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  • Les salaires dans la fonction publique en 2025

    Les salaires dans la fonction publique en 2025

    Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 11)

    Temps de lecture : 10 minutes.

    Poursuite de la lecture du rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique.

    Les dépenses publiques de rémunérations des agents publics, après avoir augmenté jusqu’aux années 80, connaissent une relative décrue depuis :

    • 10 % du PIB dans les années 60-70 ;

    • 13 % au début des années 80 ;

    • 12 % en 2023, en replis depuis les années 90.

    Autrement dit, depuis les années 80, l’augmentation des dépenses publiques ne tient pas aux dépenses de personnel, mais aux autres dépenses (essentiellement sociales).

    Toutefois, les écarts entre versants de la fonction publique sont extrêmes :

    • De 1980 à 2023, les dépenses des collectivités locales augmentent de 238 % ;
    • Sur la même période, les dépenses de l’État augmentent de 45 %.

    Le mode de rémunérations des agents publics

    Un mode de rémunération à trois étages

    La paie des fonctionnaires peut schématiquement se décomposer en trois parties :

    1. Le traitement indiciaire. Déterminé par une grille indiciaire qui s’applique à l’ensemble des agents relevant d’un corps.

          C’est le système le plus simple : on multiplie l’indice lié au grade et à l’échelon par la valeur du point d’indice.

          2. Le régime indemnitaire et les rémunérations annexes. Ces éléments comprennent les heures supplémentaires (pour certains agents publics), les primes et indemnités.

            Les rémunérations indemnitaires et annexes sont particulièrement complexes et ont été très dynamiques sur les vingt dernières années.

            Elles sont individualisées et portent sur :

            • La fonction exercée : encadrement, sujétions particulières… ;
            • Le lieu d’exercice : indemnités de résidence, primes spécifiques à certains territoires, notamment ultramarins ;
            • La situation de famille : supplément familial de traitement (pour des montants nettement plus modestes) ;
            • La performance de l’agent : au titre du complément indemnitaire annuel (CIA) notamment.

            Un élément important est à rappeler : les rémunérations indemnitaires et annexes sont partiellement retenues pour le calcul de la pension de retraite de l’agent public.

            3. Enfin, en déduction du revenu net (pour l’agent) : les cotisations et diverses retenues sociales. Ici, l’agent public se trouve dans la même situation que le salarié de droit privé avec une part de ces rémunérations consacrée aux différentes contributions et cotisations.

              Une rémunération de plus en plus individualisée

              Si la majeure partie du revenu d’un agent public est encore assise sur le traitement indiciaire (comparable aux grilles de classifications des branches professionnelles), la part dévolue aux primes et indemnités est en forte augmentation.

              Compte tenu des difficultés budgétaires de la France et des répercussions induites par une augmentation de la valeur du point d’indice1, les gouvernements successifs ont préféré des augmentations sectorielles.

              Le rapport ambivalent des fonctionnaires à leurs rémunérations : ils se considèrent mal payés, mais ils ne rejoignent pas la fonction publique pour l’argent

              Le sentiment d’être « mal payé » est diffus parmi les agents publics

              Ce sentiment est encore plus exacerbé lorsque le diplôme initial est élevé.

              En 2023, 68 % des fonctionnaires s’estiment mal ou très mal payés. 76 % parmi les enseignants2

              Cependant, le salaire n’est pas un motif d’entrée dans la fonction publique3. Et, quand des agents publics démissionnent, ce n’est pas tant parce que les rémunérations sont faibles. Les agents concernés évoquent d’abord l’absence (supposée ou réelle) de perspective d’évolution professionnelle.

              La vérité des prix : quel salaire dans la fonction publique et dans le privé

              Le salaire net mensuel moyen des agents publics en équivalent temps plein en 2021 est de 2 431 euros, contre 2 464 euros pour le secteur privé.

              Analysé par versant de la fonction publique, le salaire net mensuel moyen en 2021 se répartissait comme suit :

              • 2 039 euros dans la fonction publique territoriale ;
              • 2 590 euros dans la fonction publique hospitalière ;
              • 2 688 euros dans la fonction publique d’État.

              Les rémunérations dans la fonction publique d’État tiennent à un effet de structure

              En effet, les agents de l’État sont en moyenne plus diplômés, plus âgés, mais également plus féminisés que dans le secteur privé.

