de vacance desdits emplois ?
            • Le nombre de candidats au concours ?
            • Le turn-over dans les structures ?

            Enfin, les comparaisons internationales sont encore plus complexes. La Commission européenne6 éprouve également des difficultés :

            « Les offices statistiques nationaux et les institutions internationales n’utilisent pas les mêmes définitions et méthodologies, ce qui entraîne des incohérences entre les pays et confirme la nécessité d’améliorer la validité et la cohérence des données dans ce domaine. »

            1. Les écoles d’ingénieurs créées sous la monarchie (dont celles des ponts et chaussées) sont conservées, en étant intégrées au parcours des polytechniciens.
            2. Toutefois, la création d’une école, l’École nationale de la magistrature, n’est réalisée qu’en 1958. En précisant également que les magistrats financiers de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, ainsi que les magistrats administratifs ne disposent pas d’école de formation dédiées.
            3. Le premier statut de la fonction publique est créé par le régime de Vichy, toutefois, l’idée statutaire traverse toute la IIIe République.
            4. C’est le principe d’égal accès en fonction des « capacités » du citoyen qui revêt un caractère constitutionnel, conformément à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (voir notamment la décision du juge constitutionnel du 28 janvier 2011, n° 2010-94).
            5. DARES Résultats, n° 59, novembre 2023.
            6. Commission européenne (2017), « A comparative overview of public administration characteristics and performance in EU28 ».

            Étagères de livres
          3. L’attractivité de la fonction publique (introduction)

            L’attractivité de la fonction publique (introduction)

            Temps de lecture : 10 minutes.

            France stratégie a publié fin décembre 2024 un rapport très commenté sur la situation de la fonction publique.

            Le constat dressé est alarmant, voire décourageant. On y découvre une fonction publique en crise profonde, marquée par un déclin profond de son attractivité :

            • Les difficultés de recrutement sont majeures : 15 % des postes non pourvus en 2022 ;
            • Ces difficultés résultent d’une dévalorisation des métiers et de conditions de travail jugées dégradées ;
            • Les rémunérations et promotions se révèlent en moyenne moins intéressantes que dans le privé ;
            • Plus inquiétant : on assiste également à un recul des inscriptions dans les filières universitaires, principal vivier de la fonction publique ;
            • Enfin, toutes ces difficultés de recrutement et de fidélisation du personnel entrainent une dégradation des services publics : accueil des jeunes enfants, éducation, santé, justice.

            Le rapport traite des trois fonctions publiques. Cependant, je m’attarderai principalement sur la situation de l’État.

            Une crise de la FP profonde et multidimensionnelle

            La crise d’attractivité traversée par la fonction publique française est multidimensionnelle et s’installe dans la durée. Elle concerne, dans des proportions variables, les trois versants de la fonction publique :

            • La fonction publique d’État ;
            • La fonction publique hospitalière ;
            • La fonction publique territoriale.

            Cette fragilisation s’observe désormais à tous les moments de la relation de travail :

            • Avant l’embauche, avec un tarissement des viviers de recrutements et un moindre intérêt des jeunes vers les métiers du service public1 ;
            • Pendant le processus de recrutement, avec des proportions de renoncements de lauréats de concours plus élevées qu’auparavant ;
            • Puis, au cours de carrière, avec une augmentation des départs volontaires, en particulier dans l’Education nationale.

            « Le phénomène est d’autant plus préoccupant que la pénurie engendre la pénurie. 

            […]

            « Une spirale négative se met en place, reliant les difficultés de recrutement, la dégradation des conditions de travail, la moindre qualité du service et le manque d’attractivité. »

            Une situation qui se dégrade

            Une crise qui concerne l’ensemble des principaux métiers proposés par l’État

            Dans la fonction publique d’État (FPE), les problèmes de recrutement affectent tout particulièrement les métiers des ministères qui recrutent le plus :

            • Ministère de l’Éducation nationale (enseignants),
            • Ministère de l’Intérieur (gardiens de la paix, gendarmes),
            • Ministère de l’Économie et des Finances (inspection des finances publiques),
            • Ministère de la Justice (surveillants pénitentiaires et, dans une moindre mesure, greffiers),
            • Ministère des Armées (militaires du rang et sous-officiers2).

            Mais, ces difficultés touchent également3 :

            • Les fonctions support,
            • L’administration générale et
            • Les métiers très qualifiés des autres ministères (notamment les spécialistes du numérique).

            « En 2022, ce sont 15 % des postes offerts aux concours de la fonction publique d’État qui n’ont pas été pourvus (contre 5 % en 2018)4. Un véritable décrochage s’observe depuis les années 2010. »

            « Les postulants deviennent insuffisamment nombreux pour couvrir les besoins et les taux de sélectivité plongent : en moyenne, douze candidats se présentaient pour un poste aux concours externes de la FPE sur la période 2000-2010, ils ne sont plus que quatre en 2022. »

            L’Education nationale est le ministère le plus exposé à la pénurie, mais les difficultés de recrutement sont généralisées

            Les concours de recrutement d’enseignants connaissent, en effet, une désaffection importante. Toutefois, la baisse du nombre de candidats se constate pour l’ensemble des recrutements.

            « Les taux de sélectivité sont en 2022 de six candidats pour un poste pour les autres concours de catégories A [hors enseignants], B et C, quand ils étaient respectivement de 22, 29 et 17 en 2000. »

            En conséquence, pour l’Éducation nationale, le nombre de postes vacants mesurés à la rentrée scolaire connaît une hausse quasi constante :

            • De 1 988 postes vacants en 2006,
            • À 4 774 en 2023.

