Étiquette : Accès à la fonction publique

  • Une pénurie durable d’agents publics ?

    Une pénurie durable d’agents publics ?

    Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 3)

    Temps de lecture : 8 minutes.

    L’emploi public ne cesse d’augmenter, pourquoi ?

    L’augmentation des besoins en agents publics tient à plusieurs explications :

    • Un vieillissement de la société : les plus de 60 ans représentant aujourd’hui près de 28 % des Français (et les plus de 75 ans : 10 %) contre 18 % (et 6 %) quarante ans plus tôt ;
    • Un nombre de jeunes encore élevé : le nombre de jeunes de moins de 20 ans (et notamment ceux de moins de 15 ans) auxquels sont associés des besoins de services d’éducation oscillent autour de 15,5 millions depuis le début des années 1990 (contre 16,5 millions durant les années 1970 et 1980)1 ;
    • La poursuite de l’augmentation du taux d’activité des femmes, ce qui induit de nouveaux besoins dans le secteur des services – en particulier dans l’accueil des jeunes enfants et les services à la personne.
    • Enfin, le choix de l’emploi public pour répondre à tous ces défis.

    Une augmentation générale de l’emploi dans les secteurs public et privé

    Outre les spécificités tenant au secteur public esquissées dans le paragraphe précédent, il convient de relever que l’augmentation du taux d’emploi et du nombre de personnes en activité est générale :

    Sur les trente dernières années (1991-2022), l’emploi total, public et privé, a progressé plus vite (+28 %) que la population active (près de 20 %), compte tenu de la baisse marquée du taux de chômage.

    Mécaniquement, l’emploi public est donc également en hausse :

    Des créations d’emploi dans le privé plus élevées sur la période récente

    Jusqu’à une période récente, l’emploi public connaissait une dynamique plus forte que le secteur privé. Toutefois, depuis le début des années 2000, le secteur privé a été plus dynamique grâce à une forte accélération des créations d’emploi.

    La croissance du secteur privé n’est pas linéaire, contrairement à celui du secteur public. Néanmoins, le taux de croissance annuel moyen du secteur public, souvent supérieur à 1 % avant 2005, est autour de 0,5 % depuis cette date, avec parfois des destructions d’emplois.

    Le cas spécifique des ingénieurs informatiques : un recul dans le secteur public à rebours des évolutions du secteur privé

    Si le nombre d’agents publics est globalement en hausse continue, il convient de relever une anomalie : celle des ingénieurs informatiques.

    « La part de ces emplois n’a cessé de croître sur le marché de l’emploi, passant de 2,73 % en 2009 à 4,6 % en 2023. En revanche, cette croissance de l’emploi ne se constate pas dans le secteur public, y compris pour le métier d’ingénieurs de l’informatique. Leurs effectifs y ont même baissé alors que pour la même période ils augmentaient pour les actifs du secteur privé. »

    En conséquence, les services informatiques sont très largement externalisés dans le secteur public

    Au premier semestre 2022, pour l’activité courante des ministères, le taux d’externalisation variait ainsi de 25 % à 75 % selon les ministères.

    Pour les grands projets informatiques, le taux médian était de 60 %, variant de 0 % à 93 %. Un quart des projets dépassait un taux de 75 %. En conséquence, les dépenses d’externalisation de l’État ont crû régulièrement depuis 2018.

    Le positionnement de la France sur la scène internationale en matière d’emplois publics

    La place de la France en termes d’emplois publics se situe : dans une « moyenne haute », sans être atypique.

    Toutefois, en comme l’a récemment souligné l’OCDE, les comparaisons internationales sont délicates. En Allemagne, par exemple, la santé est financée par l’impôt, mais de nombreux emplois ne sont pas comptabilités comme « public » car les paiements sont indirects.

    « Si la France a une dépense publique élevée, c’est d’abord en raison d’une forte mutualisation des risques sociaux et de prestations sociales élevées. En revanche, en termes de dépenses publiques de fonctionnement, et d’emploi public, la position de la France n’apparaît pas particulièrement atypique2. »

    La féminisation de la fonction publique

    Le rapport cite notamment les travaux de Cédric Hugrée et Sybille Gollac qui tendent à démontrer que le développement de l’État social et du secteur public a été central dans l’accès des femmes au salariat. Et, il l’est encore davantage dans l’accès des femmes au salariat qualifié dans la deuxième moitié du XXe siècle.

    « Sur les 6,4 millions d’emplois supplémentaires entre 1960 et 2017, 5,9 millions sont occupés par des femmes. »

    La longue marche des femmes vers le salariat au cours du XXe siècle

    La part des femmes parmi les agents publics augmente fortement tout au long du XXe siècle, en commençant par les catégories d’exécution et les cadres intermédiaires :

    « Au début des années 1960, Alain Darbel et Dominique Schnapper dénombraient, dans les administrations centrales, 11 % de femmes parmi les agents de catégorie A, 50 % parmi les B et 70 % parmi les C. »

    Ces chiffres sont évidemment à mettre en parallèle avec les données récentes en administration centrale, y compris dans des directions pourtant relativement moins féminisées comme celles des ministères économiques et financiers.

    L’évolution des normes permettant de lever les barrières à l’entrée des femmes dans la fonction publique

    Cette féminisation de la fonction publique s’accompagne d’évolutions successives du droit3 :

    • Inscription du principe de non-discrimination dans le statut général des fonctionnaires en 1959 ;
    • Limitation des corps de fonctionnaires autorisés à recruter distinctement des hommes et des femmes en 1975,
    • Enfin, la suppression progressive des exceptions à cette règle, en particulier par la loi du 7 mai 1982.

    « Dans la fonction publique d’État, les femmes sont majoritaires dans toutes les catégories d’emploi au tournant du siècle. En 2008, elles représentent 58 % des agents civils de l’État, 53 % hors enseignement. Elles sont alors également majoritaires parmi les personnels non titulaires, soit 60 % en 2008, hors enseignants. Elles sont les plus nombreuses dans les ministères sociaux (éducation, santé, travail – entre 65 % et 71 %) et moins nombreuses à l’Intérieur ou à l’Équipement (respectivement 32 % et 28 %), la nature des filières et des métiers étant évidemment diverse. »

    L’exemple frappant est la féminisation de l’Éducation nationale

    La croissance des effectifs désormais portée par les contractuels

    Une évolution du nombre de contractuels particulièrement remarquable sur la période récente

    De 1996 à 2021, les effectifs de la fonction publique ont augmenté de 23,4 % :

    • La croissance est d’abord portée, jusqu’en 2007, par l’augmentation du nombre de fonctionnaires ;
    • Puis, à partir de 2007, par les contractuels. Le nombre de fonctionnaires et militaires étant même en diminution de 2,3 % sur la période (1,6 % si l’on retient uniquement les fonctionnaires civils).

    La part de contractuels parmi l’ensemble des effectifs connaît ainsi une augmentation régulière :

    • Après une relative stabilité du milieu des années 1990 jusqu’aux années 2000 autour de 14,5 %,
    • La part de contractuels augmente au début des années 2000 jusqu’à atteindre 17 % en 2010.

    Toutefois, ce niveau élevé de contractuels n’est pas inédit et est équivalent à ceux relevés dans les 1970.

    Une reconnaissance juridique d’un état de fait : l’augmentation du nombre de contractuels

    La situation des contractuels a longtemps été un « angle mort juridique », n’étant pas couvert par le Code du travail et très peu par le droit de la fonction publique4. Leur protection sociale est faible et les contrats peuvent être renouvelés sans limites, contrairement aux salariés de droit privé.

    C’est le droit communautaire qui, transposé dans la loi du 26 juillet 2005, fixe à six la durée maximale des contrats à durée déterminée, impliquant l’apparition d’une bizarrerie conceptuelle et juridique dans le paysage statutaire : le contractuel en contrat à durée indéterminée.

    La fonction publique de l’État présente une trajectoire heurtée avec, comme énoncé plus haut, une augmentation relativement constante du nombre de contractuels et, à rebours, une baisse, plus ou moins rapide, du nombre de fonctionnaires.

    Ces évolutions sont particulièrement marquantes dans l’Éducation nationale :

    Un objectif politique de réduction du nombre de fonctionnaires et de promotion du management inspiré du secteur privé

    Outre ce changement législatif, il convient de relever une terminologie politique mouvante avec une succession depuis les années 2000 des politiques de « modernisation » et l’assignation d’objectifs « managériaux » aux agents publics. À cet égard, la Revue générale des politiques publiques (RGPP) de 2007 marque un tournant :

    • La réduction du nombre de fonctionnaires devient un objectif gouvernemental et
    • Le ministère de la Fonction publique, généralement placé auprès du Premier ministre, est désormais rattaché au ministère du Budget.

    Les résultats de cette politique de réduction du nombre de fonctionnaires pour l’État, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière

    De 2002 à 2012, les effectifs de fonctionnaires de l’État sont en baisse, puis, de 2012 à 2022, on observe un équilibre entre recrutements et départs.

    Dans la fonction publique territoriale, se dessine, au contraire, une forte hausse des effectifs, puis un ralentissement. L’augmentation du nombre d’agents publics est dorénavant exclusivement imputable aux recrutements de contractuels.

    En dépit du ralentissement de cette croissance, sur une période relativement longue et en comparaison avec les autres pays de l’OCDE, la France présente une dynamique d’évolution du nombre d’agents publics territoriaux supérieure à la moyenne :

    Les filières de la fonction publique territoriale qui ont connu une croissance la plus forte de 2010 à 20175 sont celles :

    • De l’animation, notamment dans le périscolaire et l’extrascolaire (+ 59 % d’effectifs) ;
    • De la police municipale (+ 16 %) ;
    • Du médicosocial, dont les auxiliaires de puériculture pour l’accueil de jeunes enfants (+ 16 %) ;
    • Du médico-technique, ce qui comprend les vétérinaires, biologistes ou techniciens paramédicaux (+14 %).

    Enfin, dans le secteur hospitalier, l’augmentation des effectifs est continue, avec une évolution substantielle au début des années 2000 : l’essor du nombre de contractuels :

    • 80 % de la croissance des effectifs de 2005 à 2021 est portée par les recrutements de contractuels ;
    • La part des contractuels dans l’emploi total passe ainsi de 8 % en 1996 à 11 % en 2000, 16 % en 2010 et près de 22 % en 2022.

    1. Toutefois, leur part relative baisse depuis une dizaine d’années (INSEE).
    2. Le constat de France stratégie est à nuancer cependant, la France présentant, sur la quasi-intégralité des typologies de dépenses (exception faite des dépenses de sécurité intérieure), un niveau de dépenses supérieur à la moyenne de l’OCDE.
    3. Sans compter l’action du juge administratif, dès 1936.
    4. Ce qui, in fine était le cas de l’ensemble des agents publics sous la IIIe République.
    5. Chiffres issus du rapport du Conseil national de la fonction publique territoriale

    Un désert de sable
  • Attractivité de la fonction publique : l’émergence d’un problème public

    Attractivité de la fonction publique : l’émergence d’un problème public

    Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 2)

    Temps de lecture : 5 minutes.

    Deuxième volet d’une série d’articles consacrés au rapport remis par France stratégie en décembre 2024 sur l’attractivité de la fonction publique.

    Dans ce chapitre introductif, les chercheurs tendent à démontrer que la question de l’attractivité s’impose désormais dans le débat public. Pour autant, ce problème n’est pas nouveau, ses ressorts sont complexes et nécessitent une remise en cause probablement profonde des administrations et de leurs chefs de service.

    Une dénonciation ancienne du « trop grand nombre de fonctionnaires »

    Les rapporteurs précisent d’abord que le néologisme « bureaucratie » a été créé par l’économiste physiocrate Vincent de Gournay (1712-1758). L’objet de ce concept était déjà de dénoncer l’influence, jugée trop importante, des fonctionnaires sur la vie sociale et économique du pays. En spécifiant qu’alors, l’administration de l’État monarchique était très (très) modeste.

    Ces premiers éléments rappellent à l’évidence les travaux d’Émilien Ruiz, notamment rassemblés dans son ouvrage Trop de fonctionnaires dont est tiré le graphique suivant :

    Le souci de bien recruter et bien former

    La sélection par concours et la création d’écoles spécialisées dès le début du XIXe siècle

    La compétence et la formation des agents deviennent progressivement un critère de recrutement avec l’affermissement de l’État.

    Les ministères chargés de l’Équipement et des Armées sont les premiers à développer une logique de concours, puis de formation préalable au recrutement :

    • L’École des ponts et chaussées est fondée en 1747 ;
    • L’École polytechnique en 17941 ;
    • L’École spéciale militaire de Saint-Cyr en 1803 et
    • L’école Navale en 1830.

    La logique de sélection et de formation des agents publics compétents est ensuite graduellement adoptée dans les administrations civiles. Dès 1835, un concours est ainsi mis en place pour l’accès à la magistrature2.

    Un long chemin vers la généralisation du concours

    Une montée en puissance progressive du milieu du XVIIIe jusqu’à la fin de la IIIe République

    Dès 1844, un rapport propose de sélectionner au mérite, par concours, examen ou diplôme les agents publics.

    Cette effervescence intellectuelle et libérale permettra la création quatre ans plus tard, en 1848, de la première École nationale d’administration pour sélectionner les agents administratifs de l’État.

    Toutefois, cette école survivra à peine quelques mois et il faudra attendre la Troisième République pour voir le système de concours émerger de nouveau.

    Une consécration juridique à compter de la moitié du XXe siècle

    Le souci de sélection et de formation se renforce sous Vichy dans une approche punitive et culpabilisante. Les fonctionnaires étant tenus pour partie responsable de la débâcle.

    Le concours devient alors un fondement du recrutement des fonctionnaires3 :

    L’article 27 de la « loi » du 14 septembre 1941 dispose ainsi que :

    « Nul ne peut être admis à un emploi de début s’il n’a satisfait aux épreuves d’un concours ou aux examens de sortie d’une école lorsque le recrutement est assuré par cette voie. »

    Pour autant, ici comme ailleurs, les « valeurs » portés par Vichy se révèlent à l’usage très peu suivi d’effets.

    Le régime a besoins de bras pour réaliser ses « missions » et, pour ce faire, non seulement il recrute des agents publics, mais il le fait davantage encore que sous la IIIe République, en dehors des modes de recrutements traditionnels :

    • En 936, l fonction publique comptait 106 000 agents non titulaires (19,7 % de l’emploi public) ;
    • En 1946, ils étaient 356 000 (40 %).

    Le principe de sélection par concours sera réaffirmé dans le statut de 1946 (premier statut républicain de la fonction publique), puis par le statut général de 1983. Toutefois, il ne présente pas de caractère constitutionnel4.