              La part de salariés disposant d’un diplôme du supérieur est très marquée selon l’employeur (données de 2021) :

              • 76 % pour les agents de la fonction publique d’État ;
              • 52 % pour les agents hospitaliers ;
              • 41 % pour les salariés du privé et
              • 32 % pour les agents de collectivité locale.

              Mécaniquement, la part d’agents civils de catégorie A (les cadres) était aussi très variable selon les versants de la fonction publique :

              • 62 % pour l’État,
              • 40 % pour le secteur hospitalier et
              • 3 % pour les collectivités locales.

              L’évolution des rémunérations par versants et dans le secteur privé

              Sur la période 2011-2021, le salaire net moyen en équivalent temps plein a augmenté (en euros constants) de 2,1 % pour l’ensemble des agents publics, mais cette augmentation cache de nombreuses disparités :

              • 8,8 % pour la fonction publique hospitalière, tirée par le rattrapage des salaires post-Covid ;
              • 2,5 % pour la fonction publique territoriale ;
              • – 0,2 % pour la fonction publique d’État.

              Il faut toutefois faire attention aux effets de composition : la part des agents de Cat A augmente et leur vieillissement aussi.

              Pour dépasser les limites du salaire moyen net en EQTP, il existe un indicateur d’évolution des salaires pour les agents restés en poste deux années d’affilée complètes. Autrement dit, la : « rémunération moyenne des personnes en place » (RMPP).

              Une évolution salariale essentiellement liée au développement des primes et indemnités

              Le décrochage du point d’indice

              Jusqu’aux années 1990, le point d’indice suivait l’évolution des prix. De 2010 à 2023, le point d’indice est systématiquement gelé, sauf exceptions.

              Des augmentations sont ainsi consenties en 2016 et 2017, à un niveau proche de l’inflation (0,6 %), puis en 2022 et 2023, mais dans un contexte de très forte inflation :

              • Le point d’indice est d’abord revalorisé de 3,5 % en 2021, puis de 1,5 % en 2022 ;
              • Sur la même période, l’inflation est de 10,4 %.

              Première conséquence, la progression salariale est essentiellement catégorielle ou individuelle :

              • Primes et indemnités individuelles,
              • Revalorisations de grilles indiciaires de certains corps.

              Seconde conséquence, les primes constituent aujourd’hui environ 25,5 % de la rémunération moyenne totale (un peu moins en rémunération nette individuelle) des agents publics. Cette part est stable depuis 2010 et est supérieure à celle constatée dans le secteur privé (proche de 20 %).

              Une augmentation des primes et indemnités qui peinent à maintenir le niveau de vie des agents publics

              Selon les rapporteurs :

               « Les dispositifs existants (primes, indemnités comme heures supplémentaires) servent d’abord à maintenir le pouvoir d’achat, ou pour certains bénéficiaires à compléter leur revenu (heures supplémentaires). »

              Par exemple, dans la fonction publique d’État, les gains en rémunérations proviennent quasi exclusivement du vieillissement des agents et des politiques indemnitaires.

              Le décrochage des cadres (cat. A) et professions intermédiaires (cat. B)

              De 2011 à 2021, les salaires moyens en EQTP des cadres et professions intermédiaires ont baissé dans la fonction publique et augmenté dans le secteur privé :

              • – 3 % pour la fonction publique d’État,
              • – 0,2 % pour la fonction publique territoriale ;
              • + 2 % dans le secteur privé.

              À titre de comparaison, le salaire net moyen des employés et des ouvriers a augmenté de 6 % pour la FPE et 2,5 % pour la FPT (contre 5 % dans le privé).

              Ce dynamisme des rémunérations pour les ouvriers et employés est lié aux mécanismes de préservation du pouvoir d’achat mis en place pour les bas salaires.

              La fonction publique hospitalière présente de son côté un caractère atypique (mesures Ségur prises suite à la pandémie de COVID-19) avec une augmentation des salaires réels moyens de 9 % sur la décennie :

              • 10 % pour les employés et ouvriers,
              • 6 % pour les cadres et professions intermédiaires.

              Un système de rémunérations inégalitaires

              Des inégalités entre ministères

              Le constat est connu, les différences de rémunérations entre les ministères demeurent :

              • La part de primes et indemnités est faible dans l’enseignement ;
              • Alors que les primes sont plus importantes dans les ministères de l’Économie, de la Défense ou de l’Intérieur.