            Le recours accru aux contractuels ne permet pas de compenser le manque de candidats aux concours.

            Une nouvelle problématique : les départs volontaires

            « On observe parallèlement une fragilisation croissante de la capacité de la fonction publique à retenir ses agents. »

            En rappelant qu’en droit de la fonction publique, la démission unilatérale n’existe pas. Le fonctionnaire étant recruté par arrêté ministériel ou interministériel, l’administration doit accepter le départ de l’agent5.

            Il s’agit donc d’un fait relativement nouveau par son ampleur et sa nature : marquant une forme de délitement du lien entre certains agents et leur administration.

            Le tarissement des voies traditionnelles de recrutement

            Le manque de candidats aux concours résulte, pour les cadres, d’un tarissement des effectifs d’étudiants dans les filières générales de l’université.

            Le nombre d’inscrits en université devrait stagner jusqu’en 2031, selon les projections du ministère de l’Enseignement supérieur6.

            À l’inverse, l’enseignement supérieur privé, moins susceptible de conduire à une carrière dans la fonction publique, continue de croître.

            Une difficulté plus grande encore pour les formations dédiées à la préparation des concours de la fonction publique

            Les étudiants se détournent en particulier des sciences de l’éducation, qui connaissent une chute marquée des inscriptions, autant en licence qu’en master :

            De 2016 à 2023, les effectifs en master des métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation ont baissé de 26 %.

            Toutefois, le recul est également marqué pour les effectifs inscrits en Institut de préparation à l’administration générale (IPAG) :

            De 2008 à 2020, le nombre d’étudiants inscrits en IPAG a baissé de 35 %.

            Une jeunesse peu intéressée par l’emploi public

            En creux, ce qui apparaît à la lecture du rapport est une forme de désintérêt diffus et profond (puisque partagé) pour la sphère publique :

            « La part des sortants de formation initiale qui choisissent l’emploi public décroît, tous diplômes confondus. »

            « La « troisième explosion scolaire », traduite par la croissance des effectifs des jeunes débutants diplômés du supérieur, y compris dans les disciplines les plus pourvoyeuses d’agents publics, comme les sciences humaines et sociales, semble ainsi s’être réalisée au seul profit du secteur privé. Le nombre de débutants diplômés du supérieur a, en effet, crû de 17 % dans le secteur privé, mais chuté de 29 % dans le secteur public de 2007 à 20197. »

            Les raisons de cette désaffection

            Une dévalorisation des métiers

            La majorité des agents publics rejoignent la fonction publique pour exercer un métier précis : policier, juge, greffier, enseignant, militaire, inspecteur (des finances publiques, du travail…). Or, ces métiers sont de plus en plus dévalorisés.

            Les principaux éléments cités sont :

            • Le manque de reconnaissance, alimenté par les discours politiques et médiatiques négatifs et par les exigences des citoyens ;
            • La détérioration des conditions d’exercice ;
            • Enfin, la représentation de ces métiers comme une « vocation », avec un sous-entendu sacrificiel suscitant : « davantage de compassion que d’envie ».

            Une interrogation profonde sur le modèle d’emploi

            Par ailleurs, la concurrence à l’œuvre dans la « quête de sens » des actifs est majeure. L’État n’y occupe plus la première place8.

            Ce déclin de l’État s’inscrit dans une contestation de sa neutralité (et, peut-être plus encore, des exécutifs locaux), au profit d’organisations non gouvernementales, d’associations, voire d’entreprises à mission.

            Le rapport relève également les difficultés inhérentes au recrutement par concours, en particulier par l’incertitude tenant au lieu de première affectation.

            Dans ce cadre, le seul argument d’une garantie de l’emploi, qui plus est dans un contexte de baisse du chômage et d’une tension sur les recrutements dans le privé, ne permet pas d’attirer de jeunes actifs.

            Le développement ambivalent du recrutement contractuel

            Les contractuels bénéficient d’avantages qui semblent attrayants :

            • Des modalités d’accès simplifiées (ce point a notamment été relevé dans un rapport récent de la Cour des comptes s’agissant de la direction du budget),
            • Un recrutement local qui lève les contraintes de l’affectation géographique,
            • Des niveaux de rémunération plus élevés que les titulaires dans certains cas.

            Toutefois, la très grande majorité des jeunes entrés dans la FPE comme contractuels (CDD) n’y restent pas9. Par ailleurs, la part des titularisations tend à baisser.

            Le recours accru aux contrats peut aussi conduire à fragiliser l’attractivité du statut lui-même.

            Un double cadre de gestion s’installe durablement : celui des titulaires et celui des contractuels. Ces deux cadres évoluent en parallèle, potentiellement pourvoyeur d’inégalités, voire de rivalités.

            Le modèle de gestion de la FP

            Un instrument de promotion social pour les plus diplômés issus de milieux modestes

            La fonction publique reste un débouché privilégié pour les diplômés des catégories modestes, et plus encore pour les femmes10.

            Pour ces deux catégories, la « pénalité » pour l’accès aux postes d’encadrement est moindre dans le secteur public que dans le privé. Cette surreprésentation des enfants de catégories populaires parmi les cadres du public a eu en outre tendance à s’accentuer dans la période récente :

            Pour autant, une difficulté à promouvoir en interne les moins diplômés

            En dépit d’un recrutement socialement plus égalitaire (à niveau de diplôme égal), la fonction publique peine ensuite à promouvoir ses agents.