    Un problème d’attractivité ancré dans l’histoire de la fonction publique

    Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des difficultés recrutements pour la quasi-totalité des ministères

    De 1952 à 1964, la population française augmente de près de cinq millions et demi de personnes. Nous sommes alors en plein « baby boom ». Assez logiquement, d’importantes administrations voient leurs effectifs augmenter fortement :

    • Le ministère de l’Éducation nationale double ainsi ses effectifs, dans un contexte d’augmentation du nombre de jeunes suite aux naissances d’après-guerre et de l’essor d’une scolarisation de masse de ces derniers ;
    • Le ministère des Postes et des télécommunications recrute près de 57 000 postiers.

    Cependant, le nombre total d’agents publics dans les autres ministères (Armées, Intérieur, Santé et Travaux publics notamment) connaît une croissance particulièrement faible, de l’ordre de 1 000 recrutements par an. Cette très faible croissance s’explique par les difficultés de recrutement de l’administration.

    Ces difficultés de recrutements sont dues au trop faible nombre de candidats

    Le nombre de candidats aux concours de la fonction publique de catégorie A (cadre) et B (cadre intermédiaire) est particulièrement bas sur la période.

    Jean-Luc Bodiguel et Luc Rouban recensent ainsi :

    « 162 candidats inspecteurs élèves des impôts pour 360 postes en 1960, 16 candidats inspecteurs de la Sécurité sociale pour 32 postes en 1958. »

    Il en va de même pour les écoles de service public comme l’ENA (1945) et l’ENM (1958) :

    « En 1964, la Magistrature était bien heureuse d’avoir deux candidats pour un poste [5 pour 1 en 1953] .(…) Situation identique à l’ENA où, entre 1957 et 1960, on ne put, au concours étudiant, pourvoir qu’à 155 postes pour 162 offerts, malgré la faiblesse du taux de sélection : 1 reçu pour 3,5 candidats. »

    La situation actuelle en terme d’attractivité

    Une tension généralisée dans les recrutements (secteur privé et public)

    Il convient de relever tout d’abord l’augmentation du taux d’emploi et la baisse du chômage.

    Huit métiers sur dix (représentant 87 % de l’emploi) sont en tension forte ou très forte selon la DARES5.

    Mécaniquement, la concurrence est donc plus forte entre les entreprises, associations et administrations dans le recrutement de salariés qualifiés. Plus encore, lorsque les métiers ou compétences sont comparables

    Un phénomène qui demeure toujours difficile à qualifier

    Les rapporteurs soulignent ainsi qu’avant 2009, il n’existe aucune base de données fiable sur le nombre d’agents des services publics.

    Par ailleurs, le sujet souffre également d’une difficulté dans le choix des indicateurs :

    • Les emplois vacants ?
    • La durée de vacance desdits emplois ?
    • Le nombre de candidats au concours ?
    • Le turn-over dans les structures ?

    Enfin, les comparaisons internationales sont encore plus complexes. La Commission européenne6 éprouve également des difficultés :

    « Les offices statistiques nationaux et les institutions internationales n’utilisent pas les mêmes définitions et méthodologies, ce qui entraîne des incohérences entre les pays et confirme la nécessité d’améliorer la validité et la cohérence des données dans ce domaine. »

    1. Les écoles d’ingénieurs créées sous la monarchie (dont celles des ponts et chaussées) sont conservées, en étant intégrées au parcours des polytechniciens.
    2. Toutefois, la création d’une école, l’École nationale de la magistrature, n’est réalisée qu’en 1958. En précisant également que les magistrats financiers de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, ainsi que les magistrats administratifs ne disposent pas d’école de formation dédiées.
    3. Le premier statut de la fonction publique est créé par le régime de Vichy, toutefois, l’idée statutaire traverse toute la IIIe République.
    4. C’est le principe d’égal accès en fonction des « capacités » du citoyen qui revêt un caractère constitutionnel, conformément à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (voir notamment la décision du juge constitutionnel du 28 janvier 2011, n° 2010-94).
    5. DARES Résultats, n° 59, novembre 2023.
    6. Commission européenne (2017), « A comparative overview of public administration characteristics and performance in EU28 ».

    Étagères de livres
  • L’attractivité de la fonction publique (introduction)

    L’attractivité de la fonction publique (introduction)

    Temps de lecture : 10 minutes.

    France stratégie a publié fin décembre 2024 un rapport très commenté sur la situation de la fonction publique.

    Le constat dressé est alarmant, voire décourageant. On y découvre une fonction publique en crise profonde, marquée par un déclin profond de son attractivité :

    • Les difficultés de recrutement sont majeures : 15 % des postes non pourvus en 2022 ;
    • Ces difficultés résultent d’une dévalorisation des métiers et de conditions de travail jugées dégradées ;
    • Les rémunérations et promotions se révèlent en moyenne moins intéressantes que dans le privé ;
    • Plus inquiétant : on assiste également à un recul des inscriptions dans les filières universitaires, principal vivier de la fonction publique ;
    • Enfin, toutes ces difficultés de recrutement et de fidélisation du personnel entrainent une dégradation des services publics : accueil des jeunes enfants, éducation, santé, justice.

    Le rapport traite des trois fonctions publiques. Cependant, je m’attarderai principalement sur la situation de l’État.

    Une crise de la FP profonde et multidimensionnelle

    La crise d’attractivité traversée par la fonction publique française est multidimensionnelle et s’installe dans la durée. Elle concerne, dans des proportions variables, les trois versants de la fonction publique :

    • La fonction publique d’État ;
    • La fonction publique hospitalière ;
    • La fonction publique territoriale.

    Cette fragilisation s’observe désormais à tous les moments de la relation de travail :

    • Avant l’embauche, avec un tarissement des viviers de recrutements et un moindre intérêt des jeunes vers les métiers du service public1 ;
    • Pendant le processus de recrutement, avec des proportions de renoncements de lauréats de concours plus élevées qu’auparavant ;
    • Puis, au cours de carrière, avec une augmentation des départs volontaires, en particulier dans l’Education nationale.

    « Le phénomène est d’autant plus préoccupant que la pénurie engendre la pénurie. 

    […]

    « Une spirale négative se met en place, reliant les difficultés de recrutement, la dégradation des conditions de travail, la moindre qualité du service et le manque d’attractivité. »

    Une situation qui se dégrade

    Une crise qui concerne l’ensemble des principaux métiers proposés par l’État

    Dans la fonction publique d’État (FPE), les problèmes de recrutement affectent tout particulièrement les métiers des ministères qui recrutent le plus :

    • Ministère de l’Éducation nationale (enseignants),
    • Ministère de l’Intérieur (gardiens de la paix, gendarmes),
    • Ministère de l’Économie et des Finances (inspection des finances publiques),
    • Ministère de la Justice (surveillants pénitentiaires et, dans une moindre mesure, greffiers),
    • Ministère des Armées (militaires du rang et sous-officiers2).

    Mais, ces difficultés touchent également3 :

    • Les fonctions support,
    • L’administration générale et
    • Les métiers très qualifiés des autres ministères (notamment les spécialistes du numérique).

    « En 2022, ce sont 15 % des postes offerts aux concours de la fonction publique d’État qui n’ont pas été pourvus (contre 5 % en 2018)4. Un véritable décrochage s’observe depuis les années 2010. »

    « Les postulants deviennent insuffisamment nombreux pour couvrir les besoins et les taux de sélectivité plongent : en moyenne, douze candidats se présentaient pour un poste aux concours externes de la FPE sur la période 2000-2010, ils ne sont plus que quatre en 2022. »

    L’Education nationale est le ministère le plus exposé à la pénurie, mais les difficultés de recrutement sont généralisées

    Les concours de recrutement d’enseignants connaissent, en effet, une désaffection importante. Toutefois, la baisse du nombre de candidats se constate pour l’ensemble des recrutements.

    « Les taux de sélectivité sont en 2022 de six candidats pour un poste pour les autres concours de catégories A [hors enseignants], B et C, quand ils étaient respectivement de 22, 29 et 17 en 2000. »

    En conséquence, pour l’Éducation nationale, le nombre de postes vacants mesurés à la rentrée scolaire connaît une hausse quasi constante :

    • De 1 988 postes vacants en 2006,
    • À 4 774 en 2023.

    Le recours accru aux contractuels ne permet pas de compenser le manque de candidats aux concours.

    Une nouvelle problématique : les départs volontaires

    « On observe parallèlement une fragilisation croissante de la capacité de la fonction publique à retenir ses agents. »

    En rappelant qu’en droit de la fonction publique, la démission unilatérale n’existe pas. Le fonctionnaire étant recruté par arrêté ministériel ou interministériel, l’administration doit accepter le départ de l’agent5.

    Il s’agit donc d’un fait relativement nouveau par son ampleur et sa nature : marquant une forme de délitement du lien entre certains agents et leur administration.

    Le tarissement des voies traditionnelles de recrutement

    Le manque de candidats aux concours résulte, pour les cadres, d’un tarissement des effectifs d’étudiants dans les filières générales de l’université.

    Le nombre d’inscrits en université devrait stagner jusqu’en 2031, selon les projections du ministère de l’Enseignement supérieur6.

    À l’inverse, l’enseignement supérieur privé, moins susceptible de conduire à une carrière dans la fonction publique, continue de croître.

    Une difficulté plus grande encore pour les formations dédiées à la préparation des concours de la fonction publique

    Les étudiants se détournent en particulier des sciences de l’éducation, qui connaissent une chute marquée des inscriptions, autant en licence qu’en master :

    De 2016 à 2023, les effectifs en master des métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation ont baissé de 26 %.

    Toutefois, le recul est également marqué pour les effectifs inscrits en Institut de préparation à l’administration générale (IPAG) :

    De 2008 à 2020, le nombre d’étudiants inscrits en IPAG a baissé de 35 %.

    Une jeunesse peu intéressée par l’emploi public

    En creux, ce qui apparaît à la lecture du rapport est une forme de désintérêt diffus et profond (puisque partagé) pour la sphère publique :

    « La part des sortants de formation initiale qui choisissent l’emploi public décroît, tous diplômes confondus. »

    « La « troisième explosion scolaire », traduite par la croissance des effectifs des jeunes débutants diplômés du supérieur, y compris dans les disciplines les plus pourvoyeuses d’agents publics, comme les sciences humaines et sociales, semble ainsi s’être réalisée au seul profit du secteur privé. Le nombre de débutants diplômés du supérieur a, en effet, crû de 17 % dans le secteur privé, mais chuté de 29 % dans le secteur public de 2007 à 20197. »

    Les raisons de cette désaffection

    Une dévalorisation des métiers

    La majorité des agents publics rejoignent la fonction publique pour exercer un métier précis : policier, juge, greffier, enseignant, militaire, inspecteur (des finances publiques, du travail…). Or, ces métiers sont de plus en plus dévalorisés.

    Les principaux éléments cités sont :

    • Le manque de reconnaissance, alimenté par les discours politiques et médiatiques négatifs et par les exigences des citoyens ;
    • La détérioration des conditions d’exercice ;
    • Enfin, la représentation de ces métiers comme une « vocation », avec un sous-entendu sacrificiel suscitant : « davantage de compassion que d’envie ».

    Une interrogation profonde sur le modèle d’emploi

    Par ailleurs, la concurrence à l’œuvre dans la « quête de sens » des actifs est majeure. L’État n’y occupe plus la première place8.

    Ce déclin de l’État s’inscrit dans une contestation de sa neutralité (et, peut-être plus encore, des exécutifs locaux), au profit d’organisations non gouvernementales, d’associations, voire d’entreprises à mission.

    Le rapport relève également les difficultés inhérentes au recrutement par concours, en particulier par l’incertitude tenant au lieu de première affectation.

    Dans ce cadre, le seul argument d’une garantie de l’emploi, qui plus est dans un contexte de baisse du chômage et d’une tension sur les recrutements dans le privé, ne permet pas d’attirer de jeunes actifs.

    Le développement ambivalent du recrutement contractuel

    Les contractuels bénéficient d’avantages qui semblent attrayants :

    • Des modalités d’accès simplifiées (ce point a notamment été relevé dans un rapport récent de la Cour des comptes s’agissant de la direction du budget),
    • Un recrutement local qui lève les contraintes de l’affectation géographique,
    • Des niveaux de rémunération plus élevés que les titulaires dans certains cas.

    Toutefois, la très grande majorité des jeunes entrés dans la FPE comme contractuels (CDD) n’y restent pas9. Par ailleurs, la part des titularisations tend à baisser.

    Le recours accru aux contrats peut aussi conduire à fragiliser l’attractivité du statut lui-même.

    Un double cadre de gestion s’installe durablement : celui des titulaires et celui des contractuels. Ces deux cadres évoluent en parallèle, potentiellement pourvoyeur d’inégalités, voire de rivalités.

    Le modèle de gestion de la FP

    Un instrument de promotion social pour les plus diplômés issus de milieux modestes

    La fonction publique reste un débouché privilégié pour les diplômés des catégories modestes, et plus encore pour les femmes10.

    Pour ces deux catégories, la « pénalité » pour l’accès aux postes d’encadrement est moindre dans le secteur public que dans le privé. Cette surreprésentation des enfants de catégories populaires parmi les cadres du public a eu en outre tendance à s’accentuer dans la période récente :

    Pour autant, une difficulté à promouvoir en interne les moins diplômés

    En dépit d’un recrutement socialement plus égalitaire (à niveau de diplôme égal), la fonction publique peine ensuite à promouvoir ses agents.

    La logique de catégories, contestée encore récemment par le ministre chargé de la fonction publique11, semble réduire pour partie les perspectives d’évolution professionnelle des agents les moins diplômés. Le passage d’une catégorie à l’autre suppose la réussite à des concours ou des examens professionnels, qui peuvent pénaliser les publics les moins qualifiés12.

    « Pour ceux qui commencent en bas de l’échelle, les perspectives d’évolution socioprofessionnelles se traduisant par un changement de catégorie et un accès aux échelons supérieurs de la hiérarchie sociale sont en définitive plus limitées que dans le privé. »

    Des rémunérations devenues problématiques, en particulier pour les plus diplômés

    L’évolution de la rémunération moyenne des agents publics a été inférieure à celle du privé tous les ans de 2011 à 2020 :

    En s’attachant à une cohorte de jeunes actifs, on constate des évolutions du salaire médian particulièrement différenciées, alors même que la fonction publique est structurellement plus diplômée que le secteur public :

    « De 2002 à 2019, le salaire médian des jeunes travaillant dans le secteur public a progressé en termes réels de 52 %, celui des jeunes du privé de 65 %. »

    La fonction publique maintient globalement un positionnement salarial plus favorable au fil de la carrière que le privé pour les moins diplômés.