              Ces différences de primes viennent parfois compenser une grille indiciaire jugée trop faible. Ils induisent toutefois un frein à la mobilité pour les agents et peuvent engendrer un sentiment d’iniquité.

              Pour les rapporteurs :

              « L’effet global du système tel qu’il existe est donc incertain. »

              Des évolutions salariales différentes entre contractuels et fonctionnaires

              En prenant le RMPP, ce qui n’est pas sans poser de difficultés méthodologiques4, l’évolution des contractuels est systématiquement plus élevée que celle des fonctionnaires.

              Des trajectoires salariales en détérioration

              Une augmentation de la rémunération moyenne des agents publics quasiment nulle depuis quinze ans

              De 1980 à 2010, le taux de croissance annuel moyen du salaire moyen par tête (SMPT) réel des administrations publiques était de 0,66 %.

              Toutefois, on peut clairement dissocier deux périodes :

              • 1,02 % sur la période 1990-2010,
              • 0,26 % sur la période 2010-2023.

              Autrement dit, sur les quinze dernières années, le pouvoir d’achat des fonctionnaires évolue quatre fois moins vite que les deux décennies précédentes. Par ailleurs, cette évolution est tellement faible qu’elle est quasiment nulle en termes réels.

              Des trajectoires de carrière en dégradation

              France stratégie s’appuie sur des données permettant de comparer les « débuts de carrière » de différentes générations de salariés de 1990 à 2010.

              « Tous diplômes confondus, les trajectoires des jeunes agents publics semblent se détériorer, en particulier entre les cohortes des années 2000 et 2010, avec une forme d’affaissement de la position salariale par rapport à l’ensemble de la population. »

              En témoigne, une évolution du salaire moyen par tête durablement plus importante dans le secteur privé par rapport aux administrations publiques depuis le début des années 2000 :

              Le salaire médian des jeunes agents publics évolue très défavorablement entre générations :

              • La génération 1990 gagnait 88 % du salaire médian en début de période et, 116 % après six ans ;
              • La génération 2010 gagnait 80 % du salaire médian en début de période et 102 % en fin de période.

              Cette dégradation concerne tous les versants de la fonction publique, à l’exception des agents de collectivités territoriales.

              Le cas des enseignants est particulièrement symptomatique d’une forme de décrochage.

              En 2021, le salaire net moyen en EQTP est de :

              • 2 504 euros pour les enseignants de l’école élémentaire ;
              • 2 835 euros pour les enseignants du secondaire ;
              • 3 919 euros pour les cadres de la fonction publique (également de catégorie A) ;
              • 4 326 euros pour les cadres du secteur privé ;
              • 2 405 pour les professions intermédiaires du public (catégories B, recrutés à partir du baccalauréat) et 2 468 euros pour les professions intermédiaires du privé.

              Une dynamique salariale en faveur du secteur privé

              De 1997 à 2021, le salaire net moyen en équivalent temps plein a crû de 15 % dans le secteur privé, contre 7 % dans la fonction publique d’État.

              Sur la période 2011-2021, le taux de croissance annuel du salaire net moyen en équivalent temps plein des salariés en place du secteur privé a été constamment supérieur à celui de leurs homologues de la fonction publique, excepté en 2021.

              En conséquence, depuis 2017, le salaire net moyen dans le secteur privé est supérieur au salaire net moyen des agents publics. Ce qui, compte tenu de la proportion de cadres dans la fonction publique, témoigne d’une dégradation relative de la rémunération des plus qualifiés dans le secteur public.

              La fonction publique demeure attractive pour les femmes et les moins diplômés

              Un modèle de rémunération et de carrière en général plus favorable aux femmes

              Pour les niveaux de formation inférieurs à bac + 4, il existe des gains relatifs à être dans la fonction publique par rapport au privé en début de carrière, surtout pour les femmes.

              Cet avantage persiste pour les femmes au fil de la carrière, alors qu’il disparaît vite pour les hommes au cours des années 2000.

              Toutefois, ce gain s’estompe pour les plus diplômés, hommes comme femmes

              Les rémunérations du secteur public sont rapidement dépassées par les rémunérations offertes dans le secteur privé pour les hommes très diplômés (bac +4 et au-dessus). Cet écart ne fait ensuite que s’amplifier.

              Pour les femmes, l’avantage salarial offert par le public demeure sur une période un peu plus longue. Au-delà, comme pour les hommes, les divergences salariales sont très importantes et s’amplifient.