            La logique de catégories, contestée encore récemment par le ministre chargé de la fonction publique11, semble réduire pour partie les perspectives d’évolution professionnelle des agents les moins diplômés. Le passage d’une catégorie à l’autre suppose la réussite à des concours ou des examens professionnels, qui peuvent pénaliser les publics les moins qualifiés12.

            « Pour ceux qui commencent en bas de l’échelle, les perspectives d’évolution socioprofessionnelles se traduisant par un changement de catégorie et un accès aux échelons supérieurs de la hiérarchie sociale sont en définitive plus limitées que dans le privé. »

            Des rémunérations devenues problématiques, en particulier pour les plus diplômés

            L’évolution de la rémunération moyenne des agents publics a été inférieure à celle du privé tous les ans de 2011 à 2020 :

            En s’attachant à une cohorte de jeunes actifs, on constate des évolutions du salaire médian particulièrement différenciées, alors même que la fonction publique est structurellement plus diplômée que le secteur public :

            « De 2002 à 2019, le salaire médian des jeunes travaillant dans le secteur public a progressé en termes réels de 52 %, celui des jeunes du privé de 65 %. »

            La fonction publique maintient globalement un positionnement salarial plus favorable au fil de la carrière que le privé pour les moins diplômés.

            En revanche, pour les plus diplômés, les perspectives de progression salariale sont moindres dans la fonction publique :

            • Pour les hommes diplômés, le secteur privé propose des perspectives salariales nettement plus profitables13 ;
            • Pour les femmes, il existe un avantage salarial dans la fonction publique en début et milieu de carrière. Toutefois, cet intérêt s’estompe ensuite, en faveur du secteur privé.

            Le rapport note également que la complexité du mode de rémunération dans le secteur public participe de la baisse d’attractivité.

            Un déclin de l’autonomie et de la qualité de vie au travail

            L’un des derniers avantages comparatifs encore en faveur des agents publics concerne l’autonomie au travail. Cependant, cette spécificité tend à se réduire, notamment pour les emplois plus qualifiés et pour les enseignants, alors même que le soutien hiérarchique reste faible comparé au privé.

            Le rôle des collectifs de travail constitue également un atout du public :

            • Les salariés du public se déclarent très souvent aidés par leurs collègues (87 %), davantage que dans le privé (79 %), et ce chiffre est en augmentation de 2013 à 2019.

            C’est particulièrement vrai dans les métiers peu qualifiés (agents d’entretien, cuisiniers, jardiniers) ainsi que dans le secteur hospitalier, où les collectifs de travail jouent un rôle essentiel : 92 % des salariés s’y sentent soutenus par leurs collègues, contre 82 % de l’ensemble des salariés. Mais, ici encore, ces avantages sont susceptibles de se déliter sous l’effet de la multiplication des statuts et de l’intensification du travail.

            Enfin, le temps de travail est plus faible que dans le privé, mais en contrepartie d’un travail sur des horaires plus fréquemment atypiques (soir et weekend). Cependant, une nouvelle fois, les différences entre le secteur public et le privé semblent se réduire.

            Ce rapprochement des conditions de travail interroge. Régulièrement soulevé par la doctrine juridique, depuis l’apparition du statut jusqu’à la loi de transformation de la fonction publique, il ne cesse de soulever les débats. Ce clivage constitue d’ailleurs, pour Maya Bacache-Beauvallet, un sujet politique structurant du partage gauche-droite14.

            1. On pourrait préciser que le moindre intérêt pour le service public concerne… le service public « du secteur public ». Le rapport met ainsi en avant une forme de concurrence dans la réponse au besoin de sens des actifs avec les secteurs associatifs et entrepreneuriaux. L’Etat n’a plus (s’il l’a déjà eu) : « le monopole de l’intérêt général ».
            2. Toutefois, les métiers techniques qui mobilisent des compétences spécifiques transposables dans le civil sont particulièrement difficiles à recruter. C’est le cas des informaticiens en cybersécurité et renseignement ou des ingénieurs dans le domaine de l’armement.
            3. Voir également le rapport de la Cour des comptes (2024), Le budget de l’État en 2023. Résultats et gestion, cité par France stratégie.
            4. DGAFP (2024), Rapport annuel sur l’état de la fonction publique – édition 2024.
            5. Par ailleurs, une démission n’ouvre pas droit au chômage (en code du travail comme au code général de la fonction publique).
            6. SIES (2023), « Projection des effectifs dans l’enseignement supérieur pour les rentrées de 2022 à 2031 », Note d’information du SIES, n° 2023-04, avril (cité dans le rapport de France stratégie).
            7. Ce constat, inquiétant, fait écho au billet de Luc Rouban sur le risque de paupérisation de la fonction publique.
            8. Ce qui peut apparaître très étrange pour nombre d’agents publics, convaincus du caractère essentiel de leurs missions.
            9. Élément également constaté à la direction générale des entreprises.
            10. Ces deux caractéristiques se combinant.
            11. Mais abandonnée depuis.
            12. Il faut toutefois préciser que les métiers de cadres dans la fonction publique d’État (mais également dans les autres fonctions publiques) nécessitent des compétences juridiques. Cela peut-être moins le cas dans les services, où les compétences requises pour l’accès à des fonctions supérieures peuvent être plus larges : commerciales, comptables, managériales…
            13. Le secteur privé est moins égalitaire que la fonction publique s’agissant de l’égalité femmes-hommes.
            14. Économie politique de l’emploi public, Édition Connaissances et Savoirs, Paris, 2006, 362 p.