    En revanche, pour les plus diplômés, les perspectives de progression salariale sont moindres dans la fonction publique :

    • Pour les hommes diplômés, le secteur privé propose des perspectives salariales nettement plus profitables13 ;
    • Pour les femmes, il existe un avantage salarial dans la fonction publique en début et milieu de carrière. Toutefois, cet intérêt s’estompe ensuite, en faveur du secteur privé.

    Le rapport note également que la complexité du mode de rémunération dans le secteur public participe de la baisse d’attractivité.

    Un déclin de l’autonomie et de la qualité de vie au travail

    L’un des derniers avantages comparatifs encore en faveur des agents publics concerne l’autonomie au travail. Cependant, cette spécificité tend à se réduire, notamment pour les emplois plus qualifiés et pour les enseignants, alors même que le soutien hiérarchique reste faible comparé au privé.

    Le rôle des collectifs de travail constitue également un atout du public :

    • Les salariés du public se déclarent très souvent aidés par leurs collègues (87 %), davantage que dans le privé (79 %), et ce chiffre est en augmentation de 2013 à 2019.

    C’est particulièrement vrai dans les métiers peu qualifiés (agents d’entretien, cuisiniers, jardiniers) ainsi que dans le secteur hospitalier, où les collectifs de travail jouent un rôle essentiel : 92 % des salariés s’y sentent soutenus par leurs collègues, contre 82 % de l’ensemble des salariés. Mais, ici encore, ces avantages sont susceptibles de se déliter sous l’effet de la multiplication des statuts et de l’intensification du travail.

    Enfin, le temps de travail est plus faible que dans le privé, mais en contrepartie d’un travail sur des horaires plus fréquemment atypiques (soir et weekend). Cependant, une nouvelle fois, les différences entre le secteur public et le privé semblent se réduire.

    Ce rapprochement des conditions de travail interroge. Régulièrement soulevé par la doctrine juridique, depuis l’apparition du statut jusqu’à la loi de transformation de la fonction publique, il ne cesse de soulever les débats. Ce clivage constitue d’ailleurs, pour Maya Bacache-Beauvallet, un sujet politique structurant du partage gauche-droite14.

    1. On pourrait préciser que le moindre intérêt pour le service public concerne… le service public « du secteur public ». Le rapport met ainsi en avant une forme de concurrence dans la réponse au besoin de sens des actifs avec les secteurs associatifs et entrepreneuriaux. L’Etat n’a plus (s’il l’a déjà eu) : « le monopole de l’intérêt général ».
    2. Toutefois, les métiers techniques qui mobilisent des compétences spécifiques transposables dans le civil sont particulièrement difficiles à recruter. C’est le cas des informaticiens en cybersécurité et renseignement ou des ingénieurs dans le domaine de l’armement.
    3. Voir également le rapport de la Cour des comptes (2024), Le budget de l’État en 2023. Résultats et gestion, cité par France stratégie.
    4. DGAFP (2024), Rapport annuel sur l’état de la fonction publique – édition 2024.
    5. Par ailleurs, une démission n’ouvre pas droit au chômage (en code du travail comme au code général de la fonction publique).
    6. SIES (2023), « Projection des effectifs dans l’enseignement supérieur pour les rentrées de 2022 à 2031 », Note d’information du SIES, n° 2023-04, avril (cité dans le rapport de France stratégie).
    7. Ce constat, inquiétant, fait écho au billet de Luc Rouban sur le risque de paupérisation de la fonction publique.
    8. Ce qui peut apparaître très étrange pour nombre d’agents publics, convaincus du caractère essentiel de leurs missions.
    9. Élément également constaté à la direction générale des entreprises.
    10. Ces deux caractéristiques se combinant.
    11. Mais abandonnée depuis.
    12. Il faut toutefois préciser que les métiers de cadres dans la fonction publique d’État (mais également dans les autres fonctions publiques) nécessitent des compétences juridiques. Cela peut-être moins le cas dans les services, où les compétences requises pour l’accès à des fonctions supérieures peuvent être plus larges : commerciales, comptables, managériales…
    13. Le secteur privé est moins égalitaire que la fonction publique s’agissant de l’égalité femmes-hommes.
    14. Économie politique de l’emploi public, Édition Connaissances et Savoirs, Paris, 2006, 362 p.

    Un homme de dos traverse un pont

  • L’ENA, l’école qui meurt deux fois

    L’ENA, l’école qui meurt deux fois

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Retour sur un article intitulé : « Les élèves de l’École nationale d’administration de 1848 à 1849 » des chercheurs Howard Machin et Vincent Wright (Oxford University). Lecture qui peut utilement être complétée par un autre article de Vincent Wright, également disponible sur Persée : « L’École nationale d’administration de 1849 : un échec révélateur ».

    Ces auteurs sont les spécialistes de la période. On peut également se reporter au livre de Guy Thuillier, L’ENA avant l’ENA.

     « Un des premiers actes du Gouvernement provisoire établi en février 1948 fut la fondation d’une école d’administration. »

    La création de l’École (nationale) d’administration par Hippolyte Carnot

    Cette école d’un nouveau genre1, envisagée sans succès depuis des décennies, connaîtra toutefois une histoire courte : elle est officiellement supprimée dès l’année suivante en août 1849.

    Elle reste encore aujourd’hui indissociable de la personnalité d’Hippolyte Carnot.

    Qui était Hippolyte Carnot ?

    Ancien élève de l’École polytechnique, Hippolyte Carnot entendait dupliquer le modèle de cette école aux savoirs administratifs. Ce faisant, M. Carnot poursuivait trois objectifs :

    • Un instrument de promotion sociale et de renouvèlement des élites ;
    • La mise à disposition pour le gouvernement d’une pépinière de talents disposant d’une formation de haut niveau. L’administration devant : « posséd(er) dans les rangs secondaires une pépinière de jeunes sous-officiers capables de remplacer immédiatement les supérieurs empêchés »2 ;
    • Enfin, la possibilité de mettre fin au népotisme et au favoritisme dans les recrutements.

    « La pensée qui présida à la fondation de l’École d’administration répondait au sentiment démocratique, je n’ai pas besoin de dire de quelle manière : en ouvrant aux capacités la porte des emplois publics, elle détrônait le plus absurde des privilèges, celui d’administrer par droit de naissance ou par droit de richesse… »

    La période d’études était fixée à trois ans et le nombre d’élèves à six cents (deux cents par année3). Un modèle, là encore, très proche de l’École polytechnique4.

    Il convient de souligner l’origine républicaine de cette école, alors même qu’une grande continuité a pu exister dans l’administration entre les différents régimes. S’agissant du fonctionnement comme des hommes. À cet égard, la bascule dans le Second Empire sonnera rapidement le glas de cette école.

    La deuxième République. Musée Ingres, Montauban. À consulter à cette adresse : https://histoire-image.org/etudes/figures-symboliques-iie-republique.

    Un concours pour les jeunes hommes de 18 à 22 ans

    Un processus de sélection en deux temps

    Deux catégories d’épreuves ont été mises en place pour assurer l’admissibilité, puis l’admission. Celles-ci étaient en tous points semblables aux épreuves de l’École normale supérieure :

    • Les épreuves d’admissibilité étaient purement orales et comportaient des questions de grec, de latin, d’histoire littéraire, d’arithmétique, de géométrie et d’algèbre ;
    • Les épreuves d’admissions étaient orales et écrites et comportaient des interrogations de version latine, d’histoire de France, de physique, de chimie et de sciences naturelles.

    Cette très grande diversité des épreuves et leur caractère très général contrastait avec les velléités opérationnelles du processus de sélection.

    Par ailleurs, les préparations n’étant pas proposées par les facultés, celles-ci demeuraient à la charge des candidats.

    Un premier concours organisé en 1848 et suscitant un certain enthousiasme, avant de s’essouffler dès l’année suivante

    Au premier concours, de mai à juin 1848, près de 865 candidats se présentèrent. À l’issue des épreuves : 152 candidats sur les 200 envisagés furent sélectionnés.

    Au second concours, organisé en novembre 1848 et uniquement à Paris, la chute des candidatures est drastique : 174 candidats se présentèrent aux épreuves, pour 106 places. Il s’agissait le plus souvent de ceux écartés du premier concours.

    Cette dégradation rapide de l’image de l’école tient à une multiplicité de raisons :

    • La qualité des enseignements5,
    • Les débats rapides sur l’opportunité de supprimer cet établissement,
    • L’absence de perspective professionnelle assurée (contrairement à l’École polytechnique, par exemple)
    • L’absence d’indemnités pour suivre le cursus.

    Les origines sociales des élèves : la bourgeoisie des grandes villes

    Une surreprésentation des classes urbaines

    Les individus de grandes villes sont surreprésentés :

    • 17 % des étudiants étant d’origine parisienne (alors que 2,9 % de la population habitait à Paris6) et trois candidats sur cinq avaient ou effectuaient au moment du concours leurs études à Paris ;
    • Deux sur cinq provenaient d’un chef-lieu de département.

    Ceci s’expliquait par les professions exercées par les pères :

    • Près de 30 % étaient agents publics,
    • Environ 25 % dans le commerce, l’industrie ou la banque,
    • 20 % étaient libéraux,
    • Le reste étant propriétaire, cultivateur, artisan.

    L’apparition d’une classe bourgeoise « moyenne »

    Même si quelques grandes familles sont présentes. Les auteurs soulignent toutefois l’extraction relativement faible des élèves. Beaucoup n’auraient probablement pas pu accéder à la haute fonction publique sans ce concours.

    Comme aujourd’hui, l’essentiel des candidats provient de la bourgeoisie et pour une infime minorité (moins d’un sur douze alors) de classes modestes. Cette origine relativement commune dénote fortement avec le recrutement aristocratique de l’époque s’agissant de la haute fonction publique7.

    Pour autant, et d’une manière semblable à l’École nationale d’administration de 1945, les auteurs notent une concentration particulièrement élevée d’élèves de grands lycées, le plus souvent parisiens : Henri IV, Louis-le-Grand, Charlemagne… et très souvent privés : Sainte-Barbe, Rollin et Vaugirard, notamment.

    « C’est ainsi qu’une des conséquences paradoxales de la création de l’École d’administration, si elle avait duré, autant été d’ouvrir la porte de l’administration aux enfants très doués des écoles privées, souvent issus de riches familles catholiques. »

    Quel bilan ?

    Une mort rapide

    Le destin de l’École est scellé avec l’accession à la présidence de la République de Louis-Napoléon Bonaparte.

    Alfred de Falloux remplace Hippolyte Carnot comme ministre de l’instruction publique et suspend presque immédiatement les cours, avant de faire supprimer l’École par l’Assemblée quelques mois plus tard, en août 1949.

    Du cycle initialement prévu sur trois ans, l’enseignement dura à peine cinq mois pour la première promotion et six semaines pour la seconde.

    Une majorité d’étudiants poursuivirent logiquement leurs études dans les facultés de droit8, traditionnelles voies d’accès à la fonction publique. D’autres dans des écoles d’ingénieurs (Saint-Cyr, École polytechnique, École des Mines, École centrale…).

    Certains encore choisirent une tout autre carrière (sciences, médecine, etc.) ou ne continuèrent pas leurs études.

    Des carrières difficiles pour les lauréats

    Un effet quasiment nul sur les carrières des élèves

    En l’absence de formations sérieuses et de droits d’accès spécifiques à l’administration, les élèves des deux promotions entamèrent des chemins tout à fait personnels.

    Deux cinquièmes furent nommés à des postes dans l’administration, mais la plupart dans des emplois peu importants et encore moins prometteurs. Seule une minorité devint auditeur au Conseil d’État ou attaché aux Affaires étrangères.

    Sur les 258 anciens élèves, il n’y eut ainsi que deux conseillers d’État et huit préfets, aucun auditeur de la Cour des comptes, un seul directeur général d’administration (à la direction générale des Monnaies), deux ambassadeurs, deux consuls généraux et quatre ministres plénipotentiaires.

    Vingt-cinq devinrent simples professeurs, la majorité des étudiants en droit devinrent avocats.

    Un accès aux plus hautes fonctions publiques qui demeure réservé aux grandes familles

    Ainsi, M. Senès, premier au concours de la première promotion, finit sa carrière comme agent d’assurance tandis que M. Triaire, premier de la seconde promotion, demeura toute sa vie professeur de lycée.

    En définitive, la place au concours n’était d’aucune aide : les rares élèves qui finirent hauts fonctionnaires se trouvaient pour l’essentiel entre la 90ᵉ et la 130ᵉ place… Tous étaient issus de la haute bourgeoisie ou de l’aristocratie.

    Inversement, on peut légitimement penser que l’école aurait pu, comme l’a fait l’ENA un siècle plus tard, renverser les modalités habituelles de sélection en permettant à des jeunes gens9 intelligents d’accéder aux plus hautes fonctions. Peu importe leurs origines — même si celles-ci étaient, et demeurent aujourd’hui, généralement bourgeoises.

    Une école qui ne satisfaisait finalement personne

    Une contestation tous azimuts

    La première contestation vint du monde universitaire, jusque-là seule pourvoyeuse de fonctionnaires administratifs et jalouse de ses prérogatives.

    Cette mise en place d’une première École d’administration a été également très mal vécue par le sérail administratif, attaché à ses facultés de sélection et de promotion de son personnel. Crainte aussi partagée par les « petits fonctionnaires », soucieux de pouvoir conserver des marges d’avancement en dehors de ce que certains pouvaient considérer comme un « élitisme estudiantin ».

    Enfin et surtout, les politiques y ont vu une perte de pouvoir en empêchant le « patronage » alors très répandu et permettant de se constituer une clientèle, en dépit des quelques règles minimales de compétences (notamment l’exigence d’une licence de droit).

    Le rôle ambigu des forces conservatrices et bourgeoises

    Cette école sera par ailleurs très critiquée par une partie de la moyenne et haute bourgeoisie. Un tel mode de sélection pouvant porter le germe de la sédition par la promotion de classes laborieuses jugée plus instable.

    Pour autant, force est de constater que la droite conservatrice ne portera aucunement atteinte aux autres « Grandes Écoles », toutes publiques et assises sur un concours. L’École normale supérieure, l’École des chartes, l’École des mines, l’École des ponts et chaussées et, plus encore, l’École polytechnique seront même particulièrement soutenues par les monarchistes et bonapartistes.

    Une interrogation plus profonde sur la finalité de l’enseignement

    Pour beaucoup, ce qui détonnait était surtout l’incompréhension devant la création d’une école consacrée à des matières aussi peu scientifiques.

    À cet égard, le mode de recrutement et le contenu des enseignements ensuite délivrés détonnaient avec cette prétention à l’opérationnalité. Nous ne pouvons que penser à La Princesse de Clèves et aux débats permanents sur le rôle des écoles professionnelles.

