La Cour des Comptes a rendu deux rapports assez sévères sur la gestion paritaire des fonds de la formation professionnelle par deux des plus gros opérateurs de compétences (OPCO) : AKTO et l’OPCO EP (entreprises de proximité).
Le présent billet portera sur l’OPCO AKTO. Après une brève présentation de cet opérateur, les principaux éléments relevés par la Cour seront abordés s’agissant de la gouvernance, de l’organisation et du pilotage de l’OPCO.
Qu’est-ce qu’un OPCO et pourquoi il est intéressant d’observer leur fonctionnement ?
Les OPCO occupent une place singulière :
Il ne s’agit pas de personnes publiques (les OPCO sont des associations paritaires),
Ce ne sont pas davantage des caisses de Sécurité sociale.
Pour autant, leur existence, leur modalité d’organisation et leurs financements sont intégralement définis par l’État2. Par ailleurs, n’étant pas des « sujets administratifs », ils disposent de modalités de pilotage du secteur privé.
Ce modèle original permet ainsi de comparer la gestion du secteur privé pilotée par des organisations paritaires avec des acteurs similaires gérés par l’État :
Les OPCO perçoivent 630 millions d’euros de frais de gestion pour financer l’apprentissage3, probablement 800 millions d’euros tous dispositifs confondus. Ils comptaient, en 2020, 6 500 salariés4.
À titre de comparaison, les ARS devraient percevoir 623 millions d’euros sur 20255 pour 8 300 équivalents temps pleins (ETP), soit environ 9 000 salariés.
Au-de ces éléments quantitatifs, qui démontrent un coût total de financement supérieur par agents gérés du système privé paritaire, l’appréciation qualitative portée par la Cour des comptes est particulièrement inquiétante.
Présentation de l’OPCO AKTO
AKTO est un opérateur de compétences (OPCO). Et, il est l’un des plus gros parmi les onze OPCO agréés par le ministère du Travail depuis 2019.
Les OPCO sont notamment chargés de financer les contrats d’apprentissage du secteur privé et d’accompagner les entreprises des conventions collectives qui leur sont rattachées dans leurs besoins de formation. Ils ont été créés par la loi 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Les onze OPCO ayant remplacé les vingt OPCA précédents6.
AKTO compte près de 1 100 salariés et couvre un champ composé de près de 400 000 entreprises pour six millions de salariés et intérimaires relevant de l’intérim, de l’hôtellerie et de la restauration, de la propreté, de l’enseignement…
Il se distingue également des autres OPCO par le fait que son accord constitutif est signé par le MEDEF7.
Page de présentation du site AKTO.
Une gouvernance particulièrement complexe
Une structure de gouvernance lourde et peu transversale
La Cour note tout d’abord que le conseil d’administration est composé de 70 membres et l’Assemblée générale de 350 représentants.
À cette première comitologie imposante, s’ajoute 21 sections paritaires professionnelles (SPP) réunissant les branches professionnelles composant l’OPCO. À l’exception de trois d’entre elles, toutes sont mono-branches. La transversalité entre les différents secteurs professionnels est donc particulièrement faible.
Enfin, l’OPCO compte aussi quatre commissions transverses et treize commissions paritaires régionales interbranches, ainsi que six commissions d’orientation paritaire en outre-mer.
Avec le conseil d’administration et l’assemblée générale, ce sont ainsi 44 commissions paritaires, composées de centaines d’administrateurs représentant les salariés ou les employeurs, qui pilotent les missions de l’OPCO.
Une négociation des conventions d’objectifs et de moyens (COM) avec l’État difficile et peu stratégique
La convention d’objectifs et de moyens détermine, comme son nom l’indique, des cibles d’indicateurs ainsi qu’un ratio de financement de l’opérateur sur la collecte gérée. Elle constitue, avec l’agrément initial, l’instrument de contrôle de l’État sur ces opérateurs.
Toutefois, la Cour relève que la négociation de la COM 2020-2022 entre l’État et AKTO a été complexe, avec un rendu partiel et sans analyse approfondie.
Par ailleurs, la COM 2023-2025 présente peu de différences par rapport à la précédente, soulignant une certaine stagnation dans les objectifs et les moyens. En conséquence, la COM n’est pas de nature à permettre une meilleure maitrise budgétaire.
Une organisation interne instable
Évolution de la Direction Générale
Jusqu’en janvier 2024, la direction générale comprenait plusieurs départements clés :
communication,
finance,
gestion administrative,
pilotage et animation du réseau,
développement et ingénierie,
systèmes d’information,
secrétariat général,
ressources humaines, et
audit.
En 2023, la direction du contrôle, chargée du contrôle qualité des organismes de formation et du contrôle interne, a été supprimée suite au départ de la directrice en fin d’année 2022.
Ce n’est qu’en septembre 2024 qu’une nouvelle directrice générale adjointe aux finances a pu être nommée, dans un contexte de réflexion sur le renforcement sur les activités de contrôle et de détection de la fraude8.
Une mobilité des directeurs inquiétante
AKTO a connu une forte mobilité des directeurs, avec des départs notables (DSI, directrice contrôle (précitée), DAF, directeur audit).
« Les salariés rencontrés ont exprimé leur perplexité face à ces changements qui ne facilitent pas une bonne appropriation du sens et des missions qui leur sont confiées. »
Une externalisation de fonctions stratégiques
Autre spécificité d’AKTO, et ce, malgré plus de mille salariés, une très forte externalisation :
La direction de la transformation, la direction des systèmes d’information et la direction financière ont été confiées à une même société prestataire, malgré la présence de nombreux cadres supérieurs susceptibles d’être recrutés en interne.
L’OPCO dépense ainsi beaucoup en sous-traitance et en honoraires, en particulier dans les services informatiques :
1,5 million d’euros par an en 2022 et 2023 pour la sous-traitance ;
3,7 millions d’euros en 2022 et 2,3 millions d’euros en 2023, s’agissant des honoraires.
Un agrément comme opérateur unique en outre-mer « pas satisfaisant »
En outre-mer, le principe est celui de la mutualisation des moyens, un OPCO assurant pour les autres l’animation locale de la politique de formation professionnelle des salariés du privé (y compris les financements).
Toutefois, la Cour relève qu’AKTO ne dispose pas du « référentiel entreprises » permettant de rattacher les entreprises locales à leur OPCO9, ce qui empêche ainsi AKTO de disposer des remboursements correspondants.
Un pilotage des systèmes d’information défaillant
L’absence de documents stratégiques fondamentaux
Malgré ces nombreuses prestations auprès d’entreprises spécialisées, AKTO n’a formalisé aucun des éléments pourtant essentiels d’une conduite de projet informatique :
Le schéma directeur informatique (SDI),
Le plan de continuité et de reprise d’activité (PCA/PRA),
La charte informatique,
Une politique de sécurité des systèmes d’information (PSSI).
Ces lacunes exposent l’opérateur à des risques significatifs en matière de sécurité des données et des systèmes.
Un dérapage du budget consacré au système d’information
Le budget consacré aux systèmes d’information a presque triplé par rapport à l’estimation initiale, atteignant 16 M€.
Une évolution des ressources humaines qui n’est pas soutenable
Une évolution des effectifs et des rémunérations incontrôlées
De 2021 à 2024, les effectifs ont augmenté d’un quart, passant de 884 à 1 113 équivalents temps plein.
Les effectifs de cadres ont même augmenté de moitié de 2022 à 2023.
Des métiers essentiellement liés au conseil et une sur-proportion de femmes
Les conseillers et gestionnaires représentent 60 % des salariés. Par ailleurs, l’ensemble des salariés de l’OPCO, 77 % sont des femmes10.
Une forte progression des dépenses de rémunérations
La masse salariale a progressé de plus de 16,6 millions d’euros, soit une augmentation de plus de 28 % en l’espace de trois ans (proche de l’évolution des effectifs), correspondant à une augmentation annuelle moyenne de près de 5,5 M€.
Pour la Cour :
« Cette dynamique n’est pas soutenable au regard des ressources de l’opérateur et suscite des interrogations (compte tenu des) difficultés malgré tout persistantes de l’opérateur dans la gestion administrative des dossiers ou le pilotage des marchés. »
Toutefois, à la date du contrôle, l’opérateur envisageait toujours le recrutement de 120 nouveaux salariés. Ce qui, pour la Cour, est à « contre-courant » des tendances observées dans les autres OPCO, alors même que l’on constate une relative stabilisation du nombre de contrats d’apprentissage.
Des rémunérations élevées, en particulier pour les cadres dirigeants
En 2023, les dix plus hautes rémunérations de l’opérateur s’échelonnent de 113 618 € à 202 835 €, avec une moyenne de 135 252 €.
La Cour note que la rémunération de la directrice générale a été augmentée successivement en 2022, 2023 et 2024. Ces augmentations ont été réalisées sans information préalable au conseil d’administration.
Par ailleurs, AKTO ne respecte pas l’obligation de publier les rémunérations des trois plus hauts cadres dirigeants prévue par la loi du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l’engagement éducatif11.
Des ruptures conventionnelles coûteuses et sans délégation de pouvoir du conseil d’administration
16 ruptures conventionnelles ont été signées entre janvier 2020 et fin 2021, sans délégation nécessaire du conseil d’administration. La direction générale engageant donc des dépenses importantes et non autorisées.
Le coût total des ruptures conventionnelles et des licenciements d’anciens directeurs généraux s’élève à plus de 1,2 million d’euros. Une rupture conventionnelle a ainsi porté sur un montant brut de 405 000 euros.
Une politique sociale généreuse et parfois peu contrôlée
Une politique sociale avantageuse
AKTO s’assure la fidélisation de ses salariés à travers une politique sociale attractive : épargne salariale, protection sociale, accord d’intéressement, conditions de travail.
À titre d’exemple, l’accord d’intéressement prévoit une enveloppe globale d’un million d’euros12, pouvant aller jusqu’à 1,2 million d’euros en fonction de l’atteinte des objectifs.
En conséquence, le turn-over est relativement faible, même s’il est en hausse : de 6,4 % en 2020 à 18,4 % en 202313. L’ancienneté moyenne est de 9,25 ans.
Un avantage en nature généralisé : la mise à disposition de véhicules de fonction
AKTO dispose d’une importante flotte automobile, avec 345 véhicules de fonction.
Autrement dit : un salarié sur trois dispose d’un véhicule de fonction. Cela représente évidemment un avantage en nature très significatif.
La Cour invite l’Opco à gérer la flotte de véhicules de façon moins dispendieuse, compte tenu du doublement de la dépense en quatre ans.
Une gestion des notes de frais peu scrupuleuse
La Cour relève également une utilisation récurrente de cartes de paiement par certains salariés, notamment les directeurs régionaux et membres du comité de direction. Par ailleurs, la directrice générale a, à plusieurs reprises, effectué des dépenses personnelles avec ces cartes professionnelles (remboursées ensuite).
Autre fait étrange : certains salariés disposent de telles cartes de frais pour des raisons « historiques » et qui ne tiennent pas à leurs fonctions actuelles.
La Cour précise logiquement que cette pratique ne peut perdurer pour une multitude de raisons :
L’absence d’habilitation préalable du conseil d’administration,
Le rattachement à un nombre de bénéficiaires non déterminé,
L’absence de contrôle et la validation hiérarchique peu rigoureuse,
L’absence de barèmes et la substitution aux ordres de mission14,
Le non-respect des marchés publics.
Par ailleurs, la directrice des finances et le responsable du pôle fonctionnement disposent de droits en écriture qui devraient, à l’évidence, interdire la détention d’une telle carte.
Ce caractère dispendieux se retrouve aussi dans les dépenses liées aux frais de déplacement, de réception et d’événementiel : avec 6,1 millions d’euros pour 2022 et 6,2 millions d’euros pour 2023.
Des financements de l’OPCO : portés par l’apprentissage et les subventions de l’État
Une montée en puissance de l’apprentissage
Cette montée en puissance se révèle notamment dans les produits de formation de l’organisme :
La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel transfère la gestion des contrats d’apprentissage des Régions aux nouveaux OPCO à compter du 1er janvier 2020.
L’année 2020 a été particulièrement dense dans l’apprentissage, marquée par des aides à l’embauche de l’État en sortie de crise sanitaire.
Des financements volontaires très faibles
Les OPCO sont censés être un outil au service des branches professionnelles et des entreprises. Toutefois, force est de constater que la section budgétaire « Plan volontaire » est, ici encore, essentiellement constituée de subventions publiques : État, Régions, Union européenne.
En 2020, les subventions représentaient 54 % du total des produits de la section budgétaire, 67 % en 2021. Cette dynamique est notamment portée par des conventions budgétaires signées avec l’État au titre du FNE-Formation :
Une gestion financière problématique
Une direction financière peu réactive et outillée
La direction financière de l’OPCO est substantielle, puisque composée de 48 salariés, organisés en trois pôles : fonctionnement, formation et contrôle interne.
Cependant, la Cour relève dans son contrôle « de réelles difficultés à obtenir rapidement des informations fiables ».
Malgré l’importance des montants gérés et les dépenses en matière de systèmes d’informations, la direction financière de l’OPCO semble peu appropriée :
« Les salariés recourent à des fichiers Excel pour la préparation et le suivi budgétaire, avec tous les risques d’erreurs et de fuites de données que cela implique. Le déploiement d’un système d’information financier est resté à l’état de réflexion, l’opérateur ayant voulu concentrer prioritairement ses efforts sur le système d’information global. »
Des processus d’achats non maitrisés
Le constat est similaire s’agissant des achats publics, puisque :
« Près de cinq ans après la création de l’Opco, la structuration de la commande publique reste lacunaire. Il n’existe toujours pas, fin 2024, de stratégie d’achats et les préalables indispensables à celle-ci. »
« AKTO n’apparaît pas davantage en capacité de mesurer l’efficience de cette activité (taux d’infructuosité non fiabilisé, mesure des économies générées, délais moyens de mise en œuvre des procédures, recensement des incidents).
« Plus important, l’analyse de la balance des fournisseurs transmise par la direction financière montre que l’essentiel des dépenses de fonctionnement ne respecte pas les dispositions du code de la commande publique. »
Un contrôle interne très en retard et encore non finalisé
Le pôle contrôle interne est composé de six agents et d’un chef de pôle. Toutefois, ce n’est qu’au cours du premier trimestre 2024 (cinq ans après la création d’AKTO) que l’OPCO s’est doté d’une charte du contrôle interne.
Une cartographie des risques est présentée comme devant être opérationnelle durant l’année 2025.
À l’évidence, la Cour des comptes est donc peu timorée sur cette gestion très légère des fonds publics :
« Alors que l’opérateur gère plus de deux milliards d’euros de crédits avec plus de 1 100 collaborateurs, ces carences dans le déploiement d’un plan de maîtrise des risques ne sont pas acceptables. »
Une lutte contre la fraude extrêmement réduite
Le gouvernement communique désormais sur l’impératif de la lutte contre les fraudes dans le secteur de l’apprentissage15. Pour autant, l’OPCO AKTO ne réalise que peu d’actions concrètes :
En matière de lutte contre la fraude, l’essentiel des contrôles de l’OPCO AKTO porte sur l’identité des organismes, la fiabilité des informations fournies et le contrôle des coordonnées bancaires. Les véritables contrôles sont délégués à un tiers16.
