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  • L’attractivité de la fonction publique (introduction)

    L’attractivité de la fonction publique (introduction)

    Temps de lecture : 10 minutes.

    France stratégie a publié fin décembre 2024 un rapport très commenté sur la situation de la fonction publique.

    Le constat dressé est alarmant, voire décourageant. On y découvre une fonction publique en crise profonde, marquée par un déclin profond de son attractivité :

    • Les difficultés de recrutement sont majeures : 15 % des postes non pourvus en 2022 ;
    • Ces difficultés résultent d’une dévalorisation des métiers et de conditions de travail jugées dégradées ;
    • Les rémunérations et promotions se révèlent en moyenne moins intéressantes que dans le privé ;
    • Plus inquiétant : on assiste également à un recul des inscriptions dans les filières universitaires, principal vivier de la fonction publique ;
    • Enfin, toutes ces difficultés de recrutement et de fidélisation du personnel entrainent une dégradation des services publics : accueil des jeunes enfants, éducation, santé, justice.

    Le rapport traite des trois fonctions publiques. Cependant, je m’attarderai principalement sur la situation de l’État.

    Une crise de la FP profonde et multidimensionnelle

    La crise d’attractivité traversée par la fonction publique française est multidimensionnelle et s’installe dans la durée. Elle concerne, dans des proportions variables, les trois versants de la fonction publique :

    • La fonction publique d’État ;
    • La fonction publique hospitalière ;
    • La fonction publique territoriale.

    Cette fragilisation s’observe désormais à tous les moments de la relation de travail :

    • Avant l’embauche, avec un tarissement des viviers de recrutements et un moindre intérêt des jeunes vers les métiers du service public1 ;
    • Pendant le processus de recrutement, avec des proportions de renoncements de lauréats de concours plus élevées qu’auparavant ;
    • Puis, au cours de carrière, avec une augmentation des départs volontaires, en particulier dans l’Education nationale.

    « Le phénomène est d’autant plus préoccupant que la pénurie engendre la pénurie. 

    […]

    « Une spirale négative se met en place, reliant les difficultés de recrutement, la dégradation des conditions de travail, la moindre qualité du service et le manque d’attractivité. »

    Une situation qui se dégrade

    Une crise qui concerne l’ensemble des principaux métiers proposés par l’État

    Dans la fonction publique d’État (FPE), les problèmes de recrutement affectent tout particulièrement les métiers des ministères qui recrutent le plus :

    • Ministère de l’Éducation nationale (enseignants),
    • Ministère de l’Intérieur (gardiens de la paix, gendarmes),
    • Ministère de l’Économie et des Finances (inspection des finances publiques),
    • Ministère de la Justice (surveillants pénitentiaires et, dans une moindre mesure, greffiers),
    • Ministère des Armées (militaires du rang et sous-officiers2).

    Mais, ces difficultés touchent également3 :

    • Les fonctions support,
    • L’administration générale et
    • Les métiers très qualifiés des autres ministères (notamment les spécialistes du numérique).

    « En 2022, ce sont 15 % des postes offerts aux concours de la fonction publique d’État qui n’ont pas été pourvus (contre 5 % en 2018)4. Un véritable décrochage s’observe depuis les années 2010. »

    « Les postulants deviennent insuffisamment nombreux pour couvrir les besoins et les taux de sélectivité plongent : en moyenne, douze candidats se présentaient pour un poste aux concours externes de la FPE sur la période 2000-2010, ils ne sont plus que quatre en 2022. »

    L’Education nationale est le ministère le plus exposé à la pénurie, mais les difficultés de recrutement sont généralisées

    Les concours de recrutement d’enseignants connaissent, en effet, une désaffection importante. Toutefois, la baisse du nombre de candidats se constate pour l’ensemble des recrutements.

    « Les taux de sélectivité sont en 2022 de six candidats pour un poste pour les autres concours de catégories A [hors enseignants], B et C, quand ils étaient respectivement de 22, 29 et 17 en 2000. »

    En conséquence, pour l’Éducation nationale, le nombre de postes vacants mesurés à la rentrée scolaire connaît une hausse quasi constante :

    • De 1 988 postes vacants en 2006,
    • À 4 774 en 2023.

    Le recours accru aux contractuels ne permet pas de compenser le manque de candidats aux concours.

    Une nouvelle problématique : les départs volontaires

    « On observe parallèlement une fragilisation croissante de la capacité de la fonction publique à retenir ses agents. »

    En rappelant qu’en droit de la fonction publique, la démission unilatérale n’existe pas. Le fonctionnaire étant recruté par arrêté ministériel ou interministériel, l’administration doit accepter le départ de l’agent5.

    Il s’agit donc d’un fait relativement nouveau par son ampleur et sa nature : marquant une forme de délitement du lien entre certains agents et leur administration.

    Le tarissement des voies traditionnelles de recrutement

    Le manque de candidats aux concours résulte, pour les cadres, d’un tarissement des effectifs d’étudiants dans les filières générales de l’université.

    Le nombre d’inscrits en université devrait stagner jusqu’en 2031, selon les projections du ministère de l’Enseignement supérieur6.

    À l’inverse, l’enseignement supérieur privé, moins susceptible de conduire à une carrière dans la fonction publique, continue de croître.

    Une difficulté plus grande encore pour les formations dédiées à la préparation des concours de la fonction publique

    Les étudiants se détournent en particulier des sciences de l’éducation, qui connaissent une chute marquée des inscriptions, autant en licence qu’en master :

    De 2016 à 2023, les effectifs en master des métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation ont baissé de 26 %.

    Toutefois, le recul est également marqué pour les effectifs inscrits en Institut de préparation à l’administration générale (IPAG) :

    De 2008 à 2020, le nombre d’étudiants inscrits en IPAG a baissé de 35 %.