            Un homme de dos traverse un pont

          4. Les attachés d’administration de l’État : un corps interministériel

            Les attachés d’administration de l’État : un corps interministériel

            Temps de lecture : 6 minutes.

            Un bilan de gestion du corps interministériel des attachés d’administration de l’État a été présenté au Conseil supérieur de la fonction publique de l’État le 13 juillet 2016. Il est disponible sur le site internet d’Acteurs publics1.

            Le décret n° 2011-1317 du 17 octobre 2011 portant statut particulier du corps interministériel des attachés d’administration de l’État est l’acte fondateur de ce nouveau corps.

            Voilà les principaux éléments du bilan ici synthétisés.

            Des vagues d’intégration de 2013 à 2019

            L’intégration en 2013 de treize corps ministériels

            L’article 20 du décret n° 2013-876 du 30 septembre 2013 a eu pour objet principal de procéder à l’intégration, dans le corps interministériel des attachés d’administration de l’État, des membres des treize corps ministériels suivants : 

            • les attachés d’administration des services du Premier ministre,
            • les attachés des Affaires sociales,
            • les attachés de l’Agriculture et de la pêche,
            • les attachés de la Culture et de la communication,
            • les attachés de l’Économie, des Finances et de l’Industrie,
            • les attachés de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur,
            • les attachés de l’Équipement (écologie),
            • les attachés de l’Intérieur et de l’Outre-mer,
            • les attachés des juridictions financières,
            • les attachés de la Justice,
            • les attachés du Conseil d’État et de la Cour nationale du droit d’asile,
            • les attachés de la Caisse des dépôts et consignations,
            • les attachés de l’Office national des forêts.

            Le texte a également fixé les modalités d’adhésion des membres des trois corps en extinction suivants :

            • les conseillers d’administration scolaire et universitaire (CASU),
            • les directeurs de préfecture et
            • les chefs des services administratifs du Conseil d’État.

            L’intégration en 2014 des personnels civils administratifs relevant du ministère des Armées

            Le mouvement s’est poursuivi par l’article 8 du décret n° 2014-1553 du 19 décembre 2014 portant diverses dispositions relatives au corps interministériel des attachés d’administration de l’État, avec l’intégration des membres de deux corps suivants : 

            • les attachés d’administration de la Défense (désormais, les Armées) et
            • les directeurs des services déconcentrés de la Défense.

            L’intégration en 2015 des personnels civils administratifs relevant de l’aviation civile

            En 2015, ont été intégrés dans le corps interministériel, en vertu de l’article 4 du décret n° 2015-1784 du 28 décembre 2015 :

            • les attachés d’administration de l’Aviation civile.

            L’intégration en 2016 des personnels civils administratifs de l’OFPRA.

            Enfin, le décret n° 2016-907 du 1ᵉʳ juillet 2016 portant diverses dispositions relatives au corps interministériel des attachés d’administration de l’État fixe les modalités d’adhésion au corps :

            • des officiers de protection des réfugiés et apatrides de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

            L’intégration, enfin, des secrétaires des affaires étrangères du cadre d’administration

            Cette intégration, postérieure au bilan ici présenté, est intervenue par l’article 51 du décret n° 2019-86 du 8 février 2019 relatif aux instituts régionaux d’administration.

            Un corps interministériel à gestion ministérielle

            Le corps des attachés d’administration de l’État relève du Premier ministre. Toutefois, sa gestion est ministérielle. D’où l’expression « CIGEM » : pour corps interministériel à gestion ministérielle.

            À titre de comparaison :

            • Les administrateurs de l’État (catégorie A, dite A+) appartiennent à un corps interministériel à gestion interministérielle2 ;
            • Les secrétaires administratifs à un corps ministériel (mais commun à l’ensemble des ministères), à gestion ministérielle3.

            La répartition des attachés d’administration par grade

            Compte tenu des rattachements évoqués plus haut, le corps des attachés relève aujourd’hui de seize autorités de rattachement, soit près de 31 500 agents à la date du bilan (2016), répartis dans les trois grades suivants :

            • 18 500 attachés d’administration (11 500 femmes et 7 000 hommes) — environ 60 % du corps ;
            • 11 000 attachés principaux (6 000 femmes et 5 000 hommes) — soit près de 35 % du corps ;
            • Enfin, près de 2 000 attachés hors classe (dont 500 directeurs de services), à parité entre femmes et hommes — soit 5 % du corps.

            Au titre de 2015, l’âge moyen des agents promus attaché principal (examen professionnel et liste d’aptitude) est de 48,1 ans. Âge relativement stable comparativement aux exercices 2013 et 2014, avec respectivement 46,8 et 48,5 ans.

            L’âge moyen des agents promus au grade d’attaché hors classe est lui de 50 ans au titre de 2015. L’échelon spécial est quant à lui accordé en moyenne à 59 ans.

            La répartition des attachés d’administration par ministère

            Deux ministères concentrent plus de la moitié des effectifs

            Le principal recruteur est sans surprise l’Education nationale avec près de 12 000 attachés d’administration, pour un plafond d’emploi (projet de loi de finances pour 2015) de 984 000 équivalents temps pleins (ETP).

            Le second grand vivier d’attachés d’administration est constitué par le ministère de l’Intérieur4 avec près de 5 500 attachés d’administration, pour 284 000 ETP.

