Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 11)
Temps de lecture : 10 minutes.
Poursuite de la lecture du rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique.
Les dépenses publiques de rémunérations des agents publics, après avoir augmenté jusqu’aux années 80, connaissent une relative décrue depuis :
• 10 % du PIB dans les années 60-70 ;
• 13 % au début des années 80 ;
• 12 % en 2023, en replis depuis les années 90.
Autrement dit, depuis les années 80, l’augmentation des dépenses publiques ne tient pas aux dépenses de personnel, mais aux autres dépenses (essentiellement sociales).
Toutefois, les écarts entre versants de la fonction publique sont extrêmes :
- De 1980 à 2023, les dépenses des collectivités locales augmentent de 238 % ;
- Sur la même période, les dépenses de l’État augmentent de 45 %.
Le mode de rémunérations des agents publics
Un mode de rémunération à trois étages
La paie des fonctionnaires peut schématiquement se décomposer en trois parties :
1. Le traitement indiciaire. Déterminé par une grille indiciaire qui s’applique à l’ensemble des agents relevant d’un corps.
C’est le système le plus simple : on multiplie l’indice lié au grade et à l’échelon par la valeur du point d’indice.
2. Le régime indemnitaire et les rémunérations annexes. Ces éléments comprennent les heures supplémentaires (pour certains agents publics), les primes et indemnités.
Les rémunérations indemnitaires et annexes sont particulièrement complexes et ont été très dynamiques sur les vingt dernières années.
Elles sont individualisées et portent sur :
- La fonction exercée : encadrement, sujétions particulières… ;
- Le lieu d’exercice : indemnités de résidence, primes spécifiques à certains territoires, notamment ultramarins ;
- La situation de famille : supplément familial de traitement (pour des montants nettement plus modestes) ;
- La performance de l’agent : au titre du complément indemnitaire annuel (CIA) notamment.
Un élément important est à rappeler : les rémunérations indemnitaires et annexes sont partiellement retenues pour le calcul de la pension de retraite de l’agent public.
3. Enfin, en déduction du revenu net (pour l’agent) : les cotisations et diverses retenues sociales. Ici, l’agent public se trouve dans la même situation que le salarié de droit privé avec une part de ces rémunérations consacrée aux différentes contributions et cotisations.
Une rémunération de plus en plus individualisée
Si la majeure partie du revenu d’un agent public est encore assise sur le traitement indiciaire (comparable aux grilles de classifications des branches professionnelles), la part dévolue aux primes et indemnités est en forte augmentation.
Compte tenu des difficultés budgétaires de la France et des répercussions induites par une augmentation de la valeur du point d’indice1, les gouvernements successifs ont préféré des augmentations sectorielles.


Le rapport ambivalent des fonctionnaires à leurs rémunérations : ils se considèrent mal payés, mais ils ne rejoignent pas la fonction publique pour l’argent
Le sentiment d’être « mal payé » est diffus parmi les agents publics
Ce sentiment est encore plus exacerbé lorsque le diplôme initial est élevé.
En 2023, 68 % des fonctionnaires s’estiment mal ou très mal payés. 76 % parmi les enseignants2
Cependant, le salaire n’est pas un motif d’entrée dans la fonction publique3. Et, quand des agents publics démissionnent, ce n’est pas tant parce que les rémunérations sont faibles. Les agents concernés évoquent d’abord l’absence (supposée ou réelle) de perspective d’évolution professionnelle.
La vérité des prix : quel salaire dans la fonction publique et dans le privé
Le salaire net mensuel moyen des agents publics en équivalent temps plein en 2021 est de 2 431 euros, contre 2 464 euros pour le secteur privé.
Analysé par versant de la fonction publique, le salaire net mensuel moyen en 2021 se répartissait comme suit :
- 2 039 euros dans la fonction publique territoriale ;
- 2 590 euros dans la fonction publique hospitalière ;
- 2 688 euros dans la fonction publique d’État.
Les rémunérations dans la fonction publique d’État tiennent à un effet de structure
En effet, les agents de l’État sont en moyenne plus diplômés, plus âgés, mais également plus féminisés que dans le secteur privé.
La part de salariés disposant d’un diplôme du supérieur est très marquée selon l’employeur (données de 2021) :
- 76 % pour les agents de la fonction publique d’État ;
- 52 % pour les agents hospitaliers ;
- 41 % pour les salariés du privé et
- 32 % pour les agents de collectivité locale.
Mécaniquement, la part d’agents civils de catégorie A (les cadres) était aussi très variable selon les versants de la fonction publique :
- 62 % pour l’État,
- 40 % pour le secteur hospitalier et
- 3 % pour les collectivités locales.