    Une jeunesse peu intéressée par l’emploi public

    En creux, ce qui apparaît à la lecture du rapport est une forme de désintérêt diffus et profond (puisque partagé) pour la sphère publique :

    « La part des sortants de formation initiale qui choisissent l’emploi public décroît, tous diplômes confondus. »

    « La « troisième explosion scolaire », traduite par la croissance des effectifs des jeunes débutants diplômés du supérieur, y compris dans les disciplines les plus pourvoyeuses d’agents publics, comme les sciences humaines et sociales, semble ainsi s’être réalisée au seul profit du secteur privé. Le nombre de débutants diplômés du supérieur a, en effet, crû de 17 % dans le secteur privé, mais chuté de 29 % dans le secteur public de 2007 à 20197. »

    Les raisons de cette désaffection

    Une dévalorisation des métiers

    La majorité des agents publics rejoignent la fonction publique pour exercer un métier précis : policier, juge, greffier, enseignant, militaire, inspecteur (des finances publiques, du travail…). Or, ces métiers sont de plus en plus dévalorisés.

    Les principaux éléments cités sont :

    • Le manque de reconnaissance, alimenté par les discours politiques et médiatiques négatifs et par les exigences des citoyens ;
    • La détérioration des conditions d’exercice ;
    • Enfin, la représentation de ces métiers comme une « vocation », avec un sous-entendu sacrificiel suscitant : « davantage de compassion que d’envie ».

    Une interrogation profonde sur le modèle d’emploi

    Par ailleurs, la concurrence à l’œuvre dans la « quête de sens » des actifs est majeure. L’État n’y occupe plus la première place8.

    Ce déclin de l’État s’inscrit dans une contestation de sa neutralité (et, peut-être plus encore, des exécutifs locaux), au profit d’organisations non gouvernementales, d’associations, voire d’entreprises à mission.

    Le rapport relève également les difficultés inhérentes au recrutement par concours, en particulier par l’incertitude tenant au lieu de première affectation.

    Dans ce cadre, le seul argument d’une garantie de l’emploi, qui plus est dans un contexte de baisse du chômage et d’une tension sur les recrutements dans le privé, ne permet pas d’attirer de jeunes actifs.

    Le développement ambivalent du recrutement contractuel

    Les contractuels bénéficient d’avantages qui semblent attrayants :

    • Des modalités d’accès simplifiées (ce point a notamment été relevé dans un rapport récent de la Cour des comptes s’agissant de la direction du budget),
    • Un recrutement local qui lève les contraintes de l’affectation géographique,
    • Des niveaux de rémunération plus élevés que les titulaires dans certains cas.

    Toutefois, la très grande majorité des jeunes entrés dans la FPE comme contractuels (CDD) n’y restent pas9. Par ailleurs, la part des titularisations tend à baisser.

    Le recours accru aux contrats peut aussi conduire à fragiliser l’attractivité du statut lui-même.

    Un double cadre de gestion s’installe durablement : celui des titulaires et celui des contractuels. Ces deux cadres évoluent en parallèle, potentiellement pourvoyeur d’inégalités, voire de rivalités.

    Le modèle de gestion de la FP

    Un instrument de promotion social pour les plus diplômés issus de milieux modestes

    La fonction publique reste un débouché privilégié pour les diplômés des catégories modestes, et plus encore pour les femmes10.

    Pour ces deux catégories, la « pénalité » pour l’accès aux postes d’encadrement est moindre dans le secteur public que dans le privé. Cette surreprésentation des enfants de catégories populaires parmi les cadres du public a eu en outre tendance à s’accentuer dans la période récente :

    Pour autant, une difficulté à promouvoir en interne les moins diplômés

    En dépit d’un recrutement socialement plus égalitaire (à niveau de diplôme égal), la fonction publique peine ensuite à promouvoir ses agents.

    La logique de catégories, contestée encore récemment par le ministre chargé de la fonction publique11, semble réduire pour partie les perspectives d’évolution professionnelle des agents les moins diplômés. Le passage d’une catégorie à l’autre suppose la réussite à des concours ou des examens professionnels, qui peuvent pénaliser les publics les moins qualifiés12.

    « Pour ceux qui commencent en bas de l’échelle, les perspectives d’évolution socioprofessionnelles se traduisant par un changement de catégorie et un accès aux échelons supérieurs de la hiérarchie sociale sont en définitive plus limitées que dans le privé. »

    Des rémunérations devenues problématiques, en particulier pour les plus diplômés

    L’évolution de la rémunération moyenne des agents publics a été inférieure à celle du privé tous les ans de 2011 à 2020 :

    En s’attachant à une cohorte de jeunes actifs, on constate des évolutions du salaire médian particulièrement différenciées, alors même que la fonction publique est structurellement plus diplômée que le secteur public :

    « De 2002 à 2019, le salaire médian des jeunes travaillant dans le secteur public a progressé en termes réels de 52 %, celui des jeunes du privé de 65 %. »

    La fonction publique maintient globalement un positionnement salarial plus favorable au fil de la carrière que le privé pour les moins diplômés.

    En revanche, pour les plus diplômés, les perspectives de progression salariale sont moindres dans la fonction publique :

    • Pour les hommes diplômés, le secteur privé propose des perspectives salariales nettement plus profitables13 ;
    • Pour les femmes, il existe un avantage salarial dans la fonction publique en début et milieu de carrière. Toutefois, cet intérêt s’estompe ensuite, en faveur du secteur privé.

    Le rapport note également que la complexité du mode de rémunération dans le secteur public participe de la baisse d’attractivité.

    Un déclin de l’autonomie et de la qualité de vie au travail

    L’un des derniers avantages comparatifs encore en faveur des agents publics concerne l’autonomie au travail. Cependant, cette spécificité tend à se réduire, notamment pour les emplois plus qualifiés et pour les enseignants, alors même que le soutien hiérarchique reste faible comparé au privé.