La Cour relève d’ailleurs que l’OPCO assume une « vision restrictive de son rôle (…) d’autant plus paradoxale que dans ses “conditions générales”, l’opérateur rappelle justement les contrôles qu’il est habilité à mettre en œuvre, ainsi que leurs modalités, d’une ampleur bien plus importante17. »
Des délais d’engagement (et de paiement) des contrats d’apprentissage qui « révèlent d’importantes difficultés »
En 2023, le délai moyen entre le dépôt et le début d’un contrat est de 108 jours, contre 48 jours pour la moyenne des opérateurs. Par ailleurs, cet indicateur se dégrade pour AKTO, alors qu’il continue de se réduire pour les autres opérateurs.
Ce qui signifie que l’État n’exerce pas de « tutelle » directe sur ces organismes : nomination du dirigeant, droits de vote au conseil d’administration, avis sur le budget… ↩
Dans le code du travail, au Livre VI consacré à la formation professionnelle. ↩
Les OPCA, pour organisme paritaire collecteurs agréés, collectaient directement les fonds de la formation professionnelle (aujourd’hui, ce sont les URSSAF), mais sans la taxe d’apprentissage. Ils finançaient essentiellement les contrats de professionnalisation et les plans de formation des petites et moyennes entreprises (aujourd’hui, il est question de « plan de développement des compétences »). ↩
Les autres OPCO émanent le plus souvent de fédérations professionnelles, à l’exception de l’OPCO Entreprises de proximité, qui rassemble les deux autres organisations patronales interprofessionnelles : la CPME et l’U2P. ↩
Pour rappel, des centaines de millions d’euros de paiements transitent chaque mois par l’OPCO. Cette prise en compte tardive de la lutte contre la fraude interroge. ↩
Chaque OPCO acquitte de sa contribution unique pour le financement de la formation professionnelle auprès de l’URSSAF. Toutefois, ces paiements sont attachés à la convention collective appliquée par l’entreprise et chacune de ces conventions collectives est elle-même rattachée à un OPCO. ↩
Elles sont toutefois moins nombreuses dans les fonctions managériales (66 %) et supports (60 %). ↩
Obligation qui s’impose aux associations dont le budget annuel est supérieur à 150 000 € et qui reçoivent un montant de subventions supérieur à 50 000 €. ↩
Soit un montant brut moyen de 1 087 euros au titre de 2022. ↩
La Cour note ainsi que deux salariés ont bénéficié, par notes de frais, de remboursement de leurs trajets domicile-travail. Certains membres du comité de direction se font rembourser des dépenses de taxi ou des nuits d’hôtel à Paris, alors qu’il s’agit de leur domicile professionnel. ↩
Des contrôles de service fait, qui peuvent être approfondis et se réaliser sur place. Des contrôles de qualité, qui peuvent porter également sur l’ingénierie pédagogique, les tarifs… Or, la Cour note que ces contrôles : « qui ouvre(nt) potentiellement l’accès à des données nombreuses n’est pas développé. » ↩
Le numérique est envisagé comme un levier de transformation de l’État
Une succession de plans numériques
Depuis le début des années 2000, plusieurs plans de transformation numérique se succèdent au niveau interministériel :
Administration électronique (ADELE) de 2004 à 2007,
France Numérique en 2012,
État plateforme en 2014,
Action publique 2022 en 2017.
Des attentes fortes en termes de gains de productivité
La dématérialisation des procédures est notamment envisagée comme permettant d’augmenter la productivité des services, tout en améliorant la qualité des services rendus.
Les gains de productivité attendus sont de plusieurs natures :
La réduction du nombre d’emplois et des coûts de fonctionnement associés à production au moins constante ;
L’augmentation des recettes de l’État ;
L’amélioration du service rendu (accès, pertinence, délai) sans augmentation aussi forte des coûts de production.
Une mise en œuvre généralement confiée au Premier ministre et au ministre chargé de la fonction publique
À compter de 1981, le ministre de la fonction publique se voit, quasi systématiquement, adjoindre le portefeuille de la réforme de l’État et de la modernisation.
Sous la présidence d’Emmanuel Macron, il est même question de « l’Action et des Comptes publiques », puis de la « Transformation et de la Fonction publiques ».
Le pilotage de la transformation de l’État s’appuie donc sur deux leviers : les ressources humaines et le numérique.
Deux directions interministérielles sont responsables de la conduite de ces projets
La direction interministérielle du numérique1, rattachée au Premier ministre et au ministre de la fonction publique, est responsable de la conception et de la mise en œuvre de la stratégique numérique de l’État ;
La direction interministérielle de la transformation publique, rattachée aux mêmes autorités, notamment responsable du Fonds de transformation de l’action publique2.
À cet égard, et de manière plus générale, il convient de noter un renforcement depuis quinze ans des directions interministérielles3. Pour n’en citer que quelques-unes :
La direction des achats de l’État (DAE), en 2016 ;
La direction de l’immobilier de l’État (DIE), en 2016 ;
La délégation interministérielle à l’encadrement supérieure de l’État (DIESE), en 2022.
Une mesure des gains de productivité difficile pour les projets informatiques de l’État
En dépit d’ambitions importantes, la réalité des projets et de leur suivi fait peu de place à une véritable politique de productivité.
La mesure des gains de productivité dans le secteur public est plus complexe que dans le secteur privé
La Cour des comptes relève tout d’abord la spécificité des biens ou services produits par le secteur public. Ceux-ci sont le plus souvent non marchands et fournis gratuitement ou à un prix symbolique, en dessous du coût réel de production4.
Les recettes sont celles des contributions publiques, généralement obligatoires, et non le produit des ventes. Par ailleurs, compte tenu de l’universalité budgétaire et de la complémentarité de certaines politiques publiques, il est également difficile de mesurer précisément le coût d’une politique5.
Le calcul de la productivité du service public ne peut donc être réalisé que par une opération intellectuelle et comptable.
Ce faisant, c’est aussi une critique de la LOLF6 qui est émise par la Cour. Les instruments budgétaires actuels (programmes et rapports annuels de performance) ne permettent pas de reconstituer les coûts des différentes politiques publiques.
Les méthodes d’évaluation des coûts
Deux méthodes principales existent :
La méthode comptable, qui s’appuie sur le coût de production du bien ou service. Cette méthode consiste à rattacher tous les différents coûts à une prestation afin d’en évaluer le coût. Une productivité supérieure revient donc à produire plus avec autant ou moins, et inversement ;
Une méthode qualitative, notamment développée par Anthony Atkinson. L’objectif est ici de considérer les bénéfices sociaux d’une politique publique7. L’approche n’est plus comptable, mais se révèle quasiment impossible à mettre en œuvre :
Même en établissant des mesures qualitatives des actions menées, comment s’assurer de l’imputabilité d’un bienfait à telle ou telle politique publique ?
Comment comparer les effets ?
Enfin, dans l’attente des évaluations, comment piloter les politiques publiques ?
La distinction entre la performance et l’efficience
Le guide méthodologique de la LOLF définit la performance comme :
La capacité à atteindre des objectifs préalablement fixés, exprimés en termes d’efficacité socio-économique (résultat des politiques), de qualité de service (en se plaçant depuis les points de vue respectifs du citoyen, du contribuable et de l’usager) ou d’efficience de la gestion (optimisation des moyens).
La notion d’efficience met en regard un résultat avec les moyens consacrés (par exemple : la réduction de la surface en m² par poste de travail dans la gestion du parc immobilier).
Elle n’est toutefois pas équivalente à celle de productivité, qui se concentre sur les activités productives de l’État.
Des objectifs de performance très peu définis
Une quasi-absence de critères de productivité dans les indicateurs de performance publiés par l’État
L’analyse par la Cour des comptes des 2 128 sous-indicateurs renseignés dans le volet performance des PAP annexés au projet de loi de finances pour 2023 montre que la productivité est très rarement mesurée :
Seule une quarantaine d’indicateurs (moins de 2 %) met en rapport les résultats d’une production administrative avec les moyens engagés ;
Un unique sous-indicateur (au sein de la mission « Gestion des finances publiques ») comporte explicitement le terme « productivité » dans son libellé.
S’agissant des indicateurs budgétaires liés aux enjeux numériques
Vingt-sept indicateurs du budget de l’État (sur les plus de 2 000 évoqués plus haut) évoquent des enjeux numériques. Aucun ne mentionne la question de performance ou de productivité. Lorsqu’ils le font, c’est essentiellement de manière indirecte, comme pour les médias publics et leurs audiences sur les plateformes numériques.
Le portage des projets numériques de l’État n’est quasiment pas orienté vers la performance
À l’image des objectifs et indicateurs de la LOLF, les fondamentaux des projets numériques au sein de l’État ne semblent pas prioritairement portés par des enjeux de productivité.
Les projets d’évolution des systèmes d’information sont entrepris le plus souvent pour répondre à l’un des trois objectifs suivants :
L’amélioration du service rendu aux citoyens ou aux entreprises (sans préoccupation de productivité) ;
La lutte contre l’obsolescence technologique des outils déjà en place ;
L’adaptation aux respects d’engagements européens ou internationaux (cas de la DGDDI avec le Brexit, nécessitant d’adapter ses SI aux nouvelles règles douanières).
De rares projets portent des objectifs explicites en termes de productivité
L’analyse des grands projets numériques les plus récents suivis par la DINUM montre que seuls un quart d’entre eux ont intégré des enjeux de productivité :
TELEMAC, sur les conditions d’exercice des agents de terrain de la direction générale des douanes et des droits indirects, lancé en 2022 et
URF, sur l’unification du recouvrement fiscal, lancé en 2020 et
Deux projets issus du programme de chaîne pénale numérique par le ministère de la Justice.
Pour la Cour, ces projets constituent des exceptions.
Les raisons de ce défaut de pilotage de la productivité
La Cour identifie plusieurs raisons à ce manque de pilotage.
La productivité est « souvent un non-dit des décisions publiques ». Les craintes (supposées ou non) sur l’emploi ou l’évolution des organisations impliquent une réserve des employeurs publics.
En termes budgétaires, l’annonce de gains potentiels constitue un risque pour le gestionnaire ministériel. En l’absence des gains escomptés, leur budget pourrait être amputé à mesure de la projection initialement communiquée8.
En conséquence, ce sont les gains qualitatifs qui sont le plus souvent mis en avant dans les projets numériques de l’État.
L’absence de recommandations en termes de productivité de la direction interministérielle du numérique
La direction interministérielle du numérique a rendu près d’une centaine d’avis sur les principaux projets de système d’information de l’État9.
Cependant, elle ne se prononce presque jamais sur des considérations liées à la performance :
« Contrairement aux questions techniques, budgétaires ou de pilotage, les gains attendus au cours ou à l’achèvement du projet ne font presque jamais l’objet de constats ou de recommandations et sont simplement évoqués, sous un angle qualitatif, dans la partie introductive qui présente le projet. »
De grands projets numériques en difficulté
Le panorama des grands projets numérique de l’État étudié par la Cour (19ᵉ édition, juin 2024) recense 45 projets, représentant un coût prévisionnel total de 3,8 milliards d’euros pour une durée moyenne de six ans.
Il fait apparaître, en moyenne, des retards et des dérives budgétaires de respectivement 18,8 % et 17,5 %.
À titre d’exemple, l’évolution du projet PILAT10 de la direction générale des Finances publiques, de son lancement à son achèvement :
En revanche, le panorama et les documents qui l’accompagnent ne comportent aucune information sur les gains de productivité attendus.
L’initiative du Fonds pour la transition de l’Action publique (FTAP)
La Cour appelle ici à renouveler la démarche volontariste initiée à l’occasion du lancement du FTAP, tout en la consolidant par :
Un examen sérieux des gains de productivité au lancement du projet ;
Un suivi en cours de vie ;
Une évaluation des gains finalement obtenus une fois le projet achevé.
Pour ce faire, la Cour recommande de :
Renforcer la procédure d’avis conforme de la DINUM (en association avec la direction du budget) et
Améliorer les outils de suivi des activités et des coûts, « dans une démarche de contrôle de gestion », pour mesurer l’atteinte des objectifs et les moyens associés.
Pour les curieux :
Depuis 2016, la DINUM rend public un tableau de bord semestriel des grands projets
numériques de l’État11, c’est-à-dire ceux qui appartiennent à une ou plusieurs catégories suivantes :
Les projets qui ont un impact significatif sur les usagers, les ministères ou leurs agents ;
Ceux dont le contenu ou la gestion est complexe ou présente des risques majeurs ;
Ceux qui visent à réaliser des économies substantielles ou qui conduisent à engager des dépenses supérieures à 9 M€.
Quelques mots de conclusion sur l’intelligence artificielle
L’intelligence artificielle peut devenir un levier de productivité pour la Cour des comptes.
Toutefois, les magistrats relèvent les discordances dans les évaluations des potentiels gains. À titre d’exemple :
Le cabinet de conseil Boston Consulting Group évaluait, en 2023, les gains potentiels de l’intelligence artificielle générative dans le secteur public à 1 750 milliards de dollars par an à horizon 2023 et 83 milliards de dollars pour la seule administration française12 ;
Le cabinet Mc Kinsey évaluait la même année les gains potentiels à 480 milliards de dollars par an, soit un niveau quatre fois inférieur13.
La « Dinum » est un service du Premier ministre placé sous l’autorité du ministre de la transformation et de la fonction publiques. Parmi ses missions, prévues par le décret du 25 octobre 2019 modifié par le décret du 22 avril 2023, figurent le pilotage de la stratégie numérique de l’État, dont la mise en oeuvre est déléguée aux ministères, et la mobilisation des leviers numériques et technologiques nécessaires à l’accompagnement des services. ↩
Celles-ci complètent ainsi « l’arsenal administratif » du Premier Ministre, qui dispose désormais d’une autorité sur près de 59 services, ou du ministre de l’Economie et des Finances, dans son volet de coordination des politiques supports. ↩
Une première difficulté est d’ailleurs le calcul de ce coût de production, rendu souvent compliqué par la multiplicité des missions réalisées et le travail en réseau du secteur public. ↩
À titre d’exemple, le ministère du travail et de l’emploi dispose de trois programmes budgétaires : le P102, pour l’accès et le retour à l’emploi ; le P103, pour l’amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail et le P155, qui recense les dépenses supports (conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail). Pour autant, comment considérer l’impact et les résultats de ces différents programmes sans mesurer les programmes portés par le ministère de l’Économie et des finances ? De l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur ? Des dépenses de solidarités et d’insertion, du financement des retraites… ? ↩
Par exemple, une dépense de prévention en matière de santé publique présente des économies potentiellement très substantielles sur plusieurs années. En conséquence, pour Atkinson, il n’est pas souhaitable d’enregistrer uniquement le coût que présenterait une telle action. ↩
En précisant qu’en gestion, il n’existe pas davantage d’incitation à optimiser l’enveloppe accordée. ↩
Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 13)
Temps de lecture : 6 minutes.
