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  • Les cabinets ministériels

    Les cabinets ministériels

    Temps de lecture : 9 minutes.

    Pour des analyses socio-politiques, voir notamment le n° 168 de la Revue française d’administration publique.

    Pour les chiffres, consultez le Jaune budgétaire dédié aux cabinets ministériels.

    L’Importance du Moment de Nomination

    Louis Marin, ministre des pensions
    Louis Marin, ministre des pensions

    Christian Vigouroux1, distingue deux types de cabinets ministériels :

    • Le « cabinet neuf » ;
    • Le « cabinet de remplacement ».

    Le « cabinet neuf » est constitué au moment de la formation du gouvernement, au début du quinquennat présidentiel ou d’une période de cohabitation.

    Ce cabinet est fort et est constitué le plus souvent de personnes d’expérience. Il s’agit à l’évidence d’un cabinet prisé, les places étant particulièrement convoitées2.

    Le « cabinet de remplacement », plus fréquent, est celui constitué au fil de l’eau, suite aux départs et remplacements. On pourrait aussi y intégrer les nouveaux gouvernements en cours de quinquennat, dont la force transformatrice est le plus souvent émoussée.

    Les Fonctions Exercées au Sein d’un Cabinet Ministériel

    Le Directeur de Cabinet

    Cheneaux de Leyritz, directeur de cabinet
    Cheneaux de Leyritz, directeur de cabinet

    La première décision d’un ministre est de choisir son directeur de cabinet et à la moindre ambiguïté, celui-ci est congédié.

    Symboliquement, son bureau jouxte celui du ministre avec qui il doit travailler en harmonie.

    Le directeur de cabinet est, en effet, l’interlocuteur principal du ministre. La distance entre lui et son ministre doit être la plus faible possible.

    Les Missions d’un Directeur de Cabinet

    Le directeur de cabinet du ministre est le personnage clé du cabinet, il assume des fonctions particulièrement importantes :

    • Management du cabinet : il recrute, congédie et anime l’équipe de conseillers ;
    • Conseil auprès du ministre : il fait remonter les dossiers sensibles, anticipe les risques, s’assure de l’exécution des décisions et conseil le ministre sur les aspects techniques et politiques des affaires présentées ;
    • Représentation du ministre et suivi des arbitrages : il représente régulièrement le ministre auprès de l’administration, s’assure de l’exécution des décisions, arbitre, négocie avec les autres ministères, s’entretient avec les représentants d’intérêts…

    Le directeur de cabinet est le chef d’orchestre du travail administratif ministériel. À cet égard, pour l’administration, il est souvent plus important que le ministre.

    Le Choix du Directeur de Cabinet

    Le nouveau ministre peut être confronté à trois situations :

    • Il s’agit d’un ministre faible et il ne dispose pas du choix du directeur de cabinet ou tarde à le choisir, la décision revient alors au Premier ministre, voire au président de la République. C’est évidemment la pire des situations3 ;
    • Il s’agit d’un ministre avec une capacité de choix, mais peu d’entregent administratif. La pratique consiste alors à solliciter des noms, auprès des directeurs d’administration centrale sous son autorité, de personnalités du secteur ou auprès de personnes politiques expérimentées4.
    • Il s’agit d’un ministre fort et expérimenté, auquel cas, il sait avant même d’être nommé qui sera son directeur de cabinet, et l’intéressé aussi.

    Contrairement aux représentations de la fonction de ministre par le grand public, il est très facile de se retrouver spectateur de son propre mandat.

    Le ministre qui ne choisit pas, ou qui choisit mal son directeur de cabinet peut être dépassé par le rythme des visites ministérielles, la nécessité d’être présent aux réunions gouvernementales, au Conseil des ministres et au Parlement.

    Un bon ministre doit savoir identifier rapidement la personnalité qui lui conviendra pour porter sa vision et influer concrètement sur le quotidien des administrations et des opérateurs relevant de ses attributions5.

    Le Profil du Directeur de Cabinet

    Le directeur de cabinet est presque toujours un fonctionnaire, qui plus est expérimenté6. Prendre un directeur de cabinet extérieur à l’administration constitue, en effet, un risque7, qui plus est dans les très gros ministères comme ceux de l’Intérieur ou de l’Économie et des finances.

    Une nomination extérieure à l’administration peut aussi être vue comme une forme de défiance, voire de défi. Je n’ose imaginer la difficulté que constituerait, pour le membre d’un comité de direction d’une grande entreprise (et recruté comme tel), l’exercice d’une fonction de directeur de cabinet du ministère de la Justice ou de l’Éducation nationale.

    La pratique consiste plutôt à repérer un haut fonctionnaire influent et qui, par son parcours8, a exercé des fonctions importantes au sein du ministère considéré.

    Cette influence et ce parcours sont censés offrir au ministre un réseau et une connaissance des personnes à même de faire avancer ses dossiers :

    • Au ministère de l’Intérieur, il s’agira plutôt d’un préfet ;
    • Au ministère Économique et financier, un inspecteur général des finances ou un ancien chef de service ou directeur d’administration centrale ;
    • Au ministère du Travail, un inspecteur général des affaires sociales ;
    • Aux Affaires étrangères, un ambassadeur ;
    • Au ministère des Armées, un militaire.

    L’Adjoint au Directeur de Cabinet

    Il n’existe pas ici de fonction type d’adjoint au directeur de cabinet. Le plus souvent, il s’agit d’une forme de nomination honorifique, tout en permettant au directeur de cabinet de disposer d’un relais managérial et stratégique au besoin.

    Bref, cette fonction dépend des personnes et des moments, elle n’en est pas moins quasi systématique.

    Le Chef de Cabinet

    Le chef de cabinet est le « chef de la maison ministérielle », il conduit l’emploi du temps du ministre jusque dans les détails les plus intimes. Il organise, anime et accompagne le ministre à chacun de ses déplacements9

    La fonction est opérationnelle et logistique, le chef de cabinet :

    • Anime l’équipe de chauffeurs, l’équipe de sécurité, les cuisiniers, les intendants ;
    • Organise les déplacements : temps de trajet, événements, acteurs à rencontrer et la coordination des discours ;
    • Encadre toute la logistique du ministre, y compris des temps privés.

    Compte tenu de cette proximité avec le ministre, la discrétion et le dévouement sont évidemment essentiels. À la différence du directeur de cabinet, le chef de cabinet n’intervient pas dans les décisions politiques. Par ailleurs, lorsqu’il est fonctionnaire, il s’agit plus souvent d’un attaché d’administration de l’État10.

    Le Conseiller Spécial

    Certains ministres apprécient la présence d’un conseiller spécial. Celui-ci est un proche du ministre auprès de qui il peut échanger de manière plus libre.

    Cette fonction permet aussi au ministre de disposer d’un relais loyal et fiable au sein de son cabinet, il renforce d’autant son emprise politique et sa maitrise des dossiers.

    Les Autres Membres du Cabinet

    Il existe, outre le directeur de cabinet et le chef de cabinet, des fonctions inévitables :

    • Un conseiller budgétaire11,
    • Un conseiller en communication,
    • Un conseiller parlementaire et un conseiller politique (parfois la même personne).

    Ces fonctions ne sont pas propres aux ministres. Elles se retrouvent dans tous les exécutifs publics d’importance (collectivités locales ou établissements publics) et dans les grandes entreprises : le conseiller parlementaire et politique étant un conseiller en relations publiques.

    Les conseillers restants doivent donc coordonner l’activité ministérielle, par grandes thématiques.

    Par exemple, au ministère chargé de la Fonction publique, compte tenu d’un portefeuille le plus souvent élargi à la modernisation de l’action publique, il n’existe souvent qu’un seul conseiller dédié à la fonction publique.

    Le Nombre de Membres des Cabinets Ministériels

    Depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, un mouvement assumé de limitation du nombre de membres des cabinets ministériels a été initié12.

    L’objectif étant de recentrer les cabinets ministériels dans l’orientation politique en laissant aux administrations le soin de l’exécution technique.

    La tendance à la limitation des cabinets ministériels a abouti à la création de cabinets au niveau des directions d’administration centrale et à la création d’instances nouvelles13 ou de secrétariat d’État. Paradoxalement, la diminution du nombre de conseillers, peut donc être aussi un facteur de complexification.

    Il n’en reste pas moins un nombre relativement élevé de collaborateurs gouvernementaux. Au titre de 2024 :

    • près de 500 membres de cabinet et
    • 2 200 personnels supports.
    Jaune budgétaire 2025
    Jaune budgétaire 2025

    La spécificité de Matignon et des Services du Président de la République

    Les Services du Premier Ministre

    Matignon est un monde en soi où il existe des « pôles » :

    • Éducation nationale et Enseignement supérieur ;
    • Justice ;
    • Intérieur ;
    • Social ;
    • Économique ;
    • Comptes publics ;
    • Diplomatique ;
    • Culture ;
    • Outre-mer ;
    • Environnement, Énergie, Transport, Logement ;
    • Agriculture…

    Concrètement, le cabinet du Premier ministre s’appuie sur une double machinerie :

    • Le Secrétariat général du gouvernement (SGG), véritable direction juridique centralisée du gouvernement, dédié au suivi technique des arbitrages gouvernementaux et
    • Les conseillers politiques des différents pôles précités : chaque chef de pôle étant accompagné de deux à cinq conseillers et éventuellement d’un chargé de mission.

    Au total, le SGG compte environ une centaine d’agents dont une trentaine de chargés de mission chargés du suivi des différentes politiques ministérielles14 ; tandis que le Premier ministre dispose de cinquante à soixante conseillers ou chefs de pôle.

    Compte tenu de la taille des effectifs, les liens qu’entretiennent le Premier ministre et le directeur de cabinet avec les conseillers sont nécessairement plus lâches.

    Léon Blum, l’inventeur du SGG
    Léon Blum, l’inventeur du SGG

    Les Services du Président de la République

    Outre l’État-major particulier du Président de la République, le chef de l’État peut s’appuyer sur des conseillers, également organisés en pôles.

    On y trouve, un pôle :

    • Régalien ;
    • Diplomatique ;
    • Social ;
    • Économique ;
    • Écologique, agriculture, énergie, transport, logement.

    À la différence du Premier ministre, certains pôles sont particulièrement fournis. Il en est ainsi pour le pôle diplomatique, et de manière transversale, pour la communication.

    À titre exceptionnel dans l’histoire de la Ve République, des conseillers communs ont même existé en 2017 entre MM. Edouard Philippe et Emmanuel Macron. Cette pratique n’a pas été renouvelée.

    La Diversité des Cabinets Ministériels

    Comme énoncé plus haut, l’État comporte des pôles avec des spécificités très marquées, dans le langage, les habitudes de travail, les lieux.

    Les « sociaux » se distinguent nettement des « militaires », qui se distinguent des « comptes », qui se distinguent des « diplo ».

    Le Cabinet Briand, en 1921
    Le Cabinet Briand, en 1921

    Ce faisant, certains cabinets présentent une ouverture au secteur privé spécifique. En premier lieu, le ministre chargé des petites et moyennes entreprises (lorsqu’il existe) et plus généralement le ministère du Travail.

    À l’inverse, certains cabinets sont les chasses gardées de personnels étatiques, et parfois de corps spécifiques. Il en est ainsi des Armées, de l’Intérieur, de l’Economie, du Budget et dans une moindre mesure de l’Environnement15.

    Au global, près de la moitié des collaborateurs sont sur contrat, le plus souvent issus du secteur privé.

    Jaune budgétaire 2025
    Jaune budgétaire 2025

    Il existe également des différences dans l’âge de recrutement, outre le fait que le directeur de cabinet est le confirmé, les conseillers ministériels sont en général jeunes, voire très jeunes16.

    Par ailleurs, certains emplois ont un recrutement à la mesure de leur spécificité :

    • Le chef de cabinet est souvent jeune et dispose, de préférence, d’une expérience politique17 ;
    • Le conseiller parlementaire se recrute en majorité parmi les collaborateurs parlementaires ;
    • Enfin, le conseiller en communication, qui est plus souvent une femme, provient fréquemment du monde entrepreneurial et plus précisément de l’univers du conseil. 

    Bonus : la Classification de Guy Carcassonne

    Dans un article de la revue Pouvoirs, Guy Carcassonne esquisse une typologie des cabinets et membres de cabinets :

    • « Les copains » : Ce qui se rapproche des conseillers spéciaux évoqués plus haut, entendu comme des proches du ministre. Carcassonne évoque ici un « avatar du scootisme » ;
    • « Les enfants » : Des conseillers techniques, très jeunes, en présence d’un ministre et d’un directeur de cabinet plus expérimenté. « Lorsqu’elle est réussie, cette combinaison donne d’excellents résultats. »
    • « Les valets » : Les recrutements sont réalisés par le directeur de cabinet seul, le ministre ne souhaitant pas s’investir dans la conduite du cabinet. Disposant de peu d’autonomie, ces conseillers exécutent. Si dans certains ministères très politiques ce mode de fonctionnement peut présenter quelques avantages, il est le plus souvent très dommageable.
    • « Les lieutenants » : Le ministre prend une part active au choix des conseillers, laissant au directeur de cabinet l’animation quotidienne. Le ministre délégue une part de ses prérogatives aux conseillers et se rend accessible à leurs suggestions. À l’évidence, il s’agit du modèle idéal selon Carcassonne.
    1. Ancien président de section au Conseil d’État, directeur de cabinet de plusieurs ministres : Enseignement supérieur, Justice, Intérieur, Emploi et Solidarité.
    2. En supposant toutefois une compatibilité des idées politiques entre le ministre et les éventuels membres de cabinet.
    3. Le directeur de cabinet dispose alors d’une légitimité lui octroyant une forme d’autonomie avec le ministre et de relais lui permettant de faire prévaloir son orientation auprès du Premier ministre ou du Chef de l’État.
    4. Un ministre d’un parti politique peut ainsi solliciter son ainé ayant occupé il y a peu la fonction.
    5. Sur les attributions des ministres, vous pouvez vous référer à cet article relatif aux directions d’administration centrale.
    6. C’est même, très souvent, le professionnel le plus expérimenté du cabinet.
    7. Risque qui semble par ailleurs plutôt inutile. Le travail administratif est, somme toute, très différent du travail d’un manager du secteur privé.
    8. Voire son corps d’appartenance (conseiller d’État, Inspecteur général, ambassadeur, magistrat…).
    9. Le directeur de cabinet demeurant à Paris, sauf pour les déplacements les plus importants.
    10. Le directeur de cabinet, hormis les cas où il est issu du secteur privé, est systématiquement un haut fonctionnaire. Les conseillers ministériels sont aussi majoritairement des hauts fonctionnaires, des collaborateurs d’élus ou des salariés du secteur privé.
    11. Il peut y avoir des cabinets sans conseiller budgétaire, mais on frise alors l’amateurisme.
    12. Conformément au décret 2024-23 du 17 janvier 2024, un ministre de plein exercice peut disposer de quinze membres de cabinet et un ministre délégué auprès du Premier ministre de onze membres.
    13. Par exemple, la création de hauts commissaires, dont la réapparition est également une des singularités de ces dernières années.
    14. Ces politiques ministérielles rejoignent les pôles précités, mais pas entièrement. Le SGG comporte moins de thématiques que le cabinet politique. La pratique est qu’un chargé de mission, de catégorie A+, est accompagné par un chargé de mission adjoint, généralement un attaché principal d’administration de l’État.
    15. Logement, Énergie, Transport.
    16. Notamment pour les conseillers budgétaires, souvent issus de la direction du Budget, avec une expérience d’un ou deux postes de chef de bureau.
    17. Auprès d’un député ou d’un exécutif local notamment.
  • « Fonctionnaire moyen », par Bernard Letondu (2009)

    « Fonctionnaire moyen », par Bernard Letondu (2009)

    Temps de lecture : 11 minutes.

    Le premier livre (à ma connaissance) d’un attaché d’administration sur les attachés d’administration.

    Ce petit livre, assez peu connu, tient son intérêt dans la représentation du vécu d’un attaché d’administration dans les 1970 à 1980. L’auteur étant affecté à la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), rue Oudinot1.

    Si l’auteur décrit assez peu son travail, il s’attarde longuement sur l’injustice de sa situation : être attaché d’administration de l’État, faute d’avoir réussi le concours d’entrée à l’École nationale d’administration (ENA). Sa verve sur ce concours et cette école (et sur ses collègues et supérieurs, qu’il méprise) n’en est que plus grande. Un personnage se dessine : proche de celui de l’Araigne de Michel Troyat, les sœurs en moins.

    Bien que dispensable, cet ouvrage éclaire l’une des singularités des attachés d’administration, et plus particulièrement ceux d’administration centrale :

    L’attaché d’administration centrale est celui qui partage son espace de travail avec des individus particuliers : les énarques.

    Un Échec Fondateur au Concours de l’ENA

    Source : Pexels, Antoine Conotte
    Source : Pexels, Antoine Conotte

    Après quelques éléments biographiques, l’auteur en arrive au bouleversement fondamental de son existence professionnelle : son échec à l’École nationale d’administration (ENA).

    De cet échec, il en tire quelques jugements lapidaires :

    « Dans l’administration (…) tout parait joué d’avance. »

    Plusieurs récriminations s’ensuivent, alimentées par un sentiment d’injustice, induisant une forme de frustration agressive :

    « Il aurait été impensable de tutoyer les énarques, bien qu’ils aient le même âge que moi. J’avais un peu l’impression que doivent avoir les salariés d’une petite entreprise familiale, dans le secteur privé. Ceux qui ne font pas partie de la famille des dirigeants, quelles que soient leurs compétences et leurs qualifications, seront toujours bloqués dans leur carrière, et cantonnés dans les tâches subalternes. »

    Une Critique du Système de Concours et de Carrière

    Élément assez étonnant pour un fonctionnaire, qui plus est affecté à la Direction générale de la fonction publique (DGAFP), l’auteur se fait particulièrement critique sur le système de carrière, qu’il juge déconnecté des besoins de l’administration.