    Le rôle des collectifs de travail constitue également un atout du public :

    • Les salariés du public se déclarent très souvent aidés par leurs collègues (87 %), davantage que dans le privé (79 %), et ce chiffre est en augmentation de 2013 à 2019.

    C’est particulièrement vrai dans les métiers peu qualifiés (agents d’entretien, cuisiniers, jardiniers) ainsi que dans le secteur hospitalier, où les collectifs de travail jouent un rôle essentiel : 92 % des salariés s’y sentent soutenus par leurs collègues, contre 82 % de l’ensemble des salariés. Mais, ici encore, ces avantages sont susceptibles de se déliter sous l’effet de la multiplication des statuts et de l’intensification du travail.

    Enfin, le temps de travail est plus faible que dans le privé, mais en contrepartie d’un travail sur des horaires plus fréquemment atypiques (soir et weekend). Cependant, une nouvelle fois, les différences entre le secteur public et le privé semblent se réduire.

    Ce rapprochement des conditions de travail interroge. Régulièrement soulevé par la doctrine juridique, depuis l’apparition du statut jusqu’à la loi de transformation de la fonction publique, il ne cesse de soulever les débats. Ce clivage constitue d’ailleurs, pour Maya Bacache-Beauvallet, un sujet politique structurant du partage gauche-droite14.

    1. On pourrait préciser que le moindre intérêt pour le service public concerne… le service public « du secteur public ». Le rapport met ainsi en avant une forme de concurrence dans la réponse au besoin de sens des actifs avec les secteurs associatifs et entrepreneuriaux. L’Etat n’a plus (s’il l’a déjà eu) : « le monopole de l’intérêt général ».
    2. Toutefois, les métiers techniques qui mobilisent des compétences spécifiques transposables dans le civil sont particulièrement difficiles à recruter. C’est le cas des informaticiens en cybersécurité et renseignement ou des ingénieurs dans le domaine de l’armement.
    3. Voir également le rapport de la Cour des comptes (2024), Le budget de l’État en 2023. Résultats et gestion, cité par France stratégie.
    4. DGAFP (2024), Rapport annuel sur l’état de la fonction publique – édition 2024.
    5. Par ailleurs, une démission n’ouvre pas droit au chômage (en code du travail comme au code général de la fonction publique).
    6. SIES (2023), « Projection des effectifs dans l’enseignement supérieur pour les rentrées de 2022 à 2031 », Note d’information du SIES, n° 2023-04, avril (cité dans le rapport de France stratégie).
    7. Ce constat, inquiétant, fait écho au billet de Luc Rouban sur le risque de paupérisation de la fonction publique.
    8. Ce qui peut apparaître très étrange pour nombre d’agents publics, convaincus du caractère essentiel de leurs missions.
    9. Élément également constaté à la direction générale des entreprises.
    10. Ces deux caractéristiques se combinant.
    11. Mais abandonnée depuis.
    12. Il faut toutefois préciser que les métiers de cadres dans la fonction publique d’État (mais également dans les autres fonctions publiques) nécessitent des compétences juridiques. Cela peut-être moins le cas dans les services, où les compétences requises pour l’accès à des fonctions supérieures peuvent être plus larges : commerciales, comptables, managériales…
    13. Le secteur privé est moins égalitaire que la fonction publique s’agissant de l’égalité femmes-hommes.
    14. Économie politique de l’emploi public, Édition Connaissances et Savoirs, Paris, 2006, 362 p.

    Un homme de dos traverse un pont

  • La Direction générale des entreprises (en 5 minutes)

    La Direction générale des entreprises (en 5 minutes)

    Temps de lecture : 5 minutes.

    La Cour des comptes a publié ses observations définitives le 5 décembre 2024 consacrées à la Direction générale des entreprises.

    La direction générale des entreprises est née en 2014 de la fusion de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services. Elle constitue l’administration centrale de référence pour la conception et la mise en œuvre des politiques de soutien aux entreprises et des politiques économiques sectorielles. 

    Malgré son rôle d’impulsion fondamental dans l’accompagnement des entreprises, cette direction des ministères économiques et financiers demeure peu connue. Ces quelques éléments de synthèse permettront, je l’espère, de disposer d’une première image de son activité, de son histoire récente et des agents qui la compose.

    Une direction au service des entreprises

    Selon les termes du décret n° 2009-37 du 12 janvier 2009 modifié, elle :

    « propose, met en œuvre et évalue les actions et les mesures, notamment financières, juridiques et scientifiques, propres à créer, sur le territoire national, un environnement favorable à la création et au développement des entreprises, notamment les petites ou moyennes entreprises et les entreprises de croissance, ainsi qu’au développement de l’industrie, du tourisme, du commerce, de l’artisanat, des services aux entreprises et aux personnes, de l’économie numérique, des communications électroniques et des professions libérales. Elle propose des mesures fiscales dans ces domaines. Elle concourt à la définition, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques de compétitivité, d’innovation, d’accompagnement des mutations économiques, de développement de la compétitivité internationale des entreprises et d’attractivité du territoire français. »

    Les moyens budgétaires à la disposition de la DGE

    Les dépenses de la DGE sont importantes et principalement portés par trois programmes budgétaires :

    • Le programme 134 (P134), « Développement des entreprises et régulations » ;
    • Le programme 192 (P192), « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle » ;
    • Le programme 343 (P343), « Plan France Très haut débit ».

    Au titre du plan de relance, la DGE a également géré de nouveaux programmes :

    • Le programme 362 (P362), « Écologie » (en soutien aux stratégies de transformation énergétique) ;
    • Le programme 363 (P363), « Compétivité » (consacré au secteur spatial, au numérique et à la souveraineté industrielle) ;
    • Le programme 364 (P364), « Cohésion » (petites entreprises, zones rurales…).

    Ces crédits sont désormais en extinction progressive.