    1. Il s’agit de la première école dédiée à la « science administrative ».
    2. Le Conseil d’Etat devait initialement constituer cette pépinière, mais finalement sans grand succès.
    3. Avec une administration toutefois largement plus légère en effectifs qu’aujourd’hui, voir par exemple l’article sur ce blog consacré à l’administration centrale dès l’Ancien régime. Un tel périmètre recouvre donc les actuels attachés d’administration et administrateurs de l’Etat.
    4. En précisant que cette nouvelle école, s’agissant des enseignements, étaient adossée au Collège de France.
    5. Les enseignements étaient dispensés dans les locaux du Collège de France et portaient sur des sujets très divers et parfois très éloignés de la matière administrative. Les cours de minéralogie ont notamment longtemps constitué un sujet de plaisanterie. Ce qui permettait aux contempteurs de souligner l’hérésie de vouloir constituer un enseignement se prétendant scientifique et administratif sans trop d’effort.
    6. Soit une sur-représentation de près de 6 fois le poids de Paris sans la démographie française. Pour autant, ce concours n’en constitue pas moins une avancée. MM. Machin et Wright rapportent ainsi que sur les 234 auditeurs du Conseil d’Etat sous le Second Empire, 102 étaient originaires de Paris.
    7. Durant le Second Empire, un cinquième des conseillers d’Etat seront originaires de l’aristocratie et les quatre cinquième restant de la haute bourgeoisie.
    8. 113 obtinrent une licence en droit.
    9. Allusion évidemment à l’ouvrage de Mathieu Larnaudie : https://www.amazon.fr/jeunes-gens-Enqu%C3%AAte-promotion-Senghor/dp/2246815096
  • Les attachés d’administration de l’État : un corps interministériel

    Les attachés d’administration de l’État : un corps interministériel

    Temps de lecture : 6 minutes.

    Un bilan de gestion du corps interministériel des attachés d’administration de l’État a été présenté au Conseil supérieur de la fonction publique de l’État le 13 juillet 2016. Il est disponible sur le site internet d’Acteurs publics1.

    Le décret n° 2011-1317 du 17 octobre 2011 portant statut particulier du corps interministériel des attachés d’administration de l’État est l’acte fondateur de ce nouveau corps.

    Voilà les principaux éléments du bilan ici synthétisés.

    Des vagues d’intégration de 2013 à 2019

    L’intégration en 2013 de treize corps ministériels

    L’article 20 du décret n° 2013-876 du 30 septembre 2013 a eu pour objet principal de procéder à l’intégration, dans le corps interministériel des attachés d’administration de l’État, des membres des treize corps ministériels suivants : 

    • les attachés d’administration des services du Premier ministre,
    • les attachés des Affaires sociales,
    • les attachés de l’Agriculture et de la pêche,
    • les attachés de la Culture et de la communication,
    • les attachés de l’Économie, des Finances et de l’Industrie,
    • les attachés de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur,
    • les attachés de l’Équipement (écologie),
    • les attachés de l’Intérieur et de l’Outre-mer,
    • les attachés des juridictions financières,
    • les attachés de la Justice,
    • les attachés du Conseil d’État et de la Cour nationale du droit d’asile,
    • les attachés de la Caisse des dépôts et consignations,
    • les attachés de l’Office national des forêts.

    Le texte a également fixé les modalités d’adhésion des membres des trois corps en extinction suivants :

    • les conseillers d’administration scolaire et universitaire (CASU),
    • les directeurs de préfecture et
    • les chefs des services administratifs du Conseil d’État.

    L’intégration en 2014 des personnels civils administratifs relevant du ministère des Armées

    Le mouvement s’est poursuivi par l’article 8 du décret n° 2014-1553 du 19 décembre 2014 portant diverses dispositions relatives au corps interministériel des attachés d’administration de l’État, avec l’intégration des membres de deux corps suivants : 

    • les attachés d’administration de la Défense (désormais, les Armées) et
    • les directeurs des services déconcentrés de la Défense.

    L’intégration en 2015 des personnels civils administratifs relevant de l’aviation civile

    En 2015, ont été intégrés dans le corps interministériel, en vertu de l’article 4 du décret n° 2015-1784 du 28 décembre 2015 :

    • les attachés d’administration de l’Aviation civile.

    L’intégration en 2016 des personnels civils administratifs de l’OFPRA.

    Enfin, le décret n° 2016-907 du 1ᵉʳ juillet 2016 portant diverses dispositions relatives au corps interministériel des attachés d’administration de l’État fixe les modalités d’adhésion au corps :

    • des officiers de protection des réfugiés et apatrides de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

    L’intégration, enfin, des secrétaires des affaires étrangères du cadre d’administration

    Cette intégration, postérieure au bilan ici présenté, est intervenue par l’article 51 du décret n° 2019-86 du 8 février 2019 relatif aux instituts régionaux d’administration.

    Un corps interministériel à gestion ministérielle

    Le corps des attachés d’administration de l’État relève du Premier ministre. Toutefois, sa gestion est ministérielle. D’où l’expression « CIGEM » : pour corps interministériel à gestion ministérielle.

    À titre de comparaison :

    • Les administrateurs de l’État (catégorie A, dite A+) appartiennent à un corps interministériel à gestion interministérielle2 ;
    • Les secrétaires administratifs à un corps ministériel (mais commun à l’ensemble des ministères), à gestion ministérielle3.

    La répartition des attachés d’administration par grade

    Compte tenu des rattachements évoqués plus haut, le corps des attachés relève aujourd’hui de seize autorités de rattachement, soit près de 31 500 agents à la date du bilan (2016), répartis dans les trois grades suivants :

    • 18 500 attachés d’administration (11 500 femmes et 7 000 hommes) — environ 60 % du corps ;
    • 11 000 attachés principaux (6 000 femmes et 5 000 hommes) — soit près de 35 % du corps ;
    • Enfin, près de 2 000 attachés hors classe (dont 500 directeurs de services), à parité entre femmes et hommes — soit 5 % du corps.

    Au titre de 2015, l’âge moyen des agents promus attaché principal (examen professionnel et liste d’aptitude) est de 48,1 ans. Âge relativement stable comparativement aux exercices 2013 et 2014, avec respectivement 46,8 et 48,5 ans.

    L’âge moyen des agents promus au grade d’attaché hors classe est lui de 50 ans au titre de 2015. L’échelon spécial est quant à lui accordé en moyenne à 59 ans.

    La répartition des attachés d’administration par ministère

    Deux ministères concentrent plus de la moitié des effectifs

    Le principal recruteur est sans surprise l’Education nationale avec près de 12 000 attachés d’administration, pour un plafond d’emploi (projet de loi de finances pour 2015) de 984 000 équivalents temps pleins (ETP).

    Le second grand vivier d’attachés d’administration est constitué par le ministère de l’Intérieur4 avec près de 5 500 attachés d’administration, pour 284 000 ETP.

    Les 45 % restants se répartissent dans les différents ministères, juridictions et à la Caisse des dépôts et consignations

    Répartition des attachés d’administration dans les autres ministères5 :

    • 2 800 au ministère de l’Ecologie (ex-équipement)6, pour près de 44 400 ETP ;
    • 2 300 au sein des ministères sociaux (travail et santé), pour 20 000 ETP7 ;
    • 2 000 à l’intérieur des ministères économiques et financiers (à mettre en rapport avec les effectifs des douanes ou de l’inspection des finances publiques) pour 146 000 ETP ;
    • 1 600 au ministère des Armées, pour 267 000 ETP ;
    • 1 400 au ministère de l’Agriculture, pour 31 000 ETP ;
    • 1 000 au ministère de la Justice, pour 79 000 ETP ;
    • 800 à la Caisse des dépôts et consignations ;
    • 600 au ministère de la Culture, pour 11 000 ETP ;
    • 500 dans les services du Premier ministre (dont les effectifs des secrétariats généraux affaires régionales) pour près de 10 000 ETP ;
    • 400 dans les juridictions financières (dont les vérificateurs placés auprès des magistrats) ;
    • 160 au Conseil d’État ;
    • 150 à l’Office national des forêts.

    Ce qui saute aux yeux est évidemment la petitesse de leur nombre, au regard de l’ensemble des effectifs desdits ministères.

    Les avantages d’un corps interministériel

    La création d’un corps interministériel visait à faciliter la mobilité et l’attractivité du corps des attachés d’administration.

    En termes opérationnels, la création de ce corps a permis les avancées suivantes :

    • La fin de la pratique du détachement et de la double carrière. Les attachés d’administration peuvent désormais librement passer d’une administration à une autre8 ;
    • L’application d’un taux de promotion pour l’accès au grade d’attaché principal identique pour toutes les autorités de gestion du corps depuis 2015. Ce taux de référence est de 7 % ;
    • Une convergence indemnitaire entre les autorités de gestion (encore imparfaite) ;
    • La création d’un troisième grade d’attaché hors classe et d’un échelon spécial dans le corps interministériel des attachés d’administration de l’État. L’objectif étant de revaloriser la carrière du corps des attachés, de mener une réflexion sur la cartographie des fonctions de catégorie A et d’ouvrir de nouvelles perspectives fonctionnelles pour les attachés principaux les plus confirmés.

    La composition du corps

    Des entrées dans le corps très hétérogènes

    Au titre de 2015, près de 2 000 recrutements ont été réalisés :

    • 600 par la voie des Instituts régionaux d’administration (IRA) ;
    • 100 par la voie de concours directs organisés par les ministères ;
    • 300 par la voie du concours réservé dit « Sauvadet » (pour les contractuels) ;
    • 500 par liste d’aptitude au titre de la promotion interne ;
    • 160 par examen professionnel ;
    • 285 par intégration directe ou détachement.

    Les recrutements réalisés par les IRA sont donc particulièrement faibles, constituant à peine le tiers des entrées.

    Des sorties moins élevées, signe d’un corps en expansion

    En effet, seules 1 200 sorties sont relevées sur l’exercice 2015. Parmi celles-ci, près de 1 000 départs en retraite.

    Le reliquat est constitué de promotions de corps (administrateurs civils, magistrats…), une intégration dans un autre corps (inspecteur des finances publiques…) ou par une sortie de la fonction publique.

    Un corps faisant l’objet d’une mobilité ministérielle et interministérielle

    Près de 2 000 mobilités annuelles au sein de l’autorité de gestion sont enregistrées chaque année (changement de service ou d’établissement), pour environ 500 mobilités en dehors de l’autorité de gestion (mobilité interministérielle). Soit un taux de mobilité d’environ 8 %.

    1. A ma connaissance, les autres bilans de gestion n’ont pas été rendus publics, ce qui interroge sur la transparence dans la gestion des effectifs. Ces bilans sont prévus à l’article 7 du décret n° 2011-1317 du 17 octobre 2011.
    2. Article 1 du décret n° 2021-1550 du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrateurs de l’Etat.
    3. Article 4 du décret n° 2010-302 du 19 mars 2010 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux corps des secrétaires administratifs des administrations de l’Etat et à certains corps analogues relevant du décret n° 2009-1388 du 11 novembre 2009 portant dispositions statutaires communes à divers corps de fonctionnaires de la catégorie B de la fonction publique de l’Etat.
    4. Dont l’Outre-mer.
    5. Nous ne disposons pas du nombre d’attachés pour les affaires étrangères, près de 17 000 ETP au titre de 2006, mais les effectifs d’attachés y sont également très modestes.
    6. Dont l’aménagement du territoire.
    7. Comparativement aux autres ministères, il s’agit donc du périmètre le plus « intensif » en attachés d’administration.
    8. Les attachés étant en « position normale d’activité ». Ce qui n’est donc toujours pas le cas des secrétaires administratifs évoqués plus haut.
  • Présentation de la direction du Budget en moins de dix minutes

    Présentation de la direction du Budget en moins de dix minutes

    Temps de lecture : 8 minutes.

    « Miroir, dis-moi qui est la plus belle » : La Cour des comptes parle de la direction du Budget.

    Lecture commentée du rapport de la Cour des comptes relatif à la préparation et au suivi du budget de l’État, ou comment : « redonner une place centrale à la maitrise de la dépense. »

    Les missions de la direction du Budget

    La Cour des comptes rappelle d’abord les principales missions de la direction du Budget :

    • Assurer la coordination interministérielle dans l’élaboration et l’exécution des projets de loi de finances (les fameux « PLF ») ;
    • Surveiller la soutenabilité de la programmation et de la gestion de chaque ministère par son réseau de CBCM et CBR1.

    La structuration de la direction du budget

    La direction du budget comptait 382 agents à fin 2021 :

    • 245 agents en administration centrale et
    • 137 agents dans son réseau de comptables et contrôleurs budgétaires.

    Celle-ci est composée quasi exclusivement de catégorie A (47 %) et A+ (43 %)2. Ce point est toutefois de plus en plus commun entre les directions d’administration centrale. Il s’explique par la technicité croissante des sujets traités.

    Particularités dans le champ administratif :

    • Un taux de féminisation bas (43,2 % pour l’administration centrale), encore davantage marqué pour les emplois de direction et d’encadrement (moins du tiers) ;
    • Comme évoqué plus haut, la quasi-parité s’agissant des catégories A entre les encadrants dits « supérieurs », ou : « A+ », et les autres catégories A, essentiellement des attachés d’administration de l’État.

    À noter :

    Sur la période récente, la direction du budget a légèrement évolué :

    • Par la création d’un secrétariat général3 et
    • Par l’ajout d’une fonction de « sous-directeur adjoint ». L’objectif étant de doter les sous-directeurs d’un adjoint afin de renforcer la fonction managériale et d’accroître les perspectives de promotion interne.

    Une chaîne hiérarchique courte et une surreprésentation de hauts fonctionnaires

    La Cour des comptes parle étrangement d’un « faible taux d’encadrement ». Ce qui semble être une erreur, ou alors le raisonnement est étrange, puisque dans les conclusions de la Cour, il est justement relevé que :

    « 1,06 agent de catégorie A est encadré par 1 agent A+ en administration centrale. »

    Une chefferie de bureau très exposée

    Concrètement, l’essentiel du travail technique est réalisé au niveau du bureau sectoriel : par le chef de bureau et ses quelques agents4.

    Le chef de bureau, comme pour les autres administrations centrales, se distingue par une expérience de plusieurs années. Autrement dit, de plusieurs cycles budgétaires. Cette expérience lui permet de disposer des réflexes à même de « sentir » les arbitrages sensibles et de prioriser les dossiers dans la conduite quotidienne du travail administratif.

    Les agents de la direction

    Commentaire :

    Malgré la parité des effectifs entre les catégories A et A+, la Cour des comptes présente des développements quasi exclusivement consacrés aux seconds. Cette appréciation partielle nuit à la compréhension globale de la direction.