Le temps de travail
Peu d’indicateurs de qualité de l’emploi placent la fonction publique dans une situation nettement plus favorable que le secteur privé. La conciliation des temps fait partie de ces exceptions. Les fonctionnaires et agents publics déclarent une durée annuelle de travail plus faible (même si les comparaisons demeurent très difficiles). Surtout, ils sont en général plus satisfaits de l’équilibre vie privée, vie professionnelle. Cependant, au sein de cet agrégat, certaines professions publiques sont en grande tension, notamment les directeurs d’établissement scolaire, les professionnels du soin et de la sécurité.
La durée annuelle du travail est inférieure dans la fonction publique
La durée annuelle effective de travail des salariés à temps complet du privé est de 1698 heures, contre 1 632 heures pour les agents de la fonction publique (hors enseignants)1 :
1 684 heures pour les agents de l’État ;
1 599 heures pour les agents de collectivités territoriales (soit près de trois semaines travaillées d’écart) et
1 622 heures pour les agents du secteur hospitalier.
Cet écart est essentiellement lié au :
Nombre de jours d’arrêt maladie, en moyenne plus élevé dans la fonction publique (et tout particulièrement dans la fonction publique territoriale) ;
Par un nombre plus élevé de jours de congés annuels (congés payés, RTT ou CET)2 et
Dans une moindre mesure, par le recours plus élevé à la formation professionnelle.
Toutefois, de 2006 à 2023, on constate une réduction progressive de cet écart de temps de travail annuel : celui-ci n’est plus que de 3,6 %, quand il était de 8 % en 2006.
Le travail en horaires atypiques est plus répandu dans la fonction publique
57 % des agents hospitaliers ont travaillé au moins une fois le samedi lors des quatre dernières semaines, contre 36 % dans le privé ;
53 % des agents hospitaliers ont travaillé au moins une fois le dimanche sur la même période, contre 18 % dans le privé ;
45 % des agents de l’État (enseignants compris) et une proportion similaire dans le secteur hospitalier ont subi lors des quatre dernières semaines une « contrainte horaire élevée », contre 25 % dans le privé.
Des durées longues de travail (supérieures à 44 heures par semaine) plus répandues pour certains métiers
Une situation relativement plus favorable pour les cadres administratifs
32 % des cadres de catégorie A déclarent travailler plus de 44 heures par semaine ;
Un pourcentage inférieur à quasiment tous les métiers de cadres dans le privé3, où les réponses vont de 43 % dans les transports à 57 % dans le commerce.
Des contrastes dans le monde enseignement
Les enseignants sont dans l’ensemble moins concernés par les durées longues de travail. Mais, au sein du secteur de l’enseignement, certains corps ou métiers sont nettement plus exposés :
41 % des enseignants du supérieur déclarent de telles durées de travail ;
78 % pour les directeurs d’établissement. Identifiés comme l’un des trois métiers les plus exposés parmi les 225 familles professionnelles.
Pour rappel, le temps de travail des enseignants ne se résume pas aux heures de présence devant les élèves :
Une intensité au travail particulièrement élevée dans les métiers de la sécurité et du soin
33 % des professionnels publics des métiers de la sécurité déclarent travailler sur des durées longues. Ce pourcentage est très inférieur pour les agents de sécurité privée ;
71 % des médecins du secteur hospitalier déclarent travailler plus de 44 heures par semaine. Une proportion semblable à celle des médecins libéraux, mais deux fois supérieure à celle des médecins salariés du secteur privé (34 %).
Le recours au temps partiel
Un recours en apparence comparable au secteur privé
La part des agents de la fonction publique travaillant à temps partiel est comparable aux salariés du privé :
18 % dans le public ;
17 % dans le privé.
Ce recours est plus répandu parmi les contractuels (28 %) et dans la fonction publique territoriale (23 %)4.
Un recours un peu plus égalitaire entre les hommes et les femmes dans la fonction publique
Les femmes sont plus concernées par le temps partiel que les hommes dans la fonction publique, mais l’écart de recours est moindre que dans le privé :
24 % des femmes et 8 % des hommes travaillent à temps partiel dans le secteur public (soit un écart de 16 points) ;
Contre respectivement 28 % et 7 % dans le privé (un écart de 21 points).
Un télétravail un peu plus choisi et pour une durée hebdomadaire en moyenne plus longue que dans le privé
Le temps partiel à 80 % concerne 36 % des femmes du secteur public, contre 21 % du privé. Inversement, 25 % des femmes à temps partiel dans le privé occupent un emploi inférieur au mi-temps, contre 12 % dans le public.
Par ailleurs, 6 % des agents du secteur public disent « subir » leur temps partiel, contre 8 % dans le secteur privé5.
Le recours au télétravail
Le recours au télétravail est possible depuis 2012 dans la fonction publique. Il est néanmoins demeuré marginal jusqu’à la crise sanitaire de 2020.
Désormais, l’autorisation de télétravail peut être délivrée pour un recours régulier ou ponctuel. Concrètement, la quotité de travail pouvant être exercée sous forme de télétravail régulier ou ponctuel peut varier jusqu’à trois jours maximum par semaine, voire davantage dans certaines circonstances.
À l’occasion de la crise sanitaire, le télétravail a été généralisé très rapidement dans la fonction publique. Toutefois, il demeure moins pratiqué que dans le secteur privé :
19 % des agents publics pratiquaient le télétravail en 2023, contre 6 % en 2019 ;
26 % des salariés de droit privé pratiquaient le télétravail en 2023, alors qu’ils étaient 9 % en 2019.
Sur la conciliation
Une conciliation des temps en moyenne plus favorable dans le secteur public
Les métiers publics sont en général plus favorables s’agissant de la conciliation des temps personnels et familiaux avec le temps de travail :
12 % des enseignants et 13 % des cadres de catégorie A de l’administration se déclarent en difficulté de conciliation ;
Ce pourcentage est de 17 % dans la population générale de salariés (et de 14 à 23 % pour les cadres privés).
Pour ces fonctionnaires, essentiellement de catégorie A et B, et travaillant dans le secteur administratif, la conciliation constitue même « l’avantage principal » de la fonction publique.
Toutefois, ici encore, certains métiers publics sont très exposés aux difficultés de conciliation
35 % des chefs d’établissement dans l’Education nationale déclarent des difficultés à concilier leur vie professionnelle avec leurs besoins personnels et familiaux.
37 % des agents publics des métiers de la sécurité (armée, police, pompiers) sont concernés. Contre 28 % pour les agents de sécurité privée.
39 % pour les infirmières et 38 % pour les médecins du secteur public, contre 19 % dans les deux cas pour leurs homologues du secteur privé.
Les durées travaillées varient également selon les caractéristiques sociodémographiques. Les hommes et les agents de moins de 30 ans ont une durée de travail annuelle supérieure à celle des femmes et des autres classes d’âge. Par construction, la composition de la fonction publique présente donc un premier biais. ↩
31,7 jours de congés en moyenne pour les agents publics contre 25,5 jours pour les salariés du privé. Cette différence tient aux choix de lisser conserver les régimes horaires hebdomadaires antérieurs aux 35 heures. ↩
Et les deux phénomènes se conjuguent : 37 % des contractuels de la fonction publique sont à temps partiel. ↩
Cette même enquête (Emploi, 2019) révèle que 13 % des répondants du secteur public disent « choisir » leur temps partiel, contre 10 % des répondants du privé. ↩
A titre d’exemple, 4) du 1. : « Hors circonstances exceptionnelles et télétravail ponctuel, lorsque l’administration souhaite mettre fin à une autorisation de télétravail, sa décision, communiquée par écrit, doit être précédée d’un entretien et motivée au regard de l’intérêt du service. » Par ailleurs, l’administration doit respecter un délai de prévenance d’au moins deux mois (sauf période probatoire). Et, plus loin : « Les nécessités de service peuvent également justifier, sous réserve du respect d’un délai de prévenance, l’exigence d’un retour sur site pendant un jour de télétravail. Lorsqu’un retour sur site apparaît impératif pour plusieurs jours consécutifs, il peut être procédé à une suspension provisoire de l’autorisation de télétravail. Cette suspension doit être motivée par des nécessités de service. » La souplesse est donc à la main du travailleur (absence de motivation et délai raccourci), tandis que l’administration doit justifier ses décisions dans le cadre d’une procédure contradictoire et se voit imposer un délai de prévenance relativement long. ↩
Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 12)
Temps de lecture : 9 minutes.
Avant-dernier billet consacré au rapport de France stratégie publié en décembre 2024 sur l’attractivité de la fonction publique (lien vers l’introduction du rapport de France stratégie), avec un focus sur la santé au travail.
Seront ici évoqués les conditions de travail, à travers :
Le rapport au public ;
L’intensité émotionnelle ;
Le travail « sous pression » ;
La perception du management ;
L’autonomie au travail ;
Les collectifs de travail ;
Les moyens matériels et humains ;
Les conflits éthiques.
Avant de plonger dans ces différents éléments, voici un extrait d’une enquête de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) sur les attentes des agents publics en matière de santé au travail (reproduite par France stratégie). La prépondérance des risques psycho-sociaux est flagrante :
Le rapport au public
85 % des agents publics sont en contact direct avec le public, contre 68 % des salariés du privé.
Par ailleurs, les relations sont plus souvent difficiles dans le secteur public que dans le secteur privé :
51 % des agents publics déclarent des tensions régulières avec le public, contre 40 % dans le privé.
Une situation tendue dans les métiers de la sécurité
Les métiers de la sécurité publique occupent une place à part.
58 % des agents de sécurité du privé1 connaissent des tensions au travail. C’est le cas de 78 % des policiers et gendarmes (91 % pour les policiers municipaux).
À titre général, dans l’analyse par métier : dès lors qu’une différence existe entre le secteur privé et public dans le niveau de tension, il est en défaveur du secteur public. C’est notamment le cas dans le versant hospitalier avec un niveau de tension nettement plus élevé pour le secteur public.
Des niveaux de tension également très élevés dans l’éducation
Les enseignants présentent un niveau important de tension :
58 % des enseignants en général ;
64 % pour les professeurs des écoles et
88 % pour les directeurs d’établissements.
Les rapporteurs soulignent une situation relativement paradoxale : une inquiétude diffuse et un sentiment de dégradation des relations. Cependant, la satisfaction est plutôt élevée dans les dimensions de sécurité au travail et de relations avec les élèves.
La direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale relève ainsi que :
« Les personnels de l’éducation nationale aiment, de manière générale, exercer dans leur école ou établissement : la satisfaction s’élève en moyenne à 7,0 sur 10. Le sentiment de sécurité dans et aux abords de l’établissement est estimé à 7,9 sur 10. »
Le sentiment d’être respecté par les élèves est évalué à un niveau également élevé (7,3 sur 10).
Les relations sont plus compliquées avec les parents2, mais plus encore avec la hiérarchie. L’évaluation du soutien de la hiérarchie en cas de problème n’est ainsi que de 5,7 sur 10.
Les rapporteurs relèvent un lien étroit entre les difficultés dans le rapport au public et le sentiment d’un faible soutien hiérarchique.
L’intensité émotionnelle
L’intensité émotionnelle se définit ici comme la proportion de salariés qui : « sont bouleversés, secoués, émus dans le travail » et renvoie autant à la qualité de la relation au public qu’à des enjeux d’organisation du travail ou de nature de l’activité.
Les agents publics se déclarent deux fois plus souvent être concernés par un choc émotionnel (19 %) que les salariés du privé (9 %).
De nouveau, la situation des enseignants est singulière :
21 % des enseignants sont concernés par de fortes émotions contre 12 % de l’ensemble des salariés,
13 % pour les cadres du secteur public (catégorie A) et
6 % des cadres du secteur privé.
Toutefois, dans les métiers du soin, si les agents publics demeurent plus concernés que les salariés du privé3, les indépendants occupent une place préoccupante :
55 % des infirmiers libéraux et 42 % des médecins libéraux se déclarent ainsi régulièrement émus ou bouleversés par leur quotidien. Cette spécificité tient très probablement aux visites domiciliaires des malades et aux relations interpersonnelles plus étroites qu’elles impliquent.
Le travail « sous pression »
En apparence, le secteur public ne se distingue pas du secteur privé s’agissant du stress au travail :
34 % des salariés du public déclarent travailler sous pression pour 35 % des salariés du privé.
Les cadres de catégorie A (46 %) et les enseignants (40 % dans le primaire et 41 % dans le secondaire) se situent toutefois dans la fourchette haute des métiers de cadres dans le privé. Plus inquiétant : 72 % des directeurs d’établissements scolaires déclarent travailler sous pression.
Le niveau de pression ressenti par les agents de catégorie B et C est comparable à leurs homologues du privé (agents administratifs, ouvriers, professions techniques).
S’agissant du secteur hospitalier, l’écart se creuse entre le secteur public et les établissements privés : la part de salariés déclarant travailler sous pression augmente de 49 % à 51 % de 2013 à 20194, alors qu’il baisse de 44 % à 37 % dans le privé.
En 2019, 68 % des infirmiers du public déclarent travailler sous pression, contre 48 % seulement dans le privé et 49 % parmi les indépendants.
Pour les rapporteurs, compte tenu de la proximité des métiers, les spécificités organisationnelles du secteur public constituent une piste d’explication. On pourrait aussi y ajouter les contraintes inhérentes au service public : continuité, égalité d’accès, quasi-gratuité.
Le management
La « qualité du management »
« Parmi les représentations négatives dont souffre la fonction publique au sein de la population française, persiste l’idée que le management y serait particulièrement peu efficace. Dans un sondage portant sur les critères d’attractivité comparée des grandes entreprises privées, du secteur non lucratif (associations, ONG, fondations) et de l’État, un panel de Français donne à ce dernier la moins bonne note pour l’item relatif « au style de management » (5,6/10 contre 6,3 pour les deux autres). C’est même la dimension la moins bien notée, sur les 23 dimensions citées. »
Le secteur public est relativement bien perçu s’agissant de la stabilité du poste et de l’équilibre vie privée / vie professionnelle. Mais, pour les 21 autres critères, il est en deçà des secteurs privés, lucratifs et non lucratifs.
« Plus inquiétant, quand on interroge uniquement des agents de la fonction publique, le management dans l’État est perçu encore plus négativement (5,2). »
Le « style de management » est le dernier argument cité par les sondés pour rejoindre la fonction publique. Inversement, c’est aussi le critère négatif le plus cité, devant la rémunération.
Le manque de soutien de la hiérarchie
Les niveaux de tension avec les supérieurs sont similaires entre secteurs privés et publics.
Toutefois, le sentiment d’être soutenu par la hiérarchie est nettement plus faible dans le secteur public.
46 % des enseignants qui disent être aidés par leur hiérarchie, 42 % pour les directeurs d’établissement scolaire. Ce sont des niveaux particulièrement bas par rapport à la moyenne des salariés et plus encore des salariés qualifiés.
L’autonomie au travail
81 % des salariés du public déclarent être autonomes dans leur travail, contre 74 % dans le privé.
Cette différence est encore plus marquée pour les métiers les moins qualifiés du public (cuisiniers, ouvriers, jardiniers).