    Des crédits budgétaires en recul jusqu’à la pandémie de la COVID 19

    Avant la crise sanitaire, ces programmes étaient en baisse et majoritairement orientés vers le financement des écoles et aides à l’innovation (P192), qui constituait 65 à 75 % des enveloppes gérées.

    Le mouvement de concentration de ces aides à l’innovation vers la mission budgétaire d’investissements d’avenir amplifiait cette tendance baissière.

    Une rupture avec le « quoiqu’il en coûte »

    À la suite de la crise sanitaire de la COVID-19, les crédits gérés par la DGE sont multipliés par six :

    De 1,13 milliard d’euros en 2017 (dont 0,76 milliard sur le P192) à 6,66 milliards d’euros en 2023.

    Outre les effets de la relance budgétaire initiée par le Gouvernement, il convient de noter également un effet de périmètre avec le transfert à la DGE des crédits du programme 193 dédiés à la recherche spatiale à compter de 2021 (en jaune dans le graphique à suivre).

    Une réorganisation profonde à compter de 2018

    En 2018 et 2019, à la prise de fonctions du nouveau directeur général et quelques mois à peine avant la crise sanitaire, la DGE et son réseau régional ont connu une restructuration en profondeur.

    Ces transformations visaient à répondre aux ambitions gouvernementales portées dans la démarche « Action publique 2022 » et aux circulaires du Premier ministre relatives à :

    • La transformation et la réorganisation des administrations centrales (5 juin 2019) et
    • L’organisation territoriale des services publics (24 juillet 2018 et 12 juin 2019).

    Elles ont conduit à diviser par près de deux le nombre d’agents dans le réseau territorial1 et à concentrer les effectifs à l’échelon central.

    Les effets de la réorganisation sur le déploiement des agents

    Les effectifs relevant de la DGE ont baissé d’un tiers de 2018 à 2023. Soit une baisse de 187 équivalents temps pleins travaillés.

    Toutefois, cette baisse n’a pas été uniforme :

    • Les effectifs en administration centrale ont augmenté de 6,1 % (+43,3 ETP),
    • Tandis que les effectifs du réseau territorial diminuaient de 40 %.

    La nouvelle composition de la DGE suite à la réforme

    Les données pour l’année 2019 détaillées par service révèlent l’ampleur de la réorganisation opérée :

    Près des deux tiers des effectifs du SISSE et du service de l’économie numérique ont été renouvelés, un tiers de ceux du service de l’industrie, du SCIDE et du secrétariat général.

    Le remplacement des fonctionnaires de catégories A et B, par des contractuels recrutés au niveau A+

    La moyenne d’âge est passée de 47,9 ans à 40,6 ans ; la part des plus de 50 ans de 52 % à 29 % et celle des contractuels de 22 % à 50 %.

    En parallèle, un repyramidage des postes a été opéré :

    • La part des agents titulaires et contractuels de catégorie A + représente désormais 38,7 % des effectifs, contre 23,5 % en 2018 ;
    • Celle des agents de catégorie A est toutefois en régression à : 49,4 %, contre 52 % en 2018.

    Les catégories A et A + regroupent ainsi 88 % des agents en 2023 contre 76 % en 2018.

    « La forte hausse du nombre d’agents A+ résulte des modalités de recrutement des agents contractuels, dont la majorité sont recrutés sous ce statut qui leur garantit l’accès à un indice majoré plus élevé, à même de rendre leur rémunération plus attractive. »

    Pour aller plus loin : Les hauts fonctionnaires des ministères économiques et financiers.

    Du point de vue structurel : une bascule des effectifs vers le soutien au numérique

    Certaines missions ont été abandonnées ou transférées :

    • L’Agence du numérique a ainsi été transférée à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT),
    • La sous-direction de l’animation territoriale, de l’Europe et de l’International a été supprimée, ces missions étant redistribuées (et le cas échéant ajustées) ou arrêtées.

    L’objectif de ces reconfigurations étant de renforcer les effectifs des services jugés prioritaires :

    • L’économie numérique, avec un quasi-doublement des ETP ;
    • L’industrie (+ 70,6 % des effectifs) et, dans une moindre mesure), le SISSE (Service de l’information stratégique et de la sécurité économique)é.

    Lorsqu’on regarde en région, les bouleversements sont majeurs :

    Des éléments qui demeurent encore à parfaire, malgré la réorganisation

    Le taux de renouvellement du personnel est élevé, à 25 %. Si, comme le souligne la Cour, cela n’est pas inhabituel pour une direction d’administration centrale, il s’agit d’une critique récurrente de la part des partenaires2.

    Par ailleurs, l’articulation avec les autres directions d’administration centrale demeure perfectible. Notamment avec :

    • La DGEFP sur les politiques de l’emploi et de la formation ;
    • La DG Trésor, pour la publication de travaux de référence en matière économique ;
    • Avec les directions métiers des ministères chargés de l’Environnement (pour les sujets liés à l’énergie, la construction…), l’Agriculture (pour le soutien aux entreprises agroalimentaires) ou encore l’Aviation civile…

    1. Étant considéré, notamment, qu’il ressort des missions des conseils régionaux d’animer les politiques économiques locales.
    2. La mobilité en administration centrale est généralement favorisée après deux ou trois ans en poste. Si bien que les turn-over sont le plus souvent élevés, ce qui contraste en effet avec les longévités rencontrées parmi les dirigeants et salariés d’opérateurs de l’Etat, d’entreprises ou d’associations partenaires, les représentants de branches professionnelles ou de fédérations…
    Vue sur la Seine
  • Les attachés d’administration de l’État : un corps interministériel

    Les attachés d’administration de l’État : un corps interministériel

    Temps de lecture : 6 minutes.

    Un bilan de gestion du corps interministériel des attachés d’administration de l’État a été présenté au Conseil supérieur de la fonction publique de l’État le 13 juillet 2016. Il est disponible sur le site internet d’Acteurs publics1.