L’évolution des rémunérations par versants et dans le secteur privé
Sur la période 2011-2021, le salaire net moyen en équivalent temps plein a augmenté (en euros constants) de 2,1 % pour l’ensemble des agents publics, mais cette augmentation cache de nombreuses disparités :
- 8,8 % pour la fonction publique hospitalière, tirée par le rattrapage des salaires post-Covid ;
- 2,5 % pour la fonction publique territoriale ;
- – 0,2 % pour la fonction publique d’État.
Il faut toutefois faire attention aux effets de composition : la part des agents de Cat A augmente et leur vieillissement aussi.
Pour dépasser les limites du salaire moyen net en EQTP, il existe un indicateur d’évolution des salaires pour les agents restés en poste deux années d’affilée complètes. Autrement dit, la : « rémunération moyenne des personnes en place » (RMPP).
Une évolution salariale essentiellement liée au développement des primes et indemnités
Le décrochage du point d’indice
Jusqu’aux années 1990, le point d’indice suivait l’évolution des prix. De 2010 à 2023, le point d’indice est systématiquement gelé, sauf exceptions.
Des augmentations sont ainsi consenties en 2016 et 2017, à un niveau proche de l’inflation (0,6 %), puis en 2022 et 2023, mais dans un contexte de très forte inflation :
- Le point d’indice est d’abord revalorisé de 3,5 % en 2021, puis de 1,5 % en 2022 ;
- Sur la même période, l’inflation est de 10,4 %.
Première conséquence, la progression salariale est essentiellement catégorielle ou individuelle :
- Primes et indemnités individuelles,
- Revalorisations de grilles indiciaires de certains corps.
Seconde conséquence, les primes constituent aujourd’hui environ 25,5 % de la rémunération moyenne totale (un peu moins en rémunération nette individuelle) des agents publics. Cette part est stable depuis 2010 et est supérieure à celle constatée dans le secteur privé (proche de 20 %).
Une augmentation des primes et indemnités qui peinent à maintenir le niveau de vie des agents publics
Selon les rapporteurs :
« Les dispositifs existants (primes, indemnités comme heures supplémentaires) servent d’abord à maintenir le pouvoir d’achat, ou pour certains bénéficiaires à compléter leur revenu (heures supplémentaires). »
Par exemple, dans la fonction publique d’État, les gains en rémunérations proviennent quasi exclusivement du vieillissement des agents et des politiques indemnitaires.
Le décrochage des cadres (cat. A) et professions intermédiaires (cat. B)
De 2011 à 2021, les salaires moyens en EQTP des cadres et professions intermédiaires ont baissé dans la fonction publique et augmenté dans le secteur privé :
- – 3 % pour la fonction publique d’État,
- – 0,2 % pour la fonction publique territoriale ;
- + 2 % dans le secteur privé.
À titre de comparaison, le salaire net moyen des employés et des ouvriers a augmenté de 6 % pour la FPE et 2,5 % pour la FPT (contre 5 % dans le privé).
Ce dynamisme des rémunérations pour les ouvriers et employés est lié aux mécanismes de préservation du pouvoir d’achat mis en place pour les bas salaires.
La fonction publique hospitalière présente de son côté un caractère atypique (mesures Ségur prises suite à la pandémie de COVID-19) avec une augmentation des salaires réels moyens de 9 % sur la décennie :
- 10 % pour les employés et ouvriers,
- 6 % pour les cadres et professions intermédiaires.
Un système de rémunérations inégalitaires
Des inégalités entre ministères
Le constat est connu, les différences de rémunérations entre les ministères demeurent :
- La part de primes et indemnités est faible dans l’enseignement ;
- Alors que les primes sont plus importantes dans les ministères de l’Économie, de la Défense ou de l’Intérieur.
Ces différences de primes viennent parfois compenser une grille indiciaire jugée trop faible. Ils induisent toutefois un frein à la mobilité pour les agents et peuvent engendrer un sentiment d’iniquité.
Pour les rapporteurs :
« L’effet global du système tel qu’il existe est donc incertain. »
Des évolutions salariales différentes entre contractuels et fonctionnaires
En prenant le RMPP, ce qui n’est pas sans poser de difficultés méthodologiques4, l’évolution des contractuels est systématiquement plus élevée que celle des fonctionnaires.

Des trajectoires salariales en détérioration
Une augmentation de la rémunération moyenne des agents publics quasiment nulle depuis quinze ans
De 1980 à 2010, le taux de croissance annuel moyen du salaire moyen par tête (SMPT) réel des administrations publiques était de 0,66 %.
Toutefois, on peut clairement dissocier deux périodes :
- 1,02 % sur la période 1990-2010,
- 0,26 % sur la période 2010-2023.
Autrement dit, sur les quinze dernières années, le pouvoir d’achat des fonctionnaires évolue quatre fois moins vite que les deux décennies précédentes. Par ailleurs, cette évolution est tellement faible qu’elle est quasiment nulle en termes réels.