    « Dans l’administration comme dans l’armée, on ne cherche pas du tout à utiliser la formation qu’ont pu acquérir les agents avant leur recrutement. Seuls comptent le statut et le grade. »

    « On commence par vous recruter et après, on réfléchit à ce qu’on va faire de vous. »

    Puis, plus loin, dans une remarque, une fois encore, tout en sous-entendus et inspirée par un rejet du système de carrière2 :

    « Lorsqu’on a été conditionné par des années d’études, on a tendance à croire qu’il faut s’adapter au profil du poste offert, alors que ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui savent adapter le poste à leur propre profil. »

    Toutefois, le propos est tellement teinté de ressentiment qu’on peine à y discerner une structuration correctement argumentée3. L’auteur semble plutôt chercher, par l’ironie et le dédain, à marquer sa supériorité vis-à-vis du système.

    La Description de l’Administration « Par le Petit Trou de la Serrure »

    Une Révélation des Hiérarchies Ministérielles

    Arrivé dans une direction dépendant alors du Premier ministre (la DGAFP), pourtant jugée prestigieuse, l’auteur se voit reproché son affectation.

    Parmi ces nouveaux collègues, quelques-uns lui conseillent ainsi de partir au plus vite pour choisir la direction générale de l’aviation civile ou la Caisse des dépôts et des consignations, deux administrations qui, encore aujourd’hui, sont réputées pour leurs rémunérations généreuses.

    « Le fonctionnaire n’est jamais satisfait d’être là où il est. Il est toujours persuadé que sa situation serait plus enviable ailleurs. »

    Source : Pexels, Ann H
    Source : Pexels, Ann H

    Des Hiérarchies Toujours Marquées

    Encore aujourd’hui, et particulièrement pour les affectations interministérielles (administrateurs de l’État et attachés d’administration de l’État), cette hiérarchie demeure :

    • Les ministères économiques et financiers qui comptent plusieurs directions particulièrement prestigieuses :
      • la direction générale du Trésor,
      • la direction du Budget,
      • la direction des affaires juridiques et désormais4
      • la direction générale de l’administration et de la fonction publique ;
    • Le ministère de l’Intérieur, parce qu’il permet d’accéder à des fonctions préfectorales (très recherchées par certains fonctionnaires) et qu’il compte également des directions emblématiques :
      • la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, évidemment…
      • la direction générale des collectivités locales,
      • les directions « sécurité » :
        • la direction généralise de la sécurité intérieure,
        • les directions générales de la gendarmerie nationale et de la police nationale,
        • la direction générale de la sécurité civile et des crises ;
    • Le ministère des Affaires étrangères, sans qu’il soit besoin d’expliquer longtemps d’où vient cette passion chez certains candidats…
      • la direction générale de la mondialisation,
      • la direction générale des affaires politiques et de sécurité ;
    • Enfin, la Caisse des dépôts et des consignations : pour ses rémunérations, son organisation proche du secteur privé et son réseau territorial, particulièrement recherché (Angers, Bordeaux…) ;
    • La direction générale de l’aviation civile : pour ses rémunérations, par passion pour les politiques publiques poursuivies.

    Des Hiérarchies au Sein des Directions

    L’auteur évoque sur de nombreuses lignes l’un des instruments de clivage les plus évidents et marqués : le mobilier de bureau.

    Si les meubles en bois massifs ont aujourd’hui quasiment disparu des administrations, certains constats demeurent : sur la taille des bureaux (la pièce, comme le meuble lui-même), l’octroi de table de travail et de chaises.

    Le mobilier administratif est généralement uniforme, le besoin de distinction n’en est donc que plus important et il est très codifié suivant le niveau de responsabilité.

    « Les fonctionnaires civils se différencient les uns des autres, non par des galons, comme les militaires, mais par l’ameublement de leur bureau. »

    La Création de l’ENA est Indissociable du Statut de la Fonction Publique

    La Conjugaison du Gaullisme et du Communisme

    Le premier statut général, de 19465, comme le second, celui de 1981, furent conçus par des ministres communistes : Michel Thorez, pour le premier ; Anicet le Pors, pour le second.

    L’autre grand pilier du statut a été initié par Michel Debré dans une « étrange collusion »6 avec les communistes : il s’agit de la création de l’ENA7.

    L’auteur précise les objectifs assignés à la création de cette école :

    • Centraliser les recrutements pour éviter le favoritisme et la cooptation des différents concours organisés jusque-là et
    • Proposer une formation commune à même de favoriser l’interministerialité8.

    La création de cette école va de pair avec une promotion de la mobilité sociale :

    • Un concours externe (classique), pour les étudiants ;
    • Un concours interne, pour les fonctionnaires motivés et méritants, qui constitue la novation du dispositif.

    Une Touche de Christianisme

    L’auteur rajoute une dernière interprétation dans l’analyse des racines culturelles et politique du statut de la fonction publique : le christianisme.

    Chacun jugera.

    « Beaucoup de ceux qui veulent entrer dans l’Administration auraient peut-être cherché à embrasser une carrière ecclésiastique sous l’Ancien régime. Pas seulement par opportunisme et désir de bénéficier d’une rente de situation, mais aussi par désir de se dévouer au bien public et par goût d’un environnement hiérarchisé, aux règles strictes. »

    « Les fondements du statut général des fonctionnaires se situent donc au confluent de trois traditions : la tradition catholique, la tradition bonapartiste, dans laquelle s’inscrit Michel Debré, fondateur de l’ENA et dirigeant du parti gaulliste, et la tradition stalinienne, qui est celle de Maurice Thorez. Il faut rappeler aussi que Staline était un ancien séminariste… »

    Une Promotion Interne en « Trompe-l’Œil »

    Cette mobilité professionnelle des internes s’est révélée rapidement biaisée selon l’auteur9, principalement de deux façons :

    • Elle a été utilisée par les fonctionnaires les plus diplômés, en guise de rattrapage du concours raté et
    • Elle n’a pas permis aux (faux ?) internes de se distinguer au classement de l’ENA dans l’attribution des places ouvertes au titre des « grands corps ». Autrement dit, le caractère « professionnel » de l’École manque sa cible.

    Un Système Qui S’Apparente à une Rente Pour l’Auteur

    L’élitisme républicain connaît aujourd’hui de nombreuses critiques, françaises10 ou américaines11.

    Si, mécaniquement, chaque société organisée tend à créer et à se structurer autour d’un centre de commandement. La problématique de l’élitisme est de séparer et de hiérarchiser les individus, souvent très tôt dans leur vie. Ce faisant, ces sociétés présentent généralement un modèle rigide et laissent peu de place à l’appréciation de la valeur professionnelle en situation réelle, dans la vie des individus.

    Les sociétés élitistes sont donc inégalitaires et cloisonnées. Afin de justifier ces inégalités, plusieurs modèles existent, dont le modèle dit « méritocratique »12 qui vise à sélectionner « les meilleurs » par des épreuves censées être incontestables.

    « Le système de castes qui existe en France est peut-être encore plus pernicieux que celui qui existe en Inde, parce qu’il est invisible. (…) L’idée géniale, c’est d’avoir justifié des privilèges exorbitants non plus par la naissance, ce qui serait bien sûr injuste, mais par le mérite, en instaurant un concours réellement difficile, et en faisant croire qu’il était ouvert à tous. »

    En effet, cette justification (du concours méritocratique) appelle elle-même deux critiques :

    • D’abord, elle est réservée à un trop faible nombre de personnes, ce qui nuit à la concurrence au sein même de cette élite ;
    • Ensuite, elle est définitive. La réussite au concours de l’ENA garanti l’accès aux plus hautes fonctions de l’État de manière quasiment définitive13.

    « La société française distille ses élites au compte-gouttes, et ce qui fait toute la valeur des membres des grands corps, c’est leur rareté. Ce n’est d’ailleurs pas si absurde pour ceux qui bénéficient ainsi d’une rente de situation à vie, précisément grâce à cette rareté. Ils n’ont donc aucun intérêt à accepter une remise en cause de leurs privilèges. »

    « Le statut des hauts fonctionnaires français rappelle celui des « Forts des Halles14 » : autrefois, ceux qui parvenaient à soulever un poids très lourd obtenaient le titre envié de « fort des halles », moyennant quoi ils étaient définitivement dispensé de soulever quoi que ce soit, et pouvaient le faire soulever par d’autres. »

    Un Élitisme qu’il Considère Fermé, Endogame

    « L’un des inconvénients de ce prestige hypertrophié d’un très petit nombre de grandes écoles, c’est la dévalorisation des formations universitaires. »

    En dehors de l’École nationale supérieure citée ci-après, les énarques proviennent essentiellement de Sciences Po Paris. La diversité des parcours, des savoirs, des profils… semble secondaire15.

    Par ailleurs, l’université française n’est pas exempte de critique pour l’auteur :

    « L’université française fonctionne pour la plus grande gloire des professeurs, et se désintéresse complètement des étudiants. »

    Une Critique Appuyée Contre les « Normaliens »

    L’auteur appuie plus fortement encore ses critiques sur les anciens élèves de l’École normale supérieure (ENS).

    « L’anomalie la plus flagrante est le cas des normaliens : (…) Après deux ou trois ans de préparation, ils passent le concours de l’École normale supérieure, et ils sont payés pendant trois ans pour préparer l’agrégation des lycées. Leur salaire est celui d’un fonctionnaire de catégorie B (puisqu’ils ont le bac) (…). Certains se détournent de l’enseignement, et préfèrent passer, juste après l’agrégation, le concours étudiant de l’ENA. Leur grande culture générale, mais aussi le fait d’avoir déjà réussi deux concours prestigieux les fait bénéficier d’un préjugé favorable auprès des membres du jury, qui n’ont souvent pas un jugement très personnel. Il est déjà discutable que le contribuable ait payé la formation de futurs enseignants qui n’enseigneront jamais, et qu’il doive ensuite payer leur scolarité à l’ENA. »

    « Contrairement à la classe dirigeante des pays anglo-saxons, qui doit faire de gros sacrifices pour financer les études de ses enfants, la classe dirigeante française les fait donc financer par le contribuable. »

    La Création des Attachés d’Administration Comme Corps de Relégation

    Une Création du Corps des Attachés en 1955, Pour Seconder les Administrateurs Civils

    Le corps des attachés d’administration centrale est créé en 1955, dix ans après la création de l’ENA. Pour l’auteur, ce corps est d’abord créé pour rehausser l’image et les perspectives professionnelles des énarques.

    Ici encore, l’attaché d’administration, comme l’auteur, ne semblent exister qu’en contrepoint du haut-fonctionnaire, énarque :

     « Le corps des attachés d’administration centrale est créé (…) pour décharger les administrateurs civils de leurs tâches les plus ingrates. Ils seront désormais secondés par un corps de sous-fifres aux perspectives de carrière pratiquement inexistantes, qui doivent pourtant comme eux être titulaires d’un diplôme d’enseignement supérieur pour pouvoir passer le concours de recrutement. »

    « Ils appartiennent donc à la catégorie A, mais les énarques ne les considèrent pas comme des fonctionnaires de catégorie A à part entière, et emploient à leur sujet le terme dévalorisant de catégorie « A’ », bien que ce terme n’ait pas de valeur juridique. Une autre façon de présenter les choses consiste à dire que les attachés font bien partie de la catégorie A, mais alors les administrateurs civils deviennent des « A+ ». »

    Des Perspectives Professionnelles Jugées Trop Maigres

    Source : Pexels, Justin Nealey
    Source : Pexels, Justin Nealey

    Le ressentiment à l’égard du corps d’attaché d’administration est particulièrement prononcé chez l’auteur et n’est pas, à ma connaissance, observable dans d’autres corps de catégorie A équivalents.

    À titre d’exemple, nous avons pu constater dans un précédent article que les inspecteurs de la concurrence et de la répression des fraudes étaient très fidèles à leur corps et leurs métiers.

    La spécificité du travail des attachés en administration centrale, en proximité directeur avec les administrateurs, explique probablement ces difficultés.

    « Au niveau des catégories intermédiaires et subalternes (…) la frustration est la règle : frustration des administrateurs civils qui n’ont pu accéder aux grands corps, frustration encore plus grande des attachés d’administration centrale dont le sort est intimement lié à celui des administrateurs civils, puisqu’ils ont statutairement l’honneur d’être leurs “collaborateurs directs” (…), mais qui en sont cependant séparés par une ligne de démarcation infranchissable pour la plupart d’entre eux. »

    « En effet, les attachés peuvent théoriquement espérer (…) accéder au corps des administrateurs civils, mais la probabilité d’y parvenir est très faible et, de toute façon, rares sont ceux qui y arrivent avant quarante ans. Ils ont donc, même dans la meilleure hypothèse, quinze ans de retard sur les administrateurs civils issus de l’ENA, et ce retard ne se rattrape jamais. »

    Pour plus d’informations sur l’accès des attachés d’administration au corps des administrateurs, vous pouvez vous référer à cet article sur le tour extérieur des administrateurs de l’État.

    « Les fonctionnaires de catégorie B sont à la limite moins à plaindre que les attachés, puisqu’ils sont recrutés au niveau du bac et qu’ils n’ont donc pas eu la peine de préparer un diplôme d’études supérieures. Par la voie du concours interne, beaucoup arrivent à accéder au corps des attachés, mais leur promotion va rarement au-delà. On est donc dans un système assez scolaire, où les fonctionnaires, au lieu de s’impliquer dans leur travail, passent leur temps à préparer des concours pour essayer d’y échapper. Les cas de hauts fonctionnaires qui ont débuté tout en bas de l’échelle sont quand même assez rares. Pour y parvenir, il faut beaucoup de persévérance, car plus on avance en âge, plus il devient difficile de se replonger dans des études sans sacrifier sa vie personnelle. »

    1. Dans les locaux de l’actuelle direction générale des outre-mer (DGOM)
    2. Comme énoncé dans un précédent article (Le recrutement par concours dans la fonction publique est-il fini ?), le concours implique assez largement une forme corporatiste : une autonomie collective et technique. Ce qui peut favoriser certains profils que l’économiste libéral qualifierait de free rider ou passager clandestin. Il ne me semble toutefois pas que ces profils soient les plus nombreux.
    3. L’auteur est affecté au cœur du système statutaire, dans l’une des directions les plus prestigieuses de la République et il n’en tire… rien. Pas ou peu de textes, aucune interprétation ou argumentation juridique. Dommage.
    4. La direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) est désormais rattachée en gestion au secrétariat généraux des ministères économiques et financiers.
    5. Le statut de Vichy de 1941 étant évidemment mis à part.
    6. L’expression est de l’auteur.
    7. L’ordonnance n° 45-2283 du 9 octobre 1945 crée l’ENA et la DGAFP.
    8. En soulignant qu’il n’existait pas, évidemment, la formation des instituts régionaux d’administration (IRA) – elle-même interministérielle. L’auteur, et c’est dommage, ne parle pas de la création des IRA et de l’institutionnalisation progressive du corps des attachés d’administration de l’État.
    9. Mais ce constat n’est en rien original.
    10. Que l’on pense à Michel Crozier par exemple, ou à Pierre Bourdieu (mais sa pensée a vieilli, il me semble).
    11. Pour ne citer qu’un seul ouvrage récent : The Tyranny of Merit de Michael Sandel.
    12. La méritocratie comporte, paradoxalement, une part égalitaire en posant l’idée qu’un même savoir délivré à l’ensemble des enfants permet de distinguer « les meilleurs » des « moins bons » de manière juste. Les progrès des sciences sociales démontrent aujourd’hui le caractère léger du principe – sans pour autant enlever aux lauréats des concours leurs compétences, notamment intellectuelles, et aussi leur « mérite »… Contrairement à l’auteur, je ne crois pas au blanc et noir en la matière.
    13. Voir la partie relative aux sanctions disciplinaires, à partir des constats de Marcel Pochard dans l’intervention de Jean-Marc Sauvé devant les élèves de l’École nationale d’administration : https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/discours-et-contributions/quelle-deontologie-pour-les-hauts-fonctionnaires
    14. https://fr.wikipedia.org/wiki/Forts_des_Halles
    15. On pourrait ici tempérer le propos de l’auteur en faisant état des prépas talents, du concours pour les docteurs.
  • La DGCCRF : Bilan, Enjeux et Perspectives pour Préparer le Concours

    La DGCCRF : Bilan, Enjeux et Perspectives pour Préparer le Concours

    Examen du rapport de la Cour des comptes d’avril 2025 consacré à la DGCCRF

    Temps de lecture : 13 minutes.

    Introduction

    La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a été créée en 1985.

    Administration du ministère de l’économie et des finances, son rôle principal consiste à maintenir « l’ordre public économique » et à assurer en particulier la protection du consommateur.

    L’analyse de la Cour s’inscrit dans un contexte de transformation numérique, de pression budgétaire et de nouveaux défis liés aux pratiques commerciales en ligne, à la mondialisation des échanges et à la transition écologique.

    Cet article propose une synthèse des éléments essentiels de ce rapport, en examinant tout particulièrement l’évolution des missions de la DGCCRF, les pouvoirs de contrôle des agents et le risque d’une « administration à deux vitesses » largement développé par la Cour.

    À l’issue de cette lecture, vous pourrez comprendre les grands enjeux de la DGCCRF et entrevoir un peu de la réalité du quotidien des agents de contrôle.

    Les Missions de la DGCCRF

    Les Missions Historiques de la DGCCRF sont Stables

    La DGCCRF a depuis 1985 trois grandes missions :

    • La concurrence et la lutte contre les pratiques restrictives de concurrence ;
    • L’information des consommateurs et la protection de leurs intérêts économiques ;
    • La sincérité et la loyauté des transactions commerciales, la qualité et la sécurité des produits et services offerts sur le marché, la certification de ces produits et services, les appellations d’origine, les fraudes et falsifications.

    En 2009, une nouvelle mission est assigné : le contrôle de métrologie légale1, en lien avec la direction générale de l’économie2.

    Un Champ de Compétences en Constante Transformation et Particulièrement Étendu

    En droit de la consommation ou droit commercial, les rapporteurs de la Cour des comptes ont comptabilisé, sur la période 2020-2023, une cinquantaine de nouveaux textes par an.