    Le décret n° 2011-1317 du 17 octobre 2011 portant statut particulier du corps interministériel des attachés d’administration de l’État est l’acte fondateur de ce nouveau corps.

    Voilà les principaux éléments du bilan ici synthétisés.

    Des vagues d’intégration de 2013 à 2019

    L’intégration en 2013 de treize corps ministériels

    L’article 20 du décret n° 2013-876 du 30 septembre 2013 a eu pour objet principal de procéder à l’intégration, dans le corps interministériel des attachés d’administration de l’État, des membres des treize corps ministériels suivants : 

    • les attachés d’administration des services du Premier ministre,
    • les attachés des Affaires sociales,
    • les attachés de l’Agriculture et de la pêche,
    • les attachés de la Culture et de la communication,
    • les attachés de l’Économie, des Finances et de l’Industrie,
    • les attachés de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur,
    • les attachés de l’Équipement (écologie),
    • les attachés de l’Intérieur et de l’Outre-mer,
    • les attachés des juridictions financières,
    • les attachés de la Justice,
    • les attachés du Conseil d’État et de la Cour nationale du droit d’asile,
    • les attachés de la Caisse des dépôts et consignations,
    • les attachés de l’Office national des forêts.

    Le texte a également fixé les modalités d’adhésion des membres des trois corps en extinction suivants :

    • les conseillers d’administration scolaire et universitaire (CASU),
    • les directeurs de préfecture et
    • les chefs des services administratifs du Conseil d’État.

    L’intégration en 2014 des personnels civils administratifs relevant du ministère des Armées

    Le mouvement s’est poursuivi par l’article 8 du décret n° 2014-1553 du 19 décembre 2014 portant diverses dispositions relatives au corps interministériel des attachés d’administration de l’État, avec l’intégration des membres de deux corps suivants : 

    • les attachés d’administration de la Défense (désormais, les Armées) et
    • les directeurs des services déconcentrés de la Défense.

    L’intégration en 2015 des personnels civils administratifs relevant de l’aviation civile

    En 2015, ont été intégrés dans le corps interministériel, en vertu de l’article 4 du décret n° 2015-1784 du 28 décembre 2015 :

    • les attachés d’administration de l’Aviation civile.

    L’intégration en 2016 des personnels civils administratifs de l’OFPRA.

    Enfin, le décret n° 2016-907 du 1ᵉʳ juillet 2016 portant diverses dispositions relatives au corps interministériel des attachés d’administration de l’État fixe les modalités d’adhésion au corps :

    • des officiers de protection des réfugiés et apatrides de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

    L’intégration, enfin, des secrétaires des affaires étrangères du cadre d’administration

    Cette intégration, postérieure au bilan ici présenté, est intervenue par l’article 51 du décret n° 2019-86 du 8 février 2019 relatif aux instituts régionaux d’administration.

    Un corps interministériel à gestion ministérielle

    Le corps des attachés d’administration de l’État relève du Premier ministre. Toutefois, sa gestion est ministérielle. D’où l’expression « CIGEM » : pour corps interministériel à gestion ministérielle.

    À titre de comparaison :

    • Les administrateurs de l’État (catégorie A, dite A+) appartiennent à un corps interministériel à gestion interministérielle2 ;
    • Les secrétaires administratifs à un corps ministériel (mais commun à l’ensemble des ministères), à gestion ministérielle3.

    La répartition des attachés d’administration par grade

    Compte tenu des rattachements évoqués plus haut, le corps des attachés relève aujourd’hui de seize autorités de rattachement, soit près de 31 500 agents à la date du bilan (2016), répartis dans les trois grades suivants :

    • 18 500 attachés d’administration (11 500 femmes et 7 000 hommes) — environ 60 % du corps ;
    • 11 000 attachés principaux (6 000 femmes et 5 000 hommes) — soit près de 35 % du corps ;
    • Enfin, près de 2 000 attachés hors classe (dont 500 directeurs de services), à parité entre femmes et hommes — soit 5 % du corps.

    Au titre de 2015, l’âge moyen des agents promus attaché principal (examen professionnel et liste d’aptitude) est de 48,1 ans. Âge relativement stable comparativement aux exercices 2013 et 2014, avec respectivement 46,8 et 48,5 ans.

    L’âge moyen des agents promus au grade d’attaché hors classe est lui de 50 ans au titre de 2015. L’échelon spécial est quant à lui accordé en moyenne à 59 ans.

    La répartition des attachés d’administration par ministère

    Deux ministères concentrent plus de la moitié des effectifs

    Le principal recruteur est sans surprise l’Education nationale avec près de 12 000 attachés d’administration, pour un plafond d’emploi (projet de loi de finances pour 2015) de 984 000 équivalents temps pleins (ETP).

    Le second grand vivier d’attachés d’administration est constitué par le ministère de l’Intérieur4 avec près de 5 500 attachés d’administration, pour 284 000 ETP.

    Les 45 % restants se répartissent dans les différents ministères, juridictions et à la Caisse des dépôts et consignations

    Répartition des attachés d’administration dans les autres ministères5 :

    • 2 800 au ministère de l’Ecologie (ex-équipement)6, pour près de 44 400 ETP ;
    • 2 300 au sein des ministères sociaux (travail et santé), pour 20 000 ETP7 ;
    • 2 000 à l’intérieur des ministères économiques et financiers (à mettre en rapport avec les effectifs des douanes ou de l’inspection des finances publiques) pour 146 000 ETP ;
    • 1 600 au ministère des Armées, pour 267 000 ETP ;
    • 1 400 au ministère de l’Agriculture, pour 31 000 ETP ;
    • 1 000 au ministère de la Justice, pour 79 000 ETP ;
    • 800 à la Caisse des dépôts et consignations ;
    • 600 au ministère de la Culture, pour 11 000 ETP ;
    • 500 dans les services du Premier ministre (dont les effectifs des secrétariats généraux affaires régionales) pour près de 10 000 ETP ;
    • 400 dans les juridictions financières (dont les vérificateurs placés auprès des magistrats) ;
    • 160 au Conseil d’État ;
    • 150 à l’Office national des forêts.