S’agissant des cadres de catégorie A de l’administration, leur niveau d’autonomie est comparable aux cadres du privé. Néanmoins, ce niveau d’autonomie est ressenti comme en forte dégradation (5 points perdus de 2013 à 2019).
Les enseignants déclarent également une perte d’autonomie sur la même période, tout en affichant des niveaux élevés par rapport aux métiers de cadres.
Le travail collectif
Dans l’enquête Conditions de travail, les salariés du public déclarent être très souvent aidés par leurs collègues (87 %). Un niveau un peu plus élevé que dans le privé (79 %).
Ces chiffres sont en augmentation de 2013 à 2019.
En dépit de cette augmentation, les auteurs citent les travaux de Bergeron et Castel qui entrevoient un risque de fragilisation des coopérations par :
Les difficultés contemporaines à se projeter dans l’avenir ;
La rationalisation des coûts (dans les secteurs publics et privés), qui aboutit à un contrôle plus poussé des travailleurs5 ;
L’injonction à la « coordination » qui se traduit par davantage de procédures, des fusions d’organismes pour favoriser des économies d’échelle sans une réflexion préalable sur les « déterminants de ce manque de coordination ».
Les moyens matériels et humains
Parmi les agents publics, le constat d’une dégradation des conditions de travail semble relativement partagé. Il s’appuie sur différents paramètres :
La faiblesse (ou l’absence) de moyens matériels et humains ;
L’inadaptation de l’offre de formation (jugée trop théorique, avec trop de distanciel…) ;
La complexification des tâches à réaliser, en particulier les tâches administratives.
L’insuffisance de moyens matériels humains
43 % des agents publics de sécurité (armée, police, pompiers) déclarent disposer de moyens suffisants pour exercer leurs missions6 ;
C’est le cas de 56 % des cadres administratifs de catégorie A. Soit un niveau très en deçà des cadres du secteur privé.
De 2013 à 2019, tous secteurs confondus, ces deux familles de métiers (sécurité et cadres administratifs) présentent la plus grande dégradation de cet indicateur7.
S’agissant des métiers du soin, la faiblesse du secteur public est également très marquée :
47 % des aides-soignants du public déclarent bénéficier de moyens suffisants contre 58 % de ceux du privé,
49 % des infirmiers publics contre 67 % pour le privé et
54 % des médecins contre 71 % pour le privé.
« Ce manque de moyens est noté par les agents en poste, mais aussi par les viviers. Ce qu’il démontre qu’il pèse sur l’attractivité du secteur public. »
Une forme de défiance des agents publics envers leur employeur
« Ce manque de moyens est particulièrement mal ressenti par les agents. Il s’ajoute aux faibles rémunérations et au discours dévalorisants, entrainant une forme de défiance à l’égard de l’employeur. »
« Les groupes et les entretiens ont mis en évidence un climat de méfiance généralisé envers l’État et plus largement les institutions chez les agents eux-mêmes8. »
En 2019, 62 % des agents publics avaient le sentiment d’être respecté et reconnu dans leur travail, contre 70 % des salariés de droit privé.
En 2013, les pourcentages étaient respectivement de 67 % et 70 %. Cette dégradation est donc spécifique à la fonction publique.
Ce déficit de reconnaissance est particulièrement marqué dans l’Éducation nationale :
48 % des enseignants pensent recevoir le respect qui leur est dû, contre 59 % en 2013,
34 % pour les professeurs des écoles (43 % en 2013) ;
54 % pour les directeurs d’établissement et inspecteurs (contre 74 % en 2013, soit une chute de 20 points de pourcentage).
Les conflits éthiques
Le conflit éthique est ici défini comme le fait de : « devoir faire quelque chose que l’on réprouve ».
Moins d’un salarié du secteur privé sur dix se dit concerné par de tels conflits :
12 % pour les professeurs du secondaire ;
18 % pour les métiers publics de la sécurité9 et jusqu’à 65 % pour les cadres intermédiaires de la police nationale ;
« Si cela peut être interprété comme le fait que la fonction publique regroupe des métiers plus susceptibles d’être exposés à des conflits de valeur, cela accrédite également le fait qu’il existe un risque de décalage entre le « sentiment d’utilité sociale », qui peut motiver le choix d’entrer dans la fonction publique, et les réalités du travail ; la perception de promesses déçues pour des salariés qui ont plus d’attentes que dans le secteur privé. »
Plusieurs facteurs explicatifs sont évoqués et reprennent pour partie les hypothèses envisagées sur une dégradation possible des collectifs de travail :
La pression des chiffres ;
La dématérialisation des services ;
La complexification des tâches :
Une dégradation des relations avec les usagers.
Les arrêtés maladie, un signal faible ?
En conclusion, pour les rapporteurs, l’augmentation récente des arrêts maladie dans la fonction publique constitue un point d’alerte. Cette évolution est particulièrement inquiétante pour les versants territoriaux et hospitaliers de la fonction publique10, mais également pour les enseignants, auparavant très peu concernés.
France stratégie réalise des comparaisons sur des métiers « mixtes » à partir de catégories de fonction. Il demeure, à l’évidence, des spécificités irréductibles à toutes comparaisons s’agissant de certains métiers publics. Les policiers et militaires n’ont pas d’équivalents dans le secteur privé. Il est toutefois proposé une comparaison fonctionnelle. ↩
Le sentiment d’être respectés par les parents d’élèves est de 6,3 sur 10. ↩
Parmi les agents publics, 42 % des infirmiers et 32 % des émotions disent avoir vécu des épisodes d’intensité émotionnelle contre respectivement 33 % et 27 % de leurs homologues du privé. ↩
Les rapporteurs s’arrêtent en situation pré-COVID pour ne pas fausser les comparaisons. ↩
Ce qui implique également une charge administrative et de reporting, qui peut être jugée très négativement par les salariés concernés. ↩
Ce ratio est de 77 % pour les agents de sécurité privée. ↩
Les agents publics de catégorie B et C présentent également un indicateur relativement dégradé s’agissant des moyens à leur disposition pour exercer leurs fonctions. Toutefois, la dégradation de cet indicateur sur la période 2013 à 2019 est similaire à celles de leurs homologues salariés de droit privé. ↩
Ce qui rejoint aussi les constats de Luc Rouban sur l’augmentation du vote pour le Rassemblement national parmi les agents publics. ↩
Le taux est de 19 % pour les agents de sécurité privé. Les ratios sont donc ici élevés, mais homogènes. ↩
En rappelant toutefois qu’il y a aussi des effets de composition. ↩
Les dépenses publiques de rémunérations des agents publics, après avoir augmenté jusqu’aux années 80, connaissent une relative décrue depuis :
• 10 % du PIB dans les années 60-70 ;
• 13 % au début des années 80 ;
• 12 % en 2023, en replis depuis les années 90.
Autrement dit, depuis les années 80, l’augmentation des dépenses publiques ne tient pas aux dépenses de personnel, mais aux autres dépenses (essentiellement sociales).
Toutefois, les écarts entre versants de la fonction publique sont extrêmes :
De 1980 à 2023, les dépenses des collectivités locales augmentent de 238 % ;
Sur la même période, les dépenses de l’État augmentent de 45 %.
Le mode de rémunérations des agents publics
Un mode de rémunération à trois étages
La paie des fonctionnaires peut schématiquement se décomposer en trois parties :
1. Le traitement indiciaire. Déterminé par une grille indiciaire qui s’applique à l’ensemble des agents relevant d’un corps.
C’est le système le plus simple : on multiplie l’indice lié au grade et à l’échelon par la valeur du point d’indice.
2.Le régime indemnitaire et les rémunérations annexes. Ces éléments comprennent les heures supplémentaires (pour certains agents publics), les primes et indemnités.
Les rémunérations indemnitaires et annexes sont particulièrement complexes et ont été très dynamiques sur les vingt dernières années.
Elles sont individualisées et portent sur :
La fonction exercée : encadrement, sujétions particulières… ;
Le lieu d’exercice : indemnités de résidence, primes spécifiques à certains territoires, notamment ultramarins ;
La situation de famille : supplément familial de traitement (pour des montants nettement plus modestes) ;
La performance de l’agent : au titre du complément indemnitaire annuel (CIA) notamment.
Un élément important est à rappeler : les rémunérations indemnitaires et annexes sont partiellement retenues pour le calcul de la pension de retraite de l’agent public.
3. Enfin, en déduction du revenu net (pour l’agent) : les cotisations et diverses retenues sociales. Ici, l’agent public se trouve dans la même situation que le salarié de droit privé avec une part de ces rémunérations consacrée aux différentes contributions et cotisations.
Une rémunération de plus en plus individualisée
Si la majeure partie du revenu d’un agent public est encore assise sur le traitement indiciaire (comparable aux grilles de classifications des branches professionnelles), la part dévolue aux primes et indemnités est en forte augmentation.
Compte tenu des difficultés budgétaires de la France et des répercussions induites par une augmentation de la valeur du point d’indice1, les gouvernements successifs ont préféré des augmentations sectorielles.
Le rapport ambivalent des fonctionnaires à leurs rémunérations : ils se considèrent mal payés, mais ils ne rejoignent pas la fonction publique pour l’argent
Le sentiment d’être « mal payé » est diffus parmi les agents publics
Ce sentiment est encore plus exacerbé lorsque le diplôme initial est élevé.
En 2023, 68 % des fonctionnaires s’estiment mal ou très mal payés. 76 % parmi les enseignants2
Cependant, le salaire n’est pas un motif d’entrée dans la fonction publique3. Et, quand des agents publics démissionnent, ce n’est pas tant parce que les rémunérations sont faibles. Les agents concernés évoquent d’abord l’absence (supposée ou réelle) de perspective d’évolution professionnelle.
La vérité des prix : quel salaire dans la fonction publique et dans le privé
Le salaire net mensuel moyen des agents publics en équivalent temps plein en 2021 est de 2 431 euros, contre 2 464 euros pour le secteur privé.
Analysé par versant de la fonction publique, le salaire net mensuel moyen en 2021 se répartissait comme suit :
2 039 euros dans la fonction publique territoriale ;
2 590 euros dans la fonction publique hospitalière ;
2 688 euros dans la fonction publique d’État.
Les rémunérations dans la fonction publique d’État tiennent à un effet de structure
En effet, les agents de l’État sont en moyenne plus diplômés, plus âgés, mais également plus féminisés que dans le secteur privé.
La part de salariés disposant d’un diplôme du supérieur est très marquée selon l’employeur (données de 2021) :
76 % pour les agents de la fonction publique d’État ;
52 % pour les agents hospitaliers ;
41 % pour les salariés du privé et
32 % pour les agents de collectivité locale.
Mécaniquement, la part d’agents civils de catégorie A (les cadres) était aussi très variable selon les versants de la fonction publique :
62 % pour l’État,
40 % pour le secteur hospitalier et
3 % pour les collectivités locales.
L’évolution des rémunérations par versants et dans le secteur privé
Sur la période 2011-2021, le salaire net moyen en équivalent temps plein a augmenté (en euros constants) de 2,1 % pour l’ensemble des agents publics, mais cette augmentation cache de nombreuses disparités :
8,8 % pour la fonction publique hospitalière, tirée par le rattrapage des salaires post-Covid ;
2,5 % pour la fonction publique territoriale ;
– 0,2 % pour la fonction publique d’État.
Il faut toutefois faire attention aux effets de composition : la part des agents de Cat A augmente et leur vieillissement aussi.
Pour dépasser les limites du salaire moyen net en EQTP, il existe un indicateur d’évolution des salaires pour les agents restés en poste deux années d’affilée complètes. Autrement dit, la : « rémunération moyenne des personnes en place » (RMPP).
Une évolution salariale essentiellement liée au développement des primes et indemnités
Le décrochage du point d’indice
Jusqu’aux années 1990, le point d’indice suivait l’évolution des prix. De 2010 à 2023, le point d’indice est systématiquement gelé, sauf exceptions.
Des augmentations sont ainsi consenties en 2016 et 2017, à un niveau proche de l’inflation (0,6 %), puis en 2022 et 2023, mais dans un contexte de très forte inflation :
Le point d’indice est d’abord revalorisé de 3,5 % en 2021, puis de 1,5 % en 2022 ;
Sur la même période, l’inflation est de 10,4 %.
Première conséquence, la progression salariale est essentiellement catégorielle ou individuelle :
Primes et indemnités individuelles,
Revalorisations de grilles indiciaires de certains corps.
Seconde conséquence, les primes constituent aujourd’hui environ 25,5 % de la rémunération moyenne totale (un peu moins en rémunération nette individuelle) des agents publics. Cette part est stable depuis 2010 et est supérieure à celle constatée dans le secteur privé (proche de 20 %).
Une augmentation des primes et indemnités qui peinent à maintenir le niveau de vie des agents publics
Selon les rapporteurs :
« Les dispositifs existants (primes, indemnités comme heures supplémentaires) servent d’abord à maintenir le pouvoir d’achat, ou pour certains bénéficiaires à compléter leur revenu (heures supplémentaires). »
Par exemple, dans la fonction publique d’État, les gains en rémunérations proviennent quasi exclusivement du vieillissement des agents et des politiques indemnitaires.
Le décrochage des cadres (cat. A) et professions intermédiaires (cat. B)
De 2011 à 2021, les salaires moyens en EQTP des cadres et professions intermédiaires ont baissé dans la fonction publique et augmenté dans le secteur privé :
– 3 % pour la fonction publique d’État,
– 0,2 % pour la fonction publique territoriale ;
+ 2 % dans le secteur privé.
À titre de comparaison, le salaire net moyen des employés et des ouvriers a augmenté de 6 % pour la FPE et 2,5 % pour la FPT (contre 5 % dans le privé).
Ce dynamisme des rémunérations pour les ouvriers et employés est lié aux mécanismes de préservation du pouvoir d’achat mis en place pour les bas salaires.
La fonction publique hospitalière présente de son côté un caractère atypique (mesures Ségur prises suite à la pandémie de COVID-19) avec une augmentation des salaires réels moyens de 9 % sur la décennie :
10 % pour les employés et ouvriers,
6 % pour les cadres et professions intermédiaires.
Un système de rémunérations inégalitaires
Des inégalités entre ministères
Le constat est connu, les différences de rémunérations entre les ministères demeurent :
La part de primes et indemnités est faible dans l’enseignement ;
Alors que les primes sont plus importantes dans les ministères de l’Économie, de la Défense ou de l’Intérieur.
Ces différences de primes viennent parfois compenser une grille indiciaire jugée trop faible. Ils induisent toutefois un frein à la mobilité pour les agents et peuvent engendrer un sentiment d’iniquité.
Pour les rapporteurs :
« L’effet global du système tel qu’il existe est donc incertain. »
Des évolutions salariales différentes entre contractuels et fonctionnaires
En prenant le RMPP, ce qui n’est pas sans poser de difficultés méthodologiques4, l’évolution des contractuels est systématiquement plus élevée que celle des fonctionnaires.