    L’instauration de dispositifs d’aides publiques aux consommateurs faisant l’objet de « fraudes massives » comme Ma Prime Renov’ ou le 100 % santé3.

    En juin 2024, la DGCCRF est ainsi habilitée par 76 groupes de textes législatifs et codes différents. Autrement dit, la compétence de la DGCCRF en droit français est quasiment universelle dans le champ économique4.

    Une Transformation des Pratiques de Consommation

    La consommation des ménages représente la moitié du produit intérieur brut (PIB) français.

    Si la part de cette consommation est stable dans le temps, sa composition évolue fortement :

    • Développement du numérique, avec de nouveaux acteurs (influenceurs, comparateurs en ligne, drop shiping) et de nouvelles pratiques (« faux avis ») ;
    • Demande de transparence accrue du consommateur sur les produits, leur comparabilité ;
    • Transition écologique et environnementale et multiplication des allégations de la part des producteurs ;
    • Consommation accrue de services5.

    Les Pouvoirs de Contrôle et de Sanction de la DGCCRF sont Très Étendus et se sont Renforcés depuis 2012

    Le Programme National d’Enquêtes (PNE)

    Le programme national d’enquêtes vise à garantir un niveau d’activité sur des thèmes prioritaires pour le gouvernement.

    Il est établi annuellement. Ce qui suppose une communication importante à l’attention des inspecteurs et des contrôleurs afin de garantir son application.

    La Différence entre les Contrôles et les Enquêtes

    Contrairement à ce que son intitulé pourrait laisser entendre, il porte essentiellement sur des « contrôles », entendu comme la vérification d’une pratique professionnelle pour s’assurer de sa régularité.

    « L’enquête » désigne « la recherche méthodique, l’analyse, le recoupement des éléments de preuves susceptibles de qualifier matériellement une fraude. »

    Des Pouvoirs de Contrôle Importants

    Les inspecteurs de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (CCRF) peuvent notamment :

    • Accéder aux locaux utilisés par les professionnels afin d’y recueillir des documents et des renseignements, et d’y effectuer des constatations ;
    • Se faire communiquer tout document (contrats, factures) utile à leurs missions ;
    • Prendre un échantillon ou prélever un produit aux fins d’analyse pour démontrer le manquement ou l’infraction ;
    • Consigner provisoirement des marchandises pour empêcher leur commercialisation, dans l’attente de résultats de contrôles ;
    • Saisir des marchandises non conformes ;
    • Utiliser une identité d’emprunt pour pouvoir vérifier la conformité des procédures de vente sur internet ;
    • Différer la révélation de leur qualité d’enquêteur de la CCRF et commencer leurs investigations incognito ;
    • Se faire accompagner lors de leurs contrôles par une personne qualifiée dans un domaine utile au contrôle.

    La Déjudiciarisation des Sanctions de la DGCCRF : l’Essor des Amendes Administratives

    Depuis la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », la DGCCRF est dotée d’importantes prérogatives auparavant dévolues au juge.

    L’éventail de sanctions est désormais particulièrement étendu et permet à l’agent de proportionner sa sanction aux manquements constatés :

    • Les suites pédagogiques, en cas de manquement ou infraction de faible gravité (avertissement) ;
    • Les suites correctives, pour obtenir du professionnel une mise en conformité rapide :
      • Amendes (de faibles montants),
      • Injonctions,
      • Rappels de produits (avec obligation pour l’entreprise d’informer les consommateurs),
      • Publication aux frais de l’entreprise d’une décision de sanction.
    • Les sanctions, en cas de comportement grave du professionnel :
      • Mise en demeure (l’entreprise doit se mettre en conformité dans un délai donné) ;
      • Amendes administratives (avec des montants parfois très élevés, notamment en cas de pratiques anticoncurrentielles) ;
      • Retrait ou suspension de produits ;
      • Fermeture temporaire ou définitive de l’établissement.

    Par ailleurs, la DGCCRF dispose aussi d’un pouvoir de transaction qui lui permet de négocier directement avec l’entreprise.

    Une Direction d’Administration Centrale en Interaction avec la Quasi-Totalité des Ministères

    La DGCCRF est une direction spécialisée et pour autant riche de partenariats nombreux6.

    La direction de la consommation et de la concurrence a, en effet, des relations étroites avec plusieurs ministères :

    • L’environnement : direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) et direction générale de la prévention des risques (DGPR) ;
    • L’alimentation et l’agriculture : direction générale de l’alimentation (DGAL) ;
    • L’économie et les finances : direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), Tracfin ;
    • L’intérieur : direction générale de la police nationale (DGPN) ;
    • Les affaires sociales (travail et santé) : la direction générale du travail (DGT) et la direction générale de la santé (DGS).

    Outre ce riche écosystème, la DGCCRF travail également avec :

    • Des autorités administratives indépendantes comme :
      • L’autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ;
      • L’autorité de la concurrence (ADLC) ;
      • L’autorité nationale des jeux (ANJ) ;
      • L’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ;
      • La commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil)
    • Des établissements publics chargés d’une mission de régulation sectorielle :
      • L’agence nationale des fréquences (ANFR) ;
      • L’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ;
      • L’institut national des appellations d’origine (INAO) ;
      • D’autres organismes comme le centre européen des consommateurs (CEC).

    Le Risque d’une Administration à Deux Vitesses

     « En matière de protection du consommateur, l’action de la DGCCRF oscille entre deux extrêmes : d’un côté, elle doit lutter contre une fraude organisée de plus en plus massive et sophistiquée, de l’autre, elle doit maintenir, par ses contrôles standards, une vigilance sur l’ensemble des opérateurs économiques. »

    Le Service National des Enquêtes (SNE)

    Le service national des enquêtes (SNE) a été créé en 2009. Il s’agit d’un service à compétence nationale, rattaché directement à la DGCCRF.

    Composé de 85 agents répartis sur huit sites7, le service vise la réalisation d’enquêtes portant sur des sujets nouveaux8 ou nécessitant une mobilisation rapide et spécifique.

    Le SNE n’est pas véritablement concerné par le PNE précédemment évoqué afin de disposer d’une réactivité lui permettant de réagir aux signalements ou saisines des services judiciaires pour la réalisation d’enquêtes pénales.

    La Cellule de Renseignement Anti-Fraude Économique (Crafe)

    Créée en 2021 et composée de treize enquêteurs9, Crafe apporte un soutien opérationnel aux enquêteurs pour détecter des fraudes plus complexes.

    L’activité de la cellule connait une croissance rapide, de 32 dossiers traités en 2021 à 272 en 2023 et 121 pour le seul premier trimestre 2024.

    La Crafe échange des informations opérationnelles et des signalements avec les services de renseignement, afin de traiter la fraude sous tous ses aspects (fiscal, social, douanier…). La Crafe est désormais le point de contact officiel de la DGCCRF avec Tracfin et les services qu’enquêtes de la police et de la gendarmerie nationales.

    Des Réseaux d’Experts, en Complément de l’Organisation Pyramidale de la DGCCRF

    La DGCCRF compte également 22 réseaux de contrôles et 340 référents techniques régionaux (RTR).

    Ceux-ci couvrent des domaines thématiques :

    • Banque et assurance ;
    • Compléments alimentaires ;
    • Jouets ;
    • Logement et immobilier ;
    • Produits chimiques et biocides, etc.

    Une Organisation Régionalisée : les Pôles C des DREETS

    Au niveau régional, les Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) disposent chacune d’un « Pôle C » dédié aux services de la DGCCRF.

    Si les services du Pôle C au sein de la DREETS peuvent assurer quelques missions opérationnelles (notamment en matière concurrentielle), leur rôle principal est celui d’interface entre les services départementaux et la DGCCRF :

    • Soutien, par le conseil et l’organisation de formations ;
    • Pilotage, par la répartition des contrôles et l’élaboration de plans régionaux déclinant le PNE ;
    • Animation, par l’affectation de moyens, budgétaires et humains, mais sans lien hiérarchique avec les directions départementales.

    L’effectif total des Pôles C des DREETS s’élève à 424,7 ETP en 2024, en baisse de 15 % sur la période 2017-2024. 

    Le Niveau Départemental : Cœur du Contrôle de la DGCCRF

    Les services CCRF sont placés directement sous l’autorité du préfet depuis 201010 et la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE).

    Toutefois, pour la Cour des comptes, cette réforme est peu adaptée aux missions de la DGCCRF :

     « En plaçant les services départementaux de la DGCCRF sous l’autorité unique du préfet chargé d’en assurer la coordination, elle a contribué à les enserrer dans une organisation et un périmètre d’intervention qui correspond de moins en moins à la réalité de leurs missions. En effet, l’activité de la DGCCRF est moins orientée par les limites administratives entre départements que par les zones de chalandises et les bassins d’activité, dont les limites coïncident rarement, a fortiori avec le développement du commerce en ligne. »

    De fait, la synergie est donc plutôt assurée par les comités opérationnels départementaux anti-fraude (Codaf), que par les préfets.

    Une Activité en Recul et de Plus en Plus Orientée vers la Protection des Consommateurs

    La répartition des activités de contrôle et d’enquête évolue de plus en plus en faveur de la protection des consommateurs.

    Le nombre de visites a baissé de 40 % de 2017 à 2023, pour une pluralité de raisons11.

    En conséquence, l’activité se concentre de plus en plus dans les départements les plus dotés :

    En 2023, une vingtaine de départements représentent la moitié des visites.

    Une Gestion des Ressources Humaines Jugée Corporatiste et Rigide

    Le budget de la DGCCRF est essentiellement consacré aux dépenses de personnel. Celles-ci sont en hausse, malgré la baisse des effectifs, du fait des revalorisations du point d’indice et de diverses mesures indemnitaires12.

    Par ailleurs, les effectifs CCRF sont essentiellement des catégories A, en raison de la volonté de positionner le corps sur des missions d’inspection et d’expertise13 :

    Une Répartition Territoriale Inégale qui Interroge sur la Capacité à Maintenir un Niveau Minimal d’Expertise et de Contrôle dans Certains Départements

    Si les effectifs sont encore en majorité dans les services déconcentrés (1 500 ETP), on constate un recentrage des missions, via notamment le SNE évoqué plus haut (84 ETP), mais également le service Réponse Conso (41 ETP).

    Par ailleurs, les effectifs en DDI ont évolué de manière très différenciée depuis 2017 :

    • Une baisse de près de 35 % des effectifs pour les départements les moins peuplés (qui comptent à peine quelques agents),
    • Une augmentation des effectifs de 4 % en Ile-de-France.

     « Ces évolutions traduisent une priorisation, dans un contexte global de réduction des effectifs, sur les départements les plus peuplés et dans lesquels le tissu économique est plus dense, ce qui n’est pas en soi contestable. Elles n’en posent pas moins deux questions qui touchent à l’efficacité de l’action de la DGCCRF sur l’ensemble du territoire et à l’égalité de traitement entre citoyens. »

    Une Logique de Corps Parfois en Décalage Avec les Besoins

    Au 31 décembre 2022, les corps CCRF comptaient 2 658 agents, dont 92 % occupaient des fonctions au sein de la DGCCRF. S’y ajoutent une cinquantaine d’emplois fonctionnels : directeurs départementaux ou directeurs adjoints.

    Le corps sait fidéliser ses agents : seuls 5 % des membres du corps sont positionnés à l’extérieur de la DGCCRF et des emplois de direction correspondants.

    Cette forte cohérence entre une administration et les corps qui exercent ses missions traduit toutefois une absence de réflexion sur la réalité des tâches confiées aux agents, qui toutes ne nécessitent pas un même niveau de compétence. Sur les 72 métiers du référentiel des métiers et des compétences, seuls 13 relèvent de la famille professionnelle CCRF.

    Une Forme de Surqualification des Agents CCRF au Regard des Missions de Contrôles Réalisées

    75 % des membres du corps sont de catégorie A et 9 % exercent des fonctions d’encadrement, sans missions d’enquêtes. 14 % des membres du corps sont de catégorie B.

    Cependant, pour les enquêteurs, la démarcation entre les missions des inspecteurs (catégorie A) et les contrôleurs (catégorie B) n’est pas évidente. Les uns et les autres se voyant confier indistinctement les tâches de contrôle, comme les enquêtes complexes.

    Pour la Cour, un repyramidage et une ouverture à des corps interministériels et administratifs s’imposent, afin de décharger les agents de certaines tâches annexes :

    Le pilotage par les indicateurs et la volonté politique d’illustrer la présence de la DGCCRF par le nombre de contrôles réalisés et d’infractions constatées ont conduit à faire réaliser des missions de contrôle, à la valeur ajoutée limitée, indifféremment par des inspecteurs et des contrôleurs, dans des proportions qui peuvent paraître excessives pour les agents de catégorie A.

    Il convient de s’interroger sur l’efficience de ces pratiques qui mobilisent un personnel surqualifié, ce qui se traduit autant par un coût élevé au regard de l’utilité que par une démotivation des agents concernés.

    Des Processus de Mobilités Mettant Peu en Valeur les Compétences et l’Expertise

    Le processus de mobilité interne (de 150 à 200 mutations par an) répond principalement aux aspirations de mobilité géographique des agents.

    Il existe deux procédures de mobilité au sein de la DGCCRF :

    • Le « tableau de mutation »14 qui est établi sans spécification relative aux besoins de compétences ou de spécialisation, à partir de critères légaux (rapprochement de conjoint, handicap, etc.) et d’une pondération en fonction de l’ancienneté et du lieu d’affectation. Les postes non pourvus dans le cadre de cette procédure étant attribués aux lauréats du concours.
    • Les « postes à profil », essentiellement pour l’administration centrale et le SNE.

    Le système du « tableau de mutation » apparaît très rigide (une seule campagne annuelle, donc un poste peut être vide onze mois) et en décalage avec le besoin d’expertise désormais requis par les services, selon la Cour.

    Un Régime Indemnitaire Qualifié par la Cour de « Rigide et Obsolète »

    Le régime indemnitaire des agents de la CCRF, dans sa configuration actuelle, a été mis en place en 2003.

    Il est constitué de :

    • L’indemnité d’administration et de technicité (IAT) ou de l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (IFTS),
    • La prime de rendement (PR) et
    • L’allocation complémentaire de fonction (ACF).

    Le barème de chaque prime est strictement parallèle à la grille indiciaire, avec un niveau de prime pour chaque échelon. Seule l’ACF peut varier en fonction de la résidence administrative.

    Un barème spécifique, reposant sur les mêmes principes, est institué pour les encadrants.

    Ce régime indemnitaire repose donc intégralement sur le grade et l’ancienneté des agents, sans aucune part variable, même pour la prime de rendement. À l’image de la DGFIP et de la DGDDI, la DGCCRF a jusqu’à présent fait le choix – soutenue par les organisations syndicales – de ne pas mettre en place le RIFSEEP15.

    La Cour est particulièrement sévère sur ce régime indemnitaire, qui lui semble préjudiciable aux missions de la DGCCRF :

    « Compte tenu des difficultés à maintenir un niveau d’expertise technique suffisant à l’échelle de chaque DDI, l’effectivité de l’action de la DGCCRF sur le terrain repose de plus en plus sur la capacité de certains agents à exercer leurs fonctions sur un territoire plus vaste (mutualisations interdépartementales), à s’investir dans l’animation d’un réseau ou à développer une expertise technique qui fasse référence à l’échelle régionale. Il y a donc un paradoxe à maintenir une architecture administrative dont l’efficacité repose de plus en plus, et de manière systémique, sur la capacité de certains agents à dépasser le cadre d’action habituel alors que le régime indemnitaire repose intégralement sur l’ancienneté. »

    1. Ensemble des exigences et procédures de contrôle imposées par l’État pour garantir la fiabilité de certains instruments de mesure : balances, pompes à essence, taximètres, thermomètres, compteurs d’eau, de gaz, de fioul…
    2. Inversement, en 2022, la police en charge de la sécurité sanitaire des aliments est désormais sous le pilotage unique du ministère de l’agriculture. Une soixantaine d’ETP ont rejoint le ministère de l’agriculture. L’ensemble constitue un corps d’inspection d’environ 150 ETP.
    3. D’autres dispositifs comme le Compte personnel de formation (CPF) ont également pu nécessiter l’attention de la DGCCRF. Toutefois, en matière de formation professionnelle, le ministère du travail et de l’emploi dispose de son propre corps d’inspection.
    4. En revanche, la DGCCRF n’est pas compétente s’agissant de litiges d’ordre contractuel, lié à l’inexécution ou la mauvaise exécution (alléguée) du contrat. Seul le juge judiciaire est le juge du contrat. Il en est de même en matière de pratique commerciale (jugée) déloyale. La partie s’estimant lésée devant s’adresser au juge judiciaire.
    5. Tendance qui s’inscrit dans une dynamique plus large : les dépenses de santé, communication, loisirs et culture sont en très forte hausse sur les trente dernières années. Inversement : la part de dépenses consacrée aux biens (notamment les vêtements) et à l’alimentation est en baisse.
    6. Pour coordonner ses actions, la DGCCRF a ainsi formalisé 18 protocoles, principalement bilatéraux.
    7. Lille, Strasbourg, Montpellier, Lyon, Bordeaux, Rennes, Morlaix.
    8. Le SNE dispose notamment d’une expertise sur les sujets numériques, comme les crypto-actifs. Une cellule de recherche et développement en matière numérique a même été constituée en 2018 pour promouvoir l’utilisation de méthodes et outils innovants : vérification automatique des avis publiés sur internet, recherche et collecte de preuves numériques…
    9. Objectif de seize enquêteurs pour fin 2024.
    10. Au sein des directions interministérielles chargées de la protection des populations.
    11. Baisse des effectifs (- 4 % sur la période), postes de contrôle vacants, volonté de privilégier les enquêtes (plus longues) aux contrôles, transfert en 2023 du contrôle de la sécurité sanitaire des aliments, management inégal et un temps important consacré à la formation du fait de l’instabilité légale et règlementaire.
    12. Dont une harmonisation des régimes indemnitaires des agents CCRF en 2022, pour 3,1 millions d’euros.
    13. Un mouvement similaire a été pris par l’inspection du travail, avec la mise en extinction du corps de contrôleur du travail de catégorie B. Plus largement, on constate une augmentation de du nombre d’agents de catégorie A dans la fonction publique d’État.
    14. Le fonctionnement des mutations est quasiment identique pour la DGDDI et la DGFiP.
    15. Créé en 2014, le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP) s’inscrit dans le cadre d’une démarche de simplification du paysage indemnitaire. Il comprend une prime annuelle, en fonction des résultats de l’agent (le Complément indemnitaire annuel) et un Indice en fonction des sujétions et de l’expertise (l’IFSE) : qui évolue selon les responsabilités de l’agent, sa manière de servir, etc. C’est le régime indemnitaire des attachés d’administration de l’État et des administrateurs de l’État.
  • La conduite des projets numériques de l’État

    La conduite des projets numériques de l’État

    Temps de lecture : 9 minutes.