    Une direction attractive, souvent considérée comme un « booster » de carrière pour les jeunes agents

    La Cour des comptes note plusieurs éléments pouvant porter atteinte à l’attractivité de la direction :

    • Des contraintes horaires et calendaires fortes ;
    • Des tâches complexes et répétitives, notamment dans l’harmonisation des tableaux budgétaires, suite aux arbitrages ;
    • Une moindre rémunération indemnitaire pour les administrateurs de l’État primo-affectés à la direction du budget : 29 400 euros de primes annuelles en 2021 contre une moyenne de 32 800 euros pour l’ensemble des administrateurs civils d’alors.

    Pour autant, en dépit des contraintes, la direction « demeure attractive » selon la Cour, car elle offre ainsi une importante visibilité aux agents. Visibilité qui permet aux agents de prétendre à des évolutions professionnelles rapides.

    Une direction particulièrement jeune

    « L’âge moyen des agents de la direction en administration centrale (39,2 ans) est inférieur de 8,5 années à celui de l’ensemble des agents d’administration centrale des ministères économiques et financiers en 2021 (47,7 ans). L’âge moyen des cadres A+ de l’administration centrale (34,0 ans) en 2022 est particulièrement jeune, de plus de dix ans inférieur à la moyenne de celui des cadres A+ des ministères économiques et financiers (44,7 ans) : 25 % des cadres A+ ont moins de 30 ans et 52 % ont moins de 35 ans, alors que 78 % des cadres A (moyenne d’âge de 44 ans) et 90 % des cadres B et C ont plus de 35 ans. »

    La Cour des comptes explique la jeunesse de cet encadrement supérieur par :

    • Les modalités de recrutement de la direction en sortie d’école (élément partagé pour partie par la direction de la Sécurité sociale, notamment) ;
    • Un moindre intérêt des agents expérimentés pour des fonctions exigeantes5 et sans responsabilités managériales importantes. Fonctions qui peuvent également présenter un caractère rébarbatif et théorique – éloigné des politiques publiques6.

    D’où viennent les agents de la direction du budget ?

    La moitié des cadres supérieurs sont des administrateurs de l’État formés à l’Institut national du service public (ex-ENA), un cinquième est issu de Polytechnique et plus du tiers est contractuels : recrutés en sortie de grandes écoles de commerce ou de Sciences Po Paris.

    À titre marginal, la direction compte également quelques profils atypiques : fonctionnaires des assemblées, militaires, administrateurs territoriaux, commissaires.

    S’agissant des cadres A, la direction recrute auprès :

    • Des instituts régionaux d’administration (IRA) formant les attachés d’administration de l’État ;
    • Des agents confirmés d’autres directions, et notamment de la direction générale des Finances publiques ou de la direction générale du Trésor, voire d’autres ministères, enfin
    • Des contractuels, ayant le plus souvent assuré des fonctions financières dans le privé.

    Où partent-ils ?

    La Cour des comptes n’a répertorié que les mobilités des A+.

    En 2018, à l’issue de leur passage dans la direction, ils rejoignaient dans 52 % des cas un ministère, dans 20 % un établissement public et dans 12 % le secteur privé.

    Un recrutement de contractuels en concurrence avec l’INSP

    Comme énoncé plus haut, le tiers de l’encadrement supérieur de la direction du budget est d’origine contractuelle.

    À cet égard, la Cour s’interroge sur l’attractivité du concours de l’INSP pour ces profils. Ceux-ci sont souvent bien formés et peu désireux de perdre plusieurs années à préparer, puis suivre, la formation de l’INSP.

    Par ailleurs, les contractuels peuvent désormais accéder aux emplois fonctionnels des directions d’administration centrale (autrement dit, aux postes de chefs de bureaux, et par la suite de sous-directeurs).

    Un recrutement de contractuels qui soulève aussi une question vis-à-vis des catégories A

    La Cour des comptes ne le note pas, mais cette situation crée aussi des inégalités avec les agents de catégorie A qui, pour certains, sont également sortis de grandes écoles (en particulier de Science Po Paris).

    Une dizaine d’attachés principaux exercent ainsi des fonctions de chefs de bureau à la direction du budget. Leurs sujétions sont identiques à celles des administrateurs et des contractuels. Toutefois, leur carrière, dans ce corps de catégorie A, s’arrêtera là. En effet, les attachés d’administration, comme les inspecteurs des finances publiques… ne peuvent pas, statutairement, exercer des fonctions d’encadrement supérieur7.

    Un fort turnover, facteur de risques pour la gestion des compétences

    La part importante de contractuels, qui n’ont pas vocation à « faire carrière » (même s’ils le peuvent), couplé à un taux de rotation également élevé des fonctionnaires, nécessitent une incessante lutte pour conserver un niveau d’expertise approprié.

    D’autant que les missions de la direction du budget impliquent des négociations budgétaires avec les ministères et un travail de représentation dans près de 250 conseils d’administration d’opérateurs et assimilés.

    « Le taux de rotation annuel des agents de l’administration centrale de la direction est de 43 % pour les cadres A+ fin 2021, ce qui signifie que la durée d’occupation des postes n’est que légèrement supérieure à deux ans, sous-directeurs compris. Près d’un quart des effectifs est renouvelé par recrutement extérieur chaque année. Ce taux de rotation a pour effet de raccourcir le déroulement des carrières et de limiter le retour sur investissement de l’administration centrale puisqu’en moyenne, plus de 70 % des effectifs de la direction y passe moins de cinq ans. »

    Une asymétrie dans les carrières proposées à l’encadrement supérieur

    « Compte tenu de la rapidité du début de carrière, la direction peut proposer un poste de sous-directeur à des cadres A+ parfois âgés de moins de 35 ans et de retour de mobilité, ce qui peut poser difficulté pour dérouler ensuite une carrière, au même rythme, dans les autres administrations. »

    La réflexion s’arrêtera là, encore une fois, et on ne s’interrogera pas sur les perspectives d’autres corps de la direction du budget.

    Une tension liée à la formation en interne

    Le taux de rotation élevé implique également une charge de travail plus importante pour les agents en poste, pour former les nouveaux arrivants.

    Pour favoriser le développement des compétences, la direction encourage les départs en formation. Mais, l’objectif de deux jours par an n’était, à la date du rapport, atteint que par 14 % des agents.

    Une autre initiative, plus installée, consiste à développer annuellement des travaux internes prospectifs et stratégiques destinés à réfléchir sur les thématiques budgétaires des bureaux sectoriels8.

    Les agents du réseau de la direction du budget

    Les onze départements du contrôle budgétaire (DCB) comptaient en 2021 131 agents, auxquels s’ajoutent 22 contrôleurs budgétaires en région (CBR) et en outre-mer.

    Une structuration hiérarchique très différente de l’administration centrale

    Les agents du DCB et du CBR appartiennent à une structure nettement plus classique, qui se rapprocherait de l’administration déconcentrée ou d’un service à compétence nationale.

    On y trouve ainsi « seulement » 17 cadres A+, 78 catégories A, 28 catégories B et 8 agents de catégorie C.

    L’âge moyen en DCB était de 51 ans en 2021 et seuls 40 % des agents y restaient moins de cinq années, pour une ancienneté moyenne de 8 ans.

    Des postes techniques, plus comptable que budgétaire

    Au total, près de 12 500 équivalents temps pleins (ETP) travailleraient sur une fonction de gestion budgétaire et financière au sein de l’État (hors fonctions comptables).

    Dans ce cadre, les postes en DCB et CBR constituent des étapes importantes, permettant d’assumer des responsabilités financières dans les ministères ou leurs opérateurs.

    Une attractivité moindre

     « Les candidatures sont peu nombreuses et émanent essentiellement de la direction centrale et des autres DCB, attestant de la faible attractivité de ces fonctions budgétaires à l’extérieur de ce vivier. »

    Les agents ressentent des charges de travail croissantes et moins valorisées dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique9. En dépit du reclassement de l’ensemble de ces emplois en experts de haut niveau de groupe II et des revalorisations indemnitaires associées.

    Alors que la diversité des compétences est promue par la DGAFP, les agents des CBCM s’inquiètent d’être pénalisés par leur spécialisation.

    1. Ces acronymes désignent les services du contrôle budgétaire et comptable ministériel (comptables et contrôleurs des dépenses placés au sein des secrétariats généraux des ministères) et les contrôleurs budgétaires régionaux, en régions.
    2. C’est-à-dire de cadres.
    3. Le secrétariat général, créé par arrêté du 15 novembre 2022, regroupe désormais les quatre entités chargées des fonctions supports de la direction (40 agents).
    4. Etant précisé que contrairement aux administrations centrales « classiques », ces agents sont statutairement qualifiés d’ « adjoints ». Cela leur ouvre droit à des indemnités supérieures.
    5. Les contraintes horaires et calendaires mentionnées plus haut.
    6. Il faut aimer Excel, les synthèses de « Jaunes » et les boucles de courriels.
    7. Et, plus spécifiquement, occuper un poste de sous-directeur, conformément au décret n° 2012-32 du 9 janvier 2012 relatif aux emplois de chef de service et de sous-directeur des administrations de l’Etat.
    8. Une réflexion annuelle similaire existe également dans l’autre grande direction financière de l’Etat : la direction de la sécurité sociale.
    9. Une nouvelle fois, bien que les cadres supérieurs ne représentent ici « que » 20 % des effectifs, la Cour sait leur prêter une oreille attentive.
    Un cadran et un tas de pièces : la DB en dix minutes
  • Les informaticiens des douanes et de l’inspection des finances publiques

    Les informaticiens des douanes et de l’inspection des finances publiques

    Temps de lecture : 5 minutes.

    La Cour des comptes a publié, en 2022, un rapport sur les systèmes d’information des impôts et des douanes : Rapport : Les systèmes d’information de la DGFiP et de la DGDDI.

    L’un des chapitres de ce rapport est consacré aux moyens humains consacrés aux systèmes d’information1.

    On y apprend tout d’abord que les effectifs de la DGFiP consacrés aux services informatiques ont fortement baissé (-13 % de 2013 à 2018), alors que ces effectifs sont restés stables à la DGDDI.

    Point de situation

    Situation de la direction générale des finances publiques (DGFiP)

    « En 2018, la DGFiP compte 4 786 agents affectés aux tâches informatiques pour une masse salariale de 361 millions d’euros. Ces agents représentent 26 % de l’ensemble des effectifs informatiques de l’État, hors ministère des Armées. La DGFiP constitue ainsi la direction d’administration centrale comptant le plus grand nombre d’informaticiens. 70 % d’entre eux sont affectés au sein du réseau territorial du SSI. Près d’un quart travaillent au sein du SSI en administration centrale (24 %), les autres (6 %) relevant du service à compétence nationale Cap Numérique. »

    « Les suppressions d’emplois sur la période ont prioritairement porté sur les catégories C et en particulier sur les métiers de moniteur, agent de traitement et dactylocodeur du fait de l’automatisation de processus. »

    Par ailleurs, cet effectif est de plus en plus âgé et masculin. La part des agents de plus de 60 ans est ainsi passée de 9 à 12 % sur la période, soit un niveau supérieur à celui de la DGFiP dans son ensemble. Or, la DGFiP présente déjà la moyenne d’âge la plus élevée parmi l’ensemble des administrations centrales.

    Situation de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI)

    « En 2018, la DGDDI compte 611 agents informatiques, dont 35 contractuels, représentant une masse salariale de 44 millions d’euros. Entre 2013 et 2018, le nombre d’agents SI a été stable, à l’instar des effectifs globaux de la Douane. »

    Parmi les agents des douanes : 60 agents sont en administration centrale, 154 en réseau territorial et le reste dans deux services à compétence nationale :

    • 182 agents au sein du centre informatique douanier et
    • 215 agents à l’intérieur de la Direction nationale des statistiques et du commerce extérieur.

    35 % des agents du réseau territorial et des services à compétence nationale sont toutefois consacrés à des missions d’assistance, auprès des usagers (qu’ils soient internes ou externes).

    De très grosses difficultés de recrutement

    Beaucoup de postes non pourvus

    Près de 35 % des postes de programmeurs ouverts durant les trois dernières années n’ont pas été pourvus à la DGFiP. 80% dans les services des douanes pour les postes d’informaticiens de catégorie A et B ouverts en 2018. Ce qui pose, à l’évidence, la question de l’attractivité de l’Etat dans un contexte de forte concurrence du secteur privé.

    Par ailleurs, des postes de cadres informaticiens sont vacants sur des longues périodes. Plus de deux ans pour certains postes de chef de pôle, à la DGDDI.

    La DGAFP et l’ex-DINSIC ont finalisé en 2019 un plan d’attractivité à cette fin.

    « Il convient également de relever que le décret instituant une prime spécifique aux fonctionnaires de l’État et des établissements publics affectés au traitement de l’information n’a pas été revu depuis 1971. Ainsi, la liste limitative des postes ouvrant droit à cette prime n’a pas été actualisée pour prendre en compte les nouveaux métiers créés dans ce domaine comme les data scientists. »

    Un recours très faible aux contractuels

    En 2018, la DGFiP comptait seulement 111 agents contractuels et la DGDDI 31 agents, soit respectivement 2,3 % et 5 % de leurs personnels informatiques.

    Ces flux de recrutement n’ont pas augmenté sur la période2.

    « Les deux directions expliquent que les recrutements de contractuels sont difficiles, notamment, pour les métiers où les compétences sont rares (architecte, data miners) car les salaires proposés ne sont pas compétitifs. L’évolution de carrière lente et parfois limitée constitue un obstacle supplémentaire à la DGDDI. D’autres structures du MEF, telles que Tracfin ou l’AIFE, ne sont pas confrontées à d’aussi grandes difficultés. »

    Le fait que les emplois proposés soient en CDI3 n’y change rien.

    L’une des réponses est la création d’un corps interministériel

    En effet, en mai 2015, le ministère de l’Intérieur a profondément transformé le corps des ingénieurs des systèmes d’information et de communication (ISIC)4

    Les ingénieurs des systèmes d’information et de communication exercent des fonctions de conception, de mise en œuvre, d’expertise, de conseil ou de contrôle en matière de systèmes d’information et de communication. À ce titre, ils peuvent exercer des fonctions d’encadrement. Ils sont recrutés et nommés par le ministre de l’Intérieur.

    Les difficultés auxquelles sont confrontées la DGDDI et la DGFiP

    « Le calendrier actuel des concours constitue un frein au recrutement, notamment pour les postes de programmeurs de catégorie B à la DGFiP dont le nombre de postes non pourvus est le plus important. En effet, sur un marché en tension, les diplômés en juin de l’année N, ne peuvent passer le concours qu’en mars N+1, le résultat de l’admission est connu en juin N+1 et ils commencent à être rémunérés en septembre N+1. Il s’écoule donc plus d’un an entre l’obtention de leur diplôme et leur premier traitement versé par l’administration. »

    La Cour préconise de réserver l’examen de la condition de diplôme lors de la constitution du dossier administratif avant le recrutement effectif.