    Ce qui saute aux yeux est évidemment la petitesse de leur nombre, au regard de l’ensemble des effectifs desdits ministères.

    Les avantages d’un corps interministériel

    La création d’un corps interministériel visait à faciliter la mobilité et l’attractivité du corps des attachés d’administration.

    En termes opérationnels, la création de ce corps a permis les avancées suivantes :

    • La fin de la pratique du détachement et de la double carrière. Les attachés d’administration peuvent désormais librement passer d’une administration à une autre8 ;
    • L’application d’un taux de promotion pour l’accès au grade d’attaché principal identique pour toutes les autorités de gestion du corps depuis 2015. Ce taux de référence est de 7 % ;
    • Une convergence indemnitaire entre les autorités de gestion (encore imparfaite) ;
    • La création d’un troisième grade d’attaché hors classe et d’un échelon spécial dans le corps interministériel des attachés d’administration de l’État. L’objectif étant de revaloriser la carrière du corps des attachés, de mener une réflexion sur la cartographie des fonctions de catégorie A et d’ouvrir de nouvelles perspectives fonctionnelles pour les attachés principaux les plus confirmés.

    La composition du corps

    Des entrées dans le corps très hétérogènes

    Au titre de 2015, près de 2 000 recrutements ont été réalisés :

    • 600 par la voie des Instituts régionaux d’administration (IRA) ;
    • 100 par la voie de concours directs organisés par les ministères ;
    • 300 par la voie du concours réservé dit « Sauvadet » (pour les contractuels) ;
    • 500 par liste d’aptitude au titre de la promotion interne ;
    • 160 par examen professionnel ;
    • 285 par intégration directe ou détachement.

    Les recrutements réalisés par les IRA sont donc particulièrement faibles, constituant à peine le tiers des entrées.

    Des sorties moins élevées, signe d’un corps en expansion

    En effet, seules 1 200 sorties sont relevées sur l’exercice 2015. Parmi celles-ci, près de 1 000 départs en retraite.

    Le reliquat est constitué de promotions de corps (administrateurs civils, magistrats…), une intégration dans un autre corps (inspecteur des finances publiques…) ou par une sortie de la fonction publique.

    Un corps faisant l’objet d’une mobilité ministérielle et interministérielle

    Près de 2 000 mobilités annuelles au sein de l’autorité de gestion sont enregistrées chaque année (changement de service ou d’établissement), pour environ 500 mobilités en dehors de l’autorité de gestion (mobilité interministérielle). Soit un taux de mobilité d’environ 8 %.

    1. A ma connaissance, les autres bilans de gestion n’ont pas été rendus publics, ce qui interroge sur la transparence dans la gestion des effectifs. Ces bilans sont prévus à l’article 7 du décret n° 2011-1317 du 17 octobre 2011.
    2. Article 1 du décret n° 2021-1550 du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrateurs de l’Etat.
    3. Article 4 du décret n° 2010-302 du 19 mars 2010 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux corps des secrétaires administratifs des administrations de l’Etat et à certains corps analogues relevant du décret n° 2009-1388 du 11 novembre 2009 portant dispositions statutaires communes à divers corps de fonctionnaires de la catégorie B de la fonction publique de l’Etat.
    4. Dont l’Outre-mer.
    5. Nous ne disposons pas du nombre d’attachés pour les affaires étrangères, près de 17 000 ETP au titre de 2006, mais les effectifs d’attachés y sont également très modestes.
    6. Dont l’aménagement du territoire.
    7. Comparativement aux autres ministères, il s’agit donc du périmètre le plus « intensif » en attachés d’administration.
    8. Les attachés étant en « position normale d’activité ». Ce qui n’est donc toujours pas le cas des secrétaires administratifs évoqués plus haut.
  • Les Spécificités du Corps des Administrateurs de l’État (et des Attachés d’Administration)

    Les Spécificités du Corps des Administrateurs de l’État (et des Attachés d’Administration)

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Jean-Michel Eymeri est l’auteur de nombreux ouvrages, en particulier sur la haute fonction publique et la scolarité à l’École nationale d’administration (« ENA »), désormais remplacée par l’Institut national du service public (dit, « INSP »).

    Dans l’ouvrage Science politique et interdisciplinarité (2002) sous la direction de Lucien Sfez, M. Eymeri revient sur ses « trouvailles » relatives à l’étude des administrateurs civils1. En voici quelques-unes avec des commentaires.

    La Hiérarchie entre le Concours Externe et les Autres Concours : Interne et Troisième Concours

    « Lorsque l’on travaille à l’ENA, on découvre qu’il n’existe nulle part dans cette maison une liste des élèves et anciens élèves ventilée par origine de concours. Tout le monde la connaît bien sûr pour les deux promotions en cours de scolarité, mais ensuite la mémoire en est comme par hasard perdue2. Du coup, il est impossible d’établir le tableau statistique si simple consistant à mettre en rapport l’origine de concours d’entrée et le corps de sortie. Il m’a fallu un mois et demi de travail d’archives et d’inavouables complicités pour constituer cette liste des 5 106 élèves sortis de l’ENA depuis 1945 répartis par origine de concours. »

    Les résultats sont explicites :

    • 8,6 % d’internes à l’Inspection générale des Finances ;
    • 14,9 % à la Cour des comptes ;
    • 24 %dans la diplomatie ;
    • 41 % à l’Inspection générale des affaires sociales ;
    • 44,3 % dans le corps des administrateurs civils ;
    • 62 % parmi les conseillers de tribunaux administratifs et
    • 79 % pour les Chambres régionales des comptes.