    La Cour des comptes a publié en décembre 2024 un rapport consacré aux gains de productivité du numérique. Ses investigations portent en particulier sur un échantillon de projets informatiques « significatifs » réalisés au sein des ministères économiques et financiers.

    Pour rappel, un précédent article de ce blog est consacré aux informaticiens des ministères économiques et financiers.

    Le numérique est envisagé comme un levier de transformation de l’État

    Une succession de plans numériques

    Depuis le début des années 2000, plusieurs plans de transformation numérique se succèdent au niveau interministériel :

    • Administration électronique (ADELE) de 2004 à 2007,
    • France Numérique en 2012,
    • État plateforme en 2014,
    • Action publique 2022 en 2017.

    Des attentes fortes en termes de gains de productivité

    La dématérialisation des procédures est notamment envisagée comme permettant d’augmenter la productivité des services, tout en améliorant la qualité des services rendus.

    Les gains de productivité attendus sont de plusieurs natures :

    • La réduction du nombre d’emplois et des coûts de fonctionnement associés à production au moins constante ;
    • L’augmentation des recettes de l’État ;
    • L’amélioration du service rendu (accès, pertinence, délai) sans augmentation aussi forte des coûts de production.

    Une mise en œuvre généralement confiée au Premier ministre et au ministre chargé de la fonction publique

    À compter de 1981, le ministre de la fonction publique se voit, quasi systématiquement, adjoindre le portefeuille de la réforme de l’État et de la modernisation.

    Sous la présidence d’Emmanuel Macron, il est même question de « l’Action et des Comptes publiques », puis de la « Transformation et de la Fonction publiques ».

    Le pilotage de la transformation de l’État s’appuie donc sur deux leviers : les ressources humaines et le numérique.

    Deux directions interministérielles sont responsables de la conduite de ces projets

    • La direction interministérielle du numérique1, rattachée au Premier ministre et au ministre de la fonction publique, est responsable de la conception et de la mise en œuvre de la stratégique numérique de l’État ;
    • La direction interministérielle de la transformation publique, rattachée aux mêmes autorités, notamment responsable du Fonds de transformation de l’action publique2.

    À cet égard, et de manière plus générale, il convient de noter un renforcement depuis quinze ans des directions interministérielles3. Pour n’en citer que quelques-unes :

    • La direction des achats de l’État (DAE), en 2016 ;
    • La direction de l’immobilier de l’État (DIE), en 2016 ;
    • La délégation interministérielle à l’encadrement supérieure de l’État (DIESE), en 2022.

    Une mesure des gains de productivité difficile pour les projets informatiques de l’État

    En dépit d’ambitions importantes, la réalité des projets et de leur suivi fait peu de place à une véritable politique de productivité.

    La mesure des gains de productivité dans le secteur public est plus complexe que dans le secteur privé

    La Cour des comptes relève tout d’abord la spécificité des biens ou services produits par le secteur public. Ceux-ci sont le plus souvent non marchands et fournis gratuitement ou à un prix symbolique, en dessous du coût réel de production4.

    Les recettes sont celles des contributions publiques, généralement obligatoires, et non le produit des ventes. Par ailleurs, compte tenu de l’universalité budgétaire et de la complémentarité de certaines politiques publiques, il est également difficile de mesurer précisément le coût d’une politique5.

    Le calcul de la productivité du service public ne peut donc être réalisé que par une opération intellectuelle et comptable.

    Ce faisant, c’est aussi une critique de la LOLF6 qui est émise par la Cour. Les instruments budgétaires actuels (programmes et rapports annuels de performance) ne permettent pas de reconstituer les coûts des différentes politiques publiques.

    Les méthodes d’évaluation des coûts

    Deux méthodes principales existent :

    • La méthode comptable, qui s’appuie sur le coût de production du bien ou service. Cette méthode consiste à rattacher tous les différents coûts à une prestation afin d’en évaluer le coût. Une productivité supérieure revient donc à produire plus avec autant ou moins, et inversement ;
    • Une méthode qualitative, notamment développée par Anthony Atkinson. L’objectif est ici de considérer les bénéfices sociaux d’une politique publique7. L’approche n’est plus comptable, mais se révèle quasiment impossible à mettre en œuvre :
      • Même en établissant des mesures qualitatives des actions menées, comment s’assurer de l’imputabilité d’un bienfait à telle ou telle politique publique ?
      • Comment comparer les effets ?
      • Enfin, dans l’attente des évaluations, comment piloter les politiques publiques ?

    La distinction entre la performance et l’efficience

    Le guide méthodologique de la LOLF définit la performance comme :

    La capacité à atteindre des objectifs préalablement fixés, exprimés en termes d’efficacité socio-économique (résultat des politiques), de qualité de service (en se plaçant depuis les points de vue respectifs du citoyen, du contribuable et de l’usager) ou d’efficience de la gestion (optimisation des moyens).

    La notion d’efficience met en regard un résultat avec les moyens consacrés (par exemple : la réduction de la surface en m² par poste de travail dans la gestion du parc immobilier).

    Elle n’est toutefois pas équivalente à celle de productivité, qui se concentre sur les activités productives de l’État.

    Des objectifs de performance très peu définis

    Une quasi-absence de critères de productivité dans les indicateurs de performance publiés par l’État

    L’analyse par la Cour des comptes des 2 128 sous-indicateurs renseignés dans le volet performance des PAP annexés au projet de loi de finances pour 2023 montre que la productivité est très rarement mesurée :

    • Seule une quarantaine d’indicateurs (moins de 2 %) met en rapport les résultats d’une production administrative avec les moyens engagés ;
    • Un unique sous-indicateur (au sein de la mission « Gestion des finances publiques ») comporte explicitement le terme « productivité » dans son libellé.

    S’agissant des indicateurs budgétaires liés aux enjeux numériques

    Vingt-sept indicateurs du budget de l’État (sur les plus de 2 000 évoqués plus haut) évoquent des enjeux numériques. Aucun ne mentionne la question de performance ou de productivité. Lorsqu’ils le font, c’est essentiellement de manière indirecte, comme pour les médias publics et leurs audiences sur les plateformes numériques.

    Le portage des projets numériques de l’État n’est quasiment pas orienté vers la performance

    À l’image des objectifs et indicateurs de la LOLF, les fondamentaux des projets numériques au sein de l’État ne semblent pas prioritairement portés par des enjeux de productivité.

    Les projets d’évolution des systèmes d’information sont entrepris le plus souvent pour répondre à l’un des trois objectifs suivants :

    • L’amélioration du service rendu aux citoyens ou aux entreprises (sans préoccupation de productivité) ;
    • La lutte contre l’obsolescence technologique des outils déjà en place ;
    • L’adaptation aux respects d’engagements européens ou internationaux (cas de la DGDDI avec le Brexit, nécessitant d’adapter ses SI aux nouvelles règles douanières).

    De rares projets portent des objectifs explicites en termes de productivité

    L’analyse des grands projets numériques les plus récents suivis par la DINUM montre que seuls un quart d’entre eux ont intégré des enjeux de productivité :

    • TELEMAC, sur les conditions d’exercice des agents de terrain de la direction générale des douanes et des droits indirects, lancé en 2022 et
    • URF, sur l’unification du recouvrement fiscal, lancé en 2020 et
    • Deux projets issus du programme de chaîne pénale numérique par le ministère de la Justice.

    Pour la Cour, ces projets constituent des exceptions.

    Les raisons de ce défaut de pilotage de la productivité

    La Cour identifie plusieurs raisons à ce manque de pilotage.

    • La productivité est « souvent un non-dit des décisions publiques ». Les craintes (supposées ou non) sur l’emploi ou l’évolution des organisations impliquent une réserve des employeurs publics.
    • En termes budgétaires, l’annonce de gains potentiels constitue un risque pour le gestionnaire ministériel. En l’absence des gains escomptés, leur budget pourrait être amputé à mesure de la projection initialement communiquée8.

    En conséquence, ce sont les gains qualitatifs qui sont le plus souvent mis en avant dans les projets numériques de l’État.

    L’absence de recommandations en termes de productivité de la direction interministérielle du numérique

    La direction interministérielle du numérique a rendu près d’une centaine d’avis sur les principaux projets de système d’information de l’État9.

    Cependant, elle ne se prononce presque jamais sur des considérations liées à la performance :

    « Contrairement aux questions techniques, budgétaires ou de pilotage, les gains attendus au cours ou à l’achèvement du projet ne font presque jamais l’objet de constats ou de recommandations et sont simplement évoqués, sous un angle qualitatif, dans la partie introductive qui présente le projet. »

    De grands projets numériques en difficulté

    Le panorama des grands projets numérique de l’État étudié par la Cour (19ᵉ édition, juin 2024) recense 45 projets, représentant un coût prévisionnel total de 3,8 milliards d’euros pour une durée moyenne de six ans.

    Il fait apparaître, en moyenne, des retards et des dérives budgétaires de respectivement 18,8 % et 17,5 %.

    À titre d’exemple, l’évolution du projet PILAT10 de la direction générale des Finances publiques, de son lancement à son achèvement :

    En revanche, le panorama et les documents qui l’accompagnent ne comportent aucune information sur les gains de productivité attendus.

    L’initiative du Fonds pour la transition de l’Action publique (FTAP)

    La Cour appelle ici à renouveler la démarche volontariste initiée à l’occasion du lancement du FTAP, tout en la consolidant par :

    • Un examen sérieux des gains de productivité au lancement du projet ;
    • Un suivi en cours de vie ;
    • Une évaluation des gains finalement obtenus une fois le projet achevé.

    Pour ce faire, la Cour recommande de :

    • Renforcer la procédure d’avis conforme de la DINUM (en association avec la direction du budget) et
    • Améliorer les outils de suivi des activités et des coûts, « dans une démarche de contrôle de gestion », pour mesurer l’atteinte des objectifs et les moyens associés.

    Pour les curieux :

    Depuis 2016, la DINUM rend public un tableau de bord semestriel des grands projets

    numériques de l’État11, c’est-à-dire ceux qui appartiennent à une ou plusieurs catégories suivantes :

    • Les projets qui ont un impact significatif sur les usagers, les ministères ou leurs agents ;
    • Ceux dont le contenu ou la gestion est complexe ou présente des risques majeurs ;
    • Ceux qui visent à réaliser des économies substantielles ou qui conduisent à engager des dépenses supérieures à 9 M€.

    Quelques mots de conclusion sur l’intelligence artificielle

    L’intelligence artificielle peut devenir un levier de productivité pour la Cour des comptes.

    Toutefois, les magistrats relèvent les discordances dans les évaluations des potentiels gains. À titre d’exemple :

    • Le cabinet de conseil Boston Consulting Group évaluait, en 2023, les gains potentiels de l’intelligence artificielle générative dans le secteur public à 1 750 milliards de dollars par an à horizon 2023 et 83 milliards de dollars pour la seule administration française12 ;
    • Le cabinet Mc Kinsey évaluait la même année les gains potentiels à 480 milliards de dollars par an, soit un niveau quatre fois inférieur13.

    1. La « Dinum » est un service du Premier ministre placé sous l’autorité du ministre de la transformation et de la fonction publiques. Parmi ses missions, prévues par le décret du 25 octobre 2019 modifié par le décret du 22 avril 2023, figurent le pilotage de la stratégie numérique de l’État, dont la mise en oeuvre est déléguée aux ministères, et la mobilisation des leviers numériques et technologiques nécessaires à l’accompagnement des services.
    2. Pour plus d’informations sur ce fonds créé en 2017 : https://www.modernisation.gouv.fr/accompagner-les-administrations/fonds-pour-la-transformation-de-laction-publique
    3. Celles-ci complètent ainsi « l’arsenal administratif » du Premier Ministre, qui dispose désormais d’une autorité sur près de 59 services, ou du ministre de l’Economie et des Finances, dans son volet de coordination des politiques supports.
    4. Une première difficulté est d’ailleurs le calcul de ce coût de production, rendu souvent compliqué par la multiplicité des missions réalisées et le travail en réseau du secteur public.
    5. À titre d’exemple, le ministère du travail et de l’emploi dispose de trois programmes budgétaires : le P102, pour l’accès et le retour à l’emploi ; le P103, pour l’amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail et le P155, qui recense les dépenses supports (conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail). Pour autant, comment considérer l’impact et les résultats de ces différents programmes sans mesurer les programmes portés par le ministère de l’Économie et des finances ? De l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur ? Des dépenses de solidarités et d’insertion, du financement des retraites… ?
    6. Loi organique relative aux lois de finances.
    7. Par exemple, une dépense de prévention en matière de santé publique présente des économies potentiellement très substantielles sur plusieurs années. En conséquence, pour Atkinson, il n’est pas souhaitable d’enregistrer uniquement le coût que présenterait une telle action.
    8. En précisant qu’en gestion, il n’existe pas davantage d’incitation à optimiser l’enveloppe accordée.
    9. Sur le fondement de l’article 3 du décret n° 2019-1088 du 25 octobre 2019 relatif au système d’information et de communication de l’Etat et à la direction interministérielle du numérique. Autrement dit, les projets de système d’information de l’État dont le montant prévisionnel global est égal ou supérieur à neuf millions d’euros.
    10. Projet visant à unifier dans une application le contrôle fiscal : de sa programmation, jusqu’au recouvrement et l’éventuel contentieux.
    11. Également disponible sur le site data.gouv : https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/panorama-des-grands-projets-numeriques-de-letat/
    12. BCG, Generative AI for the Public Sector: From Opportunities to Value, novembre 2023.
    13. McKinsey, Unlocking the potential of generative AI: Three key questions for government agencies, décembre 2023.
    Une main de robot devant un écran avec des points reliés
  • Les besoins de recrutements de la fonction publique

    Les besoins de recrutements de la fonction publique

    Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 5)

    Temps de lecture : 4 minutes.

    Nouvelle analyse du rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique avec un regard centré sur les besoins en recrutements :

    • Au niveau global, les trois fonctions publiques confondues ;
    • Les différences entre les fonctions publiques ;
    • Les différences avec le secteur privé et les spécificités au sein de ces fonctions publiques.

    La fonction publique dans l’emploi total

    En 2019, un travailleur sur cinq est un agent public de l’un des trois versants de la fonction publique :

    • 9 % travaillent pour la fonction publique d’État (professeurs, policiers, militaires, inspecteurs des finances publiques, douanes… agents administratifs) ;
    • 7 % travaillent pour la fonction publique territoriale ;
    • 5 % travaillent pour la fonction publique hospitalière.

    Une relative concentration des emplois sur certaines familles professionnelles

    La notion de familles professionnelles

    La nomenclature des familles professionnelles a été créée dans les années 80 par la direction statistique du ministère du Travail en rapprochant les statistiques de l’INSEE de celles gérées par l’opérateur chargé du placement dans l’emploi (désormais France travail).

    Une famille professionnelle réunit des métiers présentant des niveaux de qualification identiques et relevant de compétences professionnelles proches.

    Les métiers publics et les familles professionnelles

    20 familles professionnelles (sur 83) couvrent la quasi-totalité de l’emploi public (93 %), le secteur public présente donc une concentration des emplois sur certaines familles professionnelles.

    Les besoins de recrutement des trois fonctions publiques : État, territoriale et hospitalière

    Le déséquilibre général ne semble pas insurmontable, bien que des divergences existent entre les fonctions publiques

    Les besoins de recrutements de la fonction publique prise au global ne sont pas inquiétants. Toutefois, la situation diverge entre catégorie d’employeurs :

    • La fonction publique d’État occupe une position relativement favorable, ses besoins de recrutements étant plus faible ;
    • La fonction publique hospitalière devrait être confrontée à un « déséquilibre modéré », compte tenu d’un nombre de jeunes professionnels importants en début de carrière. L’enjeu du secteur hospitalier tient à la fidélisation de son personnel ;
    • Enfin, la fonction publique territoriale est la plus en difficulté, avec une population d’agents vieillissante, des métiers techniques (comme on l’a vu dans le précédent billet) et en concurrence directe avec le secteur privé.

    L’analyse par métier peut être également préoccupante

    Lorsqu’on regarde les déséquilibres par famille de métiers, le constat global apparaît plus nuancé, avec de vraies spécificités selon les métiers :

    « Le besoin en cadre B et A est par exemple très problématique. »

     « Dans ces métiers, les effectifs de jeunes débutants devraient être insuffisants pour remplacer les nombreux postes laissés vacants par les seniors ou nouvellement créés. »

    L’analyse par besoins de recrutements dans les familles de métiers n’exclut pas un recoupement par employeurs, avec de nouvelles divergences pour des qualifications pourtant similaires :

    Le cas spécifique des collectivités territoriales

    Une population vieillissante, confrontée à d’importants départs en retraite

    Sur les besoins au titre des départs en retraite :

     « Les collectivités territoriales devraient être confrontées à des départs massifs : plus d’un tiers de leurs postes seraient laissés vacants par les seniors, soit une augmentation de 6 points de pourcentage par rapport à la décennie passée (2008-2019). »

    Trois familles professionnelles représentent près de la moitié de l’emploi des collectivités territoriales :

    • Les agents d’entretien (éboueurs, nettoyage de locaux, petit entretien, etc.) ;
    • Les employés administratifs de la fonction publique (officier ou officière d’état civil par exemple), et
    • Les professions intermédiaires administratives de la fonction publique (gestion financière et des ressources humaines par exemple).