Des trajectoires de carrière en dégradation
France stratégie s’appuie sur des données permettant de comparer les « débuts de carrière » de différentes générations de salariés de 1990 à 2010.
« Tous diplômes confondus, les trajectoires des jeunes agents publics semblent se détériorer, en particulier entre les cohortes des années 2000 et 2010, avec une forme d’affaissement de la position salariale par rapport à l’ensemble de la population. »
En témoigne, une évolution du salaire moyen par tête durablement plus importante dans le secteur privé par rapport aux administrations publiques depuis le début des années 2000 :

Le salaire médian des jeunes agents publics évolue très défavorablement entre générations :
- La génération 1990 gagnait 88 % du salaire médian en début de période et, 116 % après six ans ;
- La génération 2010 gagnait 80 % du salaire médian en début de période et 102 % en fin de période.
Cette dégradation concerne tous les versants de la fonction publique, à l’exception des agents de collectivités territoriales.
Le cas des enseignants est particulièrement symptomatique d’une forme de décrochage.
En 2021, le salaire net moyen en EQTP est de :
- 2 504 euros pour les enseignants de l’école élémentaire ;
- 2 835 euros pour les enseignants du secondaire ;
- 3 919 euros pour les cadres de la fonction publique (également de catégorie A) ;
- 4 326 euros pour les cadres du secteur privé ;
- 2 405 pour les professions intermédiaires du public (catégories B, recrutés à partir du baccalauréat) et 2 468 euros pour les professions intermédiaires du privé.
Une dynamique salariale en faveur du secteur privé
De 1997 à 2021, le salaire net moyen en équivalent temps plein a crû de 15 % dans le secteur privé, contre 7 % dans la fonction publique d’État.
Sur la période 2011-2021, le taux de croissance annuel du salaire net moyen en équivalent temps plein des salariés en place du secteur privé a été constamment supérieur à celui de leurs homologues de la fonction publique, excepté en 2021.
En conséquence, depuis 2017, le salaire net moyen dans le secteur privé est supérieur au salaire net moyen des agents publics. Ce qui, compte tenu de la proportion de cadres dans la fonction publique, témoigne d’une dégradation relative de la rémunération des plus qualifiés dans le secteur public.


La fonction publique demeure attractive pour les femmes et les moins diplômés
Un modèle de rémunération et de carrière en général plus favorable aux femmes
Pour les niveaux de formation inférieurs à bac + 4, il existe des gains relatifs à être dans la fonction publique par rapport au privé en début de carrière, surtout pour les femmes.
Cet avantage persiste pour les femmes au fil de la carrière, alors qu’il disparaît vite pour les hommes au cours des années 2000.
Toutefois, ce gain s’estompe pour les plus diplômés, hommes comme femmes
Les rémunérations du secteur public sont rapidement dépassées par les rémunérations offertes dans le secteur privé pour les hommes très diplômés (bac +4 et au-dessus). Cet écart ne fait ensuite que s’amplifier.
Pour les femmes, l’avantage salarial offert par le public demeure sur une période un peu plus longue. Au-delà, comme pour les hommes, les divergences salariales sont très importantes et s’amplifient.
« Le diplôme permet donc de jouir d’une rémunération d’entrée élevée par rapport à l’ensemble de la population, mais pour les hommes comme pour les femmes, la croissance est ensuite moindre dans la fonction publique que dans le privé. »
Au-delà des montants, la structure de rémunérations est devenue illisible dans la fonction publique
La complexité même du système de rémunérations dans le secteur public, sa fragmentation, les inégalités qu’il porte « ont pu affecter l’attractivité salariale ces dernières décennies ».
Les rapporteurs posent ici un message fort invitant les administrations à renouveler leur communication, mais également les dispositions de rémunérations. L’objectif doit être d’offrir davantage de clarté, aux agents publics eux-mêmes et à tous les jeunes et moins jeunes désireux de rejoindre la fonction publique :
« Une partie de la perte d’attractivité tient autant à l’évolution des salaires en elle-même qu’à l’architecture du système de rémunération du secteur public, qui peut être perçu comme illisible au regard de trois objectifs qu’il doit atteindre :
« Ignorer la réalité d’un système de rémunération complexe, fragmenté, et tendanciellement moins valorisant pour les agents publics, ne permettrait pas de répondre aux frustrations ou au désintérêt croissant de la fonction publique en général. »
- Une augmentation du point d’indice concerne tous les fonctionnaires et présente également un impact sur les pensions de retraite. ↩
- Sondage BVA Casden 2023. ↩
- Sondage Ipsos de 2022 commandé par la FSU auprès des fonctionnaires et enquête Génération du Cereq sur les cohortes 2013 et 2017 de jeunes entrant sur le marché du travail. ↩
- La RMPP des contractuels par construction se limite à ceux qui sont « stables » puisque présents sur deux années pleines. ↩