              « Le diplôme permet donc de jouir d’une rémunération d’entrée élevée par rapport à l’ensemble de la population, mais pour les hommes comme pour les femmes, la croissance est ensuite moindre dans la fonction publique que dans le privé. »

              Au-delà des montants, la structure de rémunérations est devenue illisible dans la fonction publique

              La complexité même du système de rémunérations dans le secteur public, sa fragmentation, les inégalités qu’il porte « ont pu affecter l’attractivité salariale ces dernières décennies ».

              Les rapporteurs posent ici un message fort invitant les administrations à renouveler leur communication, mais également les dispositions de rémunérations. L’objectif doit être d’offrir davantage de clarté, aux agents publics eux-mêmes et à tous les jeunes et moins jeunes désireux de rejoindre la fonction publique :

               « Une partie de la perte d’attractivité tient autant à l’évolution des salaires en elle-même qu’à l’architecture du système de rémunération du secteur public, qui peut être perçu comme illisible au regard de trois objectifs qu’il doit atteindre :

               « Ignorer la réalité d’un système de rémunération complexe, fragmenté, et tendanciellement moins valorisant pour les agents publics, ne permettrait pas de répondre aux frustrations ou au désintérêt croissant de la fonction publique en général. »

              1. Une augmentation du point d’indice concerne tous les fonctionnaires et présente également un impact sur les pensions de retraite.
              2. Sondage BVA Casden 2023.
              3. Sondage Ipsos de 2022 commandé par la FSU auprès des fonctionnaires et enquête Génération du Cereq sur les cohortes 2013 et 2017 de jeunes entrant sur le marché du travail.
              4. La RMPP des contractuels par construction se limite à ceux qui sont « stables » puisque présents sur deux années pleines.
              Pièces de monnaie qui tombent
            1. Une crise des valeurs du service public ?

              Une crise des valeurs du service public ?

              Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 7)

              Temps de lecture : 9 minutes.

              Dans ce nouveau chapitre issu du rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique, les rapporteurs interrogent les valeurs du service public.

              Ces valeurs constituent la première source d’engagement des jeunes fonctionnaires1.

              Pour autant, parmi l’ensemble des jeunes interrogés, les valeurs du service public sont peu partagées, leur contenu étant le plus souvent flou, voire ambivalent. Par ailleurs, l’administration renvoie généralement une image inspirant la défiance.

              L’affaiblissement, voire la disparition des « valeurs du service public »

              Une fonction publique mystérieuse

              Les premiers constats dressés par les auteurs font état d’une fonction publique très peu connue. Une part importante de la population ignore les distinctions entre les trois fonctions publiques et ne peut pas lister des administrations et leurs fonctions.

              Les principales connaissances sont celles du quotidien et de quelques éléments généraux égrainés çà et là :

              « La compréhension du fonctionnement et de l’organisation de la fonction publique apparaît très lacunaire et s’appuie principalement sur les expériences des usagers ou celles de leurs proches. Souvent négatives, ces dernières amplifient l’image d’un univers distant et hermétique, mais aussi dégradé et privé de moyens. »

              « Les confusions sur le périmètre s’accompagnent d’une méconnaissance totale du poids et de l’organisation de la fonction publique. Les personnes interrogées ne savent à peu près rien du statut et de ses justifications et principes. »

              Une fonction publique en apparence fermée

              Cette méconnaissance tient aussi à une forme de repli de l’administration. Les étudiants interrogés effectuent peu ou pas de stage dans la sphère publique, celle-ci étant peu présente durant la scolarité2 ou plus tard dans les salons professionnels (sauf pour quelques grands métiers).

              Dans ce contexte, avoir un parent fonctionnaire constitue donc un moyen privilégié pour connaître la sphère publique, ce qui explique par ailleurs le phénomène de « reproduction statutaire. »

              « La fonction publique apparaît comme un univers opaque, lointain, « à part », qu’on peine à envisager dans le cadre de son choix de carrière. »

              Une fonction publique à l’image ambivalente

              Cette ambivalence se retrouve à deux niveaux :

              • Tout d’abord, la fonction publique est souvent jugée « datée » :

              « La fonction publique pâtit de la persistance de l’image d’un univers poussiéreux, lent et ennuyeux3. »

              • D’autre part, même lorsque certains métiers publics sont valorisés, la représentation de l’engagement du fonctionnaire est souvent attachée à une forme de compassion :