     « C’est précisément la hiérarchie de prestige des corps et l’ordre dans lequel ils sont choisis en fonction du rang de sortie. Le constat se passe de commentaire. »

    Source : Pexels, Pixabay
    Source : Pexels, Pixabay

    Il convient de préciser que ce constat est identique pour les autres concours, comme celui des instituts régionaux d’administration (IRA)3.

    Les élèves des IRA issus du concours externe sont nettement plus nombreux à être affectés en administration centrale (univers jugé plus prestigieux) qu’en administration déconcentrée et à plus forte raison en administration scolaire et universitaire. C’est l’inverse pour les élèves issus du concours interne.

    En précisant que le phénomène est plus complexe qu’il n’y parait puisque pour le concours d’attaché d’administration, régulièrement, l’intégralité des places au concours interne ne sont pas pourvues.

    Il existe donc, en moyenne, un différentiel de compétences et connaissances entre les sorties d’écoles et les candidats fonctionnaires ; au profit des premiers.

    L’Absence de Réflexion sur les Autres Modes d’Accès aux Corps de l’INSP (ex-ENA)

    Ce qui est aussi étonnant, notamment de la part d’un grand spécialiste de la fonction publique comme M. Eymeri, est l’absence de réflexion sur le tour extérieur des administrateurs de l’État (ex administrateurs civils).

    Le tour extérieur présente quasiment autant de candidatures que le concours interne, mais à la différence du concours interne, l’ensemble des candidats se présentent effectivement aux épreuves. Autrement dit, le vivier y est nettement plus important4.

    Ainsi, pour 2024, le tour extérieur proposait presque quatre fois plus de place que le concours interne de l’INSP :

    • 525 candidats ont candidatés au tour extérieur, 214 ont été auditionnés par le comité de sélection, pour 76 lauréats ;
    • Tandis qu’au concours interne de l’INSP, 548 agents publics se sont inscrits, mais seuls 297 candidats sont allés au bout des épreuves écrites. 48 ont été déclarés admissibles et 22 admis.

    Le Système du Classement de Sortie de l’ENA est Injuste

    L’auteur qualifie ce classement d’ « énorme mécanique », avec dix-sept épreuves aux notes et aux coefficients différents représentant (alors) un total théoriquement atteignable de 1 000 points.

    Or, l’auteur constate tout d’abord une forte homogénéité dans les notations des épreuves écrites sur la centaine d’élèves d’une promotion. Selon lui, soixante-dix élèves se tiennent à l’issue des notations à un ou deux points les uns des autres. Il dénombre même une quarantaine d’ex aequo.

    « Ramené à une moyenne générale sur vingt, cela représente 0,02 point d’écart entre les gens, ce qui n’a proprement aucun sens. »

    Deux notes vont finalement se révéler véritablement discriminantes :

    • La note de stages, qui représente 20 % du total de points et qui est évidemment tout sauf une épreuve anonyme. Une différence d’un point représente un différentiel de vingt points, soit quinze à vingt places selon l’auteur.
    • L’oral de langues vivantes, où un point sur dix en représente sept au classement final. L’auteur y décèle l’une des sources les plus évidentes d’inégalités en raison de l’origine sociale5.

    À l’évidence, la réforme du mode d’affectation de l’INSP a donc été une bonne chose. Ce constat vaut désormais pour le passé6.

    Cependant, dans la sphère de la fonction publique d’État7, le classement de sortie demeure la règle pour les agents publics. Sans doute avec moins de conséquences sur la carrière que celui pratiqué autrefois par l’ENA.

    La Spécificité du Corps des Administrateurs Civils (et des Attachés d’Administration de l’État…)

    Pour l’auteur, les administrateurs civils (désormais « administrateurs de l’État ») sont un corps en termes juridiques, mais ils ne constituent pas un ensemble qui fait corps au sens sociologique :

    • Ni sentiment subjectif d’appartenance (solidarité ou « esprit de corps ») ;
    • Ni homologie des conditions matérielles d’existence ;
    • Ni représentants ou chefs de corps qui le feraient exister en le représentant ;
    • Ni action collective.

    Voilà un corps qui ne fait pas corps.

    A mon sens, c’est ici le caractère interministériel qui pose davantage question. Ce qui implique une forte diversité dans les missions poursuivies, les fonctions exercées et les ministères d’affectation (sans évoquer les opérateurs et organismes satellites).

    Là encore, le corps des administrateurs civils partage ces spécificités avec celles des attachés d’administration : couteaux suisses de l’administration, souvent isolés dans des ministères très techniques face aux « corps maisons » : inspecteurs, ingénieurs, techniciens, professeurs, magistrats, militaires, policiers et gendarmes, professions de santé…

    Il convient toutefois de nuancer ce constat s’agissant des administrateurs. Le corps dispose d’une association d’anciens élèves de l’INSP puissante8 et a bénéficié d’une très forte revalorisation indiciaire à l’occasion de la disparition des grands corps (voir l’article sur les rémunérations dans la haute fonction publique).

    Sur le Quotidien du Travail en Administration Centrale

    L’auteur est tout d’abord frappé par le fait que l’expertise se trouve à la base et que l’échelon de chef de bureau est bien souvent le dernier à maîtriser le fond des dossiers.