            Les 45 % restants se répartissent dans les différents ministères, juridictions et à la Caisse des dépôts et consignations

            Répartition des attachés d’administration dans les autres ministères5 :

            • 2 800 au ministère de l’Ecologie (ex-équipement)6, pour près de 44 400 ETP ;
            • 2 300 au sein des ministères sociaux (travail et santé), pour 20 000 ETP7 ;
            • 2 000 à l’intérieur des ministères économiques et financiers (à mettre en rapport avec les effectifs des douanes ou de l’inspection des finances publiques) pour 146 000 ETP ;
            • 1 600 au ministère des Armées, pour 267 000 ETP ;
            • 1 400 au ministère de l’Agriculture, pour 31 000 ETP ;
            • 1 000 au ministère de la Justice, pour 79 000 ETP ;
            • 800 à la Caisse des dépôts et consignations ;
            • 600 au ministère de la Culture, pour 11 000 ETP ;
            • 500 dans les services du Premier ministre (dont les effectifs des secrétariats généraux affaires régionales) pour près de 10 000 ETP ;
            • 400 dans les juridictions financières (dont les vérificateurs placés auprès des magistrats) ;
            • 160 au Conseil d’État ;
            • 150 à l’Office national des forêts.

            Ce qui saute aux yeux est évidemment la petitesse de leur nombre, au regard de l’ensemble des effectifs desdits ministères.

            Les avantages d’un corps interministériel

            La création d’un corps interministériel visait à faciliter la mobilité et l’attractivité du corps des attachés d’administration.

            En termes opérationnels, la création de ce corps a permis les avancées suivantes :

            • La fin de la pratique du détachement et de la double carrière. Les attachés d’administration peuvent désormais librement passer d’une administration à une autre8 ;
            • L’application d’un taux de promotion pour l’accès au grade d’attaché principal identique pour toutes les autorités de gestion du corps depuis 2015. Ce taux de référence est de 7 % ;
            • Une convergence indemnitaire entre les autorités de gestion (encore imparfaite) ;
            • La création d’un troisième grade d’attaché hors classe et d’un échelon spécial dans le corps interministériel des attachés d’administration de l’État. L’objectif étant de revaloriser la carrière du corps des attachés, de mener une réflexion sur la cartographie des fonctions de catégorie A et d’ouvrir de nouvelles perspectives fonctionnelles pour les attachés principaux les plus confirmés.

            La composition du corps

            Des entrées dans le corps très hétérogènes

            Au titre de 2015, près de 2 000 recrutements ont été réalisés :

            • 600 par la voie des Instituts régionaux d’administration (IRA) ;
            • 100 par la voie de concours directs organisés par les ministères ;
            • 300 par la voie du concours réservé dit « Sauvadet » (pour les contractuels) ;
            • 500 par liste d’aptitude au titre de la promotion interne ;
            • 160 par examen professionnel ;
            • 285 par intégration directe ou détachement.

            Les recrutements réalisés par les IRA sont donc particulièrement faibles, constituant à peine le tiers des entrées.

            Des sorties moins élevées, signe d’un corps en expansion

            En effet, seules 1 200 sorties sont relevées sur l’exercice 2015. Parmi celles-ci, près de 1 000 départs en retraite.

            Le reliquat est constitué de promotions de corps (administrateurs civils, magistrats…), une intégration dans un autre corps (inspecteur des finances publiques…) ou par une sortie de la fonction publique.

            Un corps faisant l’objet d’une mobilité ministérielle et interministérielle

            Près de 2 000 mobilités annuelles au sein de l’autorité de gestion sont enregistrées chaque année (changement de service ou d’établissement), pour environ 500 mobilités en dehors de l’autorité de gestion (mobilité interministérielle). Soit un taux de mobilité d’environ 8 %.

            1. A ma connaissance, les autres bilans de gestion n’ont pas été rendus publics, ce qui interroge sur la transparence dans la gestion des effectifs. Ces bilans sont prévus à l’article 7 du décret n° 2011-1317 du 17 octobre 2011.
            2. Article 1 du décret n° 2021-1550 du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrateurs de l’Etat.
            3. Article 4 du décret n° 2010-302 du 19 mars 2010 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux corps des secrétaires administratifs des administrations de l’Etat et à certains corps analogues relevant du décret n° 2009-1388 du 11 novembre 2009 portant dispositions statutaires communes à divers corps de fonctionnaires de la catégorie B de la fonction publique de l’Etat.
            4. Dont l’Outre-mer.
            5. Nous ne disposons pas du nombre d’attachés pour les affaires étrangères, près de 17 000 ETP au titre de 2006, mais les effectifs d’attachés y sont également très modestes.
            6. Dont l’aménagement du territoire.
            7. Comparativement aux autres ministères, il s’agit donc du périmètre le plus « intensif » en attachés d’administration.
            8. Les attachés étant en « position normale d’activité ». Ce qui n’est donc toujours pas le cas des secrétaires administratifs évoqués plus haut.
          5. Le vieillissement de la fonction publique

            Le vieillissement de la fonction publique

            Temps de lecture : 10 minutes.

            Lecture d’un document récent1 de la Cour des comptes consacré à : L’allongement de la vie professionnelle des agents dans une fonction publique vieillissante.

            Le vieillissement des travailleurs n’est évidemment pas propre à la fonction publique2. En revanche, compte tenu de l’importance des trois fonctions publiques françaises au regard de l’ensemble des actifs, un rapport n’était pas inutile.