               « Se superpose ainsi l’image attachée aux métiers « de vocation », « indispensables », « utiles », voire « essentiels ». Cependant, ceux-ci sont aussi perçus comme « sacrificiels » et souffrant d’une dégradation de leurs conditions de travail et d’un manque de reconnaissance (…). Soignants, policiers, mais aussi enseignants, sont ainsi l’objet d’une forme de commisération assez largement partagée. »

              86 % des sondés interrogés dans le cadre de l’enquête OpinionWay pour Indeed estiment que les enseignants « ont du mérite ». 85 % qu’il faut améliorer leurs conditions de travail.(…) Un tel contraste suscite chez certains d’entre eux des formes d’admiration proches de la compassion pour un métier pris entre « bénévolat » et éthique du « sacrifice » et aujourd’hui « dévalorisé ». »

               « On arrive ainsi à ce paradoxe, que les métiers considérés comme « les plus essentiels » sont aussi ceux… qui font partie des moins attractifs et font le moins rêver les jeunes (à l’exception de médecin). »

              Une forte défiance vis-à-vis de l’employeur public

              Une crise du service public attachée à la crise du politique

              La défiance vis-à-vis des institutions semble, en effet, fortement corrélée à la défiance vis-à-vis du personnel politique :

               70 % des Français4 n’ont pas confiance dans la politique (dont 24 % « pas du tout »).

              Mécaniquement, les institutions politiques comme la présidence de la République, le Parlement et le Gouvernement recueillent des scores de confiance particulièrement faibles (le plus souvent inférieurs à 25 %).

              Pour les auteurs, la fonction publique pâtit sévèrement de cette défiance :

              Comment vouloir travailler pour des institutions dont on n’a pas confiance ?

              En conséquence : un attachement au métier plutôt qu’à l’administration

              Certains agents publics, en particulier dans les grandes collectivités ou certaines administrations de l’État, ont le sentiment de travailler davantage pour les élus plutôt que pour les usagers.

              En réaction, les agents se définissent plutôt par leur métier, que par leur statut d’agent public5. Ce qui leur permet d’offrir un peu de recul à leurs fonctions, de se raccrocher à la source de leur engagement et de se distinguer d’une politisation qui peut parfois les embarrasser dans leur quotidien.

              Le concept de « motivation de service public »

              Un concept créé dans les années 90 et présentant en France quelques spécificités

              Ce concept de « Motivation de service public » (MSP) a été créé et défini par les auteurs américains James Perry et Lois Recascino Wise en 1990. Il pourrait se rapprocher6 des notions d’habitus notamment développées par Luc Rouban, mais également des travaux sociologiques de Philippe d’Iribarne sur une forme de noblesse dans l’engagement de l’agent public français.

              Le concept de Perry et Wise insiste sur la spécificité des motivations altruistes des agents publics et propose une échelle servant à la mesurer, qui comprend plusieurs dimensions :

              S’agissant du cas français, s’ajoute une spécificité : celle d’un attachement très fort à la figure de l’État

              La motivation de service public « à la française » est principalement alimentée par un attachement fort à l’intérêt général et aux services publics, ainsi que par la place centrale de l’État, comme pourvoyeur de richesse et de cohésion sociale.

              On note toutefois un premier hiatus :

              • Les salariés du privé attendent de l’exemplarité ;
              • Les agents publics veulent poursuivre un but d’intérêt général.

              Une réalité concrète pour les agents publics : on ne devient généralement pas fonctionnaire par hasard

              Travailler pour la fonction publique relève le plus souvent d’un choix explicite :

               « 84 % des jeunes agents publics et élèves fonctionnaires disent travailler dans la fonction publique par choix7. »

              Cette « utilité sociale » est génératrice d’une certaine fierté professionnelle :

              • 86 % des salariés français estiment que le secteur public permet d’exercer « des métiers qui ont du sens » (84 % dans le secteur privé et 90 % dans le secteur public8 — ces derniers étant évidemment les premiers concernés)
              • 72 % des agents publics sont fiers de leur emploi (contre 64,6 % dans le secteur privé)9 ;
              • 83 % des agents publics se sentent « utiles », contre 68,5 % des salariés du secteur privé. Ce sentiment est particulièrement fort pour les professions en contact avec le public : accueil de jeunes enfants, animation, enseignement, action sociale, santé10.