    Des besoins importants du fait de l’évolution de la société

    A ces départs en retraite plus élevés que dans le privé répond des besoins également plus élevés que dans le privé :

    Comme énoncé en introduction du rapport de France stratégie, différents éléments se conjuguent comme l’emploi des femmes et entraînent une augmentation des besoins sociaux auxquelles les collectivités et le secteur hospitalier devront répondre :

    « Le vieillissement de la population implique des besoins de santé et de services de maintien à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie en forte augmentation : on compte entre 275 000 et 490 000 seniors supplémentaires en situation de dépendance entre 2020 et 2030 selon les scénarios de la DREES1. »

    En conséquence :

    « Ce sont dans les collectivités locales que la part des besoins de recrutement devra être – en pourcentage de l’emploi 2019 – la plus importante des secteurs publics et privé. Leur dynamique passée d’emploi a été plus forte que dans les autres versants en raison notamment des transferts de compétences qui ont accompagné les lois de décentralisation. Prolongée à 2030, cette tendance aboutirait à une création d’emploi du même ordre de grandeur que dans le reste de l’économie. Si on l’ajoute aux départs très nombreux des seniors, quatre postes actuels sur dix devraient être à pourvoir d’ici 2030, contre trois sur dix en moyenne. »

    Et peu de jeunes pour y répondre

    La problématique essentielle des collectivités tient en effet au vivier : peu de jeunes sont intéressés et ont réalisé un cursus scolaire les destinant à rejoindre le secteur territorial.

    1. DREES 2024, protection et besoins des populations âgées dépendantes entre 2015 et 2050.
    Entretien de recrutement
  • Une pénurie durable d’agents publics ?

    Une pénurie durable d’agents publics ?

    Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 3)

    Temps de lecture : 8 minutes.

    L’emploi public ne cesse d’augmenter, pourquoi ?

    L’augmentation des besoins en agents publics tient à plusieurs explications :

    • Un vieillissement de la société : les plus de 60 ans représentant aujourd’hui près de 28 % des Français (et les plus de 75 ans : 10 %) contre 18 % (et 6 %) quarante ans plus tôt ;
    • Un nombre de jeunes encore élevé : le nombre de jeunes de moins de 20 ans (et notamment ceux de moins de 15 ans) auxquels sont associés des besoins de services d’éducation oscillent autour de 15,5 millions depuis le début des années 1990 (contre 16,5 millions durant les années 1970 et 1980)1 ;
    • La poursuite de l’augmentation du taux d’activité des femmes, ce qui induit de nouveaux besoins dans le secteur des services – en particulier dans l’accueil des jeunes enfants et les services à la personne.
    • Enfin, le choix de l’emploi public pour répondre à tous ces défis.

    Une augmentation générale de l’emploi dans les secteurs public et privé

    Outre les spécificités tenant au secteur public esquissées dans le paragraphe précédent, il convient de relever que l’augmentation du taux d’emploi et du nombre de personnes en activité est générale :

    Sur les trente dernières années (1991-2022), l’emploi total, public et privé, a progressé plus vite (+28 %) que la population active (près de 20 %), compte tenu de la baisse marquée du taux de chômage.

    Mécaniquement, l’emploi public est donc également en hausse :

    Des créations d’emploi dans le privé plus élevées sur la période récente

    Jusqu’à une période récente, l’emploi public connaissait une dynamique plus forte que le secteur privé. Toutefois, depuis le début des années 2000, le secteur privé a été plus dynamique grâce à une forte accélération des créations d’emploi.

    La croissance du secteur privé n’est pas linéaire, contrairement à celui du secteur public. Néanmoins, le taux de croissance annuel moyen du secteur public, souvent supérieur à 1 % avant 2005, est autour de 0,5 % depuis cette date, avec parfois des destructions d’emplois.

    Le cas spécifique des ingénieurs informatiques : un recul dans le secteur public à rebours des évolutions du secteur privé

    Si le nombre d’agents publics est globalement en hausse continue, il convient de relever une anomalie : celle des ingénieurs informatiques.

    « La part de ces emplois n’a cessé de croître sur le marché de l’emploi, passant de 2,73 % en 2009 à 4,6 % en 2023. En revanche, cette croissance de l’emploi ne se constate pas dans le secteur public, y compris pour le métier d’ingénieurs de l’informatique. Leurs effectifs y ont même baissé alors que pour la même période ils augmentaient pour les actifs du secteur privé. »

    En conséquence, les services informatiques sont très largement externalisés dans le secteur public

    Au premier semestre 2022, pour l’activité courante des ministères, le taux d’externalisation variait ainsi de 25 % à 75 % selon les ministères.

    Pour les grands projets informatiques, le taux médian était de 60 %, variant de 0 % à 93 %. Un quart des projets dépassait un taux de 75 %. En conséquence, les dépenses d’externalisation de l’État ont crû régulièrement depuis 2018.

    Le positionnement de la France sur la scène internationale en matière d’emplois publics

    La place de la France en termes d’emplois publics se situe : dans une « moyenne haute », sans être atypique.

    Toutefois, en comme l’a récemment souligné l’OCDE, les comparaisons internationales sont délicates. En Allemagne, par exemple, la santé est financée par l’impôt, mais de nombreux emplois ne sont pas comptabilités comme « public » car les paiements sont indirects.

    « Si la France a une dépense publique élevée, c’est d’abord en raison d’une forte mutualisation des risques sociaux et de prestations sociales élevées. En revanche, en termes de dépenses publiques de fonctionnement, et d’emploi public, la position de la France n’apparaît pas particulièrement atypique2. »

    La féminisation de la fonction publique

    Le rapport cite notamment les travaux de Cédric Hugrée et Sybille Gollac qui tendent à démontrer que le développement de l’État social et du secteur public a été central dans l’accès des femmes au salariat. Et, il l’est encore davantage dans l’accès des femmes au salariat qualifié dans la deuxième moitié du XXe siècle.

    « Sur les 6,4 millions d’emplois supplémentaires entre 1960 et 2017, 5,9 millions sont occupés par des femmes. »

    La longue marche des femmes vers le salariat au cours du XXe siècle

    La part des femmes parmi les agents publics augmente fortement tout au long du XXe siècle, en commençant par les catégories d’exécution et les cadres intermédiaires :

    « Au début des années 1960, Alain Darbel et Dominique Schnapper dénombraient, dans les administrations centrales, 11 % de femmes parmi les agents de catégorie A, 50 % parmi les B et 70 % parmi les C. »

    Ces chiffres sont évidemment à mettre en parallèle avec les données récentes en administration centrale, y compris dans des directions pourtant relativement moins féminisées comme celles des ministères économiques et financiers.

    L’évolution des normes permettant de lever les barrières à l’entrée des femmes dans la fonction publique

    Cette féminisation de la fonction publique s’accompagne d’évolutions successives du droit3 :

    • Inscription du principe de non-discrimination dans le statut général des fonctionnaires en 1959 ;
    • Limitation des corps de fonctionnaires autorisés à recruter distinctement des hommes et des femmes en 1975,
    • Enfin, la suppression progressive des exceptions à cette règle, en particulier par la loi du 7 mai 1982.

    « Dans la fonction publique d’État, les femmes sont majoritaires dans toutes les catégories d’emploi au tournant du siècle. En 2008, elles représentent 58 % des agents civils de l’État, 53 % hors enseignement. Elles sont alors également majoritaires parmi les personnels non titulaires, soit 60 % en 2008, hors enseignants. Elles sont les plus nombreuses dans les ministères sociaux (éducation, santé, travail – entre 65 % et 71 %) et moins nombreuses à l’Intérieur ou à l’Équipement (respectivement 32 % et 28 %), la nature des filières et des métiers étant évidemment diverse. »

    L’exemple frappant est la féminisation de l’Éducation nationale

    La croissance des effectifs désormais portée par les contractuels

    Une évolution du nombre de contractuels particulièrement remarquable sur la période récente

    De 1996 à 2021, les effectifs de la fonction publique ont augmenté de 23,4 % :

    • La croissance est d’abord portée, jusqu’en 2007, par l’augmentation du nombre de fonctionnaires ;
    • Puis, à partir de 2007, par les contractuels. Le nombre de fonctionnaires et militaires étant même en diminution de 2,3 % sur la période (1,6 % si l’on retient uniquement les fonctionnaires civils).

    La part de contractuels parmi l’ensemble des effectifs connaît ainsi une augmentation régulière :

    • Après une relative stabilité du milieu des années 1990 jusqu’aux années 2000 autour de 14,5 %,
    • La part de contractuels augmente au début des années 2000 jusqu’à atteindre 17 % en 2010.

    Toutefois, ce niveau élevé de contractuels n’est pas inédit et est équivalent à ceux relevés dans les 1970.

    Une reconnaissance juridique d’un état de fait : l’augmentation du nombre de contractuels

    La situation des contractuels a longtemps été un « angle mort juridique », n’étant pas couvert par le Code du travail et très peu par le droit de la fonction publique4. Leur protection sociale est faible et les contrats peuvent être renouvelés sans limites, contrairement aux salariés de droit privé.

    C’est le droit communautaire qui, transposé dans la loi du 26 juillet 2005, fixe à six la durée maximale des contrats à durée déterminée, impliquant l’apparition d’une bizarrerie conceptuelle et juridique dans le paysage statutaire : le contractuel en contrat à durée indéterminée.

    La fonction publique de l’État présente une trajectoire heurtée avec, comme énoncé plus haut, une augmentation relativement constante du nombre de contractuels et, à rebours, une baisse, plus ou moins rapide, du nombre de fonctionnaires.

    Ces évolutions sont particulièrement marquantes dans l’Éducation nationale :

    Un objectif politique de réduction du nombre de fonctionnaires et de promotion du management inspiré du secteur privé

    Outre ce changement législatif, il convient de relever une terminologie politique mouvante avec une succession depuis les années 2000 des politiques de « modernisation » et l’assignation d’objectifs « managériaux » aux agents publics. À cet égard, la Revue générale des politiques publiques (RGPP) de 2007 marque un tournant :

    • La réduction du nombre de fonctionnaires devient un objectif gouvernemental et
    • Le ministère de la Fonction publique, généralement placé auprès du Premier ministre, est désormais rattaché au ministère du Budget.

    Les résultats de cette politique de réduction du nombre de fonctionnaires pour l’État, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière

    De 2002 à 2012, les effectifs de fonctionnaires de l’État sont en baisse, puis, de 2012 à 2022, on observe un équilibre entre recrutements et départs.

    Dans la fonction publique territoriale, se dessine, au contraire, une forte hausse des effectifs, puis un ralentissement. L’augmentation du nombre d’agents publics est dorénavant exclusivement imputable aux recrutements de contractuels.

    En dépit du ralentissement de cette croissance, sur une période relativement longue et en comparaison avec les autres pays de l’OCDE, la France présente une dynamique d’évolution du nombre d’agents publics territoriaux supérieure à la moyenne :

    Les filières de la fonction publique territoriale qui ont connu une croissance la plus forte de 2010 à 20175 sont celles :

    • De l’animation, notamment dans le périscolaire et l’extrascolaire (+ 59 % d’effectifs) ;
    • De la police municipale (+ 16 %) ;
    • Du médicosocial, dont les auxiliaires de puériculture pour l’accueil de jeunes enfants (+ 16 %) ;
    • Du médico-technique, ce qui comprend les vétérinaires, biologistes ou techniciens paramédicaux (+14 %).

    Enfin, dans le secteur hospitalier, l’augmentation des effectifs est continue, avec une évolution substantielle au début des années 2000 : l’essor du nombre de contractuels :

    • 80 % de la croissance des effectifs de 2005 à 2021 est portée par les recrutements de contractuels ;
    • La part des contractuels dans l’emploi total passe ainsi de 8 % en 1996 à 11 % en 2000, 16 % en 2010 et près de 22 % en 2022.

    1. Toutefois, leur part relative baisse depuis une dizaine d’années (INSEE).
    2. Le constat de France stratégie est à nuancer cependant, la France présentant, sur la quasi-intégralité des typologies de dépenses (exception faite des dépenses de sécurité intérieure), un niveau de dépenses supérieur à la moyenne de l’OCDE.
    3. Sans compter l’action du juge administratif, dès 1936.
    4. Ce qui, in fine était le cas de l’ensemble des agents publics sous la IIIe République.
    5. Chiffres issus du rapport du Conseil national de la fonction publique territoriale

    Un désert de sable
  • L’attractivité de la fonction publique (introduction)

    L’attractivité de la fonction publique (introduction)

    Temps de lecture : 10 minutes.

    France stratégie a publié fin décembre 2024 un rapport très commenté sur la situation de la fonction publique.

    Le constat dressé est alarmant, voire décourageant. On y découvre une fonction publique en crise profonde, marquée par un déclin profond de son attractivité :

    • Les difficultés de recrutement sont majeures : 15 % des postes non pourvus en 2022 ;
    • Ces difficultés résultent d’une dévalorisation des métiers et de conditions de travail jugées dégradées ;
    • Les rémunérations et promotions se révèlent en moyenne moins intéressantes que dans le privé ;
    • Plus inquiétant : on assiste également à un recul des inscriptions dans les filières universitaires, principal vivier de la fonction publique ;
    • Enfin, toutes ces difficultés de recrutement et de fidélisation du personnel entrainent une dégradation des services publics : accueil des jeunes enfants, éducation, santé, justice.

    Le rapport traite des trois fonctions publiques. Cependant, je m’attarderai principalement sur la situation de l’État.

    Une crise de la FP profonde et multidimensionnelle

    La crise d’attractivité traversée par la fonction publique française est multidimensionnelle et s’installe dans la durée. Elle concerne, dans des proportions variables, les trois versants de la fonction publique :

    • La fonction publique d’État ;
    • La fonction publique hospitalière ;
    • La fonction publique territoriale.

    Cette fragilisation s’observe désormais à tous les moments de la relation de travail :

    • Avant l’embauche, avec un tarissement des viviers de recrutements et un moindre intérêt des jeunes vers les métiers du service public1 ;
    • Pendant le processus de recrutement, avec des proportions de renoncements de lauréats de concours plus élevées qu’auparavant ;
    • Puis, au cours de carrière, avec une augmentation des départs volontaires, en particulier dans l’Education nationale.

    « Le phénomène est d’autant plus préoccupant que la pénurie engendre la pénurie. 

    […]

    « Une spirale négative se met en place, reliant les difficultés de recrutement, la dégradation des conditions de travail, la moindre qualité du service et le manque d’attractivité. »

    Une situation qui se dégrade

    Une crise qui concerne l’ensemble des principaux métiers proposés par l’État

    Dans la fonction publique d’État (FPE), les problèmes de recrutement affectent tout particulièrement les métiers des ministères qui recrutent le plus :

    • Ministère de l’Éducation nationale (enseignants),
    • Ministère de l’Intérieur (gardiens de la paix, gendarmes),
    • Ministère de l’Économie et des Finances (inspection des finances publiques),
    • Ministère de la Justice (surveillants pénitentiaires et, dans une moindre mesure, greffiers),
    • Ministère des Armées (militaires du rang et sous-officiers2).

    Mais, ces difficultés touchent également3 :

    • Les fonctions support,
    • L’administration générale et
    • Les métiers très qualifiés des autres ministères (notamment les spécialistes du numérique).

    « En 2022, ce sont 15 % des postes offerts aux concours de la fonction publique d’État qui n’ont pas été pourvus (contre 5 % en 2018)4. Un véritable décrochage s’observe depuis les années 2010. »

    « Les postulants deviennent insuffisamment nombreux pour couvrir les besoins et les taux de sélectivité plongent : en moyenne, douze candidats se présentaient pour un poste aux concours externes de la FPE sur la période 2000-2010, ils ne sont plus que quatre en 2022. »

    L’Education nationale est le ministère le plus exposé à la pénurie, mais les difficultés de recrutement sont généralisées

    Les concours de recrutement d’enseignants connaissent, en effet, une désaffection importante. Toutefois, la baisse du nombre de candidats se constate pour l’ensemble des recrutements.

    « Les taux de sélectivité sont en 2022 de six candidats pour un poste pour les autres concours de catégories A [hors enseignants], B et C, quand ils étaient respectivement de 22, 29 et 17 en 2000. »

    En conséquence, pour l’Éducation nationale, le nombre de postes vacants mesurés à la rentrée scolaire connaît une hausse quasi constante :

    • De 1 988 postes vacants en 2006,
    • À 4 774 en 2023.

    Le recours accru aux contractuels ne permet pas de compenser le manque de candidats aux concours.

    Une nouvelle problématique : les départs volontaires

    « On observe parallèlement une fragilisation croissante de la capacité de la fonction publique à retenir ses agents. »

    En rappelant qu’en droit de la fonction publique, la démission unilatérale n’existe pas. Le fonctionnaire étant recruté par arrêté ministériel ou interministériel, l’administration doit accepter le départ de l’agent5.

    Il s’agit donc d’un fait relativement nouveau par son ampleur et sa nature : marquant une forme de délitement du lien entre certains agents et leur administration.

    Le tarissement des voies traditionnelles de recrutement

    Le manque de candidats aux concours résulte, pour les cadres, d’un tarissement des effectifs d’étudiants dans les filières générales de l’université.

    Le nombre d’inscrits en université devrait stagner jusqu’en 2031, selon les projections du ministère de l’Enseignement supérieur6.

    À l’inverse, l’enseignement supérieur privé, moins susceptible de conduire à une carrière dans la fonction publique, continue de croître.

    Une difficulté plus grande encore pour les formations dédiées à la préparation des concours de la fonction publique

    Les étudiants se détournent en particulier des sciences de l’éducation, qui connaissent une chute marquée des inscriptions, autant en licence qu’en master :

    De 2016 à 2023, les effectifs en master des métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation ont baissé de 26 %.