    Par ailleurs, à la Douane, les mobilités sont réalisées non pas en fonction des compétences, mais des « points » acquis par les agents – dans un système analogue à celui de l’Education nationale. Or, les services informatiques sont situés à Osny, dans le Val-d’Oise et surtout à Toulouse. Cette dernière ville est attractive, mais elle n’est accessible qu’aux agents les plus anciens, sans égard pour leurs qualifications.

    1. « Ensemble organisé de ressources permettant de collecter, regrouper, classifier, traiter et diffuser de l’information dans un environnement donné. » Définition récupérée sur le site wiki territorial.cnfpt
    2. Il serait toutefois intéressant de mesurer l’évolution depuis la loi pour la transformation de la fonction publique de 2019.
    3. Depuis la publication de la circulaire relative à la GRH dans le numérique du 21 mars 2017.
    4. Décret n° 2015-576 du 27 mai 2015 portant statut particulier du corps des ingénieurs des systèmes d’information et de communication.

  • Promotion « haut-fonctionnaire » : les attentes du jury

    Promotion « haut-fonctionnaire » : les attentes du jury

    Temps de lecture : 8 minutes.

    On ne conseillera jamais assez aux candidats de lire les rapports du jury, peu importe le concours visé.

    Vous y découvrirez des informations précieuses, sur les attentes du jury, les profils des autres candidats, mais également des perspectives sur les métiers de débouchés des différents concours et examens, ce qui vous permet à la fois de démontrer votre curiosité et de vous projeter sur ces fonctions.

    A cet égard, le rapport du comité de sélection interministériel du corps des administrateurs de l’Etat pour 2022 est riche d’enseignements.

    Le document est disponible ici : Rapport du comité de sélection pour la procédure dite du tour extérieur des administrateurs civils au titre de 2022 (fonction-publique.gouv.fr)

    Le tour extérieur des administrateurs de l’Etat

    Le tour extérieur des administrateurs de l’Etat peut-être considéré comme le véritable concours interne des agents de catégorie A souhaitant exercer des fonctions d’administrateurs de l’Etat.

    Au titre de 2022, 38 places étaient à pourvoir, contre 32 places pour le concours interne de l’Institut national du service public (INSP) au titre du même exercice1.

    A la différence du concours interne, il n’y a pas une multitude d’épreuves écrites et orales, et surtout, il n’est pas question de deux ans de scolarité à l’INSP, accompagné de trois stages : en affaires internationales, entreprise et préfecture (et autant de déménagements successifs).

    Les candidats sont présélectionnés par leurs administrations afin de ne présenter que les agents ayant le potentiel pour exercer des fonctions supérieures et l’épreuve est axée sur un entretien avec le jury autour de la revue des réalisations professionnelles du candidat et de sa capacité à se projeter dans son univers professionnel.

    Par ailleurs, la formation est allégée, réduite à six mois, afin de tenir compte de la spécificité des candidats : à savoir des fonctionnaires de catégorie A exerçant déjà des fonctions supérieures et souhaitant changer de corps afin de poursuivre leur ascension professionnelle2.

    A l’inverse, et comme le rappelle le dernier rapport du jury relatif au concours interne de l’INSP, le concours interne demeure un concours de début de carrière, permettant en particulier à ceux ayant échoué quelques années plus tôt au concours externe de l’INSP de retenter leurs chances.

    Les candidats et lauréats du concours interne sont en grande majorité des hommes (alors même que les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans la filière administrative) , ils sont très jeunes3, autour de la trentaine, ne sont évidemment pas sélectionnés par leur administration et doivent préparer des épreuves essentiellement théoriques.

    D’abord quelques chiffres

    Au titre de 2022, 297 dossiers ont été déposés pour le tour extérieur (contre 241 en 2021) pour un nombre d’emploi à pourvoir de 38. Des chiffres assez similaires au concours interne de l’INSP, avec 302 candidats présents aux épreuves écrites pour 32 places.

    Le comité, d’un commun accord, a décidé de ne pas tenir compte des listes préférentielles présentées par les ministères, notamment parce que tous les ministères n’avaient pas établi de telles listes, afin de se doter d’une capacité d’appréciation la plus libre possible, en se fondant exclusivement sur les dossiers de candidature et les prestations orales des candidats.

    Pour autant, il convient de préciser que si les évaluations des administrations n’ont pas été retenues par le jury, les candidats présentés sont tout de même ceux sélectionnés par ces dernières. Comme énoncé plus haut, un agent de catégorie A ne peut de sa propre volonté, parce qu’il réunit les critères d’éligibilité, solliciter un entretien devant le comité de sélection.

    A l’issue de l’examen, seuls 34 candidats ont finalement été retenus – 4 emplois n’ont donc pas été pourvus. Le fait de ne pas saturer la liste des emplois disponibles témoigne, à l’évidence, de la sélectivité du jury.

    Malgré un léger rebond des candidatures, une sélectivité qui demeure tendanciellement en baisse

    Premier constat : un rebond des candidatures sur 2022 par rapport à 2021 :

    Une sélectivité qui demeure tendanciellement en baisse :

    A titre de comparaison, par rapport aux candidats présents aux épreuves d’admissibilité aux écrits, le taux de sélection du concours interne de l’INSP pour 2023 est nettement plus défavorable, à 1 pour 9,4.

    Des candidats le plus souvent masculins, d’environ 43 ans, en administration centrale aux ministères de l’Intérieur ou de l’Economie et des finances

    En effet, le comité de sélection rappelle la concentration des candidatures au sein de deux ministères : l’Intérieur et l’Economie et les finances (41% des candidats).

    Ces candidats sont plus souvent masculins (y compris chez les admis).

    L’âge moyen est de 43 ans (contre 42 ans en 2021), avec un plus bas à 36 ans et un plus haut à 51 ans. Près de la moitié des candidats ont entre 40 et 44 ans.

    Les attachés demeurent le corps le plus représenté avec près de 80% des candidats et plus de 90% des admis. Parmi les admis : 70% sont attachés principaux d’administration et 20% attachés hors classe.

    L’appréciation qualitative des dossiers présentés par les candidats

    S’agissant des CV:

    Le comité de sélection regrette des présentations médiocres et peu claires. Des éléments inutilement bavards et des présentations complexes rendant la lecture absconde.

    Enfin, quelques candidats ont survalorisés des fonctions ou des engagements, ce qui est évidemment peu approprié et se révèle rapidement contreproductif à l’oral.

    S’agissant des évaluations des supérieurs hiérarchiques :

    Le comité rappelle l’enjeu d’une présentation claire, non ambiguë et si possible harmonisée, a minima au sein d’un même périmètre ministériel. Les candidats devant, de leur côté, être capable d’expliciter les observations.

    S’agissant du relevé des acquis de l’expérience professionnelle (RAEP) :

    Le RAEP est considéré par le comité de sélection comme « manifestement pas bien compris et (…) très en-deçà des attentes. »

    « La présentation doit donc être claire, porter sur une expérience récente, comporter une part descriptive mais dynamique et aussi critique, à la condition qu’elle soit sincère et surtout bien argumentée. Les candidats doivent faire l’effort d’une expression et d’une orthographe correctes, d’une rédaction agréable à lire et, de façon essentielle, s’attacher à capter l’intérêt du lecteur. En synthèse, la RAEP doit permettre au candidat de faire la démonstration qu’il détient une hauteur de vue, des capacités d’analyse et des aptitudes opérationnelles au niveau de ce qui peut être attendu d’un administrateur de l’Etat. »

    Or, pour les membres du comité de sélection, le RAEP s’apparente trop souvent à une simple description de fiche de poste sans présentation d’une quelconque problématique ou, à l’inverse, « à une succession de prises de position tranchées et péremptoires ».

    S’agissant du parcours professionnel, plusieurs critères permettent de démontrer les capacités d’adaptation des candidats selon les membres du comité, notamment :

    • L’existence d’une ou plusieurs mobilités entre ministères ou fonctions publiques, ou encore entre différentes structures administratives (centrale, déconcentré, opérateurs) ;
    • L’occupation de poste dans des domaines fonctionnels différents (juridique, RH, budget) ou de nature différente (fonctions support, mise en œuvre d’une politique publique, tutelle d’opérateur) ;
    • L’occupation de fonctions d’encadrement ;
    • Une prise de responsabilité croissante ayant permis d’atteindre : « un niveau hiérarchique suffisant et pouvant se caractériser, sans que cela ne soit une condition exclusive, par l’occupation d’un emploi fonctionnel. »

    Evidémment, le comité tient également compte des spécificités propres à chaque ministère s’agissant de la nature et du niveau hiérarchique des postes ouverts aux catégories A.

    S’agissant des auditions des candidats

    Le comité de sélection note que la première partie de l’entretien (5 minutes), consacré au parcours du candidat, est généralement réussi tant en termes de gestion du temps que de contenu, malgré quelques exposés décousus et peu lisibles (en dépit de l’annonce du plan).

    Toutefois, le constat unanime est celui d’un discours trop convenu sur le fond, uniforme et finalement assez ennuyeux.

    En revanche, pour la partie relative aux questions, le comité a constaté de véritables lacunes alors même que le comité de sélection s’est, pour l’essentiel, appesanti sur le parcours du candidat : curriculum vitae, évaluations, RAEP.

    Le jury est particulièrement sévère sur la capacité des candidats à formaliser un point de vue présentant de la hauteur : « Les candidats ont souvent montré une incapacité à décrire et surtout à situer leur poste ou leurs missions dans leur environnement professionnel ou dans des problématiques de politiques publiques un peu élargis. »

    Le comité de sélection note ainsi son incompréhension devant la réaction des candidats à des questions relatives à leurs points forts supposés, tels que mis en avant dans leur dossier d’évaluation (lorsqu’ils en ont un).

    Plus encore, le comité de sélection note que : « beaucoup de candidats ont semblé « désemparés » devant des questions portant pourtant sur leur dossier, le choix de postes, le parcours, la mobilité géographique et l’éventuelle prise ou non prise de risque dans leurs sélections de fonctions. »

    Enfin, s’agissant de l’échange élargi avec le comité de sélection, les membres dudit comité notent : « un véritable échec. » Ce qui interroge sur les préparations disponibles pour les candidats et sur la capacité de ces derniers à dégager du temps et de l’espace critique pour s’assurer de leur capacité à engager une discussion de haut niveau.

     « Le socle minimum de culture administrative, juridique, économique et politique normalement détenu par un administrateur de l’Etat souffre d’une insuffisante préparation de la part des candidats. »

    « Pour le comité, ce qui est en cause, c’est l’impréparation, le manque de réflexion et de curiosité mais aussi des imprécisions voire des lacunes importantes sur des connaissances minimales empêchant de bien articuler sa pensée, y compris sur les grands sujets d’actualité du moment, pourtant très largement analysés dans les médias. »

    Pour le comité de sélection, il est essentiel que les candidats se renseignent également sur le profil des membres du comité, sur leurs centres d’intérêt naturels ou leurs spécialités. 

    En bonus, la liste des thématiques pouvant être abordées lors du comité de sélection au tour extérieur des administrateurs de l’Etat :

    Je ne peux que vous inciter à reproduire cette liste de questions et à l’adapter au concours ou à l’examen visé. Répondez à chacune d’entre elles, étoffer la liste et vous serez probablement davantage préparé que 90% des candidats, y compris en catégorie A.

    Culture administrative :

    Qu’est-ce que la souveraineté nationale et comment s’exerce-t-elle ?

    Quelles sont les missions du Conseil Constitutionnel ?

    Qu’est-ce que le bloc de constitutionnalité ? A quoi sert-il ?

    Quelles différences entre un décret en conseil d’Etat et un décret en conseil des ministres ?

    Qui exerce le pouvoir réglementaire ?

    Qu’est-ce que l’article 49-3 de la Constitution ?

    Qu’est-ce que la hiérarchie des normes ?

    Quelles sont les missions régaliennes de l’Etat ?

    Comment sont organisées les juridictions en France ? Deux ordres sont-ils utiles ?

    Qu’est-ce que le Conseil d’Etat ? La Cour de cassation ?

    Connaissez-vous des juridictions spécialisées et dans quels domaines ?

    Quelles sont les juridictions compétentes en droit du travail ?

    Quelles sont les juridictions financières en France ?

    Connaissez-vous des juridictions qui emploient des juges non professionnels ? Des citoyens ?

    Faut-il juger les ministres ? Qui les juge ? Existe-t-il des procédures en cours ?

    Quelles sont les juridictions compétentes en matière pénale ? A quoi sert la cour d’assises ?

    Quel est le rôle du parquet ? Parquet siège quelles différences ?

    Fallait-il créer un parquet financier ?

    Qui juge les terroristes ? Quelle est l’utilité d’un parquet antiterroriste ?

    Quelle est la différence entre éthique et déontologie ? Qu’est-ce que la déontologie ? Quelles instances interviennent dans ce domaine ?

    Qu’est-ce que l’article 40 du Code de procédure pénale ?

    Qu’est-ce qu’une autorité administrative indépendante ? Pouvez-vous en citer ? Leur utilité ?

    Les grands principes du droit des collectivités locales ?

    L’organisation des collectivités territoriales de l’Île-de-France est-elle efficace ?

    Quel est le cadre juridique encadrant les compétences des collectivités locales ?

    Les régions ont-elles une clause de compétence générale ?

    Quel transfert de compétence est demandé par les régions ?

    Fallait-il départementaliser Mayotte ?

    La France a-t-elle vraiment sa place outre-mer ? Que lui apporte cette présence ?

    Qu’est-ce que la diagonale du vide ?

    Quelles sont les conditions de la réussite de la dématérialisation des procédures ?

    Qu’est-ce que la fracture numérique ?

    Faut-il garder deux forces de sécurité en France, police et gendarmerie ?

    Le lien armée Nation ?

    Compte tenu de l’actualité géopolitique, pensez-vous qu’il fallait supprimer le service militaire ?

    Faut-il continuer à dialoguer avec la Russie ?

    Votre avis sur la conception française de la laïcité ? Avez-vous des exemples de politiques françaises de discrimination positive ? Votre avis ?

    La politique française de lutte contre le séparatisme est-elle efficace ?

    Quelles sont les mesures prises dans l’éducation pour lutter contre la radicalisation ?

    Faut-il accueillir les mineurs de retour des zones de terrorisme en Syrie ?

    Quels ont été les derniers éléments de modernisation de la formation professionnelle en France ?

    A quoi sert la formation continue ?

    Qu’est-ce qu’un dialogue social réussi ?