              Des motivations différentes selon les statuts (et niveaux de diplôme)

               « Différemment incarnées selon les métiers et les secteurs, les motivations de service public sont également variables et inégalement réparties chez les agents selon leurs diplômes et leur position (encadrant ou non). »

              Les rapporteurs citent les travaux de Céline Desmarais et de Claire Edey Gamassou qui montrent une diversité de motivations11 :

              Ressorts affectifs Ressorts rationnels et normatifs
              Exécutants Compassion, abnégation, voire sacrifice de soi Peu d’intérêt pour les valeurs du service public et les politiques publiques (vision métier)
              Encadrants de proximité Compassion Valeurs du service public
              Experts Neutre Valeurs du service public, goût pour les politiques publiques
              Cadres managers Nul : peu ou pas de relations directes avec des personnes identifiables, vision d’un citoyen abstrait Valeurs du service public, goût pour les politiques publiques, motivations politiques (forte perméabilité des hauts fonctionnaires et des représentants politiques)
              Motivations selon Céline Desmarais et Claire Edey Gamassou

              Autrement dit, plus le niveau hiérarchique est élevé, plus la motivation est liée à des éléments théoriques12.

              Par ailleurs, de cette même conception du service public découle l’idée que le « principe » (théorique) est supérieur au « service » (individuel)13.

              Toutefois, il semblerait que :

              • La conception unitaire du service public soit de plus en plus disputée et que
              • Les sollicitations des citoyens tiennent davantage à considérer les situations individuelles et à exiger une efficacité démontrable14.

              Une concurrence accrue dans la défense de l’intérêt général

              L’État n’est plus associé à l’intérêt général

              Les nouvelles générations ne sont pas moins « altruistes », la difficulté proviendrait plutôt d’un affaissement de l’idée du service public administratif :

              « Les pouvoirs publics manquent de crédibilité pour incarner une promesse de sens particulièrement élevée. L’utilité sociale et l’intérêt général sont aussi (voire, selon certains, surtout) servis ailleurs. »

              Seuls 3 % des Français associent spontanément l’intérêt général à l’État et aux pouvoirs publics15.

              « Ainsi, paradoxalement, les pouvoirs et la fonction publics n’apparaissent pas forcément les mieux placés pour donner un débouché aux aspirations de ceux qui ont de fortes motivations de service public et pour lesquels l’intérêt général est un déterminant important de l’attractivité. »

              À l’inverse, le secteur privé et le troisième secteur (associatif, mutualiste…) est jugé nettement plus favorablement

              Si les finalités d’intérêt général portées par l’État et les collectivités publiques sont concurrencées (voire éclipsées) par le secteur privé16, le quotidien en entreprises ou en associations est également jugé plus favorablement :

               « Les enquêtes d’opinion montrent que le secteur non lucratif (…) est largement plus reconnu que l’État, en tant qu’employeur, sur les dimensions « sens du travail et des missions », « valeurs de l’organisation » et « impact du travail sur la vie des citoyens ». Pour les deux premiers points, même les grandes entreprises privées sont mieux notées que l’État employeur. »

              Le secteur public peine également à convaincre l’ensemble de ses agents

              L’attachement au sens est autant une force qu’un point de fragilité dans la fonction publique. Il peut être « porteur d’un risque élevé de désillusion et de désenchantement » :

              49 % des salariés du public (fonctionnaires et contractuels) qui souhaitent rejoindre le secteur privé le veulent car « ils ont le sentiment que ce qu’ils font dans le secteur public n’a plus de sens ».

              L’enquête du collectif « Nos services publics » de 2021 montre ainsi un décalage entre les motivations d’entrée dans le service public (l’intérêt général pour 69 % des sondés) et un sentiment d’absurdité17 dans leur travail ressenti « régulièrement » par 80 % des personnes interrogées.

              Une « perte de sens » dans la fonction publique qui reste à analyser

              Comme le soulignent les rapporteurs, la littérature académique envisage le plus souvent cette perte de sens comme liée à la Nouvelle gestion publique. Autrement dit, le rapprochement des modes de gestion du secteur public d’autres modes de gestion : critères de performance et d’efficacité productive, rémunérations au mérite, etc.

              Or, force est de constater18 que le mode de gestion public est systématiquement dévalorisé par les jeunes diplômés et, semble-t-il, par une proportion significative d’agents publics.

              Si le mode de gestion privé était si décrié, pourquoi les jeunes diplômés et certains agents publics, préfèrent le secteur privé ou le troisième secteur ?