Des trajectoires salariales en détérioration
Une augmentation de la rémunération moyenne des agents publics quasiment nulle depuis quinze ans
De 1980 à 2010, le taux de croissance annuel moyen du salaire moyen par tête (SMPT) réel des administrations publiques était de 0,66 %.
Toutefois, on peut clairement dissocier deux périodes :
1,02 % sur la période 1990-2010,
0,26 % sur la période 2010-2023.
Autrement dit, sur les quinze dernières années, le pouvoir d’achat des fonctionnaires évolue quatre fois moins vite que les deux décennies précédentes. Par ailleurs, cette évolution est tellement faible qu’elle est quasiment nulle en termes réels.
Des trajectoires de carrière en dégradation
France stratégie s’appuie sur des données permettant de comparer les « débuts de carrière » de différentes générations de salariés de 1990 à 2010.
« Tous diplômes confondus, les trajectoires des jeunes agents publics semblent se détériorer, en particulier entre les cohortes des années 2000 et 2010, avec une forme d’affaissement de la position salariale par rapport à l’ensemble de la population. »
En témoigne, une évolution du salaire moyen par tête durablement plus importante dans le secteur privé par rapport aux administrations publiques depuis le début des années 2000 :
Le salaire médian des jeunes agents publics évolue très défavorablement entre générations :
La génération 1990 gagnait 88 % du salaire médian en début de période et, 116 % après six ans ;
La génération 2010 gagnait 80 % du salaire médian en début de période et 102 % en fin de période.
Cette dégradation concerne tous les versants de la fonction publique, à l’exception des agents de collectivités territoriales.
Le cas des enseignants est particulièrement symptomatique d’une forme de décrochage.
En 2021, le salaire net moyen en EQTP est de :
2 504 euros pour les enseignants de l’école élémentaire ;
2 835 euros pour les enseignants du secondaire ;
3 919 euros pour les cadres de la fonction publique (également de catégorie A) ;
4 326 euros pour les cadres du secteur privé ;
2 405 pour les professions intermédiaires du public (catégories B, recrutés à partir du baccalauréat) et 2 468 euros pour les professions intermédiaires du privé.
Une dynamique salariale en faveur du secteur privé
De 1997 à 2021, le salaire net moyen en équivalent temps plein a crû de 15 % dans le secteur privé, contre 7 % dans la fonction publique d’État.
Sur la période 2011-2021, le taux de croissance annuel du salaire net moyen en équivalent temps plein des salariés en place du secteur privé a été constamment supérieur à celui de leurs homologues de la fonction publique, excepté en 2021.
En conséquence, depuis 2017, le salaire net moyen dans le secteur privé est supérieur au salaire net moyen des agents publics. Ce qui, compte tenu de la proportion de cadres dans la fonction publique, témoigne d’une dégradation relative de la rémunération des plus qualifiés dans le secteur public.
La fonction publique demeure attractive pour les femmes et les moins diplômés
Un modèle de rémunération et de carrière en général plus favorable aux femmes
Pour les niveaux de formation inférieurs à bac + 4, il existe des gains relatifs à être dans la fonction publique par rapport au privé en début de carrière, surtout pour les femmes.
Cet avantage persiste pour les femmes au fil de la carrière, alors qu’il disparaît vite pour les hommes au cours des années 2000.
Toutefois, ce gain s’estompe pour les plus diplômés, hommes comme femmes
Les rémunérations du secteur public sont rapidement dépassées par les rémunérations offertes dans le secteur privé pour les hommes très diplômés (bac +4 et au-dessus). Cet écart ne fait ensuite que s’amplifier.
Pour les femmes, l’avantage salarial offert par le public demeure sur une période un peu plus longue. Au-delà, comme pour les hommes, les divergences salariales sont très importantes et s’amplifient.
« Le diplôme permet donc de jouir d’une rémunération d’entrée élevée par rapport à l’ensemble de la population, mais pour les hommes comme pour les femmes, la croissance est ensuite moindre dans la fonction publique que dans le privé. »
Au-delà des montants, la structure de rémunérations est devenue illisible dans la fonction publique
La complexité même du système de rémunérations dans le secteur public, sa fragmentation, les inégalités qu’il porte « ont pu affecter l’attractivité salariale ces dernières décennies ».
Les rapporteurs posent ici un message fort invitant les administrations à renouveler leur communication, mais également les dispositions de rémunérations. L’objectif doit être d’offrir davantage de clarté, aux agents publics eux-mêmes et à tous les jeunes et moins jeunes désireux de rejoindre la fonction publique :
« Une partie de la perte d’attractivité tient autant à l’évolution des salaires en elle-même qu’à l’architecture du système de rémunération du secteur public, qui peut être perçu comme illisible au regard de trois objectifs qu’il doit atteindre :
« Ignorer la réalité d’un système de rémunération complexe, fragmenté, et tendanciellement moins valorisant pour les agents publics, ne permettrait pas de répondre aux frustrations ou au désintérêt croissant de la fonction publique en général. »
Une augmentation du point d’indice concerne tous les fonctionnaires et présente également un impact sur les pensions de retraite. ↩
Sondage Ipsos de 2022 commandé par la FSU auprès des fonctionnaires et enquête Génération du Cereq sur les cohortes 2013 et 2017 de jeunes entrant sur le marché du travail. ↩
La RMPP des contractuels par construction se limite à ceux qui sont « stables » puisque présents sur deux années pleines. ↩
Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 10)
Temps de lecture : 7 minutes.
Une fonction publique duale : les fonctionnaires et les contractuels
Le développement du nombre de contractuels a profondément changé la politique de ressources humaines et la perception des métiers du service public. Il est particulièrement critiqué par les rapporteurs qui considèrent le système actuel comme :
> « créateur d’inégalité de traitement tant en termes de rémunération et que de perspectives de carrière. »
Par ailleurs, ce recours aux contractuels est généralisé, bien que dans des proportions variables entre les trois versants de la fonction publique.
Les causes du développement de la contractualisation dans les trois versants de la fonction publique sont multiples
Les réformes récentes ont toutes visé à favoriser le recrutement de contractuels. Principalement, pour deux raisons :
Pallier les besoins de recrutement par un nombre insuffisant de titulaires, principalement en lien avec les problèmes d’attractivité évoqués dans des précédents billets ;
Disposer d’agents pour des besoins temporaires ou en réponse à des besoins précis.
Outre ces motivations concrètes, les représentations d’un recrutement par contrat sont également plus favorables :
Le recruteur dispose d’un panel de candidats plus importants pour faire son choix (fonctionnaires et… l’ensemble des actifs intéressés pour rejoindre son service)1, ce qui lui permet également de recruter davantage en fonction du profil des candidats ;
Les recrutements sont plus rapides qu’une affectation d’un agent par concours ;
La durée de recrutement fixée dans le contrat permet au recruteur de ne pas renouveler le contrat en cas d’insatisfaction ou pour des raisons budgétaires ;
Inversement, recruter un agent localement peut aussi être potentiellement plus stable que de voir le poste pourvu par un lauréat de concours venu d’une autre région.
Point de situation dans la fonction publique d’État
21 % des agents de l’État étaient contractuels en 2022 (24,5 % sans les militaires), et 63 % des agents des établissements publics administratifs (Agences régionales de santé, France travail).
Plus l’employeur est autonome, plus il recourt à des non-titulaires. Les deux tiers des agents non titulaires sont affectés dans des établissements publics2, contre seulement 13 % des agents titulaires.
Des situations très différentes selon les ministères
L’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur (écoles, universités…) comptent 24 % de contractuels3. Toutefois, compte tenu de la taille de ces ministères, ils concentrent près des deux tiers des 546 000 agents contractuels de l’État ;
Les ministères dits « régaliens » (et les établissements sous leur tutelle) présentent de plus faibles taux de recours aux contractuels : 7 % pour l’Intérieur, 11 % pour l’Économie et 15 % pour la Justice.
Les contractuels publics sont plus précaires que dans le privé
Le recours aux contrats à durée déterminée (CDD), plutôt qu’à durée indéterminée, est plus fréquent dans le secteur public. Il concerne 14 % des agents publics contre 8 % des salariés du secteur privé (auxquels il convient d’ajouter 3 % de salariés en intérim).
Cette spécificité s’explique aussi par le fait que l’emploi durable est censé être occupé par un fonctionnaire.
Le recours au CDD concerne, dans le secteur public, tout particulièrement les emplois peu qualifiés
Le recours à des contrats courts concerne davantage les emplois peu qualifiés :
Pour les agents d’entretien, 21 % des travailleurs du public sont en CDD, contre 14 % des salariés du privé,
Pour les aides-soignants, 24 % sont en CDD dans la fonction publique, contre 13 % dans le privé ;
Pour les professionnels de l’action culturelle et sociale, 52 % sont en CDD dans la fonction publique et 25 % dans le privé ;
De même pour l’action sociale et l’orientation avec 18 % de CDD dans la fonction publique et 10 % dans le privé.
Toutefois, et pour des raisons différentes, les métiers qualifiés (outrès qualifiés) sont également concernés :
32 % des personnels d’études et de recherche sont en CDD dans le public contre 5 % dans le privé ;
20 % des médecins dans la fonction publique, contre 8 % dans le secteur privé ;
9 % des cadres de catégorie A, comme les attachés d’administration. Pourtant, dans le secteur privé, les cadres sont très peu employés en CDD (de l’ordre de 2 à 6 %).
Cette logique métier se retrouve mécaniquement par des recours aux contrats très divers selon les employeurs. Le secteur hospitalier propose très majoritairement des contrats de moins d’un an, tandis que l’État comporte relativement beaucoup de CDI, ce qui suggère des besoins moins conjoncturels :
Des contractuels plus précaires que dans le secteur privé
Les transformations de CDD en CDI sont plus faibles que dans le privé :
La transformation des contrats temporaires (CDD ou intérim) en CDI (ou emploi statutaire) un an plus tard est deux fois plus faible dans le public, par rapport au privé4.
« 26 % des agents de catégorie B et 16 % des agents de catégorie C ont accédé à un emploi durable un an après, contre 34 % des employés et 49 % des techniciens administratifs du privé. »
De manière générale :
« Les taux de transitions de l’emploi temporaire vers l’emploi durable des familles professionnelles publiques font partie des plus faibles observés parmi l’ensemble des métiers. »
Les contractuels ne restent pas dans la fonction publique
Selon les rapporteurs, il existe encore une étanchéité relativement forte entre les parcours des agents contractuels et ceux des fonctionnaires.
Pour les agents contractuels, le passage dans la fonction publique est le plus souvent perçu comme transitoire, pour accéder à un premier emploi ou dans l’attente de meilleures perspectives professionnelles.
Ainsi, dans la fonction publique d’État, seuls 10 % des contractuels deviennent titulaires dans un ministère (ou un établissement public) et 8 % rejoignent une autre fonction publique. Les autres rejoignent le secteur privé ou sont indemnisés au titre de l’assurance chômage5.
Les titularisations sont plus difficiles
Pour les agents contractuels désireux de rester dans la fonction publique, la titularisation est longue : en moyenne huit ans.
À l’inverse, cela signifie également que les durées d’exercices avec un statut contractuel s’allongent, sans les garanties offertes aux fonctionnaires :
La progression salariale est plus incertaine pour les contractuels,
La protection sociale peut être plus faible,
La mobilité est moins facile, avec la nécessité de négocier et de signer un nouveau contrat à chaque changement de poste.
Les grands plans de titularisation sont terminés
Depuis 1983, quatre plans de titularisation ont été organisés. Ils ont permis à des milliers d’agents contractuels d’accéder à un statut de fonctionnaire.
Les modalités d’intégration étaient prévues dans la loi. Il pouvait s’agir d’un concours réservé ou d’un examen professionnel, voire d’une nomination directe par l’employeur :
Environ 146 000 titularisations ont été permises par la loi dite « Le Pors » de 19836 ;
60 000 pour le plan de 1996 issu de la loi dite « Perben7 » ;
30 000 pour le plan de 2001 issu de la loi dite « Sapin8 » ;
Enfin, 54 000 agents pour le dernier grand plan de titularisation, prévu par la loi Sauvadet du 12 mars 20129, portant sur les exercices 2013 à 2018.
La loi de transformation de la fonction publique de 2019 n’a pas renouvelé cette démarche. La principale finalité de cette loi étant de favoriser le recours aux contractuels et le maintien de leur statut dans la durée, notamment par l’accès plus aisé aux postes de direction de l’État.
La contractualisation de la fonction publique fragiliserait les relations de travail
S’agissant des rémunérations, un constat ambivalent
Les rémunérations des contractuels sont le plus souvent inférieures aux fonctionnaires.
Les conditions de rémunérations des agents contractuels sont très diverses entre et au sein des ministères : selon le métier, le niveau de diplôme, parfois l’expérience antérieure.
Le salaire moyen net12 sur 2022 des fonctionnaires était de 2 598 euros, contre 2 014 euros pour les contractuels.
Toutefois, cet écart présente des proportions diverses selon les versants de la fonction publique :
Les différences de rémunérations sont importantes dans la fonction publique d’État. Le salaire moyen net est de 2 955 euros pour les fonctionnaires contre 2 080 euros pour les contractuels ;
Les écarts sont plus faibles dans la fonction publique territoriale : 2 216 euros contre 1 923 euros.
Ces divergences tiennent pour partie à un effet de structure : au regard des emplois occupés par les contractuels et de la moyenne d’âge des fonctionnaires en poste13.
Il existerait ainsi un « double effet métier »14 :
Les métiers les moins qualifiés garantissent un certain avantage salarial aux titulaires ;
À l’inverse, pour les métiers les plus qualifiés, les contractuels disposent d’un avantage salarial sur les fonctionnaires.
Des évolutions de rémunérations contrastées
Pour la période de 2012 à 2021, le salaire moyen net des contractuels en EQTP progresse moins vite que celui des titulaires en termes réels (corrigés de l’inflation).
Mais ici encore, les ministères présentent des trajectoires singulières :
Au sein de la fonction publique d’État, la dynamique globale des salaires des contractuels est très défavorable, en baisse de 5 % par rapport aux fonctionnaires.
Inversement, le salaire moyen des contractuels progresse fortement dans la fonction publique hospitalière.
C’est cette ouverture dans le recrutement qui implique des niveaux très élevés de contractuels dans certains directions d’administration centrale comme la direction générale des entreprises ou dans une moindre mesure à la direction du budget. ↩
Essentiellement à l’Éducation nationale toutefois, ce qui brouille un peu l’analyse. ↩
Autrement dit, la proportion de contractuels dans les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur est dans la moyenne. ↩
Peyrin A. I., Signoretto C. et Joubert L. (2020), L’insertion des jeunes dans la fonction publique d’État, 1991-2015, Injep, « Notes et rapports », Rapport d’étude. ↩
Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 9)
Temps de lecture : 6 minutes.
Le chapitre sur les parcours de carrière du rapport de France stratégie est très dense. Outre les informations détaillées dans le précédent article sur le recrutement, ce chapitre comporte également des informations sur la mobilité des agents publics et le rapport aux contractuels.
Voici donc ici esquissés quelques éléments de synthèse en rapport avec les mobilités professionnelles, les possibilités d’avancement et de formation et quelques comparaisons avec le secteur privé.