    La réquisition est-elle la marque de l’échec du dialogue social ? Quels sont les fondements juridiques de la réquisition ?

    Le droit à la paresse

    Faut-il supprimer les droits de succession ?

    Le prix unique du livre

    La loi Toubon : un combat vain ?

    Questions économiques, budgétaires et financières :

    Quels sont les grands principes qui régissent la commande publique ?

    Quels sont les grands principes budgétaires ?

    Qu’est-ce qu’une loi financière ? Quelle différence avec la loi ordinaire ?

    Quelle différence entre une loi de financement de la sécurité sociale et une loi de finances ?

    Quel est le 1er poste de la dépense publique en France ?

    Quels sont les principales dépenses du budget de l’Etat ?

    Pourquoi faut-il maitriser la dépense publique ?

    Le montant de la dette française est-il un problème ?

    Quel est le montant de l’excédent budgétaire français ? (question-piège !)

    Quelles sont les principales mesures du projet de loi de finances 2023 ?

    Quelles sont les principales mesures du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2023 ?

    Quel sont les atouts de l’économie française ?

    Quels sont les maux de l’économie française ?

    Comment est gérée l’assurance chômage ?

    La fermeture de Fessenheim était-elle opportune ?

    Question sur l’Europe :

    Pouvez-vous citer quelques institutions de l’Union européenne et leurs missions ?

    Quelle différence y a-t-il entre le Conseil européen, le Conseil de l’Union européenne et le Conseil de l’Europe ?

    Qu’est-ce que l’espace Schengen ?

    Tous les Etats membres de l’UE participent-ils à la zone euro ? Lesquels n’y participent pas ?

    Quels sont les principaux actes juridiques contraignants de l’Union européenne ?

    Dans quelle mesure le droit de l’Union européenne s’applique-t-il en France ?

    Quelles sont les principales caractéristiques du budget de l’Union européenne ?

    Faut-il retirer l’anglais de la liste des langues de travail de l’UE ?

    L’usage de la langue française dans l’administration française et dans les relations avec l’Union européenne ?

    Faut-il réformer le marché européen de l’électricité ?

    Questions sur la Fonction publique :

    Le statut général de la Fonction publique : sa première qualité et son plus grand défaut ?

    La loi de transformation de la Fonction Publique du 6 août 2019 ? Quels en sont les 5 axes ou les grands principes ?

    Est-ce que l’ouverture facilitée au recrutement des agents contractuels pour les emplois de direction est de nature à diminuer l’attractivité du corps des administrateurs de l’Etat ?

    Quels sont les freins au recrutement des agents contractuels pour les emplois de direction ?

    Le statut de fonctionnaire a-t-il encore du sens pour les missions non régaliennes et pourquoi ?

    le statut est-il un élément d’attraction ou un frein au recrutement ?

    Comment rendre plus attractive la fonction publique ?

    Fallait-il supprimer l’ENA ?

    Le temps réel de travail des hauts fonctionnaires français est-il un signe d’efficacité ?

    La transformation de certains corps du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères pourrait-il avoir des conséquences pour la diplomatie française ?

    Dans quelle mesure la crise sanitaire récente a-t-elle été une opportunité de modernisation de la fonction publique française ?

    Quelles sont les instances représentatives des personnels dans la fonction publique ?

    Qu’est-ce que le devoir de réserve du fonctionnaire ? L’obligation de discrétion ? Le secret professionnel ?

    Quel est le rôle actuel des CAP ? Est-ce que les compétences revues des CAP seront de nature à diminuer le rôle des organisations syndicales et d’avoir une incidence sur le taux de participation des élections de décembre ?

    Est-ce que le syndicalisme a du sens pour l’encadrement supérieur ?

    Existe-t-il un dispositif alternatif pour prendre en compte les aspirations de l’encadrement supérieur en dehors du champ syndical ?

    Télétravail et encadrement ?

    Un plan égalité a-t-il été mis en place dans votre structure/établissement ?

    Comment revaloriser le métier d’enseignant ?

    Quels sont les enjeux de la revalorisation des salaires des enseignants ?

    Les concours sont-ils toujours la meilleure façon de recruter des enseignants ? A l’image des autres pays européens, faut-il supprimer le statut des enseignants pour créer une profession réglementée ?

    Qu’est-ce que Parcoursup ?

    Questions diverses :

    Comment réagir face à un chef harceleur ?

    Comment définir un mauvais chef ? Comment travailler avec lui ?

    Qu’est-ce qui vous fait rire ?

    Le dernier livre que vous avez lu ? Le dernier film vu ?

    1. Arrêté du 4 août 2022 fixant le nombre de places offertes en 2022 aux concours d’entrée à l’Institut national du service public.
    2. Outre l’aspect professionnel, on peut aussi imaginer que les quarantenaires présentent une structure familiale différente rendant peu opérationnel le concours interne proposé par l’INSP.
    3. Le dernier âge moyen communiqué pour les admis au concours interne de l’Ecole nationale d’administration date de 2020, il était de 32 ans. Malheureusement, à ma connaissance, l’INSP ne communique plus sur cette statistique.
  • La fonction publique est-elle encore attractive ?

    La fonction publique est-elle encore attractive ?

    Temps de lecture : 10 minutes.

    J’ai lu avec beaucoup d’intérêt un rapport du Sénat relatif à la mission « Transformation et fonction publique »1 du projet de loi de finances pour 2024.

    Vous pouvez le retrouver ci-après : Avis n°1778 – Tome IX – 16e législature – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)

    Une augmentation inquiétante du ratio d’emplois non pourvus

    Le rapport sénatorial cite en premier lieu une note de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) datée de mai 2023.

    Celle-ci relevait qu’en 2021, comme en 2019 et en 2020, environ 8 % des postes de fonctionnaires de l’État n’avaient pas été pourvus : sur les 39 900 postes ouverts aux recrutements externes (concours et contractuels), seuls 36 700 agents avaient été recrutés.

    Si on s’intéresse aux emplois non pourvus à la suite d’un concours externe, le ratio augmente encore fortement, à près de 15%2. Ce qui peut expliquer, par ailleurs, la hausse du recours aux contractuels dans les différentes fonctions publiques.

    A titre de comparaison, et selon la DARES, au deuxième trimestre 2024, le taux d’emplois vacants s’élève à 2,8% dans les entreprises du secteur privé (hors agriculture, intérim, particuliers employeurs et activités extraterritoriales).

    Ce ratio global recouvre évidemment une diversité de situations avec des métiers plus ou moins tendus. On peut toutefois relever que la quasi-intégralité (99%) des employeurs de la fonction publique hospitalière font état de difficultés de recrutements3.

    Or l’attractivité d’un secteur est essentiel, pour a minima disposer du personnel en nombre suffisant pour exercer les missions confiées (le point de vue « quantitatif »), mais également pour disposer d’un personnel qualifié et ayant les compétences adaptées au besoin du recruteur (le point de vue « qualitatif »).

    Une problématique commune à plusieurs pays

    La moyenne d’âge dans les pays développés augmente progressivement, accentuant à la fois le vieillissement de la population et les besoins associés, notamment en termes de santé. Mécaniquement, les agents publics eux-mêmes vieillissent, d’autant que les fonctions publiques sont en moyenne plus âgées que le secteur privé.

    Parallèlement, si la part de jeunes intégrant la fonction publique demeure stable sur la période 1991-2015, entre 9 et 11%. Il convient de noter en termes relatifs une dégradation de l’attractivité de la fonction publique, évaluée en termes de rapports entre le nombre de candidats et de postes à pourvoir.

    Une problématique commune à toutes les fonctions publiques

    Concernant la fonction publique de l’État, la sélectivité aux concours externes a varié du simple au triple depuis le milieu des années 1980, mais elle baisse tendanciellement depuis la fin des années 2000. La sélectivité des recrutements externes est ainsi passée de 17 candidats pour 1 admis en 1997 pour s’établir en 2020 à 5,8 candidats pour 1 admis.

    Rapport annuel sur la fonction publique de 2022, « Les recrutements externes dans la fonction publique de l’Etat en 2020 »

    « La baisse tendancielle de la sélectivité n’est pas imputable à l’évolution du volume des recrutements mais est bien plus liée à une fuite des candidats : le nombre d’inscrits et de présents aux concours externes diminue depuis le milieu des années 1990, alors même que le vivier de jeunes diplômés, potentiels candidats, a crû presque continûment. Ainsi, à comportement inchangé des jeunes diplômés, la sélectivité des concours de catégorie A et B, hors enseignants, aurait dû croître. »

    Concernant la fonction publique hospitalière, les emplois les plus qualifiés et dans certains secteurs sont particulièrement en tension : 25% des postes de pédiatre et 46% des postes de radiologue sont vacants. 

    Concernant la fonction publique territoriale, 39% des recruteurs faisaient état de difficultés pour recruter en 2021. En particulier dans des métiers comme la police municipale, la petite enfance et le périscolaire, la propreté et l’administratif. La concurrence avec le secteur privé, notamment s’agissant des rémunérations est régulièrement soulevée4.

    Par ailleurs, les recrutements en milieu rural surajoute une difficulté rendant les recrutements particulièrement difficiles.

    Enfin, et de manière transversale, la filière du numérique représente également un sujet de difficulté pour les employeurs. Le secteur privé étant réputé répondre davantage aux attentes des candidats tant en terme de rémunérations, malgré les vélléités de l’Etat notamment5, de parcours de carrière, que de « culture managériale » selon un rapport de l’OCDE citée par la sénatrice6.

    Une contagion jusque dans la haute fonction publique

    La baisse de l’attractivité ne semble pas épargner la haute fonction publique, même si les grandes tendances cachent encore des situations contrastées selon les écoles et les types de concours.

    Le rapport Thiriez7 relevait ainsi en 2020 que « tous concours confondus (École nationale d’administration, École nationale de la magistrature, Institut national des études territoriales, École des hautes études en santé publique), le nombre de candidats a baissé d’un millier entre 2010 et 2018 pour s’établir à 5 900, alors même que le nombre de postes offerts augmentait de 50 % ».

    Il faut cependant nuancer l’analyse : à l’Institut national du service public (INSP), qui a succédé à l’École nationale d’administration (ÉNA), le nombre total d’inscrits et le taux de sélectivité se sont globalement maintenus sur cette période, et ont même légèrement augmenté depuis 2018, principalement sous l’effet de la multiplication des voies d’accès (création des concours externes « Docteurs » et « Talents »).

    L’ENM, l’INET et l’EHESP sont donc, plus spécialement, confrontés à de plus grandes difficultés de recrutements.

    Une attractivité de la fonction publique qui semble corrélée à la situation du marché du travail

    Cette faiblesse de l’attractivité de la fonction publique semble par ailleurs s’accentuer en période de faible chômage, avec une concurrence accrue entre employeurs.

    L’enquête « Besoins en main-d’œuvre » réalisée par Pôle Emploi en 2023 souligne ainsi que 61 % des recrutements sont jugés « difficiles », contre 57,9 % en 2022. De même, les études de la DARES sur les métiers en tension témoignent de la grande diffusion des difficultés de recrutements dans les différentes filières, en particulier dans les métiers qualifiés.

    Les atouts des métiers de la fonction publique et les difficultés à surmonter

    L’auteure du rapport tente ensuite de rappeler les atouts des métiers de la fonction publique.

    Le principal atout : les « valeurs du service public »

    Il est d’abord rappelé que la principale raison de l’engagement dans la fonction publique tient aux missions et aux valeurs, qui se distinguent le plus souvent du secteur privé notamment lucratif. L’intérêt pour le service public est mis en avant par trois candidats à la fonction publique sur quatre, et chez neuf candidats sur dix c’est le métier qui est la principale source de motivation selon le Rapport de restitution des travaux de la conférence sur les perspectives salariales de la fonction de mars 20228.

    Pour autant, la fonction publique ne dispose pas d’un monopole sur l’intérêt général. De nombreuses associations, ONG, voire entreprises à mission peuvent également remplir cette quête de sens.

    Première difficulté : une gestion jugée trop rigide et hiérarchique

    A l’inverse, l’« emploi à vie » n’est plus un élément fort d’attractivité. La sénatrice cite ainsi une enquête réalisée par la CFDT : « seuls 29 % des jeunes ayant répondu, exerçant dans les trois versants de la fonction publique, se disent prêts à y passer toute leur carrière. »

    A titre personnel, il me semble également qu’il existe désormais unhiatus entre la rigidité statutaire (corps ou cadres d’emploi, catégories hiérarchiques relativement étanches, recrutement sur concours et affectation nationale pour les métiers de la fonction publique d’Etat) et les velléités de mobilité et d’ouverture des agents.

    Le rapport relève aussi une gestion souvent jugée lourde et très hiérarchique.

    Le recrutement par concours est aussi en lui-même particulièrement long et coûteux et parfois en décalage avec les besoins immédiats des recruteurs et les viviers de candidats9.

    La Cour des comptes relevait ainsi dans un rapport consacré au recrutement des compétences numériques au sein des ministères économiques et financiers10, que le faible intérêt pour les postes offerts était : « accentué par le délai de recrutement dans l’administration comparé à celui des entreprises : 14 mois minimum pour les titulaires et 11 mois pour les contractuels. Ces délais ne sont pas adaptés à un marché en tension. Ils laissent peu de chance face à la concurrence du secteur privé qui peut recruter les jeunes 15 jours après leur diplôme. »

    Deuxième difficulté : les rémunérations, jugées trop basses

    Les faibles rémunérations sont régulièrement évoquées, dans la population générale, mais également par les fonctionnaires eux-mêmes, en particulier dans la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale.

    En valeur absolue, les rémunérations étaient en 2020 légèrement supérieures dans le secteur privé (2 518 euros) par rapport au secteur public (2 378 euros), mais avec d’importantes disparités :

    • Si le salaire de la fonction publique d’Etat est relativement élevé, à 2 639 euros, cela tient à un effet de composition, du fait de l’importance des catégories A (cadres), dont les enseignants ;
    • À l’inverse, la fonction publique territoriale, par un effet de composition inverse, présente un salaire net mensuel moyen plus bas : à 2 019 euros ;
    • Enfin, la fonction publique hospitalière présente un niveau médian, à 2 464 euros, mais avec là-encore, d’importantes disparités (notamment entre les personnels médicaux et les fonctionnaires11).

    Surtout, la dynamique des salaires est radicalement différente entre les secteurs public et privé.

    Selon l’INSEE 12, entre 2009 et 2020, le salaire des employés du secteur privé a augmenté de 7,8 %, soit une hausse de 0,7 % par an. Cette évolution est largement supérieure à celle constatée dans la fonction publique, où le salaire a augmenté de 1 % seulement sur la période, soit + 0,1 % par an.