            Un vieillissement principalement lié aux réformes successives des retraites

            À cet égard, le graphique présenté par la Cour est éclairant :

            Cette pression du vieillissement est due à deux phénomènes conjugués :

            • Un départ en retraite plus tardif,
            • Une arrivée dans la fonction publique, également plus tardive.

            On peut également y ajouter une politique de recrutements heurtée, qui a induit notamment sous le mandat de Nicolas Sarkozy, un vieillissement de la cohorte du fait du non-remplacement de l’ensemble des fonctionnaires partant en retraite :

            Des agents qui partent en retraite de plus en plus tard

            La Cour note ainsi que les agents civils sédentaires partent en moyenne à 63 ans et 8 mois.

            Le report de l’agent de retraite à 64 ans n’aura donc qu’un effet très marginal sur la fonction publique :

            « La dernière étude communiquée par les services de l’État à la Cour évalue le « gain » de ce report (de l’âge de retraite à 64 ans) à 150 M€ pour 2024 et 2025. Pour une masse salariale estimée à 153,6 milliards d’euros sur 2024. »

            « Les différentes réformes de 2003, 2010 et 2014 ont progressivement repoussé l’âge de départ à la retraite des agents de la fonction publique. En 2006, 80 % des agents de catégorie sédentaire3 de la FPE partaient avant 61 ans, ils n’étaient plus que 10 % en 2022. Les agents de catégorie active enregistrent la même évolution : la part des fonctionnaires civils de catégorie active partant à la retraite après 55 ans est passée de 39 % en 2006 à 93 % en 2022. »

            Des jeunes de moins en moins jeunes

            L’âge moyen d’entrée dans la fonction publique d’État est en constante augmentation depuis plusieurs décennies :

            « Pour les agents civils, l’âge moyen d’entrée passe de 23 ans en 1980 à 29 ans en 2020. Cette tendance qui a vocation à se poursuivre s’explique par l’augmentation de la durée des études (qui vaut aussi pour la population générale) et les effets des « doubles carrières » privé/public, de plus en plus fréquentes. »

            Les agents de l’État sont particulièrement concernés, puisqu’il s’agit de la fonction publique structurellement la plus diplômée.

            De 1980 à 2020, l’âge moyen d’entrée dans la fonction publique passe ainsi :

            • De 26 à 31 ans pour la catégorie A,
            • De 22 à 26 ans pour la catégorie B et
            • De 23 à 27 ans pour la catégorie C.

            Des différences marquées entre fonctions publiques

            La moyenne d’âge des agents de la fonction publique d’État est de 44 ans. Ce qui correspond également à la moyenne d’âge de l’ensemble des agents des trois fonctions publiques.

            Toutefois, en analysant plus précisément chaque fonction publique, des disparités se font jour :

            • La moyenne d’âge de la fonction publique territoriale est de 46 ans, c’est la plus élevée des trois fonctions publiques ;
            • À l’inverse, la moyenne d’âge de la fonction publique hospitalière est de 42 ans. Il s’agit de la fonction publique la plus jeune.

            À titre de comparaison, la moyenne d’âge dans le secteur privé est de 41 ans. L’écart avec le secteur privé s’explique essentiellement par l’entrée plus tardive dans la fonction publique.

            La situation spécifique des seniors et les diversités de situation entre les trois fonctions publiques

            La proportion d’agents civils de plus de 50 ans est de 33 % pour l’État, contre une moyenne de 36 % pour l’ensemble des fonctions publiques. L’État se distingue donc par une fonction publique comportant relativement moins de « seniors ».

            La spécificité de l’État tient aussi à la surreprésentation de catégories A et A+ parmi les agents de plus de 60 ans. Ces derniers connaissant par ailleurs une forte dynamique démographique :

            « La situation des agents de plus de 60 ans différencie nettement la FPE du reste de la fonction publique : depuis 2010, leur part dans les effectifs est passée de 4 % à 9 % en 2021, elle devrait s’élever à l’échéance de 10 ans à 12 %, puis en 2040 à 14 %. »

            À l’inverse, le vieillissement accéléré est plus marqué pour les agents de catégorie C dans les collectivités territoriales.

            Le cas spécifique des agents administratifs de catégorie A (et A+) de l’État

            Les agents administratifs de la fonction publique représentent près de 162 000 agents :

            • 31 000 attachés d’administration de l’État ;
            • 51 000 secrétaires administratifs et
            • 80 000 adjoints administratifs.

            Ces professions, vieillissantes, sont par ailleurs très féminisées (a fortiori pour les secrétaires administratifs et adjoints). L’âge moyen des secrétaires d’administration atteint déjà 50 ans.

            Pour les attachés d’administration, le besoin de renouvellement à 10 ans serait estimé à environ 35 % des effectifs actuels, soit 11 000 agents.

            La Cour des comptes ne le relève pas, mais il convient aussi de préciser la transformation profonde à l’œuvre dans les effectifs administratifs avec :

            • Une suppression progressive des adjoints administratifs et
            • Une réduction du nombre de secrétaires administratifs.

            Cette recomposition, déjà détaillée dans une étude de la DARES de 2015, tient principalement à :

            1. La numérisation croissante de l’activité administrative ;
            2. Le besoin d’une expertise de plus en plus pointue et
            3. Une modification des modalités de fonctionnement des administrations, avec une dynamique de projet, toujours plus marquée (cas de la Direction générale des entreprises, par exemple).