Des possibilités de mobilité, d’avancement et de formation professionnels en apparence comparables avec le secteur privé
« Les possibilités de mobilité professionnelle, d’avancement et de formation ne sont pas systématiquement défavorables au secteur public, voire peuvent y être plus fréquentes. Toutefois, elles sont rarement synonymes d’ascension professionnelle rapide comme cela peut être plus souvent le cas dans le secteur privé. »
Un accès à la formation professionnelle aisé pour les agents publics
L’accès à la formation est relativement aisé dans la fonction publique. Il est même substantiellement plus élevé pour les exécutants et les cadres moyens ou intermédiaires du secteur public par rapport au secteur privé1.
Il convient toutefois de relever une singularité, le caractère souvent fermé de ces formations : l’offre de formation disponible n’est pas aussi abondante que dans le secteur privé.
À titre d’exemple, le Compte personnel de formation (CPF) des agents publics nécessite l’accord de l’administration. Le salarié de droit privé bénéficie de son côté d’une liberté de choix presque totale, sans besoin d’en référer à son employeur2.
De même, le Conseil en évolution professionnel (CEP) est une mission assurée en interne, avec des garanties permettant d’assurer la confidentialité des échanges et la professionnalisation des agents publics. Le salarié de droit privé bénéficie lui d’un service dédié, externe à l’entreprise, puisque assuré par des prestataires sélectionnés par appel d’offres des pouvoirs publics.
Par ailleurs, et contrairement au secteur privé, il n’existe pas de classification des emplois et des compétences dans une grille dédiée d’une convention collective. Les grilles indiciaires du secteur public concernent des corps, pas des métiers. En conséquence, le passage d’un diplôme n’entraîne pas de droits à rémunérations pour l’agent public. Seul le passage d’échelon (à l’ancienneté), de grade ou de corps (promotion interne) peut, avec l’occupation d’un emploi à sujétions, procurer une rémunération supplémentaire3.
Des perspectives de mobilité en apparence favorables
« Les familles professionnelles publiques connaissent de fait plutôt plus de promotions et d’améliorations de revenus que les métiers comparables du privé. Ainsi, les agents de catégorie A connaissent plus de promotions et d’améliorations de leurs revenus que la majorité des emplois de cadres du privé. Il en est de même pour les agents de catégorie B ou pour des métiers comparables dans le privé, à l’exception notable des enseignants (toujours par rapport aux cadres). »
Toutefois, si les agents publics évoluent globalement davantage que leurs collègues du privé, leurs rémunérations demeurent généralement moindres, en particulier pour les métiers qualifiés. L’exemple le plus évident concerne les filières informatiques (voir l’article sur les informaticiens des ministères économiques et financiers).
Des changements importants de carrière relativement rares
Une progression relativement plus homogène et moins rapide que dans le secteur privé
L’autre singularité de la fonction publique est de proposer un modèle de progression de carrière plutôt incrémental4 : la progression est continue, mais plutôt modeste.
« Une carrière publique permet des promotions régulières, mais n’implique pas nécessairement de changement de catégorie d’emploi. »
Cet effet est particulièrement marqué pour les emplois les moins qualifiés :
25 % des salariés du secteur privé entrés sur le marché du travail comme employés exercent une profession intermédiaire ou sont devenus cadres en 2015 ;
Ce ratio est de 21 % dans le secteur public.
« En raisonnant à caractéristiques d’entrée sur le marché du travail et socio-démographiques comparables, l’écart entre ces deux populations baisse légèrement, mais la probabilité de devenir cadre ou profession intermédiaire reste inférieure à celle du secteur privé de 13 %. »
Des mobilités « très ascendantes » nettement plus difficiles dans le secteur public
Les écarts sont encore plus importants pour les mobilités très ascendantes :
Un employé du public a 48 % de chances en moins de devenir cadre qu’un employé du privé aux mêmes caractéristiques.
L’accès au grade de catégorie A (par exemple : le corps des attachés d’administration) est relativement verrouillé par le système de concours, en dépit d’un accès plus aisé à la formation professionnelle.
Une fonction publique globalement moins discriminante que le secteur privé
Les trajectoires très ascendantes du secteur privé bénéficient essentiellement aux hommes
Les trajectoires de mobilité « très ascendantes » du secteur privé se révèlent très discriminantes :
« En raisonnant toujours à caractéristiques du premier emploi et socio-démographiques comparables, on observe que les femmes ayant débuté comme employées dans le secteur privé ont une probabilité près de 23 points inférieurs de devenir cadre ou profession intermédiaire qu’un homme, contre 10 points seulement dans le secteur public. »
À titre d’exemple :
79 % des femmes et 84 % des hommes diplômés d’un Bac + 3 et plus deviennent cadres dans le secteur public ; soit 5 points d’écart.
Elles sont seulement 53 % (contre 74 % des hommes) dans le secteur privé, soit un écart de plus de 20 points.
Toutefois, en creusant l’analyse, on constate de fortes divergences entre fonction publique s’agissant de la promotion des femmes
Dans la fonction publique d’État, les femmes ont une probabilité plus élevée d’être cadre que dans le secteur privé. Mais, si on s’attache à analyser chaque fonction publique, les fonctions publiques territoriales et hospitalières se révèlent davantage « discriminantes » que le secteur privé.
Les métiers techniques sont très féminisés dans ces fonctions publiques (santé, travail social et administratif). À l’inverse, l’encadrement est nettement masculin.
La fonction publique d’État est de son côté déséquilibrée par le poids du corps enseignant, mais l’encadrement supérieur présente également une sur-proportion d’hommes.
L’égalité des chances offerte par le secteur public est occultée
La fonction publique est un instrument de promotion sociale, en particulier pour les jeunes diplômés issus de milieux populaires et les femmes5. Cette caractéristique semble ignorée du grand public et des agents publics eux-mêmes.
L’attractivité de la fonction publique pour les femmes
Ainsi, les femmes ont une probabilité de travailler dans le secteur public de 11 points supplémentaires par rapport aux hommes.
« Avoir un parent ouvrier ou employé (versus « avoir un parent cadre ») accroît la probabilité de travailler dans le secteur public d’environ 4 points lorsqu’il s’agit du père et de 2 à 3 points pour la mère. »
L’attractivité de la fonction publique pour les jeunes diplômés
Si la surqualification dans la fonction publique est réelle6, elle n’est pas spécifique au secteur public et est similaire dans le secteur privé
Par ailleurs, le diplôme protègerait davantage du déclassement dans le secteur public que dans le secteur privé. En particulier pour les femmes :
Cette égalité des chances n’est pas intégrale
Pour les descendants d’immigrés, la probabilité d’être agent public est négative de 2 points. Une hypothèse pourrait être la méconnaissance des métiers de la fonction publique par ce public, ce qui rejoint le constat dressé dans le précédent billet sur une relative autarcie du secteur public.
De même, le recrutement social des enseignants du secondaire et du supérieur est très favorisé :
54 % des professeurs du secondaire et du supérieur sont issus de familles à dominante cadre ou intermédiaire, proportion supérieure à celle observée parmi les cadres du privé et du public.
À titre de comparaison, 13 % des enseignants du premier degré (école maternelle et primaire) sont issus de familles de cadres7.
23 % des catégories B et 16 % des catégories C sont partis en formation au cours du dernier trimestre, contre des niveaux entre 7 % et 16 % pour les secrétaires, secrétaires de direction ou encore les techniciens administratifs ↩
La seule limite est que la formation soit inscrire au Répertoire national des certifications professionnelles. Autrement dit, qu’elle soit certifiante. ↩
Il me semblait important de rappeler cette différence, puisque les rapporteurs de France stratégie ne le font pas. ↩
À l’exception probablement des cadres supérieurs, comme on a pu le voir dans un précédent billet sur le vieillissement des agents publics. ↩
Gollac S. et Hugrée C. (2015), « Avoir trente ans dans le secteur public en 1982 et en 2002 les transformations d’une filière de promotion sociale par le diplôme », Revue française d’administration publique, n° 153, p. 23-43. En conservant la nuance évoquée plus haut pour les fonctions publiques territoriales et hospitalières. ↩
L’Insee estime ainsi qu’un quart des fonctionnaires de l’État de catégorie B et trois quarts de catégorie C sont surdiplômés. On compte même 5 % de docteurs parmi les agents de catégorie B. ↩
27 % sont mêmes issus d’une famille à dominante ouvrière ou mono-active. Taux nettement plus élevé que pour les professeurs du secondaire ou les cadres du privé. ↩
Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 8)
Temps de lecture : 10 minutes.
Suite de l’analyse du rapport de France stratégie avec un chapitre long et dense qui s’interroge sur le parcours de carrière des agents publics. Il s’agira ici de revenir sur le principe statutaire et sa consécration dans le recrutement par concours.
Dans deux prochains billets, nous nous attarderons plus longuement sur les contractuels eux-mêmes et sur les parcours professionnels des agents publics.
Qu’est-ce que le « statut de la fonction publique » ?
Un principe inscrit dans la loi
Le droit à la carrière
Les rapporteurs rappellent tout d’abord le principe statutaire de garantie de l’emploi et de la carrière1 :
La garantie de l’emploi2 protège le fonctionnaire contre l’arbitraire en empêchant les mutations pour des raisons autres que l’intérêt du service et en limitant les licenciements à des circonstances particulièrement graves : faute grave, insuffisance professionnelle…
La garantie de la carrière pose le principe que les fonctionnaires sont recrutés dans un corps de la fonction publique et qu’ils disposent, au sein de ce corps, d’une forme de « carrière automatique ou minimale » — indépendamment des missions exercées3. L’évolution des rémunérations évolue pour partie à l’ancienneté (progression dans une grille indiciaire par échelon), et, éventuellement, par le passage d’un grade supérieur (notamment par examens professionnels).
Cette garantie de l’emploi et de la carrière vise à protéger les agents publics des ingérences, au nom des principes de neutralité et d’égalité des citoyens devant le service public.
La séparation du grade et de l’emploi
L’autre principe pivot du statut est celui de la séparation du grade et de l’emploi :
Le fonctionnaire est titulaire de son grade et non de son emploi. Autrement dit, le fonctionnaire dispose du droit d’occuper des fonctions compatibles avec son grade4. En revanche, l’administration dispose des emplois qu’elle peut modifier à tout moment.
La situation d’un fonctionnaire est qualifiée de statutaire et règlementaire :
Les modalités de recrutement et d’évolution de la carrière du fonctionnaire sont définies dans le décret règlementant son corps,
Tandis que les emplois correspondant à ce corps dépendent d’une organisation administrative règlementaire.
Inversement, le salarié de droit privé et le contractuel de droit public5 sont recrutés sur un emploi considéré, pour une tâche et des fonctions précises. Tout changement substantiel du contrat du salarié ou du contractuel de droit public nécessite donc un avenant ou un nouveau contrat.
En contrepartie : un recrutement par concours et des obligations
Les fonctionnaires sont le plus souvent6 recrutés par concours avec un niveau de sélectivité relativement élevé.
Il s’ensuit une période de stage, généralement longue (le plus souvent un an). Durant cette période, l’employeur public peut se séparer à tout moment du stagiaire.
Enfin, le statut de fonctionnaire implique plusieurs obligations :
L’interdiction d’exercer d’autres fonctions (principe de non-cumul des rémunérations), avec quelques exceptions ;
L’obligation de réaliser les tâches confiées et d’informer le public, de veiller à la continuité du service ;
L’obligation de réserve (y compris en dehors du service) et de respecter le secret professionnel ;
L’obligation d’impartialité et de neutralité (y compris la laïcité) ;
L’obligation de probité et d’intégrité (des dispositions pénales s’appliquent spécifiquement aux agents publics) ;
Le foisonnement de statuts : l’émiettement de la fonction publique
Le modèle français de fonction publique figure encore comme l’exemple topique d’une fonction publique de carrière. Toutefois, l’emploi public est de plus en plus protéiforme.
En effet, à l’analyse, le premier constat est celui d’une profusion de cadres d’emploi pour les agents publics :
Les « classiques » : fonctionnaires (y compris les fonctionnaires stagiaires), militaires (régis par le Code de la défense) et magistrats ;
Les vacataires : rémunérés à la tâche (ils ne disposent pas de congés payés ni depuis droit à titularisation) ;
Les salariés de droit privé : comme les agents de France travail, mais également les agents des caisses de sécurité sociale ou des établissements publics industriels et commerciaux comme la SNCF ou la RATP ;
Les « autres statuts » : ouvriers d’État, contrats aidés, médecins hospitaliers, enseignants de l’enseignement privé sous contrat, apprentis, assistantes maternelles (dans les collectivités), individus en engagement ou volontariat de service civique.
Un constat : « l’emploi à vie » n’est plus attractif pour les jeunes générations
La promesse d’un « emploi à vie » n’est pas attrayante
La promesse d’un emploi garanti a perdu de son importance pour une multitude de raisons :
Le déclin général des projections à long terme du fait des crises successives depuis le début des années 2000 (crise écologique, guerres, difficultés démocratiques). Ce qui induit une préférence pour le présent8 ;
La multiplication du nombre de métiers en tension9 qui fragilise l’argument d’une meilleure sécurité de l’emploi pour le secteur public10 ;
Plus généralement, le privé est vu comme offrant davantage de perspectives ;
Enfin, une conception plus répandue selon laquelle la stabilité de l’emploi est considérée comme un risque : celui de perdre en compétences. Une carrière stable est vue comme « statique ».
La stabilité de l’emploi demeure un élément distinctif et un argument pour les salariés les plus fragiles
Cependant, pour les salariés du privé, la stabilité de l’emploi public reste un élément fort et différenciant :
84 % des salariés du privé citent la sécurité de l’emploi comme un attrait des carrières de fonctionnaire11.
La sécurité de l’emploi demeure recherchée par les salariés les plus vulnérables sur le marché du travail : seniors, salariés peu qualifiés ou jeunes issus de milieux populaires.
Les fluctuations du chômage ne jouent plus sur l’attractivité de la fonction publique : celle-ci ne constitue plus un « refuge »
La hausse du niveau de chômage de 2008 à 2017 n’enraye pas la chute du taux de sélectivité des concours qui continue à décroître. Malgré la hausse du chômage et en présence d’une augmentation du nombre de postes offerts dans les fonctions publiques, le nombre de candidats n’augmente pas.
En dehors de la sécurité de l’emploi, les « avantages » offerts par les employeurs publics semblent peu élevés pour les actifs
Une protection sociale globalement moins favorable, en particulier s’agissant de la protection sociale complémentaire12
« Lorsque l’on compare les dispositifs en vigueur (…) les différences avec le secteur privé (en matière de santé, de retraite, ou d’autres avantages sociaux indirects, CESU, garde d’enfants, etc.) ne sont globalement pas à l’avantage de la fonction publique. Ces avantages, souvent mis en avant comme des compensations à des rémunérations réputées moins attractives, ne constituent plus une réelle différenciation. »
À cet égard, les rapporteurs notent une culture différente s’agissant, par exemple, de la protection sociale complémentaire. Celle-ci est quasiment inexistante dans les discussions et représentations des agents publics. À l’inverse, pour les salariés du privé, il s’agit d’un élément d’appréciation important de la qualité de l’emploi.