    Concernant certains métiers, les évolutions sont encore plus éloquentes.

    Ainsi, le salaire d’entrée des enseignants en collège et lycée titulaires du CAPES, hors primes, était équivalent à 2,17 fois le SMIC en 1980, contre seulement 1,14 fois actuellement 13.

    La « smicardisation » de la fonction publique est également en marche : près d’un agent public sur cinq est aujourd’hui rémunéré autour du SMIC.

    Dans un contexte de hausse de l’inflation et de renchérissement du logement, cette situation devient problématique pour de nombreux agents publics, notamment dans les zones urbaines les plus denses, comme en Île-de-France et dans les grandes métropoles régionales.

    Le gel ou la sous-revalorisation du point d’indice a ainsi impliqué des efforts sur les rémunérations des agents publics essentiellement concentrés sur des mesures conjoncturelles, ciblées et dispersées (notamment à destination des hauts-fonctionnaires, mais également des agents de la santé14 ou de la police nationale), nuisant à la cohérence globale et, peut-être, aux besoins du service public.

    Données de l’INSEE, présentées dans le rapport sénatorial.

    La rapporteure souligne également la grande complexité de la rémunération des agents publics, qui est jugée « illisible » pour les observateurs extérieurs.

    Des conditions de travail considérées par les agents comme « en dégradation »

    Quatre agents publics sur dix déclarent effectuer une quantité de travail excessive et 55 % des agents de l’État continuent de penser à leur travail même quand ils n’y sont pas (soit 19 points de plus que pour les salariés du privé)15.

    Dans la fonction publique territoriale, plus des deux-tiers des agents exerçant des missions de catégorie C sont par ailleurs fortement exposés aux risques professionnels, et notamment à des relations difficiles avec les usagers, à des risques physiques et psycho-sociaux, à des horaires atypiques, ainsi qu’à une mobilisation fréquente dans le cadre d’astreintes16.

    Les recommandations de la sénatrice

    La sénatrice énonce plusieurs propositions, mais le contexte des finances publiques interroge sur les facultés à la main du gouvernement pour y répondre.

    La sénatrice propose en premier lieu de rendre les rémunérations plus attractives avec :

    • Une nouvelle augmentation du point d’indice ;
    • Une réforme des modalités de calcul de l’indemnité de résidence afin d’en faire un véritable levier d’attractivité 17.

    Mais il s’agit également de promouvoir des initiatives managériales accordant une plus grande flexibilité dans l’organisation du travail afin d’améliorer les conditions de travail comme le droit à la déconnexion (en particulier pour les fonctionnaires d’Etat) et le développement du télétravail.

    La sénatrice propose aussi de poursuivre le développement de la marque employeur récemment créée, pour mieux faire connaître les métiers de la fonction publique et mettre en œuvre des campagnes de communication ciblées sur les métiers en tension, auprès des jeunes, comme des travailleurs âgés.

    Enfin, la sénatrice propose de rendre les processus de recrutement plus efficaces :

    • En publiant des offres d’emploi plus pédagogiques et notamment plus précises s’agissant de la rémunération offerte ;
    • En adaptant le format de certains concours, notamment pour les apprentis ;
    • en améliorant la coordination entre les acteurs au niveau local pour proposer de véritables parcours de carrière au sein des différentes collectivités publiques.
    1. Le programme 148 en nomenclature LOLF (loi organique relative aux lois de finances), géré par le ministère chargé de la fonction publique.
    2. Pour la source, voir l’article publié sur le site vie-publique.fr sur les difficultés de recrutement par concours.
    3. Article précité publié sur le site vie-publique.fr.
    4. Une autre difficulté est celle du recrutement par concours, en particulier dans des métiers en tension où cette étape se révèle parfois incongrue lorsque la condition de diplôme est par ailleurs déterminante pour exercer la profession. C’est notamment le cas des éducatrices de jeunes enfants et auxiliaires de puériculture pour les crèches municipales.
    5. Confer la circulaire n° 6434-SG du 3 janvier 2024 relative à la politique salariale interministérielle des métier de la filière numérique signée par la Première ministre.
    6. OCDE, « Renforcer l’attractivité de la fonction publique en France. Vers une approche territoriale », 2023.
    7. Pour consulter ce rapport, suivre ce lien.
    8. Autrement connu comme le rapport Peny, Simonpoli. Disponible en suivant ce lien.
    9. Le procédé de recrutement par concours vise à évaluer l’« aptitude » générale du candidat à exercer les fonctions prévues dans son corps ou son cadre d’emploi, pas à mesurer les compétences en vue d’un emploi spécifique.
    10. Cour des comptes, « Disposer des personnels qualifiés pour réussir la transformation numérique : l’exemple des ministères économiques et financiers », Rapport public annuel de 2020. Pour consulter ce rapport, voici le lien.
    11. Les personnels médicaux avaient ainsi un salaire net moyen de 5 870 euros en 2020, contre 2 319 euros pour les fonctionnaires selon une étude de l’INSEE.
    12. Insee, « Chiffres-clés : L’essentiel sur… les salaires », 12 juin 2023. Et voici le lien.
    13. Lucas Chancel, La chute du salaire des enseignants (1980-2022) », document de travail, avril 2023.
    14. Au titre du « Ségur de la santé » à destination du personnel hospitalier, mais aussi des EHPAD et établissements médico-sociaux.
    15. Rapport précité de mars 2022 sur les perspectives salariales de la fonction publique de MM. Peny et Simonpoli.
    16. Rapport sur l’attractivité de la fonction publique territoriale, par Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, Corinne Desforges, inspectrice générale de l’administration, et Mathilde Icard, présidente de l’association des DRH des grandes collectivités, janvier 2022.
    17. Le rapport pointe ainsi montant brut moyen versé par mois de seulement 46 euros pour les agents publics d’Ile-de-France, ce qui ne compense évidemment pas le surcoût lié notamment au logement.
  • Un sociologue chez les fonctionnaires

    Un sociologue chez les fonctionnaires

    Temps de lecture : 7 minutes.

    Jean-Michel Eymeri est l’auteur de nombreux ouvrages, en particulier sur la haute fonction publique et la scolarité à l’Ecole nationale d’administration (« ENA »), désormais remplacée par l’Institut national du service public (dit, « INSP »).

    Retour sur des éléments d’une conférence intitulée « Les gardiens de l’Etat. Une sociologie des énarques de ministère », tirée de l’ouvrage (pages 161-164) Science politique et interdisciplinarité sous la direction de Lucien Sfez et disponible à cet emplacement : https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.80412.

    L’auteur évoque d’abord ses « trouvailles »

    La très forte hiérarchie entre le concours « externe » et les concours « interne » et le « troisième concours »

    « Lorsque l’on travaille à l’ENA, on découvre qu’il n’existe nulle part dans cette maison une liste des élèves et anciens élèves ventilée par origine de concours. Tout le monde la connaît bien sûr pour les deux promotions en cours de scolarité, mais ensuite la mémoire en est comme par hasard perdue. Du coup, il est impossible d’établir le tableau statistique si simple consistant à mettre en rapport l’origine de concours d’entrée et le corps de sortie. Il m’a fallu un mois et demi de travail d’archives et d’inavouables complicités pour constituer cette liste des 5 106 élèves sortis de l’ENA depuis 1945 répartis par origine de concours. Et c’est alors que l’on peut construire la statistique que personne ne voulait voir un enquiquineur de jeune doctorant construire : sur cinquante ans, parmi les énarques sortis à l’IGF, on ne dénombre que 8,6 % d’internes ; à la Cour des comptes 14,9 % ; dans la diplomatie 24 % ; à l’IGAS 41 % ; dans le corps des administrateurs civils 44,3 % ; parmi les conseillers de tribunaux administratifs 62 %, et ceux des Chambres régionales des comptes 79 %. C’est précisément la hiérarchie de prestige des corps et l’ordre dans lequel ils sont choisis en fonction du rang de sortie. Le constat se passe de commentaire. »

    Le système du classement de sortie de l’ENA.

    L’auteur qualifie ce classement d’ « énorme mécanique », avec dix-sept épreuves aux notes et aux coefficients différents représentant (alors) un total théoriquement atteignable de 1 000 points.

    Or, l’auteur constate en premier lieu une forte homogénéité dans les notations des épreuves écrites sur la centaine d’élèves d’une promotion. Selon lui, soixante-dix élèves se tiennent au final à un ou deux points les uns des autres ; il dénombre même une quarantaine d’ex-aequo. « Ramené à une moyenne générale sur 20 cela représente 0,02 point d’écart entre les gens, ce qui n’a proprement aucun sens. »

    Deux notes vont finalement se révéler véritablement discriminantes :

    • D’une part la note de stages, qui représente 20 % du total de points et qui est évidemment tout sauf une épreuve anonyme : « Avoir 9/10 ou 8/10 en stages représente un différentiel de 20 points au classement final c’est-à-dire seize à vingt places, ce qui est décisif. » ;
    • L’autre note où l’éventail est très ouvert, parce que les niveaux sont très disparates, est l’oral de langues vivantes, où un point sur 10 en représente 7 au classement final. L’auteur y décèle l’une des sources les plus évidentes d’inégalités en raison de l’origine sociale.

    La spécificité du corps des administrateurs civils

    Pour l’auteur, les administrateurs civils (désormais « administrateurs de l’Etat ») sont un corps en termes juridiques mais ils ne constituent pas un ensemble qui fait corps au sens sociologique :

    • Ni sentiment subjectif d’appartenance (solidarité ou « esprit de corps ») ;
    • Ni homologie des conditions matérielles d’existence ;
    • Ni représentants ou chefs de corps qui le feraient exister en le représentant ;
    • Ni action collective.

    Voilà un corps qui ne fait pas corps.

    Sur le quotidien du travail en administration centrale

    L’auteur est tout d’abord frappé par le fait que l’expertise se trouve à la base et que l’échelon de chef de bureau est bien souvent le dernier où l’on travaille encore sur le fond des dossiers. Au-dessus, du sous-directeur jusqu’au cabinet, les acteurs se situent dans le « méta », la coordination, l’animation, le commentaire, la négociation, l’arbitrage, le marketing pour vendre telle idée aux partenaires extérieurs et au ministre, etc., en un mot dans l’intermédiation généraliste.

    Un autre point-clé, ignoré de l’extérieur, est le petit nombre de hauts fonctionnaires en charge de secteurs économiques ou juridiques aux enjeux pourtant considérables : « Bien souvent, une sous-direction, c’est-à-dire quatre à six énarques, plus le double ou le triple de cadre A, gèrent un secteur économique entier. Par exemple, l’interface au sein de l’État de tout l’univers des assurances est assumé par une sous-direction au Trésor. Quant au secteur autoroutier, c’est un bureau à la Direction des routes à l’Équipement. »

    Le phénomène est identique aux Affaires sociales, il suffit de se munir d’un organigramme et d’identifier qui est en charge de la Caisse nationale des allocations familiales, du financement de l’autonomie des personnes âgées, de l’indemnisation des chômeurs… « C’est là un phénomène saisissant quand on devient un familier de la machine étatique. »

    On est aussi frappé par les graves carences de la mémoire administrative : « L’État, cette institution en charge de la continuité historique, a très mauvaise mémoire. Le turn over trop rapide des énarques sur les postes (trois à quatre ans en moyenne) y est pour beaucoup, à la différence des hauts fonctionnaires allemands qui restent dix à quinze ans dans le même poste. Du coup, les énarques passent leur temps à refaire des notes rédigées par leurs prédécesseurs, à réinventer des solutions homologues à des problèmes similaires voire, ce qui n’est pas rare, des solutions identiques aux mêmes problèmes : cette dialectique du même et de l’autre est particulièrement intéressante. Ce que l’on appelle la « continuité de l’État » semble ainsi résider moins qu’on l’imagine dans une mémoire conservée que dans la continuité des enjeux à traiter et dans la continuité interpersonnelle des schèmes incorporés que les hommes de l’État appliquent à ces enjeux. »

    L’auteur observe également le rôle spécifique des hauts fonctionnaires dans le travail d’administration centrale, à savoir celui de traducteur :

    « Le rôle collectif des énarques des services consiste à mettre en forme les enjeux et les solutions techniques dans des catégories suffisamment générales, simples et politiques pour être compréhensibles par le ministre et son cabinet, et au-delà les journalistes et autres faiseurs d’opinion. En sens inverse, ils traduisent en mesures et en dispositifs concrets les discours et les orientations générales du politique. Montée en généralité et simplification dans un sens, redescente en technicité et en complexité de l’autre : ceux que l’on désigne à tort d’un mot piégé, « technocrates », sont en fait des techniciens généralistes de la mise en forme et de l’ajustement. Un directeur de ministère m’a dit une fois qu’il avait une « fonction de traducteur simultané ». En fait, la formule s’applique à l’ensemble de l’encadrement énarchique des administrations centrales : leur rôle collectif est d’assurer une permanente opération de traduction, d’intermédiation symbolique et pratique, de décodage-encodage du réel à double sens. Ils font passer des objets et des enjeux d’un code à l’autre, d’un registre à un autre. Ce sont des médiateurs entre le politique et le technique, qui ne sont eux-mêmes ni techniciens ni politiciens, mais participent assez des deux sphères pour en maîtriser les logiques et en parler les langages. Ce sont des traducteurs multi-registres, des généralistes médiateurs. »

    La posture du haut fonctionnaire en administration centrale : neutralité et loyauté au service d’une nouvelle forme d’engagement ?

    L’auteur constate également une redéfinition du caractère concret de la loyauté des administrateurs envers le politique. « En résumé, du modèle classiquement weberien de la loyauté comme neutralité, on est en pratique passé à une définition de la loyauté comme devoir d’engagement. »

    Cet engagement implique que le haut-fonctionnaire ne se limite pas à proposer des solutions au cabinet du ministre, il émet des préconisations et il essaie de démontrer en quoi celles-ci permettraient de concrétiser un souhait ou une ambition gouvernementale.

    A contrario, « dans une machine bureaucratique qui fonctionne au blocage et à la non-décision, si les intéressés ne s’investissent pas dans les dossiers dont ils ont la charge au point d’en faire une affaire personnelle, les dossiers « s’encarafent » et n’aboutissent pas. »

    L’existence d’une culture de l’Etat ?

    Pour l’auteur, il existe, malgré toutes les divergences ministérielles et les « cultures locales » (au sein même des ministères d’ailleurs), « certains ferments culturels d’une homogénéisation partielle (j’insiste sur « partielle ») de l’ensemble étatique. Il y a bien une culture de l’État avec un grand E dont les énarques de ministère, ces administrateurs de l’État, sont les porteurs privilégiés car elle épouse leur culture d’état : la culture de l’institution-État existe en eux sous la forme incorporée d’une culture professionnelle. »