    Au-dessus, du sous-directeur jusqu’au cabinet, les acteurs se situent dans le « méta », la coordination, l’animation, le commentaire, la négociation, l’arbitrage, le marketing pour vendre telle idée aux partenaires extérieurs et au ministre…

    Un autre point-clé, ignoré de l’extérieur, est le petit nombre de hauts fonctionnaires en charge de secteurs économiques ou juridiques aux enjeux pourtant considérables :

    « Bien souvent, une sous-direction, c’est-à-dire quatre à six énarques9, plus le double ou le triple de cadres A, gèrent un secteur économique entier. Par exemple, l’interface au sein de l’État de tout l’univers des assurances est assumé par une sous-direction au Trésor. Quant au secteur autoroutier, c’est un bureau à la Direction des routes à l’Équipement. »

    Le phénomène est identique dans l’ensemble des ministères. Pour prendre l’exemple des affaires sociales : il suffit de se munir d’un organigramme et d’identifier qui est en charge de la Caisse nationale des allocations familiales, du financement de l’autonomie des personnes âgées, de l’indemnisation des chômeurs, du financement des retraites, de l’organisation du système de soins et de santé sur telle ou telle thématique…

    « C’est là un phénomène saisissant quand on devient un familier de la machine étatique10. »

    Source : Pexels, Rickyrecap
    Source : Pexels, Rickyrecap

    On est aussi frappé par les graves carences de la mémoire administrative :

    « L’État, cette institution en charge de la continuité historique, a très mauvaise mémoire. Le turn over trop rapide des énarques sur les postes (trois à quatre ans en moyenne11) y est pour beaucoup, à la différence des hauts fonctionnaires allemands qui restent dix à quinze ans dans le même poste. Du coup, les énarques passent leur temps à refaire des notes rédigées par leurs prédécesseurs, à réinventer des solutions homologues à des problèmes similaires voire, ce qui n’est pas rare, des solutions identiques aux mêmes problèmes : cette dialectique du même et de l’autre est particulièrement intéressante. Ce que l’on appelle la « continuité de l’État » semble ainsi résider moins qu’on l’imagine dans une mémoire conservée que dans la continuité des enjeux à traiter et dans la continuité interpersonnelle des schèmes incorporés que les hommes de l’État appliquent à ces enjeux. »

    Source : Pexels, Pixabay
    Source : Pexels, Pixabay

    L’auteur observe également le rôle spécifique des hauts fonctionnaires dans le travail d’administration centrale, à savoir celui de traducteur :

    « Le rôle collectif des énarques des services consiste à mettre en forme les enjeux et les solutions techniques dans des catégories suffisamment générales, simples et politiques pour être compréhensibles par le ministre et son cabinet, et au-delà les journalistes et autres faiseurs d’opinion. En sens inverse, ils traduisent en mesures et en dispositifs concrets les discours et les orientations générales du politique. »

    La Posture du Haut Fonctionnaire en Administration Centrale : Neutralité et Loyauté au Service d’une Nouvelle Forme d’Engagement ?

    L’auteur constate enfin une redéfinition du caractère concret de la loyauté des administrateurs envers le politique.

    « En résumé, du modèle classiquement weberien de la loyauté comme neutralité, on est en pratique passé à une définition de la loyauté comme devoir d’engagement12. »

    Cet engagement implique que le haut-fonctionnaire ne se limite pas à proposer des solutions au cabinet du ministre, il émet des préconisations et il essaie de démontrer en quoi celles-ci permettraient de concrétiser un souhait ou une ambition gouvernementale.

    « Dans une machine bureaucratique qui fonctionne au blocage et à la non-décision, si les intéressés ne s’investissent pas dans les dossiers dont ils ont la charge au point d’en faire une affaire personnelle, les dossiers « s’encarafent » et n’aboutissent pas. »

    1. Chapitre intitulé « Les gardiens de l’Etat. Une sociologie des énarques de ministère », pages 161-164, notamment disponible sur OpenEdition Books : https://books.openedition.org/psorbonne/80432
    2. Ce n’est pas tellement un hasard, mais plutôt un principe. Le lauréat du concours, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, devient un « énarque ».
    3. Voir ici les travaux d’Olivier Quéré.
    4. Il est également, structurellement, très différent : les lauréats du concours interne sont en général nettement plus jeunes que ceux issus du tour extérieur qui constitue plutôt la sanction d’un parcours déjà réussi, marqué par l’accès à des positions supérieures.
    5. Ce point constitue de faire débat. En témoigne par exemple la demande formulée par le président du jury aux concours de l’INSP pour 2024 de « modifier radicalement l’épreuve d’anglais » qui constitue une note éliminatoire. « Plusieurs candidats remarquables, qui avaient fait forte impression aux jurys, ont été éliminés pour cette seule et unique raison. Je considère, comme la totalité du jury du concours 2024 que cette situation est absolument inacceptable. »
    6. Le dernier classement de sortie est celui de la promotion Germaine Tillion (2021-2022)… annulé par une décision du Conseil d’État du 12 avril 2024.
    7. Ce qui exclut donc l’École nationale de la magistrature (ENM), l’Institut national des études territoriales (INET) ou l’École des hautes études en santé publique (EHESP).
    8. L’association « Servir » : https://www.serviralumni.com/fr/page/association
    9. Cette proportion est celle des ministères économiques ou financiers, de l’Intérieur ou des Affaires étrangères. L’encadrement par les énarques est plus léger dans les directions techniques, voire parfois très rare.
    10. Et c’est l’un des grands facteurs d’attractivité de la fonction publique, notamment en administration centrale : concevoir un projet de loi avec le cabinet ministériel, défendre ce projet de loi ministériel devant les services du Premier ministre, puis le Conseil d’Etat et enfin le Parlement. Être en interface avec des fédérations de professionnels, publics ou privés. Parler systématiquement en dizaines de millions ou en dizaine de milliards d’euros. Concevoir des stratégies de politiques publiques engageant la collectivité sur dix à vingt ans, parfois davantage. Voilà des éléments pouvant passionner n’importe quel individu intéressé par les politiques publiques.
    11. Souvent moins, avec une durée sur les premiers postes de parfois tout juste deux ans. A ce propos, un livre intéressant est celui de Pierre Fournier, Quarante ans place Fontenoy, sur l’expérience d’un ancien rédacteur confronté à l’apparition des énarques et à cette nouvelle gestion des ressources humaines. Il convient de mentionner que le recours aux contractuels augmente cette volatilité, y compris chez les cadres A.
    12. Cette neutralité dans l’engagement est aussi associée au système anglais, où le haut fonctionnaire est réputé travailler indifféremment de la majorité ministérielle.