    Toutefois, le recul est également marqué pour les effectifs inscrits en Institut de préparation à l’administration générale (IPAG) :

    De 2008 à 2020, le nombre d’étudiants inscrits en IPAG a baissé de 35 %.

    Une jeunesse peu intéressée par l’emploi public

    En creux, ce qui apparaît à la lecture du rapport est une forme de désintérêt diffus et profond (puisque partagé) pour la sphère publique :

    « La part des sortants de formation initiale qui choisissent l’emploi public décroît, tous diplômes confondus. »

    « La « troisième explosion scolaire », traduite par la croissance des effectifs des jeunes débutants diplômés du supérieur, y compris dans les disciplines les plus pourvoyeuses d’agents publics, comme les sciences humaines et sociales, semble ainsi s’être réalisée au seul profit du secteur privé. Le nombre de débutants diplômés du supérieur a, en effet, crû de 17 % dans le secteur privé, mais chuté de 29 % dans le secteur public de 2007 à 20197. »

    Les raisons de cette désaffection

    Une dévalorisation des métiers

    La majorité des agents publics rejoignent la fonction publique pour exercer un métier précis : policier, juge, greffier, enseignant, militaire, inspecteur (des finances publiques, du travail…). Or, ces métiers sont de plus en plus dévalorisés.

    Les principaux éléments cités sont :

    • Le manque de reconnaissance, alimenté par les discours politiques et médiatiques négatifs et par les exigences des citoyens ;
    • La détérioration des conditions d’exercice ;
    • Enfin, la représentation de ces métiers comme une « vocation », avec un sous-entendu sacrificiel suscitant : « davantage de compassion que d’envie ».

    Une interrogation profonde sur le modèle d’emploi

    Par ailleurs, la concurrence à l’œuvre dans la « quête de sens » des actifs est majeure. L’État n’y occupe plus la première place8.

    Ce déclin de l’État s’inscrit dans une contestation de sa neutralité (et, peut-être plus encore, des exécutifs locaux), au profit d’organisations non gouvernementales, d’associations, voire d’entreprises à mission.

    Le rapport relève également les difficultés inhérentes au recrutement par concours, en particulier par l’incertitude tenant au lieu de première affectation.

    Dans ce cadre, le seul argument d’une garantie de l’emploi, qui plus est dans un contexte de baisse du chômage et d’une tension sur les recrutements dans le privé, ne permet pas d’attirer de jeunes actifs.

    Le développement ambivalent du recrutement contractuel

    Les contractuels bénéficient d’avantages qui semblent attrayants :

    • Des modalités d’accès simplifiées (ce point a notamment été relevé dans un rapport récent de la Cour des comptes s’agissant de la direction du budget),
    • Un recrutement local qui lève les contraintes de l’affectation géographique,
    • Des niveaux de rémunération plus élevés que les titulaires dans certains cas.

    Toutefois, la très grande majorité des jeunes entrés dans la FPE comme contractuels (CDD) n’y restent pas9. Par ailleurs, la part des titularisations tend à baisser.

    Le recours accru aux contrats peut aussi conduire à fragiliser l’attractivité du statut lui-même.

    Un double cadre de gestion s’installe durablement : celui des titulaires et celui des contractuels. Ces deux cadres évoluent en parallèle, potentiellement pourvoyeur d’inégalités, voire de rivalités.

    Le modèle de gestion de la FP

    Un instrument de promotion social pour les plus diplômés issus de milieux modestes

    La fonction publique reste un débouché privilégié pour les diplômés des catégories modestes, et plus encore pour les femmes10.

    Pour ces deux catégories, la « pénalité » pour l’accès aux postes d’encadrement est moindre dans le secteur public que dans le privé. Cette surreprésentation des enfants de catégories populaires parmi les cadres du public a eu en outre tendance à s’accentuer dans la période récente :

    Pour autant, une difficulté à promouvoir en interne les moins diplômés

    En dépit d’un recrutement socialement plus égalitaire (à niveau de diplôme égal), la fonction publique peine ensuite à promouvoir ses agents.

    La logique de catégories, contestée encore récemment par le ministre chargé de la fonction publique11, semble réduire pour partie les perspectives d’évolution professionnelle des agents les moins diplômés. Le passage d’une catégorie à l’autre suppose la réussite à des concours ou des examens professionnels, qui peuvent pénaliser les publics les moins qualifiés12.

    « Pour ceux qui commencent en bas de l’échelle, les perspectives d’évolution socioprofessionnelles se traduisant par un changement de catégorie et un accès aux échelons supérieurs de la hiérarchie sociale sont en définitive plus limitées que dans le privé. »

    Des rémunérations devenues problématiques, en particulier pour les plus diplômés

    L’évolution de la rémunération moyenne des agents publics a été inférieure à celle du privé tous les ans de 2011 à 2020 :

    En s’attachant à une cohorte de jeunes actifs, on constate des évolutions du salaire médian particulièrement différenciées, alors même que la fonction publique est structurellement plus diplômée que le secteur public :

    « De 2002 à 2019, le salaire médian des jeunes travaillant dans le secteur public a progressé en termes réels de 52 %, celui des jeunes du privé de 65 %. »

    La fonction publique maintient globalement un positionnement salarial plus favorable au fil de la carrière que le privé pour les moins diplômés.

    En revanche, pour les plus diplômés, les perspectives de progression salariale sont moindres dans la fonction publique :

    • Pour les hommes diplômés, le secteur privé propose des perspectives salariales nettement plus profitables13 ;
    • Pour les femmes, il existe un avantage salarial dans la fonction publique en début et milieu de carrière. Toutefois, cet intérêt s’estompe ensuite, en faveur du secteur privé.

    Le rapport note également que la complexité du mode de rémunération dans le secteur public participe de la baisse d’attractivité.

    Un déclin de l’autonomie et de la qualité de vie au travail

    L’un des derniers avantages comparatifs encore en faveur des agents publics concerne l’autonomie au travail. Cependant, cette spécificité tend à se réduire, notamment pour les emplois plus qualifiés et pour les enseignants, alors même que le soutien hiérarchique reste faible comparé au privé.

    Le rôle des collectifs de travail constitue également un atout du public :

    • Les salariés du public se déclarent très souvent aidés par leurs collègues (87 %), davantage que dans le privé (79 %), et ce chiffre est en augmentation de 2013 à 2019.

    C’est particulièrement vrai dans les métiers peu qualifiés (agents d’entretien, cuisiniers, jardiniers) ainsi que dans le secteur hospitalier, où les collectifs de travail jouent un rôle essentiel : 92 % des salariés s’y sentent soutenus par leurs collègues, contre 82 % de l’ensemble des salariés. Mais, ici encore, ces avantages sont susceptibles de se déliter sous l’effet de la multiplication des statuts et de l’intensification du travail.

    Enfin, le temps de travail est plus faible que dans le privé, mais en contrepartie d’un travail sur des horaires plus fréquemment atypiques (soir et weekend). Cependant, une nouvelle fois, les différences entre le secteur public et le privé semblent se réduire.

    Ce rapprochement des conditions de travail interroge. Régulièrement soulevé par la doctrine juridique, depuis l’apparition du statut jusqu’à la loi de transformation de la fonction publique, il ne cesse de soulever les débats. Ce clivage constitue d’ailleurs, pour Maya Bacache-Beauvallet, un sujet politique structurant du partage gauche-droite14.

    1. On pourrait préciser que le moindre intérêt pour le service public concerne… le service public « du secteur public ». Le rapport met ainsi en avant une forme de concurrence dans la réponse au besoin de sens des actifs avec les secteurs associatifs et entrepreneuriaux. L’Etat n’a plus (s’il l’a déjà eu) : « le monopole de l’intérêt général ».
    2. Toutefois, les métiers techniques qui mobilisent des compétences spécifiques transposables dans le civil sont particulièrement difficiles à recruter. C’est le cas des informaticiens en cybersécurité et renseignement ou des ingénieurs dans le domaine de l’armement.
    3. Voir également le rapport de la Cour des comptes (2024), Le budget de l’État en 2023. Résultats et gestion, cité par France stratégie.
    4. DGAFP (2024), Rapport annuel sur l’état de la fonction publique – édition 2024.
    5. Par ailleurs, une démission n’ouvre pas droit au chômage (en code du travail comme au code général de la fonction publique).
    6. SIES (2023), « Projection des effectifs dans l’enseignement supérieur pour les rentrées de 2022 à 2031 », Note d’information du SIES, n° 2023-04, avril (cité dans le rapport de France stratégie).
    7. Ce constat, inquiétant, fait écho au billet de Luc Rouban sur le risque de paupérisation de la fonction publique.
    8. Ce qui peut apparaître très étrange pour nombre d’agents publics, convaincus du caractère essentiel de leurs missions.
    9. Élément également constaté à la direction générale des entreprises.
    10. Ces deux caractéristiques se combinant.
    11. Mais abandonnée depuis.
    12. Il faut toutefois préciser que les métiers de cadres dans la fonction publique d’État (mais également dans les autres fonctions publiques) nécessitent des compétences juridiques. Cela peut-être moins le cas dans les services, où les compétences requises pour l’accès à des fonctions supérieures peuvent être plus larges : commerciales, comptables, managériales…
    13. Le secteur privé est moins égalitaire que la fonction publique s’agissant de l’égalité femmes-hommes.
    14. Économie politique de l’emploi public, Édition Connaissances et Savoirs, Paris, 2006, 362 p.

    Un homme de dos traverse un pont

  • La Direction générale des entreprises (en 5 minutes)

    La Direction générale des entreprises (en 5 minutes)

    Temps de lecture : 5 minutes.

    La Cour des comptes a publié ses observations définitives le 5 décembre 2024 consacrées à la Direction générale des entreprises.

    La direction générale des entreprises est née en 2014 de la fusion de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services. Elle constitue l’administration centrale de référence pour la conception et la mise en œuvre des politiques de soutien aux entreprises et des politiques économiques sectorielles. 

    Malgré son rôle d’impulsion fondamental dans l’accompagnement des entreprises, cette direction des ministères économiques et financiers demeure peu connue. Ces quelques éléments de synthèse permettront, je l’espère, de disposer d’une première image de son activité, de son histoire récente et des agents qui la compose.

    Une direction au service des entreprises

    Selon les termes du décret n° 2009-37 du 12 janvier 2009 modifié, elle :

    « propose, met en œuvre et évalue les actions et les mesures, notamment financières, juridiques et scientifiques, propres à créer, sur le territoire national, un environnement favorable à la création et au développement des entreprises, notamment les petites ou moyennes entreprises et les entreprises de croissance, ainsi qu’au développement de l’industrie, du tourisme, du commerce, de l’artisanat, des services aux entreprises et aux personnes, de l’économie numérique, des communications électroniques et des professions libérales. Elle propose des mesures fiscales dans ces domaines. Elle concourt à la définition, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques de compétitivité, d’innovation, d’accompagnement des mutations économiques, de développement de la compétitivité internationale des entreprises et d’attractivité du territoire français. »

    Les moyens budgétaires à la disposition de la DGE

    Les dépenses de la DGE sont importantes et principalement portés par trois programmes budgétaires :

    • Le programme 134 (P134), « Développement des entreprises et régulations » ;
    • Le programme 192 (P192), « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle » ;
    • Le programme 343 (P343), « Plan France Très haut débit ».

    Au titre du plan de relance, la DGE a également géré de nouveaux programmes :

    • Le programme 362 (P362), « Écologie » (en soutien aux stratégies de transformation énergétique) ;
    • Le programme 363 (P363), « Compétivité » (consacré au secteur spatial, au numérique et à la souveraineté industrielle) ;
    • Le programme 364 (P364), « Cohésion » (petites entreprises, zones rurales…).

    Ces crédits sont désormais en extinction progressive.

    Des crédits budgétaires en recul jusqu’à la pandémie de la COVID 19

    Avant la crise sanitaire, ces programmes étaient en baisse et majoritairement orientés vers le financement des écoles et aides à l’innovation (P192), qui constituait 65 à 75 % des enveloppes gérées.

    Le mouvement de concentration de ces aides à l’innovation vers la mission budgétaire d’investissements d’avenir amplifiait cette tendance baissière.

    Une rupture avec le « quoiqu’il en coûte »

    À la suite de la crise sanitaire de la COVID-19, les crédits gérés par la DGE sont multipliés par six :

    De 1,13 milliard d’euros en 2017 (dont 0,76 milliard sur le P192) à 6,66 milliards d’euros en 2023.

    Outre les effets de la relance budgétaire initiée par le Gouvernement, il convient de noter également un effet de périmètre avec le transfert à la DGE des crédits du programme 193 dédiés à la recherche spatiale à compter de 2021 (en jaune dans le graphique à suivre).

    Une réorganisation profonde à compter de 2018

    En 2018 et 2019, à la prise de fonctions du nouveau directeur général et quelques mois à peine avant la crise sanitaire, la DGE et son réseau régional ont connu une restructuration en profondeur.

    Ces transformations visaient à répondre aux ambitions gouvernementales portées dans la démarche « Action publique 2022 » et aux circulaires du Premier ministre relatives à :

    • La transformation et la réorganisation des administrations centrales (5 juin 2019) et
    • L’organisation territoriale des services publics (24 juillet 2018 et 12 juin 2019).

    Elles ont conduit à diviser par près de deux le nombre d’agents dans le réseau territorial1 et à concentrer les effectifs à l’échelon central.

    Les effets de la réorganisation sur le déploiement des agents

    Les effectifs relevant de la DGE ont baissé d’un tiers de 2018 à 2023. Soit une baisse de 187 équivalents temps pleins travaillés.

    Toutefois, cette baisse n’a pas été uniforme :

    • Les effectifs en administration centrale ont augmenté de 6,1 % (+43,3 ETP),
    • Tandis que les effectifs du réseau territorial diminuaient de 40 %.

    La nouvelle composition de la DGE suite à la réforme

    Les données pour l’année 2019 détaillées par service révèlent l’ampleur de la réorganisation opérée :

    Près des deux tiers des effectifs du SISSE et du service de l’économie numérique ont été renouvelés, un tiers de ceux du service de l’industrie, du SCIDE et du secrétariat général.

    Le remplacement des fonctionnaires de catégories A et B, par des contractuels recrutés au niveau A+

    La moyenne d’âge est passée de 47,9 ans à 40,6 ans ; la part des plus de 50 ans de 52 % à 29 % et celle des contractuels de 22 % à 50 %.

    En parallèle, un repyramidage des postes a été opéré :

    • La part des agents titulaires et contractuels de catégorie A + représente désormais 38,7 % des effectifs, contre 23,5 % en 2018 ;
    • Celle des agents de catégorie A est toutefois en régression à : 49,4 %, contre 52 % en 2018.

    Les catégories A et A + regroupent ainsi 88 % des agents en 2023 contre 76 % en 2018.

    « La forte hausse du nombre d’agents A+ résulte des modalités de recrutement des agents contractuels, dont la majorité sont recrutés sous ce statut qui leur garantit l’accès à un indice majoré plus élevé, à même de rendre leur rémunération plus attractive. »

    Pour aller plus loin : Les hauts fonctionnaires des ministères économiques et financiers.

    Du point de vue structurel : une bascule des effectifs vers le soutien au numérique

    Certaines missions ont été abandonnées ou transférées :

    • L’Agence du numérique a ainsi été transférée à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT),
    • La sous-direction de l’animation territoriale, de l’Europe et de l’International a été supprimée, ces missions étant redistribuées (et le cas échéant ajustées) ou arrêtées.

    L’objectif de ces reconfigurations étant de renforcer les effectifs des services jugés prioritaires :

    • L’économie numérique, avec un quasi-doublement des ETP ;
    • L’industrie (+ 70,6 % des effectifs) et, dans une moindre mesure), le SISSE (Service de l’information stratégique et de la sécurité économique)é.

    Lorsqu’on regarde en région, les bouleversements sont majeurs :

    Des éléments qui demeurent encore à parfaire, malgré la réorganisation

    Le taux de renouvellement du personnel est élevé, à 25 %. Si, comme le souligne la Cour, cela n’est pas inhabituel pour une direction d’administration centrale, il s’agit d’une critique récurrente de la part des partenaires2.

    Par ailleurs, l’articulation avec les autres directions d’administration centrale demeure perfectible. Notamment avec :

    • La DGEFP sur les politiques de l’emploi et de la formation ;
    • La DG Trésor, pour la publication de travaux de référence en matière économique ;
    • Avec les directions métiers des ministères chargés de l’Environnement (pour les sujets liés à l’énergie, la construction…), l’Agriculture (pour le soutien aux entreprises agroalimentaires) ou encore l’Aviation civile…

    1. Étant considéré, notamment, qu’il ressort des missions des conseils régionaux d’animer les politiques économiques locales.
    2. La mobilité en administration centrale est généralement favorisée après deux ou trois ans en poste. Si bien que les turn-over sont le plus souvent élevés, ce qui contraste en effet avec les longévités rencontrées parmi les dirigeants et salariés d’opérateurs de l’Etat, d’entreprises ou d’associations partenaires, les représentants de branches professionnelles ou de fédérations…
    Vue sur la Seine
  • Le vieillissement de la fonction publique

    Le vieillissement de la fonction publique

    Temps de lecture : 10 minutes.

    Lecture d’un document récent1 de la Cour des comptes consacré à : L’allongement de la vie professionnelle des agents dans une fonction publique vieillissante.

    Le vieillissement des travailleurs n’est évidemment pas propre à la fonction publique2. En revanche, compte tenu de l’importance des trois fonctions publiques françaises au regard de l’ensemble des actifs, un rapport n’était pas inutile.

    Un vieillissement principalement lié aux réformes successives des retraites

    À cet égard, le graphique présenté par la Cour est éclairant :

    Cette pression du vieillissement est due à deux phénomènes conjugués :

    • Un départ en retraite plus tardif,
    • Une arrivée dans la fonction publique, également plus tardive.