            Une accélération récente du vieillissement des agents pour l’État

            Le vieillissement accéléré des agents de l’Education nationale

            Les enseignants de l’Education nationale constituent 80 % des agents de catégorie A de l’État.

            Or, parmi les agents de l’Education nationale, les agents de plus de 60 ans passeraient de 6 % du total des effectifs aujourd’hui à 16 % en 2035. Soit un niveau légèrement au-dessus de leur proportion dans l’ensemble de la fonction publique d’État.

            La situation du ministère de l’Intérieur

            Le ministère de l’Intérieur emploie un peu plus de 300 000 agents, dans la très grande majorité des fonctionnaires :

            • Ils appartiennent à la fonction militaire pour 34 % (les gendarmes) et
            • À 45 % aux personnels actifs de la police.

            Autrement dit : près de 80 % de ses agents relèvent de régimes dérogatoires de date de prise de la retraite. Malgré cela, une part significative des agents du ministère de l’Intérieur se concentre autour de la cinquantaine.

            Ce vieillissement s’explique par une politique de recrutement non-linéaire :

            • Des recrutements importants de 1998 à 2003,
            • Suivis de baisses d’effectifs de 2007 à 2015,
            • Puis, d’une nouvelle reprise des recrutements.

            Un élément suscite toutefois une profonde interrogation, mais il ne fait malheureusement pas l’objet d’investigations plus approfondies de la Cour : la situation du réseau préfectoral.

            Ce vieillissement accéléré semble signaler une profonde transformation à venir du réseau :

            Les agents des ministères économiques et financiers (la DGFiP)

            En raison de l’importance de leurs effectifs et de leur réseau déconcentré, un examen des grands corps d’inspection de Bercy s’imposait pour la Cour.

            En effet :

            • La direction générale des Finances publiques (DGFIP) réunit 95 000 agents, dont 1 500 A+ et
            • La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), près de 17 000 agents.

            À elles seules, ces deux directions représentent 87 % des emplois des ministères et financiers (MEF). Elles ont déjà fait l’objet d’un traitement par la Cour récemment, s’agissant de la gestion de ses informaticiens.

            Une situation dégradée s’agissant de la DGFiP :

            51 % des agents de la DGFiP ont plus de 50 ans et leur moyenne d’âge est de 48 ans4. Plus inquiétant, : cet âge moyen continue d’augmenter au fil des ans.

            Le vieillissement est encore plus marqué pour les cadres supérieurs de la DGFiP (qui incluent les inspecteurs principaux, inspecteurs divisionnaires et administrateurs des finances publiques adjoints). 74,5 % d’entre eux ont plus de 55 ans et ils partent à la retraite, en moyenne, à 64,7 ans.

            Une situation plus nuancée s’agissant des douanes :

            La moyenne d’âge est de 46 ans et 1 mois pour les douanes. Soit un niveau légèrement supérieur à celui de l’ensemble de l’État. Toutefois, une part importante des effectifs de la DGDDI sont en catégorie active, ce qui est normalement de nature à baisser la moyenne d’âge du corps. Comme pour l’Intérieur, la situation en termes de ressources humaines est donc à surveiller.

            Une évolution problématique des politiques de recrutement des hauts fonctionnaires

            La Cour souligne les contradictions dans la gestion de l’encadrement supérieur

            Des nominations de plus en plus jeunes aux plus hautes fonctions de l’État :

            La Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (DIESE) observe la tendance, davantage marquée, à nommer des agents toujours plus jeunes à des postes d’encadrement supérieur :

            La tranche des 41-45 ans est la génération la plus représentée parmi les nominations effectuées sur des postes de cadres dirigeants en 2023 : directeurs d’administration centrale, délégués interministériels, secrétaires généraux des ministères, préfets, ambassadeurs, recteurs.

            De même, et comme on l’a vu ici dans une autre étude de la Cour sur l’évolution des rémunérations des cadres dirigeants de Bercy : l’accélération des carrières est un point central de la réforme de l’encadrement supérieur. Cette accélération devant inciter les hauts fonctionnaires à occuper des postes d’emplois fonctionnels5.

            Une réforme de la haute fonction publique qui interroge sur les conditions d’emploi des hauts fonctionnaires les plus âgés :

            En retenant uniquement les 2 600 cadres dirigeants suivis par la DIESE précitée :

            • 52 % des agents ont plus de 55 ans (et 10 % plus de 65 ans) ;
            • 35 % ont entre 45 et 55 ans ;
            • 13 % ont moins de 45 ans.

            Au total, l’âge moyen de la population des cadres dirigeants en poste s’établit à 56 ans (hommes) et 54 ans (femmes), leur laissant une perspective de vie professionnelle d’au moins 12 ans.

            La réforme de la haute fonction publique a induit des transformations considérables, avec une logique « d’emploi », dans une fonction publique encore largement de « carrière » :

            • Création du corps des administrateurs de l’État et disparition des corps préfectoral, diplomatique et de l’ensemble des corps d’inspection :
              • Inspection générale des finances ;
              • Inspection générale des affaires sociales ;
              • Inspection générale de l’administration ;
              • Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche…
            • Fonctionnalisation en conséquence de ces différents métiers6, induisant une concurrence entre les hauts fonctionnaires et les contractuels.

            Ainsi, il n’y a plus de « droit au retour » du haut fonctionnaire dans son ancien corps (diplomatique, préfectoral, inspection générale…). Ce qui constitue un point d’attention pour la Cour :

            Le risque de créer une masse d’agents sans affectation, indépendamment de la gestion frictionnelle traditionnelle des nominations, est non seulement plus grand, mais aussi plus visible.