« La culture de la protection sociale complémentaire n’a pas (encore) imprégné le secteur public. »
Plus largement :
S’agissant de l’action sociale (garde d’enfant, loisirs-vacances, restauration, accompagnement social) : « au regard des effectifs globaux, le nombre de personnes concernées et les montants financiers qui y sont consacrés restent anecdotiques. »
Des droits à retraite similaires entre les agents publics et les salariés de droit privé
Deux différences importantes subsistent s’agissant des retraites :
Une prise en compte de la pénibilité au titre des catégories actives (ensemble des corps de la police nationale, infirmiers et sages-femmes, sapeurs-pompier, contrôleurs aériens, égoutiers…) plus généreuse dans la fonction publique (que le compte personnel de prévention des salariés) et permettant des départs anticipés13 ;
Un mode de calcul de la pension assis sur le traitement indiciaire (donc, hors primes) des derniers mois d’activité contre un calcul sur les 25 meilleures années pour les salariés.
Toutefois, ces différences de règles de calcul ne conduisent pas à des montants de retraite en moyenne plus avantageux pour les fonctionnaires14. Par ailleurs, les âges de départ en retraite sont aussi similaires entre la fonction publique et le secteur privé (article sur le vieillissement de la fonction publique).
Un recrutement par concours très contesté
Le constat général dressé par les rapporteurs est celui d’une relative inadaptation des concours. Ils seraient :
Mal connus ;
Adossés à des épreuves inadaptées et trop théoriques ;
Avec un déroulement complexe et trop formalisé ;
Pour des postes à pourvoir en trop faible nombre, ce qui présente un caractère décourageant.
Les modalités de recrutement se sont diversifiées, mais le concours demeure la voie d’accès principale à la fonction publique
Au-delà du concours classique, « externe » et dédié aux jeunes diplômés, les modes de recrutement se sont pourtant diversifiés :
Le « troisième concours » est né en 1990 et est dédié aux salariés bénéficiant d’une expérience professionnelle de même nature que celle exercée à l’issue du concours ;
Le Pacte (Parcours d’accès aux carrières de la fonction publique), créé en 2005, permet à un jeune peu ou pas diplômé ou à un chômeur de longue durée d’accéder à une qualification, puis à un emploi de catégorie C dans la fonction publique15 ;
Enfin, l’accès direct sans concours est commun pour les recrutements de catégorie C.
Par ailleurs, depuis 2018, le dispositif Prépas talents permet, sous conditions de ressources, à des étudiants, jeunes diplômés et demandeurs d’emploi d’accéder à une aide à la préparation aux concours de la fonction publique (aide à la fois financière, au logement, mais aussi accès à des dispositifs du tutorat renforcé)16.
Pour autant, le concours demeure la voie d’accès normale à l’ensemble des grands métiers publics : enseignants, forces de sécurité, infirmiers, personnels d’inspection et d’administration…
Des concours qui ne garantissent pas contre les discriminations
« Les femmes, les personnes nées hors de France métropolitaine, ou encore celles qui résidant dans une ville avec une forte emprise de ZUS, [ont] moins de chances de réussir les écrits puis les oraux de nombreux concours, tandis qu’à l’inverse les chances de succès sont plus élevées toutes choses égales par ailleurs pour les personnes qui habitent Paris et celles qui vivent en couple. »
Des concours qui accentuent les disparités territoriales
L’autre difficulté inhérente au concours est l’affectation sur le premier poste. Or, les postes disponibles pour les primo-affectés sont en majorité difficiles et le plus souvent dans les territoires les moins attractifs :
Les grandes métropoles régionales (Rennes, Nantes, Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille, Toulouse et Bordeaux) et les façades maritimes18 reçoivent proportionnellement moins de primo-affectés ;
À l’inverse, les départements franciliens connaissent un fort turn-over et des besoins en recrutements croissants.
Ce phénomène de turn-over élevé pour les territoires les moins attractifs et de départ des plus anciens vers les territoires les plus favorisés s’auto-entretient.
Les jeunes ne restent pas sur leur poste et préfèrent partir assez vite :
Pour pallier les difficultés de recrutements dans les territoires les plus difficiles, l’administration recrute localement des contractuels
Le recrutement de contractuels se développe, tout particulièrement dans les territoires les moins attractifs19.
En retour, ce recrutement de contractuels accentue la désaffection des concours :
Les fonctionnaires en première affectation doivent le plus souvent déménager pour rejoindre un lieu d’affectation inconnu à la réussite du concours.
Les contractuels disposent du choix de leur lieu d’exercice et sont dispensés de la sélection par concours.
Outre le recrutement de contractuels, les rapporteurs citent la possibilité ouverte par la loi de transformation de la fonction publique de 2019 de recruter des fonctionnaires par la voie de concours nationaux à affectation locale. Toutefois, ce dispositif est encore peu développé et n’a concerné, à la date de rédaction du rapport, qu’une cinquantaine de corps et près de 10 000 agents20.
Une gestion des fonctionnaires également problématique sur le long terme
Le cas de l’Éducation nationale est particulièrement symptomatique pour les rapporteurs :
« La crainte est double : elle concerne l’affectation sur le premier poste, mais elle porte également sur la possibilité d’obtenir ultérieurement une mutation en vue de rejoindre l’académie ou l’établissement de son choix. Or, les étudiants ou futurs enseignants jugent le système ou l’algorithme utilisé pour les campagnes de postes particulièrement opaque, source d’inégalités de traitement et d’incohérences manifestes. Cette perception d’une procédure sans règles claires entretient un sentiment d’arbitraire et d’inefficacité dans la gestion des ressources humaines, appuyé par de nombreux exemples jugés aberrants de personnels dont l’affectation semble contraire à toute logique. »
Principes attachés au modèle de la fonction publique dite « de carrière » qui implique l’existence de corps de la fonction publique. À l’inverse, la fonction publique dite « de l’emploi » repose sur un recrutement de gré à gré en fonction des besoins de l’employeur, sans droit à carrière spécifique. ↩
Ce que des journalistes et commentateurs désignent, paresseusement, par « emploi à vie ». Il conviendrait plutôt, en effet, de parler de « droit à carrière », puisque le fonctionnaire a justement vocation à occuper une succession d’emplois. ↩
On distingue ici la rémunération indiciaire, assise sur les fameuses grilles indiciaires des différents corps de fonctionnaires (professeur des écoles, gradés et gardiens de la paix, attaché d’administration, inspecteur des finances publiques…) et la rémunération en primes liées aux fonctions et sujétions. La seconde part de la rémunération, de loin la plus dynamique, est assise sur la réalité des fonctions exercées. Toutefois, pour certaines professions, comme les magistrats ou le corps enseignants, la part indemnitaire demeure essentielle. ↩
Un inspecteur des finances publiques ne peut pas être affecté dans une fonction d’agent d’accueil. ↩
Dans un format qui ressemble aux principes de la fonction publique d’emploi, à l’inverse d’une fonction publique de carrière. ↩
Hors catégorie C de la fonction publique territoriale, notamment. ↩
Sauf en cas d’un ordre manifestement illégal et de nature à troubler l’ordre public. ↩
Les sociologues Castel et Bergeron interrogés par les rapporteurs rapprochent cette préférence pour le présent d’une anxiété quant à l’avenir : « on ne se projette pas dans un monde incertain ». ↩
Voire le renverse, puisqu’en raisonnant du point de vue de l’individu, l’employabilité et la désirabilité des recruteurs quant aux compétences rares est mieux rémunérée dans les secteurs privés que dans le secteur public. ↩
Enquête Opinion-Way- Indeed (2023), « L’attractivité du secteur public chez les salariés français : entre réalité et désillusion », juin. Enquête réalisée sur un panel de 1 594 salariés représentatifs des salariés du secteur public (4 %) et du secteur privé (60 %). ↩
Il convient cependant de relever les travaux récents du ministère de la fonction publique en la matière afin de prévoir une protection sociale complémentaire pour les agents publics de l’État, puis à terme, des autres fonctions publiques. ↩
Ces « avantages » existent en Belgique, mais pourraient être remis en cause par le nouveau Gouvernement. Une réflexion pourrait s’ouvrir sur la responsabilité de l’administration dans le reclassement des agents publics concernés sur des fonctions moins exposées. ↩
Voir à ce sujet Drees (2022), « Retraite : règles de la fonction publique et du privé. Comparaison du calcul des droits à la retraite à l’aide du modèle Trajectoire », Les dossiers de la Drees, n° 103, novembre. ↩
Mais cette voie d’accès reste marginale, en 2021 elle a permis de recruter 200 personnes pour 300 postes offerts selon le Rapport annuel sur l’état de la fonction publique de 2023. ↩
En 2021, environ 700 étudiants étaient inscrits aux préparations des concours de catégorie A, 400 aux concours de catégorie A+ et 350 pour les concours de catégorie B. Depuis 2018, le taux de réussite progresse régulièrement (9 % en 2018-2019 et 23 % en 2021-2022). ↩
L’Horty Y. (2016), Les discriminations dans l’accès à l’emploi public, Rapport au Premier ministre, juin. ↩
Et plus encore pour les façades maritimes du sud et de l’ouest de la France. Ce qui, par ailleurs, peut poser des difficultés de mobilités pour les agents en poste, les opportunités étant plus rares. ↩
Une autre difficulté tient aussi aux lieux de formation des lauréats des concours. À cet égard, l’initiative récente visant à développer auprès de l’Institut régional de Lille un lieu de formation à Nanterre pour les attachés d’administration est probablement salutaire. ↩
Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 7)
Temps de lecture : 9 minutes.
Dans ce nouveau chapitre issu du rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique, les rapporteurs interrogent les valeurs du service public.
Ces valeurs constituent la première source d’engagement des jeunes fonctionnaires1.
Pour autant, parmi l’ensemble des jeunes interrogés, les valeurs du service public sont peu partagées, leur contenu étant le plus souvent flou, voire ambivalent. Par ailleurs, l’administration renvoie généralement une image inspirant la défiance.
L’affaiblissement, voire la disparition des « valeurs du service public »
Une fonction publique mystérieuse
Les premiers constats dressés par les auteurs font état d’une fonction publique très peu connue. Une part importante de la population ignore les distinctions entre les trois fonctions publiques et ne peut pas lister des administrations et leurs fonctions.
Les principales connaissances sont celles du quotidien et de quelques éléments généraux égrainés çà et là :
« La compréhension du fonctionnement et de l’organisation de la fonction publique apparaît très lacunaire et s’appuie principalement sur les expériences des usagers ou celles de leurs proches. Souvent négatives, ces dernières amplifient l’image d’un univers distant et hermétique, mais aussi dégradé et privé de moyens. »
« Les confusions sur le périmètre s’accompagnent d’une méconnaissance totale du poids et de l’organisation de la fonction publique. Les personnes interrogées ne savent à peu près rien du statut et de ses justifications et principes. »
Une fonction publique en apparence fermée
Cette méconnaissance tient aussi à une forme de repli de l’administration. Les étudiants interrogés effectuent peu ou pas de stage dans la sphère publique, celle-ci étant peu présente durant la scolarité2 ou plus tard dans les salons professionnels (sauf pour quelques grands métiers).
Dans ce contexte, avoir un parent fonctionnaire constitue donc un moyen privilégié pour connaître la sphère publique, ce qui explique par ailleurs le phénomène de « reproduction statutaire. »
« La fonction publique apparaît comme un univers opaque, lointain, « à part », qu’on peine à envisager dans le cadre de son choix de carrière. »
Une fonction publique à l’image ambivalente
Cette ambivalence se retrouve à deux niveaux :
Tout d’abord, la fonction publique est souvent jugée « datée » :
« La fonction publique pâtit de la persistance de l’image d’un univers poussiéreux, lent et ennuyeux3. »
D’autre part, même lorsque certains métiers publics sont valorisés, la représentation de l’engagement du fonctionnaire est souvent attachée à une forme de compassion :
« Se superpose ainsi l’image attachée aux métiers « de vocation », « indispensables », « utiles », voire « essentiels ». Cependant, ceux-ci sont aussi perçus comme « sacrificiels » et souffrant d’une dégradation de leurs conditions de travail et d’un manque de reconnaissance (…). Soignants, policiers, mais aussi enseignants, sont ainsi l’objet d’une forme de commisération assez largement partagée. »
86 % des sondés interrogés dans le cadre de l’enquête OpinionWay pour Indeed estiment que les enseignants « ont du mérite ». 85 % qu’il faut améliorer leurs conditions de travail.(…) Un tel contraste suscite chez certains d’entre eux des formes d’admiration proches de la compassion pour un métier pris entre « bénévolat » et éthique du « sacrifice » et aujourd’hui « dévalorisé ». »
« On arrive ainsi à ce paradoxe, que les métiers considérés comme « les plus essentiels » sont aussi ceux… qui font partie des moins attractifs et font le moins rêver les jeunes (à l’exception de médecin). »
Une forte défiance vis-à-vis de l’employeur public
Une crise du service public attachée à la crise du politique
La défiance vis-à-vis des institutions semble, en effet, fortement corrélée à la défiance vis-à-vis du personnel politique :
70 % des Français4 n’ont pas confiance dans la politique (dont 24 % « pas du tout »).
Mécaniquement, les institutions politiques comme la présidence de la République, le Parlement et le Gouvernement recueillent des scores de confiance particulièrement faibles (le plus souvent inférieurs à 25 %).
Pour les auteurs, la fonction publique pâtit sévèrement de cette défiance :
Comment vouloir travailler pour des institutions dont on n’a pas confiance ?
En conséquence : un attachement au métier plutôt qu’à l’administration
Certains agents publics, en particulier dans les grandes collectivités ou certaines administrations de l’État, ont le sentiment de travailler davantage pour les élus plutôt que pour les usagers.
En réaction, les agents se définissent plutôt par leur métier, que par leur statut d’agent public5. Ce qui leur permet d’offrir un peu de recul à leurs fonctions, de se raccrocher à la source de leur engagement et de se distinguer d’une politisation qui peut parfois les embarrasser dans leur quotidien.
Le concept de « motivation de service public »
Un concept créé dans les années 90 et présentant en France quelques spécificités
Ce concept de « Motivation de service public » (MSP) a été créé et défini par les auteurs américains James Perry et Lois Recascino Wise en 1990. Il pourrait se rapprocher6 des notions d’habitus notamment développées par Luc Rouban, mais également des travaux sociologiques de Philippe d’Iribarne sur une forme de noblesse dans l’engagement de l’agent public français.
Le concept de Perry et Wise insiste sur la spécificité des motivations altruistes des agents publics et propose une échelle servant à la mesurer, qui comprend plusieurs dimensions :
S’agissant du cas français, s’ajoute une spécificité : celle d’un attachement très fort à la figure de l’État
La motivation de service public « à la française » est principalement alimentée par un attachement fort à l’intérêt général et aux services publics, ainsi que par la place centrale de l’État, comme pourvoyeur de richesse et de cohésion sociale.