    On peut également y ajouter une politique de recrutements heurtée, qui a induit notamment sous le mandat de Nicolas Sarkozy, un vieillissement de la cohorte du fait du non-remplacement de l’ensemble des fonctionnaires partant en retraite :

    Des agents qui partent en retraite de plus en plus tard

    La Cour note ainsi que les agents civils sédentaires partent en moyenne à 63 ans et 8 mois.

    Le report de l’agent de retraite à 64 ans n’aura donc qu’un effet très marginal sur la fonction publique :

    « La dernière étude communiquée par les services de l’État à la Cour évalue le « gain » de ce report (de l’âge de retraite à 64 ans) à 150 M€ pour 2024 et 2025. Pour une masse salariale estimée à 153,6 milliards d’euros sur 2024. »

    « Les différentes réformes de 2003, 2010 et 2014 ont progressivement repoussé l’âge de départ à la retraite des agents de la fonction publique. En 2006, 80 % des agents de catégorie sédentaire3 de la FPE partaient avant 61 ans, ils n’étaient plus que 10 % en 2022. Les agents de catégorie active enregistrent la même évolution : la part des fonctionnaires civils de catégorie active partant à la retraite après 55 ans est passée de 39 % en 2006 à 93 % en 2022. »

    Des jeunes de moins en moins jeunes

    L’âge moyen d’entrée dans la fonction publique d’État est en constante augmentation depuis plusieurs décennies :

    « Pour les agents civils, l’âge moyen d’entrée passe de 23 ans en 1980 à 29 ans en 2020. Cette tendance qui a vocation à se poursuivre s’explique par l’augmentation de la durée des études (qui vaut aussi pour la population générale) et les effets des « doubles carrières » privé/public, de plus en plus fréquentes. »

    Les agents de l’État sont particulièrement concernés, puisqu’il s’agit de la fonction publique structurellement la plus diplômée.

    De 1980 à 2020, l’âge moyen d’entrée dans la fonction publique passe ainsi :

    • De 26 à 31 ans pour la catégorie A,
    • De 22 à 26 ans pour la catégorie B et
    • De 23 à 27 ans pour la catégorie C.

    Des différences marquées entre fonctions publiques

    La moyenne d’âge des agents de la fonction publique d’État est de 44 ans. Ce qui correspond également à la moyenne d’âge de l’ensemble des agents des trois fonctions publiques.

    Toutefois, en analysant plus précisément chaque fonction publique, des disparités se font jour :

    • La moyenne d’âge de la fonction publique territoriale est de 46 ans, c’est la plus élevée des trois fonctions publiques ;
    • À l’inverse, la moyenne d’âge de la fonction publique hospitalière est de 42 ans. Il s’agit de la fonction publique la plus jeune.

    À titre de comparaison, la moyenne d’âge dans le secteur privé est de 41 ans. L’écart avec le secteur privé s’explique essentiellement par l’entrée plus tardive dans la fonction publique.

    La situation spécifique des seniors et les diversités de situation entre les trois fonctions publiques

    La proportion d’agents civils de plus de 50 ans est de 33 % pour l’État, contre une moyenne de 36 % pour l’ensemble des fonctions publiques. L’État se distingue donc par une fonction publique comportant relativement moins de « seniors ».

    La spécificité de l’État tient aussi à la surreprésentation de catégories A et A+ parmi les agents de plus de 60 ans. Ces derniers connaissant par ailleurs une forte dynamique démographique :

    « La situation des agents de plus de 60 ans différencie nettement la FPE du reste de la fonction publique : depuis 2010, leur part dans les effectifs est passée de 4 % à 9 % en 2021, elle devrait s’élever à l’échéance de 10 ans à 12 %, puis en 2040 à 14 %. »

    À l’inverse, le vieillissement accéléré est plus marqué pour les agents de catégorie C dans les collectivités territoriales.

    Le cas spécifique des agents administratifs de catégorie A (et A+) de l’État

    Les agents administratifs de la fonction publique représentent près de 162 000 agents :

    • 31 000 attachés d’administration de l’État ;
    • 51 000 secrétaires administratifs et
    • 80 000 adjoints administratifs.

    Ces professions, vieillissantes, sont par ailleurs très féminisées (a fortiori pour les secrétaires administratifs et adjoints). L’âge moyen des secrétaires d’administration atteint déjà 50 ans.

    Pour les attachés d’administration, le besoin de renouvellement à 10 ans serait estimé à environ 35 % des effectifs actuels, soit 11 000 agents.

    La Cour des comptes ne le relève pas, mais il convient aussi de préciser la transformation profonde à l’œuvre dans les effectifs administratifs avec :

    • Une suppression progressive des adjoints administratifs et
    • Une réduction du nombre de secrétaires administratifs.

    Cette recomposition, déjà détaillée dans une étude de la DARES de 2015, tient principalement à :

    1. La numérisation croissante de l’activité administrative ;
    2. Le besoin d’une expertise de plus en plus pointue et
    3. Une modification des modalités de fonctionnement des administrations, avec une dynamique de projet, toujours plus marquée (cas de la Direction générale des entreprises, par exemple).

    Une accélération récente du vieillissement des agents pour l’État

    Le vieillissement accéléré des agents de l’Education nationale

    Les enseignants de l’Education nationale constituent 80 % des agents de catégorie A de l’État.

    Or, parmi les agents de l’Education nationale, les agents de plus de 60 ans passeraient de 6 % du total des effectifs aujourd’hui à 16 % en 2035. Soit un niveau légèrement au-dessus de leur proportion dans l’ensemble de la fonction publique d’État.

    La situation du ministère de l’Intérieur

    Le ministère de l’Intérieur emploie un peu plus de 300 000 agents, dans la très grande majorité des fonctionnaires :

    • Ils appartiennent à la fonction militaire pour 34 % (les gendarmes) et
    • À 45 % aux personnels actifs de la police.

    Autrement dit : près de 80 % de ses agents relèvent de régimes dérogatoires de date de prise de la retraite. Malgré cela, une part significative des agents du ministère de l’Intérieur se concentre autour de la cinquantaine.

    Ce vieillissement s’explique par une politique de recrutement non-linéaire :

    • Des recrutements importants de 1998 à 2003,
    • Suivis de baisses d’effectifs de 2007 à 2015,
    • Puis, d’une nouvelle reprise des recrutements.

    Un élément suscite toutefois une profonde interrogation, mais il ne fait malheureusement pas l’objet d’investigations plus approfondies de la Cour : la situation du réseau préfectoral.

    Ce vieillissement accéléré semble signaler une profonde transformation à venir du réseau :

    Les agents des ministères économiques et financiers (la DGFiP)

    En raison de l’importance de leurs effectifs et de leur réseau déconcentré, un examen des grands corps d’inspection de Bercy s’imposait pour la Cour.

    En effet :

    • La direction générale des Finances publiques (DGFIP) réunit 95 000 agents, dont 1 500 A+ et
    • La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), près de 17 000 agents.

    À elles seules, ces deux directions représentent 87 % des emplois des ministères et financiers (MEF). Elles ont déjà fait l’objet d’un traitement par la Cour récemment, s’agissant de la gestion de ses informaticiens.

    Une situation dégradée s’agissant de la DGFiP :

    51 % des agents de la DGFiP ont plus de 50 ans et leur moyenne d’âge est de 48 ans4. Plus inquiétant, : cet âge moyen continue d’augmenter au fil des ans.

    Le vieillissement est encore plus marqué pour les cadres supérieurs de la DGFiP (qui incluent les inspecteurs principaux, inspecteurs divisionnaires et administrateurs des finances publiques adjoints). 74,5 % d’entre eux ont plus de 55 ans et ils partent à la retraite, en moyenne, à 64,7 ans.

    Une situation plus nuancée s’agissant des douanes :

    La moyenne d’âge est de 46 ans et 1 mois pour les douanes. Soit un niveau légèrement supérieur à celui de l’ensemble de l’État. Toutefois, une part importante des effectifs de la DGDDI sont en catégorie active, ce qui est normalement de nature à baisser la moyenne d’âge du corps. Comme pour l’Intérieur, la situation en termes de ressources humaines est donc à surveiller.

    Une évolution problématique des politiques de recrutement des hauts fonctionnaires

    La Cour souligne les contradictions dans la gestion de l’encadrement supérieur

    Des nominations de plus en plus jeunes aux plus hautes fonctions de l’État :

    La Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (DIESE) observe la tendance, davantage marquée, à nommer des agents toujours plus jeunes à des postes d’encadrement supérieur :

    La tranche des 41-45 ans est la génération la plus représentée parmi les nominations effectuées sur des postes de cadres dirigeants en 2023 : directeurs d’administration centrale, délégués interministériels, secrétaires généraux des ministères, préfets, ambassadeurs, recteurs.

    De même, et comme on l’a vu ici dans une autre étude de la Cour sur l’évolution des rémunérations des cadres dirigeants de Bercy : l’accélération des carrières est un point central de la réforme de l’encadrement supérieur. Cette accélération devant inciter les hauts fonctionnaires à occuper des postes d’emplois fonctionnels5.

    Une réforme de la haute fonction publique qui interroge sur les conditions d’emploi des hauts fonctionnaires les plus âgés :

    En retenant uniquement les 2 600 cadres dirigeants suivis par la DIESE précitée :

    • 52 % des agents ont plus de 55 ans (et 10 % plus de 65 ans) ;
    • 35 % ont entre 45 et 55 ans ;
    • 13 % ont moins de 45 ans.

    Au total, l’âge moyen de la population des cadres dirigeants en poste s’établit à 56 ans (hommes) et 54 ans (femmes), leur laissant une perspective de vie professionnelle d’au moins 12 ans.

    La réforme de la haute fonction publique a induit des transformations considérables, avec une logique « d’emploi », dans une fonction publique encore largement de « carrière » :

    • Création du corps des administrateurs de l’État et disparition des corps préfectoral, diplomatique et de l’ensemble des corps d’inspection :
      • Inspection générale des finances ;
      • Inspection générale des affaires sociales ;
      • Inspection générale de l’administration ;
      • Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche…
    • Fonctionnalisation en conséquence de ces différents métiers6, induisant une concurrence entre les hauts fonctionnaires et les contractuels.

    Ainsi, il n’y a plus de « droit au retour » du haut fonctionnaire dans son ancien corps (diplomatique, préfectoral, inspection générale…). Ce qui constitue un point d’attention pour la Cour :

    Le risque de créer une masse d’agents sans affectation, indépendamment de la gestion frictionnelle traditionnelle des nominations, est non seulement plus grand, mais aussi plus visible.

    Les propositions de la Cour pour accompagner ce vieillissement

    La retraite progressive

    La retraite progressive permet aux bénéficiaires de réduire progressivement leur activité à l’approche de la retraite sans perte substantielle de rémunération.

    Au 1ᵉʳ janvier 2024, le nombre d’agents éligibles était estimé à 124 000. Les générations de 1958 à 1963 concentrent plus de 90 % des éligibles :

    • 47 % d’entre eux relèvent du ministère de l’Éducation nationale,
    • 13 % du ministère de l’Économie et des Finances.

    Pour autant, la Cour s’interroge sur le dispositif actuel :

    • L’incitation à la prise de temps partiels supérieurs à 50 % du temps de travail semble disproportionnée et peu compatible avec les nécessités de service ;
    • Le coût de cette incitation n’est pas suffisamment évalué, notamment au regard des gains attendus ;
    • L’impact sur les plafonds d’emplois soulève également une question ;
    • Enfin, le message doit également être plus clair et transparent :

    « Certes, la décision d’accorder une préretraite progressive est à la main de l’employeur, toutefois cette mesure risque d’être considérée comme un acquis social lié à l’aménagement des conditions de travail et non comme un instrument de régulation de l’emploi, une contrepartie de l’allongement des carrières à destination des agents qui ont du mal à l’approche de la retraite à effectuer un temps plein. »

    Diversifier les emplois des administrateurs de l’État et s’interroger sur la sortie de la fonction publique

    Une première proposition consistant à développer les fonctions d’ « experts de haut niveau »

    Les emplois des administrateurs de l’État sont les suivants :

    • En début de carrière : chargés de mission auprès d’un sous-directeur ou d’un directeur, adjoint auprès d’un chef de bureau ;
    • Chef de bureau,
    • Détaché sur un emploi fonctionnel.

    Sauf à occuper un emploi fonctionnel, les perspectives de carrière sont donc réduites.

    Par conséquent, la Cour préconise d’augmenter le nombre d’ « experts de haut niveau ». Certes, ces emplois sont fonctionnels (de ce fait, contingentés), mais leur nombre est aujourd’hui très réduit : moins d’une centaine de postes pour l’ensemble de l’État. Une première piste consisterait donc à augmenter le nombre de ces emplois afin de faire fructifier l’expérience des hauts fonctionnaires sans affectation.

    On peut toutefois s’interroger sur la pertinence de cette analyse qui revient à inverser la réflexion sur les besoins d’une organisation de travail7.

    Les autres propositions

    D’autres perspectives sont esquissées par la Cour :

    • La limitation des prolongations au-delà de la limite d’âge8 (actuellement 67 ans) ;
    • L’utilisation des ruptures conventionnelles de façon ciblée. 

    La faiblesse des propositions de la Cour tient, il me semble, aux difficultés inhérentes aux réformes récentes de la fonction publique.

    En effet, comme j’ai pu l’énoncer plus haut, la tension entre la fonction publique d’emploi et de carrière induit inévitablement un décalage :

    • La fonction publique de carrière est assise sur le recrutement par concours d’un fonctionnaire, avec l’accès à des emplois fonctionnels en dernière partie de carrière9 et
    • La fonction publique d’emploi est assise sur le principe de mise en concurrence des emplois d’encadrement supérieurs (avec les contractuels), en contrepartie d’une absence de droit à carrière10.
    1. Délibéré le 30 septembre 2024.
    2. Voir notamment l’étude de l’INSEE consacrée au Vieillissement de la population active publiée au 1er décembre 2022, dans la revue Économie et Statistique, n° 355-356.
    3. Les agents « sédentaires » sont les agents qui ne sont pas « actifs ». Les agents « actifs » sont les agents qui exercent des fonctions présentant des risques particuliers ou des fatigues exceptionnelles : infirmiers, aides-soignants, douaniers, policiers, personnels pénitentiaires, contrôleurs aériens.
    4. Pour rappel, la moyenne d’âge est de 44 ans dans la FPE.
    5. Les emplois fonctionnels correspondent aux emplois les plus élevés des trois fonctions publiques. Pour l’Etat, il s’agit des préfets, recteurs, délégués interministériels, directeurs d’administration centrale et secrétaires généraux, chefs de service et sous-directeurs.
    6. Autrement dit, l’accès à une fonction se fait après le passage devant un comité de sélection. Le haut-fonctionnaire sélectionné est alors détaché sur l’emploi. Si c’est un contractuel qui est sélectionné, il signe un contrat sur une période déterminée.
    7. En clair : la Cour préconise de créer des emplois fonctionnels, donc particulièrement rémunérés, pour occuper des hauts fonctionnaires qui, sinon, seraient sans affectation. À l’évidence, ces créations d’emplois d’experts de haut niveau devront donc restées mesurées.
    8. De très nombreux hauts-fonctionnaires sollicitent une prolongation de la limite d’âge afin de pouvoir demeurer sur leurs fonctions.
    9. En tempérant d’emblée le principe s’agissant de la France du fait d’une politique de recrutement de hauts fonctionnaires dès la sortie de l’enseignement supérieur ou peu après.
    10. En tout cas, théoriquement. Dans la fonction publique étasunienne, les agents gouvernementaux disposent tout de même d’une sécurité de l’emploi et de grilles salariales.

  • Les directions d’administration centrale

    Les directions d’administration centrale

    Temps de lecture : 15 minutes.

    L’organisation ministérielle

    Chaque ministère est organisé de manière hiérarchique avec :

    • Le cabinet du Ministre, composé d’une dizaine de collaborateurs directs, chargés de le conseiller et de préparer ses interventions, ainsi que du personnel administratif et technique (courriers, cuisine, résidence, transport…) ;
    • Les administrations centrales et les services à compétence nationale ;
    • Les services déconcentrés.

    L’ancien ministère de la Marine.

    Des prérogatives fixées dans le décret d’attribution du ministre

    Le décret d’attribution du ministre liste l’ensemble des directions d’administrations centrales placées sous son autorité, ainsi que celles dont il dispose, mais sans autorité1.

    Point important : disposer d’une administration centrale emporte également le contrôle et le pilotage des administrations déconcentrées correspondantes.

    Un indicateur de l’importance du ministre

    Dans le champ social, les ministres « forts » sont ainsi souvent dotés d’une autorité sur les directions :

    • De la sphère travail2 et de son réseau déconcentré (les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) et
    • Sur celles liées à la Sécurité sociale et aux solidarités3, ce qui permet d’avoir une autorité directe sur les caisses nationales de sécurité sociale et notamment : la Caisse nationale d’assurance maladie, la Caisse nationale des allocations familiales, la Caisse nationale de l’assurance vieillesse, le réseau des Urssaf.

    Pour le ministre de l’Intérieur, il est important d’avoir l’autorité directe sur la Direction générale des collectivités locales, etc.

    Pour les ministres de l’Économie et des Affaires étrangères, des conflits sont récurrents sur le pilotage de la politique économique internationale. À cet égard, Laurent Fabius avait, en avril 2014, pesé de tout son poids pour disposer d’une autorité sur la Direction générale du trésor4.

    Qu’est-ce qu’une administration centrale ?

    L’administration centrale désigne l’ensemble des services d’un ministère disposant de compétences nationales (hors gestion directe de dispositif) et directement rattachés au ministre.

    Elles sont le plus souvent installées en Ile-de-France, puisqu’elles sont chargées de mettre en œuvre la politique souhaitée par le ministre.