            Les propositions de la Cour pour accompagner ce vieillissement

            La retraite progressive

            La retraite progressive permet aux bénéficiaires de réduire progressivement leur activité à l’approche de la retraite sans perte substantielle de rémunération.

            Au 1ᵉʳ janvier 2024, le nombre d’agents éligibles était estimé à 124 000. Les générations de 1958 à 1963 concentrent plus de 90 % des éligibles :

            • 47 % d’entre eux relèvent du ministère de l’Éducation nationale,
            • 13 % du ministère de l’Économie et des Finances.

            Pour autant, la Cour s’interroge sur le dispositif actuel :

            • L’incitation à la prise de temps partiels supérieurs à 50 % du temps de travail semble disproportionnée et peu compatible avec les nécessités de service ;
            • Le coût de cette incitation n’est pas suffisamment évalué, notamment au regard des gains attendus ;
            • L’impact sur les plafonds d’emplois soulève également une question ;
            • Enfin, le message doit également être plus clair et transparent :

            « Certes, la décision d’accorder une préretraite progressive est à la main de l’employeur, toutefois cette mesure risque d’être considérée comme un acquis social lié à l’aménagement des conditions de travail et non comme un instrument de régulation de l’emploi, une contrepartie de l’allongement des carrières à destination des agents qui ont du mal à l’approche de la retraite à effectuer un temps plein. »

            Diversifier les emplois des administrateurs de l’État et s’interroger sur la sortie de la fonction publique

            Une première proposition consistant à développer les fonctions d’ « experts de haut niveau »

            Les emplois des administrateurs de l’État sont les suivants :

            • En début de carrière : chargés de mission auprès d’un sous-directeur ou d’un directeur, adjoint auprès d’un chef de bureau ;
            • Chef de bureau,
            • Détaché sur un emploi fonctionnel.

            Sauf à occuper un emploi fonctionnel, les perspectives de carrière sont donc réduites.

            Par conséquent, la Cour préconise d’augmenter le nombre d’ « experts de haut niveau ». Certes, ces emplois sont fonctionnels (de ce fait, contingentés), mais leur nombre est aujourd’hui très réduit : moins d’une centaine de postes pour l’ensemble de l’État. Une première piste consisterait donc à augmenter le nombre de ces emplois afin de faire fructifier l’expérience des hauts fonctionnaires sans affectation.

            On peut toutefois s’interroger sur la pertinence de cette analyse qui revient à inverser la réflexion sur les besoins d’une organisation de travail7.

            Les autres propositions

            D’autres perspectives sont esquissées par la Cour :

            • La limitation des prolongations au-delà de la limite d’âge8 (actuellement 67 ans) ;
            • L’utilisation des ruptures conventionnelles de façon ciblée. 

            La faiblesse des propositions de la Cour tient, il me semble, aux difficultés inhérentes aux réformes récentes de la fonction publique.

            En effet, comme j’ai pu l’énoncer plus haut, la tension entre la fonction publique d’emploi et de carrière induit inévitablement un décalage :

            • La fonction publique de carrière est assise sur le recrutement par concours d’un fonctionnaire, avec l’accès à des emplois fonctionnels en dernière partie de carrière9 et
            • La fonction publique d’emploi est assise sur le principe de mise en concurrence des emplois d’encadrement supérieurs (avec les contractuels), en contrepartie d’une absence de droit à carrière10.
            1. Délibéré le 30 septembre 2024.
            2. Voir notamment l’étude de l’INSEE consacrée au Vieillissement de la population active publiée au 1er décembre 2022, dans la revue Économie et Statistique, n° 355-356.
            3. Les agents « sédentaires » sont les agents qui ne sont pas « actifs ». Les agents « actifs » sont les agents qui exercent des fonctions présentant des risques particuliers ou des fatigues exceptionnelles : infirmiers, aides-soignants, douaniers, policiers, personnels pénitentiaires, contrôleurs aériens.
            4. Pour rappel, la moyenne d’âge est de 44 ans dans la FPE.
            5. Les emplois fonctionnels correspondent aux emplois les plus élevés des trois fonctions publiques. Pour l’Etat, il s’agit des préfets, recteurs, délégués interministériels, directeurs d’administration centrale et secrétaires généraux, chefs de service et sous-directeurs.
            6. Autrement dit, l’accès à une fonction se fait après le passage devant un comité de sélection. Le haut-fonctionnaire sélectionné est alors détaché sur l’emploi. Si c’est un contractuel qui est sélectionné, il signe un contrat sur une période déterminée.
            7. En clair : la Cour préconise de créer des emplois fonctionnels, donc particulièrement rémunérés, pour occuper des hauts fonctionnaires qui, sinon, seraient sans affectation. À l’évidence, ces créations d’emplois d’experts de haut niveau devront donc restées mesurées.
            8. De très nombreux hauts-fonctionnaires sollicitent une prolongation de la limite d’âge afin de pouvoir demeurer sur leurs fonctions.
            9. En tempérant d’emblée le principe s’agissant de la France du fait d’une politique de recrutement de hauts fonctionnaires dès la sortie de l’enseignement supérieur ou peu après.
            10. En tout cas, théoriquement. Dans la fonction publique étasunienne, les agents gouvernementaux disposent tout de même d’une sécurité de l’emploi et de grilles salariales.