              Au-delà des arguties politiques, de mon point de vue, une question de management se pose : l’exemplarité, la transparence, la confiance et la quête de sens paraissent désormais être des critères essentiels aux travailleurs. Tout particulièrement lorsque ceux-ci sont très diplômés.

              1. En particulier ceux de catégorie A et B de l’État. L’enquête Nos services publics citée plus bas, ainsi que celle réalisée par la CFDT s’agissant des jeunes fonctionnaires confirment ce point.
              2. Qui connait par exemple le fonctionnement administratif de l’Éducation nationale ? La répartition des compétences entre les collectivités et l’État et au sein de l’État, les différentes fonctions du rectorat ?
              3. Une pensée pour la scène finale de l’Auberge espagnole : https://www.youtube.com/watch?v=fj7gYzQaiUM
              4. Cevipof (2024), « En quoi les Français ont-ils confiance aujourd’hui ? Le baromètre de la confiance politique », 15e vague, février
              5. « Je suis professeur / policier / infirmier / jardinier / juriste… »
              6. Dans leurs versions françaises.
              7. CFDT (2022), Résultats de la quatrième enquête focus jeunes, décembre (enquête réalisée auprès de 1 000 jeunes agents, titulaires, stagiaires, contractuels, étudiants, des trois versants de la fonction publique).
              8. Sondage OpinionWay de 2023.
              9. Pény P. et Simonpoli S. (2022), Conférence sur les perspectives salariales de la fonction publique, op. cit., p. 12.
              10. Rapport Pény et Simonpoli (2022) précité.
              11. En reprenant les classifications établies dans la théorie des « Motivations du service public ».
              12. Selon ces mêmes auteurs, et c’est dichotomie se retrouve dans les travaux ici présentés par les rapporteurs, il existe une « mythologie du service public à la française » qui synthétise des aspirations diverses : entre d’une part le service concret du citoyen pour les agents d’exécution et, d’autre part, une dimension plus abstraite et politique de place de l’État dans la société, notamment incarnée par les hauts fonctionnaires.
              13. En effet, la compassion français est plutôt assise sur des principes théoriques, supposant que l’État doit assurer la défense de l’intérêt général. Ce faisant, la compassion directe (philanthropie) est faible en France. L’État joue donc un rôle véritablement unique en France en portant des valeurs et un impératif de solidarité assurés directement par d’autres acteurs ailleurs (populations, secteurs associatifs, églises, voire entreprises).
              14. La démonstration de l’efficacité implique la contestation du ressort uniquement théorique de l’action publique.
              15. Étude BVA pilotée par la mission APIE (Appui au patrimoine immatériel de l’État) pour la DGAFP (2020), Attractivité de l’État employeur ; 1 000 personnes interrogées, 18-45 ans représentatifs de la population française, en février-avril 2020
              16. Et le troisième secteur.
              17. Lié notamment au manque de moyens, au poids de la structure ou de la hiérarchie, ou encore au manque de reconnaissance. On peut, ici (les rapporteurs ne le font pas), rapprocher les éléments cités plus haut s’agissant de la distinction entre une masse de fonctionnaires au contact du public et animée par des motivations concrètes et une interprétation plus intellectuelle et abstraite des décideurs.
              18. Les rapporteurs ne traitent pas spécifiquement les critiques de cette interprétation du tournant « managerial » comme explicatif de la perte d’attractivité des collectivités publiques.

              Des galets en équilibre
            2. Les besoins de recrutements de la fonction publique

              Les besoins de recrutements de la fonction publique

              Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 5)

              Temps de lecture : 4 minutes.

              Nouvelle analyse du rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique avec un regard centré sur les besoins en recrutements :

              • Au niveau global, les trois fonctions publiques confondues ;
              • Les différences entre les fonctions publiques ;
              • Les différences avec le secteur privé et les spécificités au sein de ces fonctions publiques.

              La fonction publique dans l’emploi total

              En 2019, un travailleur sur cinq est un agent public de l’un des trois versants de la fonction publique :

              • 9 % travaillent pour la fonction publique d’État (professeurs, policiers, militaires, inspecteurs des finances publiques, douanes… agents administratifs) ;
              • 7 % travaillent pour la fonction publique territoriale ;
              • 5 % travaillent pour la fonction publique hospitalière.

              Une relative concentration des emplois sur certaines familles professionnelles

              La notion de familles professionnelles

              La nomenclature des familles professionnelles a été créée dans les années 80 par la direction statistique du ministère du Travail en rapprochant les statistiques de l’INSEE de celles gérées par l’opérateur chargé du placement dans l’emploi (désormais France travail).