    Des missions ayant un caractère « national »

    L’alinéa 3 de l’article 2 du décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration dispose que :

    « Sont confiées aux administrations centrales et aux services à compétence nationale les seules missions qui présentent un caractère national ou dont l’exécution, en vertu de la loi, ne peut être déléguée à un échelon territorial. »

    L’alinéa 4 précise ensuite que :

    « Les autres missions, notamment celles qui intéressent les relations entre l’État et les collectivités territoriales, sont confiées aux services déconcentrés. »

    Cette compétence nationale et ce rattachement au ministre (ou au Premier ministre) exclut donc :

    • Les établissements publics, comme France travail5, dont la tutelle est exercée par une direction d’administration centrale ;
    • Les « agences », ce qui recouvre le plus souvent des organisations nationales indépendantes, souvent des AAI (autorités administratives indépendantes), mais également des API (autorités publiques indépendantes) ;
    • Les services déconcentrés, dont le ressort territorial ne couvre pas l’intégralité du territoire national.

    Des missions portant sur la supervision générale des politiques publiques

    L’article 3 du même décret dispose ainsi que :

    « Les administrations centrales assurent, au niveau national, un rôle de conception, d’animation, d’appui des services déconcentrés, d’orientation, d’évaluation et de contrôle6. »

    Ce recentrage sur l’animation des politiques nationales participe de la politique de déconcentration.

    Ce faisant, sont ici exclues les « services à compétences nationales », chargés de la gestion d’un dispositif public (par exemple : les « Archives nationales7 »).

    Un lien étroit avec le cabinet du Ministre

    De tels services se trouvent en général à Paris, à l’exception de quelques-uns d’entre eux. Cet héritage est historique, il est l’expression de la centralisation du pouvoir, mais il facilite également les échanges réguliers entre le ministre et son administration.

    En effet, les administrations centrales doivent mettre en œuvre les politiques du gouvernement :

    • D’un point de vue juridique, par la préparation des projets de loi, de décrets et arrêtés, ainsi que les différents documents d’accompagnement juridique de ces textes (instructions, circulaires, « questions réponses »…) ;
    • Au niveau budgétaire, en proposant un calibrage et un mode d’exécution budgétaire, puis en assurant leur exécution et leur contrôle ;
    • Au titre de l’animation, en s’assurant de la compréhension des dispositifs et de l’engagement des services de l’État et des partenaires pour réaliser les objectifs du gouvernement.

    Les réunions de travail ont bien changé.

    Un éloignement progressif des administrations centrales

    Les déménagements de nombreuses administrations centrales n’ont pas entrainé de déménagements des cabinets ministériels.

    Cet éloignement, conjugué à une importance croissante prise par les cabinets, a pu conduire à une certaine dilution des responsabilités. Certains conseillers s’ingérant dans le travail d’administration centrale et faisant écran entre le directeur de l’administration concernée et le ministre8.

    À noter : Emmanuel Macron, nouvellement élu en 2017, a souhaité rationaliser les cabinets ministériels en limitant strictement le nombre de conseillers par ministre9. L’objectif étant d’éviter les ingérences des conseillers ministériels sur le travail administratif.

    L’organisation d’une administration centrale

    La distinction entre les directions « métiers » et les directions « supports »

    Les directions « métiers »

    Les directions « métiers », souvent plus prestigieuses et historiques, sont responsables de politiques publiques.

    On y trouve par exemple, pour les plus importantes (s’agissant des administrations civiles) :

    • La direction générale du Trésor, chargée de concevoir et d’animer les politiques économiques et financières de la France, de gérer la dette et de représenter l’administration dans les organisations internationales ;
    • La direction du Budget, chargée de préparer le budget de l’État et d’en suivre son exécution ;
    • La direction générale des Finances publiques, en matière d’imposition et de recouvrement ;
    • La direction générale de l’administration et de la fonction publique, chargée de piloter la politique interministérielle et inter-fonction publique de ressources humaines ;
    • La direction générale des collectivités locales, chargée de rédiger la règlementation applicable aux collectivités locales (financements, droit de la fonction publique et des politiques publiques) ;
    • La direction générale de la sécurité intérieure, chargée de lutter contre le terrorisme et l’ingérence ;
    • La direction générale de l’armement, chargée de gérer les programmes d’équipement militaires, d’innovation et de défense technologique ;
    • La direction des affaires civiles et du Sceau, chargée de l’élaboration des règles applicables au droit civil et commercial et de la régulation des professions judiciaires et juridiques ;
    • La direction générale de l’énergie et du climat, pour la politique énergétique et la transition écologique ;
    • La direction générale des affaires politiques et de sécurité des affaires étrangères ;
    • La direction générale de la santé et la direction générale de l’offre de soins, pour élaborer les politiques publiques en matière de santé et l’organisation du système de santé ;
    • La direction de la Sécurité sociale pour piloter les missions et politiques de financement des différentes branches : vieillesse, santé, famille, autonomie, recouvrement ;
    • La direction générale du travail, pour organiser les rapports individuels et collectifs du travail ;
    • Ou encore la direction générale de l’enseignement scolaire pour la politique éducative.

    Une très grande diversité de directions « métiers »

    Les directions d’administration centrales « historiques sont le plus souvent organisées autour d’une thématique. Celle-ci peut être très technique ou, à l’inverse, transversale et embrasser alors un périmètre large nécessitant de nombreuses interventions interministérielles.

    La direction du budget dispose évidemment d’un positionnement unique, étant en interface avec l’ensemble des directions.

    Toutefois, d’autres directions sont également très « extraverties ». C’est notamment le cas de la direction de la Sécurité sociale, de la direction générale des collectivités locales ou plus encore de la direction générale de l’administration et de la fonction publique.

    Des difficultés à concilier des identités parfois très marquées

    Selon Jacques Chevallier :

    « L’administration centrale tend à se présenter, dans le cadre de chaque ministère, sous la forme d’une mosaïque de structures diversifiées, dotées d’une grande permanence, isolées les unes des autres et disposant chacune d’une logique propre de fonctionnement et de développement : de nombreux ministères, tels que celui de l’économie et des finances, mais aussi ceux de l’agriculture ou de l’éducation nationale, ont ainsi été constitués d’un assemblage de grandes directions anciennes, prestigieuses et très autonomes10. »

    Pour l’auteur, cet enracinement des administrations centrales n’est pas sans poser de difficultés, alimentant une forme de sclérose et d’incohérence.

    La multiplication des structures à l’occasion d’événements, plus ou moins conjoncturels, n’étant jamais remise en cause, ce qui peut aboutir à une bureaucratie incohérente et une inflation normative.

    Les « secrétariats généraux »

    Les directions dites « supports » sont désormais réunies en un « secrétariat général », ministériel ou interministériel (cas des affaires sociales).

    Inauguré au ministère des Affaires étrangères (1920), généralisé sous Vichy, avant de disparaître dans les années 70.

    Les secrétariats généraux perdureront toutefois dans les ministères des Armées et des Affaires étrangères, pour faire de nouveau l’objet d’une généralisation en 201411.

    Ces secrétariats généraux comportent en général :

    • Une direction des affaires financières (DAF) ;
    • Une direction des affaires juridiques (DAJ) ;
    • Une direction des ressources humaines (DRH) ;
    • Une direction chargée de la communication ;
    • Une direction chargée du pilotage des systèmes d’informations (DSI).

    À noter : les directions d’animation interministérielles ne sont pas des directions « support », mais bien des directions « métiers ».

    On y retrouve, par exemple, la direction générale de l’administration et de la fonction publique précitée, mais aussi la direction de l’immobilier de l’État, la direction des achats de l’État, la direction interministérielle du numérique.

    Une structuration hiérarchique quasi immuable

    Le décret n° 87-389 du 15 juin 1987 relatif à l’organisation des services d’administration centrale fixe les quelques dispositions applicables.

    Une organisation des directions générales fixée par décret et arrêtés

    Les missions de la direction générale et son organisation globale sont fixées par décret12, le plus souvent pris en Conseil d’État et en conseil des ministres.

    S’agissant de l’organisation des pouvoirs publics, l’accord du Premier ministre est évidemment essentiel.

    Toutefois, l’organisation en sous-direction et bureau dépend d’un arrêté, à la main complète du ministre, au titre de l’organisation de ses services13.

    L’organigramme de la DGCL est bien structuré et permet d’identifier les sous-directions et bureaux. ll n’y a pas de chefs de service toutefois, mais un directeur adjoint.

    Le personnel d’administration centrale

    Le décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l’État précise les règles applicables à la sélection, aux nominations et aux évaluations de ces agents.

    Concrètement :

    • Le directeur général (ou délégué général) a autorité sur l’ensemble des agents de la direction (ou délégation) ;
    • Le chef de service a une autorité directe sur les sous-directeurs ;
    • Le sous-directeur a une autorité directe sur les chefs de bureau (il est parfois question de mission) ;
    • Les chefs de bureau (ou mission) sur leur(s) adjoint(s) et agents.

    La fonction de chef de service est ancienne. Voici par exemple : M. Lesueur. Chef de service au ministère de l’Intérieur dans les années 20.

    L’unité première de l’administration centrale est donc constituée du bureau (ou de la mission).

    Un contingentement du nombre de cadres dirigeants longtemps prévu par la loi

    Jusqu’au décret précité du 15 juin 1987, le nombre de cadres dirigeants étaient fixés dans la loi.

    En effet, l’alinéa 2 de l’article 35 de la loi de finances du 13 avril 190014 portant fixation du budget général des dépenses et recettes de l’exercice 1900 disposait que :

    « Le nombre des emplois de chefs de service de chaque catégorie, savoir : directeurs généraux ou secrétaires généraux, chefs de division ou chefs de service, sous-directeurs, chefs de bureau, ne pourra être augmenté que par une loi. »

    Désormais, les nominations ne sont plus encadrées par la loi, mais par le pouvoir règlementaire.

    Cette perte de contrôle du Parlement a impliqué une hausse assez importante du nombre d’encadrants supérieurs. C’est le cas notamment de la Direction générale de l’économie.

    Une nomination des directeurs par décret du président de la République délibéré en Conseil des ministres

    Les directions d’administrations centrales sont dirigées par des directeurs nommés en conseil des ministres par le président de la République.

    Cet emploi est donc particulièrement sensible politiquement et est l’un des plus élevés de l’administration15.

    Cependant, étant nommés par le président de la République, les directeurs bénéficient d’une certaine stabilité de l’emploi16.

    Une nomination des chefs de services et sous directeurs par arrêté ministériel

    La nomination des sous-directeurs et des chefs de services est réalisée par arrêté conjoint du Premier ministre et du ministre dont relève l’emploi, conformément à l’article 22 du décret n° 2019-1954 du 31 décembre 2019 précité.

    La nomination est prononcée pour une durée maximale de trois an. Cette nomination peut être renouvelée, pour une durée totale d’occupation de six ans maximum (article 12 du même décret).

    À la première nomination, une période probatoire qui ne peut excéder six mois est prévue (article 13 du même décret).

    Il peut être mis fin aux missions des sous-directeurs et des chefs de services à tout moment pour nécessité de service, mais cette décision doit alors être motivée (article 16 du même décret).

    Résumé des principales directions d’administration centrale et de leur rattachement ministériel17 :

    Premier ministre :

    Le secrétariat général du gouvernement (SGG) ;

    • Le secrétariat général du gouvernement (SGG) ;
    • Le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) ;
    • Le Secrétariat général des Affaires européennes (SGAE) ;
    • La Direction interministérielle de la transformation publique ;
    • Le Service d’information du Gouvernement (SIG) ;
    • La Direction de l’information légale et administrative (DILA) ;
    • Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (France stratégie).

    Ministre de l’Intérieur

    • La direction générale de la police nationale (DGPN) ;
    • La direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ;
    • La direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) ;
    • La direction générale des étrangers en France (DGEF) ;
    • La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) ;
    • La délégation à la sécurité routière.

    Ministère de l’Économie et des finances

    • La direction générale du Trésor (DGTrésor) ;
    • La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ;
    • La direction générale de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ;
    • Le service à compétence nationale dénommé « Agence des participations de l’État » (APE) ;
    • La direction générale des entreprises (DGE) ;
    • Le délégué interministériel aux restructurations d’entreprises ;
    • Le médiateur des entreprises ;
    • La direction générale des Finances publiques (DGFiP) ;
    • La direction du budget (DB) ;
    • La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) ;
    • La direction des achats de l’État (DAE) ;
    • Les services de contrôle budgétaire et comptable ministériel (SCBCM) ;
    • Les services à compétence nationale dénommés « TRACFIN », « Agence pour l’informatique financière de l’État » et « centre interministériel de services informatiques relatifs aux ressources humaines » (CISIRH) ;
    • La direction de l’immobilier de l’État (DIE) ;
    • La délégation nationale à la lutte contre la fraude (DLNF) ;
    • L’agence française anticorruption (AFC).

    ministre de la fonction publique

    • La direction interministérielle de la transformation publique (DITP) ;
    • La direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP).

    ministre de l’Agriculture et de l’alimentation

    • La direction générale de l’alimentation (DGAL) ;
    • La direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER)
    • La direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) ;
    • La direction des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPMA).

    ministre de la Culture

    • La direction générale des patrimoines (DGP) ;
    • La direction générale de la création artistique (DGCA) ;
    • La direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) ;
    • La délégation à la langue française et aux langues de France.

    ministre de la Transition écologique

    • La Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) ;
    • La Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) ;
    • La Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) ;
    • La Direction générale de la prévention des risques (DGPR) ;
    • La Direction générale de l’aviation civile (DGAC).

    ministre de l’Éducation nationale

    • La direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO).

    ministre de l’Enseignement supérieur

    • La direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESUP) ;
    • La direction générale de la recherche et de l’innovation.

    ministre de la Justice

    • La direction des services judiciaires ;
    • La direction des affaires civiles et du sceau (DACS) ;
    • La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) ;
    • La direction de l’administration pénitentiaire (DAP) ;
    • La direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ).

    ministre des Solidarités et de la santé

    • La direction générale de la santé (DGS) ;
    • La direction générale de l’offre de soins (DGOS) ;
    • La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) ;
    • La direction de la Sécurité sociale (DSS) ;
    • La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) ;
    • La mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives.

    ministre des Sports

    • La direction des sports ;
    • La délégation interministérielle aux grands événements sportifs.

    ministre du Travail

    • La direction générale du travail (DGT) ;
    • La délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) ;
    • La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES).

    ministre des Armées

    • De l’état-major des armées ;
    • Des organismes militaires et des services interarmées rattachés au chef d’état-major des armées ;
    • Des états-majors de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air ;
    • De la direction générale de l’armement (DGA) ;
    • La direction générale des relations internationales et de la stratégie ;
    • La direction générale du numérique et des systèmes d’information et de communication ;
    • La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ;
    • La délégation à l’information et à la communication de la défense ;
    • La direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) ;
    • La direction centrale du service de santé des armées ;
    • La direction de la protection des installations, moyens et activités de la défense ;
    • Le contrôle général des armées.

    ministre de l’Outre-mer

    • La direction générale des outre-mer.

    ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités (si ministère autonome)

    • La direction générale des collectivités locales.

    ministre des Affaires étrangères

    • La direction générale des affaires politiques et de sécurité (DGAPS) ;
    • La direction de l’Union européenne (DUE) ;
    • La direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international (DGMCEDI) ;
    • La direction générale de l’administration et de la modernisation (DGAM) ;
    • La direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire.

    1. Le ministre chargé de l’Industrie peut par exemple avoir autorité sur la direction générale de l’Economie, et peut disposer de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle s’agissant des dispositifs de formation dans le champ de l’Industrie.
    2. Autrement dit, essentiellement : la direction générale du travail et la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.
    3. La direction de la sécurité sociale et la direction générale de la cohésion sociale, essentiellement.
    4. Voir l’article 2 du décret d’attribution. Et pour une analyse, sur ce sujet et plus largement la politique étrangère de François Hollande, l’article de Christian Lequesne. La politique extérieure de François Hollande : entre interventionnisme libéral etnécessité européenne. 2014. hal-03460278
    5. On peut toutefois imaginer l’importance de ces établissements publics dans la conduite des politiques ministérielles, certains d’entre eux représentant même la quasi-intégralité des crédits budgétaires d’un programme budgétaire.
    6. Ces dispositions ont donc ajouté la notion « d’appui aux services déconcentrés » qui n’existait pas dans la rédaction originelle de l’article 2 du décret n°92-604 du 1 juillet 1992 portant charte de la déconcentration.
    7. Les Archives nationales ont pour mission de « collecter, classer, inventorier, conserver, restaurer, communiquer et mettre en valeur les archives publiques ».
    8. Pour une affaire récente, voir la démission du directeur de l’administration pénitentiaire en 2017 :
      https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/04/02/le-directeur-de-l-administration-penitentiaire-claque-la-porte_5104724_1653578.html
    9. Un premier décret n° 2017-1063 du 18 mai 2017 relatif aux cabinets ministériels a été publié, moins de deux semaines après la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle. L’actuel décret n° 2024-892 du 23 septembre 2024 reprend ce principe en limitant les cabinets d’un ministre à quinze membres, dix membres pour un ministre délégué et sept membres pour un secrétaire d’Etat.
    10. Jacques Chevallier, « La reconfiguration de l’administration centrale », Revue française d’administration publique 2005/4 (no116), p. 715-725.
    11. Décret n° 2014-834 du 24 juillet 2014 relatif aux secrétaires généraux des ministères
    12. Article 2 du décret du 5 juin 1987 précité.
    13. CE, Jamart, 7 février 1936.
    14. Rétablies par la loi n°45-01 du 24 novembre 1945 relative aux attributions des ministres du Gouvernement provisoire de la République et à l’organisation des ministères
    15. Assez logiquement classé au premier niveau de l’arrêté du 23 novembre 2022 relatif à la répartition par niveaux des emplois relevant du décret n2022-1453 du 23 novembre 2022 relatif aux conditions de classement, d’avancement et de rémunération applicables à certains emplois supérieurs de la fonction publique de l’Etat.
    16. Jean-Denis Combrexelle a ainsi été directeur général du travail pendant treize ans de 2001 à 2014.
    17. Hors secrétariats généraux et inspections générales. Les périmètres proposés sont évidemment changeants et dépendent, comme énoncé plus haut, des décrets d’attribution des ministres.