On note toutefois un premier hiatus :
Les salariés du privé attendent de l’exemplarité ;
Les agents publics veulent poursuivre un but d’intérêt général.
Une réalité concrète pour les agents publics : on ne devient généralement pas fonctionnaire par hasard
Travailler pour la fonction publique relève le plus souvent d’un choix explicite :
« 84 % des jeunes agents publics et élèves fonctionnaires disent travailler dans la fonction publique par choix7. »
Cette « utilité sociale » est génératrice d’une certaine fierté professionnelle :
86 % des salariés français estiment que le secteur public permet d’exercer « des métiers qui ont du sens » (84 % dans le secteur privé et 90 % dans le secteur public8 — ces derniers étant évidemment les premiers concernés)
72 % des agents publics sont fiers de leur emploi (contre 64,6 % dans le secteur privé)9 ;
83 % des agents publics se sentent « utiles », contre 68,5 % des salariés du secteur privé. Ce sentiment est particulièrement fort pour les professions en contact avec le public : accueil de jeunes enfants, animation, enseignement, action sociale, santé10.
Des motivations différentes selon les statuts (et niveaux de diplôme)
« Différemment incarnées selon les métiers et les secteurs, les motivations de service public sont également variables et inégalement réparties chez les agents selon leurs diplômes et leur position (encadrant ou non). »
Peu d’intérêt pour les valeurs du service public et les politiques publiques (vision métier)
Encadrants de proximité
Compassion
Valeurs du service public
Experts
Neutre
Valeurs du service public, goût pour les politiques publiques
Cadres managers
Nul : peu ou pas de relations directes avec des personnes identifiables, vision d’un citoyen abstrait
Valeurs du service public, goût pour les politiques publiques, motivations politiques (forte perméabilité des hauts fonctionnaires et des représentants politiques)
Motivations selon Céline Desmarais et Claire Edey Gamassou
Autrement dit, plus le niveau hiérarchique est élevé, plus la motivation est liée à des éléments théoriques12.
Par ailleurs, de cette même conception du service public découle l’idée que le « principe » (théorique) est supérieur au « service » (individuel)13.
Toutefois, il semblerait que :
La conception unitaire du service public soit de plus en plus disputée et que
Les sollicitations des citoyens tiennent davantage à considérer les situations individuelles et à exiger une efficacité démontrable14.
Une concurrence accrue dans la défense de l’intérêt général
L’État n’est plus associé à l’intérêt général
Les nouvelles générations ne sont pas moins « altruistes », la difficulté proviendrait plutôt d’un affaissement de l’idée du service public administratif :
« Les pouvoirs publics manquent de crédibilité pour incarner une promesse de sens particulièrement élevée. L’utilité sociale et l’intérêt général sont aussi (voire, selon certains, surtout) servis ailleurs. »
Seuls 3 % des Français associent spontanément l’intérêt général à l’État et aux pouvoirs publics15.
« Ainsi, paradoxalement, les pouvoirs et la fonction publics n’apparaissent pas forcément les mieux placés pour donner un débouché aux aspirations de ceux qui ont de fortes motivations de service public et pour lesquels l’intérêt général est un déterminant important de l’attractivité. »
À l’inverse, le secteur privé et le troisième secteur (associatif, mutualiste…) est jugé nettement plus favorablement
Si les finalités d’intérêt général portées par l’État et les collectivités publiques sont concurrencées (voire éclipsées) par le secteur privé16, le quotidien en entreprises ou en associations est également jugé plus favorablement :
« Les enquêtes d’opinion montrent que le secteur non lucratif (…) est largement plus reconnu que l’État, en tant qu’employeur, sur les dimensions « sens du travail et des missions », « valeurs de l’organisation » et « impact du travail sur la vie des citoyens ». Pour les deux premiers points, même les grandes entreprises privées sont mieux notées que l’État employeur. »
Le secteur public peine également à convaincre l’ensemble de ses agents
L’attachement au sens est autant une force qu’un point de fragilité dans la fonction publique. Il peut être « porteur d’un risque élevé de désillusion et de désenchantement » :
49 % des salariés du public (fonctionnaires et contractuels) qui souhaitent rejoindre le secteur privé le veulent car « ils ont le sentiment que ce qu’ils font dans le secteur public n’a plus de sens ».
L’enquête du collectif « Nos services publics » de 2021 montre ainsi un décalage entre les motivations d’entrée dans le service public (l’intérêt général pour 69 % des sondés) et un sentiment d’absurdité17 dans leur travail ressenti « régulièrement » par 80 % des personnes interrogées.
Une « perte de sens » dans la fonction publique qui reste à analyser
Comme le soulignent les rapporteurs, la littérature académique envisage le plus souvent cette perte de sens comme liée à la Nouvelle gestion publique. Autrement dit, le rapprochement des modes de gestion du secteur public d’autres modes de gestion : critères de performance et d’efficacité productive, rémunérations au mérite, etc.
Or, force est de constater18 que le mode de gestion public est systématiquement dévalorisé par les jeunes diplômés et, semble-t-il, par une proportion significative d’agents publics.
Si le mode de gestion privé était si décrié, pourquoi les jeunes diplômés et certains agents publics, préfèrent le secteur privé ou le troisième secteur ?
Au-delà des arguties politiques, de mon point de vue, une question de management se pose : l’exemplarité, la transparence, la confiance et la quête de sens paraissent désormais être des critères essentiels aux travailleurs. Tout particulièrement lorsque ceux-ci sont très diplômés.
En particulier ceux de catégorie A et B de l’État. L’enquête Nos services publics citée plus bas, ainsi que celle réalisée par la CFDT s’agissant des jeunes fonctionnaires confirment ce point. ↩
Qui connait par exemple le fonctionnement administratif de l’Éducation nationale ? La répartition des compétences entre les collectivités et l’État et au sein de l’État, les différentes fonctions du rectorat ? ↩
CFDT (2022), Résultats de la quatrième enquête focus jeunes, décembre (enquête réalisée auprès de 1 000 jeunes agents, titulaires, stagiaires, contractuels, étudiants, des trois versants de la fonction publique). ↩
En reprenant les classifications établies dans la théorie des « Motivations du service public ». ↩
Selon ces mêmes auteurs, et c’est dichotomie se retrouve dans les travaux ici présentés par les rapporteurs, il existe une « mythologie du service public à la française » qui synthétise des aspirations diverses : entre d’une part le service concret du citoyen pour les agents d’exécution et, d’autre part, une dimension plus abstraite et politique de place de l’État dans la société, notamment incarnée par les hauts fonctionnaires. ↩
En effet, la compassion français est plutôt assise sur des principes théoriques, supposant que l’État doit assurer la défense de l’intérêt général. Ce faisant, la compassion directe (philanthropie) est faible en France. L’État joue donc un rôle véritablement unique en France en portant des valeurs et un impératif de solidarité assurés directement par d’autres acteurs ailleurs (populations, secteurs associatifs, églises, voire entreprises). ↩
La démonstration de l’efficacité implique la contestation du ressort uniquement théorique de l’action publique. ↩
Étude BVA pilotée par la mission APIE (Appui au patrimoine immatériel de l’État) pour la DGAFP (2020), Attractivité de l’État employeur ; 1 000 personnes interrogées, 18-45 ans représentatifs de la population française, en février-avril 2020 ↩
Lié notamment au manque de moyens, au poids de la structure ou de la hiérarchie, ou encore au manque de reconnaissance. On peut, ici (les rapporteurs ne le font pas), rapprocher les éléments cités plus haut s’agissant de la distinction entre une masse de fonctionnaires au contact du public et animée par des motivations concrètes et une interprétation plus intellectuelle et abstraite des décideurs. ↩
Les rapporteurs ne traitent pas spécifiquement les critiques de cette interprétation du tournant « managerial » comme explicatif de la perte d’attractivité des collectivités publiques. ↩
Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 6)
Temps de lecture : 7 minutes.
Suite de l’analyse du rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique avec une analyse de deux éléments concomitants (et complémentaires) :
La concurrence accrue du secteur privé pour le recrutement de jeunes diplômés ;
La difficulté concomitante des universités à attirer de nouveaux profils, en particulier parmi les garçons.
Une fonction publique très féminisée
Ce caractère genré concerne les trois fonctions publiques et presque toutes les catégories
La féminisation des trois fonctions publiques est indéniable :
La fonction publique hospitalière est composée à 90 % de femmes (notamment du fait du poids des effectifs d’infirmières et d’aides-soignantes) ;
La fonction publique territoriale a un poids relativement stabilisé autour de 60 % ;
Enfin, la fonction publique d’État présente la spécificité d’une féminisation continue, y compris sur les dernières années.
Dans les trois versants de la fonction publique, la féminisation concerne toutes les catégories d’emploi, à l’exception de l’encadrement supérieur (les A+, voir notamment l’article sur les ministères économiques et financiers) et des catégories B du ministère de l’Intérieur (gendarmes, policiers) et des Armées1.
On peut souligner que ce point concerne en apparence toutes les grandes économies, avec une élévation du niveau scolaire des filles. Ce qui implique un intérêt plus élevé de ces dernières à rejoindre le secteur public, traditionnellement plus éduqué que le secteur privé.
Outre l’encadrement supérieur et les métiers régaliens, une part de femmes encore insuffisante dans les métiers informatiques
La fonction publique ne se distingue malheureusement pas du secteur privé dans la féminisation du personnel informatique.
Compte tenu du vivier de professionnels, par ailleurs souvent très éduqués, on aurait pu s’attendre à une féminisation plus élevée. Il n’en est donc rien :
Des agents publics toujours très diplômés par rapport au secteur privé
Le niveau de diplôme est substantiellement plus élevé dans le secteur public
« En 2022, 57 % des agents publics détiennent un diplôme du supérieur, contre 42 % dans le secteur privé. »
Ce niveau de diplôme est toutefois très hétérogène selon les fonctions publiques :
76 % des agents de la fonction publique d’État détiennent un diplôme du supérieur2 ;
Depuis 2007, la fonction publique peine à recruter des jeunes diplômés
Des recrutements de jeunes en diminution
Le nombre de « jeunes débutants » (sortis de formation initiale trois ans auparavant) baisse de façon continue depuis plusieurs années :
84 % des jeunes diplômés sont employés dans le secteur privé en 2019, contre 16 % dans le secteur public.
Depuis 2007, le taux d’emploi des « jeunes débutants » dans le secteur privé est en hausse de trois points, contre une baisse équivalente pour le secteur public.
« Cette moindre attraction affecte surtout la fonction publique d’État qui offre moins d’opportunités d’emploi sur cette période, avec une baisse marquée de ses effectifs. »
Parmi ces jeunes, une chute plus problématique encore du nombre de diplômés du supérieur
Depuis plusieurs années, les jeunes diplômés du supérieur se tournent davantage vers le secteur privé :
De 2007 à 2019, leur nombre a crû de 17 % dans le secteur privé et chuté de 29 % dans le secteur public.
L’écart de recrutements est encore plus flagrant lorsqu’on s’intéresse aux plus diplômés : ceux détenteurs d’au moins un bac +4 :
De 2007 à 2019, les effectifs de jeunes débutants diplômés de niveau bac +4 et plus ont augmenté de 63 % dans le secteur privé et baissé de 2 % dans le secteur public.
Les diplômes préparés pour rejoindre la fonction publique se distinguent du secteur privé
En effet, la fonction publique dispose de spécificités dans les diplômes du supérieur recrutés :
6 % des jeunes diplômés de la fonction publique relèvent de filières relevant des mathématiques, de l’ingénierie et des systèmes, contre 29 % pour le secteur privé4 ;
15 % des jeunes diplômés de la fonction publique relèvent de formation en gestion, contre 37 % dans le privé5.
Inversement, les jeunes diplômés du supérieur recrutés dans la fonction publique sont nettement plus souvent issus :
De filières en sciences humaines et sociales6, dont est issue une grande partie du corps enseignants et
De filières en sciences du vivant et de la terre7, dont sont issus les professionnels de santé.
Les « viviers traditionnels » des sciences du vivant et des sciences sociales peinent eux-mêmes à attirer les étudiants
Or, ces deux filières, sciences du vivant et sciences humaines et sociales, sont en difficulté. Elles peinent à attirer de nouveaux étudiants à hauteur des besoins :
Cette baisse d’attractivité est toutefois généralisable à l’ensemble de la sphère universitaire
L’ensemble des filières universitaires, qu’elles aient ou non traditionnellement la fonction publique comme débouché de prédilection, voient leur part relative s’affaiblir, face à la concurrence de l’enseignement supérieur privé.
Les rapporteurs soulignent également l’effet de l’introduction d’une sélection à l’entrée en Master 1 dans les universités à compter de 2017 (devenue définitive en 2020) :
Les projections réalisées par le SIES8 montrent que l’attractivité supérieure de l’enseignement supérieur privé devrait se prolonger, au détriment des universités :
« Les effectifs des étudiants inscrits à l’université en 2031 devraient être comparables à ceux de 2021 (en très légère baisse, de 0,1 % entre 2021 et 2031) alors que l’ensemble des inscrits de l’enseignement supérieur devrait connaître une hausse de 1,5 %. »
Certaines professions sont très concernées par cette diminution du vivier de recrutements : les professeurs, les cadres administratifs et les inspecteurs
La situation est encore plus problématique pour les étudiants en master des métiers de l’enseignement (qui prépare au concours d’enseignement du premier degré) :
Pour les catégories A, dont les besoins sont pourtant importants sur les années à venir, l’effondrement des effectifs en Institut de préparation à l’administration générale (IPAG) est également très inquiétant :
« Indépendamment du niveau d’études, les effectifs d’étudiants inscrits dans un IPAG ont ainsi presque été divisés par deux entre 2008 et 2016, avant de se stabiliser. »
Cette baisse n’est pas due à une diminution des effectifs, mais bien à un choix des étudiants :
Mais ces effectifs régaliens connaissent également une féminisation croissante, bien que plus tardive. ↩
33 % des agents publics de l’État ont un niveau licence ou master 1, contre 11 % dans le privé. 31 % ont un master 2 ou un doctorat contre 15 % dans le privé (Rapport annuel de la DGAFP de 2024). ↩
La fonction publique territoriale accueille plus d’actifs peu diplômés que le secteur privé : 15 % de ses agents sont sans diplôme ou titulaires d’un diplôme de niveau CEP ou brevet des collèges, contre 14% des salariés du privé. 30 % d’un diplôme de niveau CAP, BEP ou équivalent, contre 21 % dans le privé (Rapport annuel de la DGAFP de 2024). ↩
Inclut notamment les mathématiques, les technologies numériques, industrielles et du bâtiment. ↩
Inclut notamment l’économie, le droit, les finances et le secrétariat. ↩
Inclut notamment la philosophie, l’histoire, la psychologie, la littérature et la géographie. ↩
Inclut notamment le sanitaire et social, la physique, la chimie et les sciences de la vie et de la terre (y compris agronomie et agriculture). ↩
SIES (2023), « Projection des effectifs dans l’enseignement supérieur pour les rentrées de 2022 à 2031 », Note d’information du SIES, n° 2023-04, avril. ↩
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