              Une famille professionnelle réunit des métiers présentant des niveaux de qualification identiques et relevant de compétences professionnelles proches.

              Les métiers publics et les familles professionnelles

              20 familles professionnelles (sur 83) couvrent la quasi-totalité de l’emploi public (93 %), le secteur public présente donc une concentration des emplois sur certaines familles professionnelles.

              Les besoins de recrutement des trois fonctions publiques : État, territoriale et hospitalière

              Le déséquilibre général ne semble pas insurmontable, bien que des divergences existent entre les fonctions publiques

              Les besoins de recrutements de la fonction publique prise au global ne sont pas inquiétants. Toutefois, la situation diverge entre catégorie d’employeurs :

              • La fonction publique d’État occupe une position relativement favorable, ses besoins de recrutements étant plus faible ;
              • La fonction publique hospitalière devrait être confrontée à un « déséquilibre modéré », compte tenu d’un nombre de jeunes professionnels importants en début de carrière. L’enjeu du secteur hospitalier tient à la fidélisation de son personnel ;
              • Enfin, la fonction publique territoriale est la plus en difficulté, avec une population d’agents vieillissante, des métiers techniques (comme on l’a vu dans le précédent billet) et en concurrence directe avec le secteur privé.

              L’analyse par métier peut être également préoccupante

              Lorsqu’on regarde les déséquilibres par famille de métiers, le constat global apparaît plus nuancé, avec de vraies spécificités selon les métiers :

              « Le besoin en cadre B et A est par exemple très problématique. »

               « Dans ces métiers, les effectifs de jeunes débutants devraient être insuffisants pour remplacer les nombreux postes laissés vacants par les seniors ou nouvellement créés. »

              L’analyse par besoins de recrutements dans les familles de métiers n’exclut pas un recoupement par employeurs, avec de nouvelles divergences pour des qualifications pourtant similaires :

              Le cas spécifique des collectivités territoriales

              Une population vieillissante, confrontée à d’importants départs en retraite

              Sur les besoins au titre des départs en retraite :

               « Les collectivités territoriales devraient être confrontées à des départs massifs : plus d’un tiers de leurs postes seraient laissés vacants par les seniors, soit une augmentation de 6 points de pourcentage par rapport à la décennie passée (2008-2019). »

              Trois familles professionnelles représentent près de la moitié de l’emploi des collectivités territoriales :

              • Les agents d’entretien (éboueurs, nettoyage de locaux, petit entretien, etc.) ;
              • Les employés administratifs de la fonction publique (officier ou officière d’état civil par exemple), et
              • Les professions intermédiaires administratives de la fonction publique (gestion financière et des ressources humaines par exemple).

              Des besoins importants du fait de l’évolution de la société

              A ces départs en retraite plus élevés que dans le privé répond des besoins également plus élevés que dans le privé :

              Comme énoncé en introduction du rapport de France stratégie, différents éléments se conjuguent comme l’emploi des femmes et entraînent une augmentation des besoins sociaux auxquelles les collectivités et le secteur hospitalier devront répondre :

              « Le vieillissement de la population implique des besoins de santé et de services de maintien à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie en forte augmentation : on compte entre 275 000 et 490 000 seniors supplémentaires en situation de dépendance entre 2020 et 2030 selon les scénarios de la DREES1. »

              En conséquence :

              « Ce sont dans les collectivités locales que la part des besoins de recrutement devra être – en pourcentage de l’emploi 2019 – la plus importante des secteurs publics et privé. Leur dynamique passée d’emploi a été plus forte que dans les autres versants en raison notamment des transferts de compétences qui ont accompagné les lois de décentralisation. Prolongée à 2030, cette tendance aboutirait à une création d’emploi du même ordre de grandeur que dans le reste de l’économie. Si on l’ajoute aux départs très nombreux des seniors, quatre postes actuels sur dix devraient être à pourvoir d’ici 2030, contre trois sur dix en moyenne. »

              Et peu de jeunes pour y répondre

              La problématique essentielle des collectivités tient en effet au vivier : peu de jeunes sont intéressés et ont réalisé un cursus scolaire les destinant à rejoindre le secteur territorial.

              1. DREES 2024, protection et besoins des populations âgées dépendantes entre 2015 et 2050.
              Entretien de recrutement